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« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.
samedi 30 juin 2018
Le détournement de fonds publics est applicable aux parlementaires
mardi 26 juin 2018
La liberté de correspondance en détention provisoire
La liberté de la correspondance
En attendant le facteur. Le poète Jean Antoine Roucher à Sainte Pélage. Hubert Robert 1733-1808 |
Le droit au recours
dimanche 24 juin 2018
Le moine pleurant peut sécher ses larmes
La triste histoire du "pleurant n° 17"
L'appartenance au domaine public
Le pleurant n° 17 est en effet protégé de toute aliénation par son appartenance au domaine public. Dans sa décision de janvier 2017, la CAA Paris n'hésitait pas à mentionner dans ses visas l'édit de Moulins de février 1566, consacrant l'inaliénabilité du domaine public de la Couronne. Ce texte demeure aujourd'hui du droit positif, lorsqu'il s'agit d'apprécier une revendication de propriété portant sur le domaine public maritime ou fluvial. Selon l'article L 3111-2 du code général général de la propriété des personnes publiques, celui-ci est en effet inaliénable, sous réserve des droits et concessions accordés avant l'édit de Moulins. Le Conseil d'Etat s'y réfère donc régulièrement, par exemple le 20 mars 2017, pour apprécier une revendication de propriété de prés salés sur la commune de La Teste-de-Buch (Gironde).
Mais le pleurant n° 17 ne fait pas partie du domaine public maritime et fluvial, et le Conseil d'Etat préfère écarter l'édit de Moulins. Il se fonde donc directement sur le droit révolutionnaire, plus précisément sur le décret de l'Assemblée constituante du 2 novembre 1789 qui affirme que "tous les biens ecclésiastiques sont à la disposition de la nation", et qu'en contrepartie elle s'engage à "pourvoir, de manière convenable, aux frais du culte et à l'entretien de ses ministres". Par la suite, l'article 8 du décret de la Constituante des 22 novembre et 1er décembre 1790 précise qu'il peut être dérogé à la règle d'inaliénabilité, c'est-à-dire qu'il est possible de vendre ou aliéner un bien du domaine public national, à la condition d'obtenir cette autorisation par un décret législatif sanctionné par le roi. Rappelons qu'à cette époque, un décret de l'assemblée devient législatif dès qu'il a obtenu la sanction royale, c'est-à-dire dès que le roi n'a pas opposé son veto (ce qui explique la double date des décrets, la première étant celle du vote par l'Assemblée, la seconde celle de la sanction royale).
La famille dépositaire du pleurant ne peut invoquer aucune autorisation de ce type. Au contraire, toutes les décisions intervenues durant la période révolutionnaire visaient à conserver les pleurants dans le domaine public. Ils ont ainsi été transférés à l'église Sainte-Bénigne de Dijon, qui avait le statut d'une cathédrale, dont la charge était assurée par l'Etat. Plus tard, durant la Terreur, la commune de Dijon a certes ordonné la destruction des tombeaux des ducs de Bourgogne, mais en excluant expressément les pleurants de cette mesure.
L'absence de prescription acquisitive
Faute de pouvoir s'appuyer sur une autorisation d'aliénation, les héritiers de l'acquéreur de 1813 invoquent une prescription acquisitive. L'article 36 de ce même décret de novembre-décembre 1790 prévoit en effet une prescription pour "les détenteurs d’une portion quelconque desdits domaines, qui justifieront en avoir joui (...), à titres de propriétaires, publiquement et sans trouble, pendant quarante ans continuels à compter du jour de la publication du présent décret". Le problème est que cette disposition s'applique aux seuls éléments de domaine "dont l'aliénation est permise par les décrets de l'Assemblée nationale". Retour à la case départ, dès lors que précisément aucune dérogation n'a été accordée concernant les pleurants. Le Conseil d'Etat déduit donc, fort logiquement, que le pleurant n° 17 n'a jamais quitté le domaine public de l'Etat.
