« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


dimanche 15 juin 2025

Nicolas Sarkozy exclu de l'ordre de la Légion d'honneur


Le Journal officiel du 15 juin 2025 publie l'arrêté du 5 juin 2025 "constatant une exclusion de droit de l’ordre national de la Légion d’honneur" et signé du grand chancelier de la Légion d'honneur. Au même JO, on trouve deux arrêtés identiques concernant M. Azibert et Herzog. Tous sont désormais privés définitivement de "l’exercice des droits et prérogatives attachés à la qualité de membre de la Légion d’honneur" et se voient interdire le port de la décoration. 

Les différentes requêtes introduites, soit par des familles de membres de l'ordre de la Légion d'honneur, soit par l'ancien secrétaire national d'Europe Écologie - Les Verts, maître Julien Bayou, demandant au juge d'enjoindre au grand chancelier de prononcer cette exclusion vont donc s'achever par une probable décision de non-lieu à statuer.

L'arrêté du 5 juin était parfaitement prévisible, comme nous l'affirmions le 12 mai 2025. Les défenseurs de Nicolas Sarkoz, et même le Président de la République, s'étaient pourtant largement exprimés en affirmant de manière péremptoire qu'il était impossible de prononcer cette exclusion. Cette position, totalement dépourvue de fondement juridique, saturait l'espace médiatique, rendant impossible la simple mention d'une analyse juridique. 

Aucun des arguments avancés à l'appui du soutien sans faille à Nicolas Sarkozy ne reposait sur un quelconque fondement juridique, ce qui n'a pas empêché la presse de les relayer, sans les vérifier.

 

La compétence d'Emmanuel Macron pour signer un décret d'exclusion

 

Le premier soutien est venu du Président de la République en personne. Emmanuel Macron a en effet déclaré qu'il "ne prendrait aucune décision de radiation". Les médias, et notamment RTL, rendant compte de cette déclaration, affirmaient que "c'est l'actuel chef de l'État et lui seul qui peut prendre cette décision en tant que grand maître de l'ordre national de la Légion d'honneur". La déclaration du Président de la République tenait lieu de fondement juridique.

A dire vrai, les propos d'Emmanuel Macron n'étaient pas faux. Il n'a finalement pris "aucune décision de radiation". Mais ce n'est pas parce qu'il refusait d'exclure Nicolas Sarkozy de l'ordre de la Légion d'honneur, c'était tout simplement parce qu'il n'était pas compétent pour le faire.

L'arrêté du 5 juin est signé du grand chancelier et il était en effet la seule autorité compétente, parce qu'il ne s'agissait pas, en l'espèce, d'une procédure disciplinaire, mais plus simplement d'une décision d'exclusion automatique, à la suite d'une condamnation pénale. Sur ce plan, il était dans une situation de compétence liée, ce qui signifie qu'il n'avait pas d'autre choix que la décision d'exclusion.

 


 Hibernatus. Edouard Molinaro. 1969

Louis de Funes et Jacques Legras 

 

Une procédure d'exclusion automatique

 

Là encore, la presse a repris l'argumentaire développé par les amis de Nicolas Sarkozy. Il reposait sur l'idée que l'exclusion de l'ordre ne pouvait intervenir qu'à l'issue d'une procédure disciplinaire. L'article 96 du code de la Légion d'honneur, prévoit en effet que des "peines disciplinaires", au nombre desquelles figure l'exclusion, peuvent être prononcées à l'encontre de "tout membre de l'ordre qui aura commis un acte contraire à l'honneur"

La procédure disciplinaire s'accompagne de l'exercice des droits de la défense, l'intéressé bénéficiant de l'assistance d'un avocat. A l'issue, le conseil de l'ordre émet un avis sur les mesures disciplinaires à prendre contre l'intéressé. Lorsqu'il conclut à l'exclusion, cet avis doit être acquis à la majorité des deux tiers des votants. L'article R106 prévoit ensuite que l'exclusion comme la suspension sont prononcées par décret du président de la République. Dans ce cas, et seulement dans ce cas, celui-ci peut donc refuser de signer le décret, l'article R104 précisant qu'il n'est possible de passer outre à l'avis du conseil qu'en faveur du légionnaire. 

Certes, mais les amis de Nicolas Sarkozy, comme la presse qui a repris sans discuter leurs arguments, avaient tout de même omis, volontairement ou non, de mentionner d'autres dispositions du code de la Légion d'honneur qui imposent l'exclusion des personnes condamnée, sans procédure disciplinaire, la procédure pénale étant considérée comme suffisante pour établir les faits.

L'article R106 énonce que la procédure disciplinaire s'applique "sauf dans les cas prévus aux articles R 90 alinéa 2 et R. 91". Et là, il convenait d'aller lire les dispositions, en particulier l'article R 91 qui énonce : "Sont exclues de l'ordre les personnes condamnées pour crime, et celles condamnées à une peine d'emprisonnement sans sursis égale ou supérieure à un an". Or Nicolas Sarkozy, on le sait, a été condamné à une peine de trois ans d'emprisonnement, dont un ferme, et son exclusion est donc automatique. Il importe peu qu'il ait déposé un recours devant la Cour européenne des droits de l'homme, dès lors qu'il n'est en rien suspensif.