Le pleurant n° 17 peut sécher ses larmes. Au lieu d'être vendu à un collectionneur privé étranger, il va pouvoir rester au musée de Dijon, être admiré comme il le mérite par les visiteurs. La famille qui a essayé de le vendre peut, quant à elle, regretter d'avoir eu une telle idée, puis d'avoir recherché à vendre le plus cher possible à l'étranger. Au fil des procédures, elle a seulement obtenu que le doute soit définitivement levé sur le droit de propriété qu'elle revendiquait. En l'absence d'un tel droit, il est bien peu probable qu'elle puisse envisager une quelconque indemnisation. Quant au Conseil d'Etat, il a trouvé une procédure permettant la restitution d'oeuvres d'art acquises par les acheteurs des biens nationaux, dans des conditions parfois douteuses. Il y a donc plutôt lieu de se réjouir d'une jurisprudence fort utile à la sauvegarde du patrimoine.
vendredi 22 juin 2018
Les interceptions liées au renseignement extérieur
Non pertinence de la règle de l'épuisement des recours internes
L'ingérence dans la vie privée
La Cour ne manque pas d'observer que ces méthodes de renseignement sont directement liées au développement de la menace, menace terroriste certes mais aussi grande criminalité. Alors qu'il devient possible de rendre extrêmement difficile l'identification des communications sur internet, les Etats disposent d'une large marge d'appréciation pour définir le régime d'interception de nature à protéger leur sécurité nationale. Dans l'affaire Zakharov de 2015, la Cour a néanmoins précisé que le droit devait comporter un certain nombre de garanties, parmi lesquelles la définition claire des motifs justifiant les interceptions, une limitation de celles-ci dans le temps, l'indépendance de l'autorité qui les autorise, et enfin les conditions dans lesquelles elles peuvent être supprimées du fichier. Dans sa décision du 19 juin 2018, la Cour examine longuement la loi suédoise à la lumière de ces critères. Elle en déduit que le texte n'est pas disproportionné par rapport au but poursuivi, dès lors que la loi suédoise respecte ces conditions.
Je vous écoute. Felix Labisse. circa 1940 |
Exiger ce qu'il est possible d'exiger
Ceux qui pensaient que la législation française pourrait être sanctionnée par la Cour européenne risquent donc d'être déçus par l'arrêt Centrum för rättvisa c. Suède. La loi renseignement du 24 juillet 2015 est en effet assez proche de la loi suédoise. Elle prévoit une liste exhaustive de motifs justifiant des interceptions, une durée d'autorisation de quatre mois, la suppression des informations collectées à l'issue d'une période qui s'échelonne de trente jours à quatre mois. Il est vrai que la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR) n'intervient que par un avis consultatif, l'autorisation demeurant de la compétence exclusive du Premier ministre. En cela le droit français se distingue du droit suédois qui repose sur l'intervention d'un "tribunal pour le renseignement étranger" chargé de donner les autorisations requises à l'administration. Mais la procédure française fait l'objet d'un contrôle par une "formation spécialisée" du Conseil d'Etat spécifiquement créée par la loi. Certes, le système est bien loin d'être parfait et la personne qui soupçonne être l'objet d'interceptions n'obtient finalement qu'une décision laconique lui affirmant que "la vérification a été effectuée et n'appelle aucune autre mesure de la part du Conseil d'Etat". Mais le contrôle existe et les garanties exigées par la CEDH sont présentes, au moins sur le papier. N'est-ce pas suffisant, dans le cadre d'un contrôle in abstracto ?
A procédure cosmétique contrôle cosmétique, pourrait-on penser. Mais il ne peut guère en être autrement, dans un domaine où la CEDH, si elle imposait des contraintes trop lourdes aux Etats, risquerait de voir ses décisions inappliquées. Entre les exigences constitutionnelles des Etats qui tendent de plus en plus à la consécration d'un droit à la sécurité des personnes, les risques d'échappatoires consistant à mettre en oeuvre des interceptions en dehors de tout fondement juridique, le risque est grand qu'une jurisprudence rigide demeure lettre morte. La CEDH se borne donc à exiger ce qu'il possible d'exiger, remettant l'impossible à plus tard.
dimanche 17 juin 2018
La loi RGPD devant le Conseil constitutionnel
Le contrôle sur les règlements
Jusqu'à aujourd'hui, la jurisprudence portait exclusivement sur les directives qui, contrairement aux règlements, ne peuvent être appliquées en droit qu'après l'intervention d'une loi destinée à opérer cette transposition. Le Conseil a même trouvé dans l'article 88-1 de la Constitution un fondement à cette obligation (décision du 10 juin 2004). Il semble ainsi se démarquer de la jurisprudence issue de la décision Cohn-Bendit rendue par la Cour de justice de l'union européenne (CJUE). Celle-ci considère en effet, comme le Conseil d'Etat dans sa jurisprudence Dame Perreux du 30 octobre 2009, qu'une directive peut être d'applicabilité directe si l'Etat ne l'a pas transposée dans les délais. Il est vrai que cette jurisprudence ne vise qu'à combler un vide juridique, en cas de non-transposition. Le Conseil constitutionnel, quant à lui, se borne à apprécier la loi de transposition et n'est donc pas en mesure de sanctionner son absence.
Cette jurisprudence pour le moins créative lui a permis ensuite de préciser, dans sa décision du 27 juillet 2006, l'étendue de son contrôle sur ces lois de transposition. C'est ainsi que le texte ne doit pas "aller à l'encontre d'une règle ou d'un principe inhérent à l'identité constitutionnelle de la France". En dehors de cette hypothèse, le Conseil se déclare incompétent pour apprécier une loi portant transposition d'une directive. Ce contrôle est donc exclusivement effectué par les juridictions administratives et judiciaires qui seules peuvent apprécier la conformité du texte aux traités et, le cas échéant, poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne si elles ont un doute sur la portée de la directive.
La décision du 12 juin 2018 étend aujourd'hui cette jurisprudence aux règlements, lorsqu'ils donnent lieu à une loi de transposition. Cet élargissement semble logique, dès lors que rien ne justifierait que la loi transposant un règlement ne soit pas appréciée de la même manière que celle transposant une directive, quand bien même son adoption n'est pas obligatoire.
L'intelligibilité et l'accessibilité de la loi
Sur le fond, la décision écarte d'abord le moyen fondé sur l'atteinte à l'objectif constitutionnel d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi, moyen développé dans la saisine sénatoriale. Le Conseil affirme simplement que "si, à cette fin, le législateur a fait le choix de modifier les dispositions de la loi du 6 janvier 1978 en y introduisant des dispositions dont certaines sont formellement différentes de celles du règlement, il n'en résulte pas une inintelligibilité de la loi". La formule témoigne peut-être d'une certaine lassitude à l'égard d'un moyen souvent invoqué, lorsque les parlementaires requérants n'ont pas trouvé d'autres arguments juridiques.
La CNIL
La loi élargit les missions de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL). Elle est désormais l'autorité de contrôle du pour la mise en oeuvre du RGPD et est chargée de publier les règles types, les codes de conduite destinés aux différents opérateurs. A sa traditionnelle fonction de contrôle s'ajoute donc désormais un double rôle de certification et de conseil, puisqu'elle peut être consultée par le parlement sur les questions de protection des données. Aux yeux des sénateurs requérants, cette consultation du parlement n'est pas organisée avec suffisamment de précision par la loi. Ils y voient non seulement une atteinte à l'intelligibilité de la loi mais aussi un cas d'incompétence négative. Le législateur aurait en effet méconnu sa propre compétence en ne précisant pas les aspects procéduraux de cette consultation, le délai imparti à la CNIL pour rendre son avis etc. Le Conseil observe simplement que ces éléments ne relèvent pas du domaine de la loi.
Les pouvoirs de la CNIL sont d'autant plus renforcés que les sanctions qu'elle peut prononcer sont désormais susceptibles d'atteindre 20 millions d’euros ou 4% du chiffre d’affaires annuel mondial de la firme sanctionnée. Ces dispositions tirent les leçons des difficultés rencontrées par la CNIL, lorsqu'elle a été chargée par le G 29 de gérer le contentieux avec Google, alors même qu'elle ne disposait pas d'un arsenal de sanctions suffisamment dissuasif pour peser sur les GAFA. En revanche, les formalités préalables à la création des traitement, telles qu'elles existaient depuis la loi du 6 janvier 1978, disparaissent au profit d'un système qui repose sur l'appréciation des risques par responsable du traitement lui-même, la CNIL exerçant un contrôle a posteriori.
"Sous le contrôle"...