Cette analyse est confirmée par les termes mêmes du décret du 22 janvier 2025. Il introduit une nouvelle rédaction de l'article R107 du code de la Légion d'honneur qui ne laisse guère de doute sur la compétence du grand chancelier " Dans les cas prévus (...) à l'article R. 91, le grand chancelier informe le conseil de l'ordre et constate, par arrêté, l'exclusion de l'ordre". Autrement dit, le grand chancelier se borne à prendre acte de l'exclusion, à la constater. Celle-ci relève d'un simple jeu d'écriture et n'est pas le produit d'une procédure disciplinaire. C'est exactement ce qu'a fait le grand chancelier dans sa décision du 5 juin, dans laquelle il "constate" une exclusion de l'ordre.

 

Le respect dû à un ancien Président

 

De fait, se trouve balayé le dernier argument des défenseurs de Nicolas Sarkozy. Il reposait sur l'idée simple que "l'on ne fait pas cela à un ancien Président". Pour donner un peu de corps à l'argumentaire, ils affirmaient l'impossibilité de retirer la Légion d'honneur à quelqu'un qui l'a obtenue es qualité. Et il est exact que Nicolas Sarkozy, comme tous les présidents de la République nouvellement élus, a été reconnu grand maître de la Légion d'honneur par le grand chancelier, le jour de son investiture. Celui-ci lui présente le grand collier de l'ordre prononçant les paroles suivantes : « Monsieur le président de la République, nous vous reconnaissons comme grand maître de l’ordre national de la Légion d’honneur ».  De cette particularité, les amis de Nicolas Sarkozy déduisaient que le protéger contre l'exclusion, c'était protéger l'ordre lui-même.

La décision du grand chancelier applique le droit, rien que le droit et tout le droit. Et précisément, les règles qui organisent la discipline dans l'ordre de la Légion d'honneur ont pour objet de protéger les valeurs qu'il incarne, en écartant ceux qui les ont violées, au point d'être l'objet de graves condamnations pénales. 

2 commentaires:

  1. Nicolas Sarkozy vient donc de perdre sa légion d'honneur alors que le président Macron ne voulait pas la lui retirer. Mais ce qui m'intéresse ici, c'est SARKOZY devant la CEDH après avoir été définitivement condamné en France et avoir épuisé tous ses recours dans l'affaire qui lui a valu une condamnation pénale.

    En principe, devant la CEDH, le gouvernement français s'emploie à justifier à tout prix la décision défavorable au requérant. 

    Or dès lors que le président Macron s'est déjà mis publiquement du côté de Nicolas Sarkozy, même si ce n'est que pour la légion d'honneur qui n'est qu'un aspect accessoire de la condamnation pénale, on peut s'interroger  : 

    - sur l'attitude que va avoir l'agent du gouvernement devant la CEDH; je gage qu'il ne va pas défendre à tout crin les décisions (fond et cassation) des juges ayant condamné Nicolas Sarkozy; que pour une fois l'agent du gouvernement ne va pas chercher à tout prix à justifier les arrêts nationaux en cause

    - sur l'attitude de la CEDH, où il n'y a pas de procureur ou d'avocat général, mais uniquement des juges du siège; va-t-elle admettre des tierces interventions ayant pour objectif de justifier la condamnation de Sarkozy faute d'agent du gouvernement faisant le nécessaire? 

    En tout cas, Nicolas Sarkozy va bénéficier devant la CEDH d'un sacrés avantages par rapport aux requérants lambda :

    - un agent du gouvernement plutôt bienveillant a priori

    - pas de procureur contre lui ; et plus généralement pas de véritable adversaire car une éventuelle tierce intervention, ne venant à l'appui ni du gouvernement ni de Nicolas Sarkozy, n'aura guère d'influence a priori dans une procédure de type accusatoire (preuves et argumentations à la charge des parties) et non inquisitoire (avec un pouvoir d'enquête propre, indépendant des parties, comme avec le juge d'instruction dans une affaire de crime)

    - tout ceci avec un dossier contenant des points délicats (des écoutes portant notamment sur des discussions de Sarkozy avec son avocat) qui auraient nécessité de vrais et bons défenseurs devant la CEDH pour peut-être justifier la conformité avec la Convention EDH de la condamnation de Nicolas Sarkozy.

    Bref:

    - si la CEDH considère que la France n'a pas violé la Convention EDH en condamnant Nicolas Sarkozy,  son arrêt sera peut-être satisfaisant (il faudra le lire)

    - mais si elle juge le contraire  on pourra à bon droit se demander ce qu'il en aurait été si l'agent du gouvernement avait fait son travail de principe à fond (ou s'il avait été permis à un tiers intervenant compétent de pallier à la défaillance de  l'agent du gouvernement) !

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  2. Votre exposé est clair et précis. Il démontre bien que le droit applicable l'a été, dans le cas de l'ancien président de la République, sans que sa mise en oeuvre ne soit critiquable. Le droit, tout le droit et rien que le droit.

    - Il est désolant que l'actuel Président de la République n'ait pas joué son rôle de gardien du droit. Rien ne nous étonne plus de sa part.

    - Il est regrettable que les "amis" de Nicolas Sarkozy se livrent à pareille défense pitoyable pour réhabiliter leur mentor. Ils ne se grandissent pas.

    - Il est bon que l'ex Président de la République soit sanctionné comme il a sanctionné des hauts fonctionnaires de manière injuste et sans état d'âme, en son temps. Le défaut d'exemplarité qu'il mettait en avant lui revient en boomerang. C'est la fable de l'arroseur arrosé.

    La réalité a repris ses droits !

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