Rien de bien surprenant, et l'annulation pour incompétence négative n'est pas rare. Par analogie, on ne peut cependant s'empêcher de penser à la proposition de loi relative à la lutte contre les fausses informations. Il confère en effet au Conseil supérieur de l'audiovisuel une compétence générale pour refuser de passer une convention, voire interdire un site, lorsque ce site est placé "sous le contrôle" d'un Etat étranger. La formule est tout aussi incertaine, et le risque d'incompétence négative n'est pas négligeable Il reste à espérer que les parlementaires liront la décision du Conseil constitutionnel relative à la protection des données.
Les algorithmes
Une première lecture de la décision pourrait s'arrêter là, en rappelant que seulement quatre mots sont sanctionnés sur l'ensemble du texte. Mais l'essentiel réside dans le long passage consacré à l'usage des algorithmes par l'administration. Le RGPD l'autorise et permet même que des décisions individuelles soient adoptées sur la base d'un algorithme, décisions susceptibles donc d'avoir des conséquences sur la situation juridique d'une personne.
Il fixe cependant quatre conditions à remplir. La première, prévue par l'article 311-3-1 du code des relations avec le public est que la décision doit mentionner son mode d'adoption et les principales caractéristiques de l'algorithme doivent être communiquées à l'intéressé. La seconde est que la décision doit pouvoir être susceptible de recours administratifs qui, cette fois, seront gérés sans que l'administration puisse se fonder exclusivement sur l'algorithme. En cas de contentieux, le juge administratif pourra d'ailleurs exiger la communication des caractéristiques de celui-ci. La troisième est l'exclusion du recours à l'algorithme pour les décisions portant sur des données sensibles, celles qui révèlent l'origine ethnique, la religion, les opinions politiques, l'orientation sexuelle, la santé etc.
Enfin, quatrième et dernier élément, le responsable du traitement doit "pouvoir expliquer, en détail et sous une forme intelligible, à la personne concernée la manière dont le traitement a été mis en œuvre à son égard".Cette dernière condition pourrait sembler anodine, car il s'agit d'appliquer la règle de motivation des décisions administratives défavorables. Mais elle risque d'avoir un impact considérable en interdisant l'usage des algorithmes "auto-apprenants", c'est-à-dire ceux qui se nourrissent eux-mêmes de leurs propres décisions, qui révisent eux-mêmes les règles qu'ils appliquent, en l'absence d'intervention humaine. Dans ce cas, le gestionnaire du traitement en perd le contrôle, et c'est précisément ce que refuse le Conseil constitutionnel.
En l'espèce, le Conseil estime que la loi prend des garanties "appropriées" et exclut l'usage des algorithmes auto-apprenants. En précisant clairement sa position, le Conseil constitutionnel pose ainsi des bornes aux expériences de justice prédictive qui, précisément, repose sur ce type d'algorithmes. Il rend ainsi un fier service aux juridictions suprêmes, Conseil d'Etat et Cour de cassation, qui souhaitent conserver le contrôle et le pilotage des expériences dans ce domaine.
Considérée sous cet angle, la décision du 12 juin 2018 est tout-à-fait intéressante. Certes, disons franchement qu'elle ne présente pratiquement aucun intérêt au regard de la loi RGPD qui était l'objet du contrôle. Mais le Conseil profite de l'occasion pour faire avancer certains dossiers, poser des marques discrètes sur la notion de contrôle ou sur les algorithmes. Ce sont autant d'avertissements dont le législateur devrait sans doute tenir compte d'autant qu'ils reposent sur une volonté de protéger les libertés publiques dans un univers technologique marqué par la dilution de l'examen individuel des dossiers.
mardi 12 juin 2018
Quand le rap dérape...
Le polygame vaut bien mieux que l'ami Strauss-Kahn (...)
Les élites sont les prosélytes des propagandistes ultra laïcs
Je me suffis d'Allah, pas besoin qu'on me laïcise etc..
La dignité de la personne
Sur cette base, on pourrait penser qu'il suffirait d'invoquer la dignité des victimes de l'attentat du Bataclan, celles qui ont survécu ou celles qui ont perdu un proche dans cette tragédie, pour justifier une interdiction. Sur le fond, ce motif n'est pourtant pas réellement pertinent. Dans l'affaire Morsang-sur-Orge, l'affaire portait sur une attraction de "lancer de nain" stupidement organisée dans une discothèque de la ville, et la dignité bafouée était celle d'une personne handicapée considérée comme un objet d'amusement et de dérision. Dans l'ordonnance du 9 janvier 2014, le juge avait élargi considérablement la jurisprudence, en considérant que la dignité en cause était celle des spectateurs potentiels du spectacle de Dieudonné, choqués par ses propos antisémites. Aujourd'hui, la dignité est celle des victimes, mais elles ne sont ni les acteurs ni les spectateurs du spectacle. Au demeurant, l'atteinte à leur dignité ne provient pas exclusivement du texte de Don't Laïk, chanson antérieure aux attentats, mais du fait que la chanson soit chantée sur les lieux du drame.
L'ordre public
Surtout, la jurisprudence ne va guère dans ce sens. L'ordonnance du 9 janvier 2014 a été largement critiquée parce qu'elle remettait en cause une jurisprudence ancienne, selon laquelle une réunion ne peut être interdite par l'autorité administrative que si il est matériellement impossible de garantir l'ordre public. Dans les autres cas, le juge administratif considère, depuis l'arrêt Benjamin de 1933, que la mesure d'interdiction est disproportionnée par rapport à la menace. De fait, le juge des référés du Conseil, dans une seconde affaire Dieudonné, est revenu en arrière, discrètement et à petit bruit, dans une nouvelle ordonnance du 6 février 2015. Il a repris cette fois la jurisprudence Benjamin, en confirmant la suspension de l'arrêté du maire de Cournon d'Auvergne interdisant le même spectacle de Dieudonné. Depuis cette date, le principe de dignité n'est plus invoqué à l'appui d'interdictions préventives.
Peut-on alors envisager de s'appuyer sur l'ordre public, de manière plus générale et sans s'éloigner de la jurisprudence Benjamin ? Il faut alors envisager que le spectacle de Medine suscite une telle atteinte à l'ordre public qu'il n'est pas possible d'assurer le maintien de l'ordre. Or, les "laïcards"ne sont pas des gens habitués à provoquer des émeutes...
Les sanctions pénales
Dans l'état actuel du droit, les autorités publiques ne disposent d'aucun fondement juridique de nature à justifier l'interdiction préalable du spectacle de Medine. Cela n'interdit pas cependant des poursuites pénales a posteriori, même si elles pourraient sembler bien tardives.
En effet, la chanson Don't Laïk est sorti fin 2014... et il ne s'est rien passé. Or elle comportait déjà ce qui ressemble bien à un appel au meurtre (Crucifions les laïcards comme à Golgotha) et, de manière plus générale, à un discours de haine au sens où l'entend la Cour européenne des droits de l'homme4B. L'article 24 de la loi du 29 juillet 1881 permet ainsi de punir de cinq ans d'emprisonnement et de 45 000 € d'amende ceux qui ont directement provoqué à commettre des atteintes volontaires à la vie. De même, l'article 225-1 du code pénal confère désormais un champ très large à la notion de discrimination, permettant de condamner à trois ans d'emprisonnement et 45 000 € d'amende celui qui aurait stigmatisé des personnes en raison de leurs opinions ou de leur appartenance religieuse. Or, le soutien du principe de laïcité est une opinion politique. La sanction pénale est donc possible, à la condition que Medine chante la chanson litigieuse, ce qui n'est pas certain.
L'affaire révèle ainsi une certaine inertie des autorités qui n'ont absolument pas réagi lorsque cette chanson est sortie. Mais cette inertie ne trouve-t-elle pas son origine dans l'idée, désormais très répandue, que le principe de laïcité doit être combattu au nom d'une liberté religieuse désormais revendiquée comme un véritable droit au prosélytisme ? Ceux qui estiment que le respect du principe de laïcité est un élément de la paix publique sont aujourd'hui qualifiés d'anti-musulmans, d'islamophobes ou de membres éminents de la fachosphère. Leur propos n'est pas discuté mais simplement disqualifié. Medine illustre parfaitement cet amalgame, lorsqu'il déclare : « Allons-nous laisser l'extrême droite dicter la programmation de nos salles de concert, voire plus généralement limiter notre liberté d'expression ?". Qu'il se rassure, tous ceux qui sont choqués par ce concert ne sont pas des fascistes. Et les méchants "laïcards" sont tellement intolérants qu'ils n'appellent à crucifier personne et que tous les spectateurs pourront assister au spectacle en toute sécurité. Car le principe de laïcité n'est pas un principe d'extrême droite mais, tout simplement, un principe républicain.
dimanche 10 juin 2018
Le droit à la vie et l'usage proportionné de la force
La responsabilité de l'Etat
- - "Lorsque les personnes invitées à s'arrêter par des appels répétés de « Halte gendarmerie » faits à haute voix cherchent à échapper à leur garde ou à leurs investigations et ne peuvent être contraintes de s’arrêter que par l’usage des armes ;-
- - "Lorsqu’ils ne peuvent immobiliser autrement les véhicules, embarcations ou autres moyens de transport dont les conducteurs n’obtempèrent pas à l’ordre d’arrêt."
Le droit à la vie
La Convention européenne des droits de l'homme se borne à proclamer "le droit de toute personne à la vie", sans présenter l'étendue des obligations ainsi imposées aux Etats parties. La CEDH n'est guère plus précise lorsqu'elle le présente comme "l'une des valeurs fondamentales des sociétés démocratiques qui forment le Conseil de l'Europe"dans l'arrêt McCann c. Royaume-Uni de 1995 ou comme une "valeur suprême dans l'échelle des droits de l'homme" dans la décision de 2001 Streletz, Kessler et Krentz c. Allemagne.
L'article 2 al. 2 de la Convention précise cependant que la mort n'est pas considérée comme infligée en violation de cet article dans le cas où "elle résulterait d'un recours à la force rendu absolument nécessaire ... pour effectuer une arrestation régulière ou pour empêcher l'évasion d'une personne régulièrement détenue". La CEDH apprécie cette absolue nécessité, et elle a ainsi été conduite à imposer à l'Etat une obligation de moyens. Il doit effet démontrer qu'il a déployé tous les moyens possibles pour contrôler la situation avant d'utiliser la force létale.
Les conditions matérielles
Sur ce point, la CEDH apprécie certes les conditions matérielles du recours à la force. C'est ainsi que la Cour a été conduite à se prononcer sur la répression du terrorisme tchétchène par les autorités russes. Dans un arrêt Finogenov et autres du 20 décembre 2011, elle a d'abord considéré que l'emploi d'un gaz préalablement à l'assaut n'emportait pas une atteinte à l'article 2, alors même qu'il avait fait des victimes parmi les 900 otages d'un siège qui durait depuis deux jours. Six ans plus tard, la solution est toute différente dans l'arrêt Tagayeva et autres du 27 avril 2017, rendu à propos de la prise d'otages de l'école de Beslan en 2004. La CEDH considère alors comme disproportionné l'emploi d'armes "indiscriminées" plus adaptées à la guerre classique qu'à la lutte contre le terrorisme. Dans les deux cas, elle sanctionne cependant l'absence d'enquête transparente et effective après les évènements.
Dans l'affaire Toubache, la Cour reconnaît volontiers que les forces de gendarmerie ont procédé à toute une série d'avertissements préalables avant que le gendarme O.G. décide de tirer. Elle prend note que l'arme a été utilisée contre le véhicule, pour l'immobiliser, et non pas contre les personnes qui s'y trouvaient. Elle va donc examiner si le risque que représentait l'usage de la puissance de feu contre une voiture, ayant conduit à la perte d'une vie, était strictement proportionné au regard du danger que le véhicule représentait et de l'urgence qu'il y avait à l'arrêter. Dans un arrêt Juozaitiene et Bikulcius c. Lituanie du 24 avril 2008, la CEDH rappelle que les armes létales ne peuvent être utilisées qu'en dernier recours, pour éviter le "danger clair et imminent que représente le conducteur de la voiture au cas où il parviendrait à s'échapper". La Cour est ainsi conduite à apprécier la nature de l'infraction commise et le danger que son auteur représente, contrôle qu'elle avait exercé dès l'arrêt Natchova et autres c. Bulgarie du 6 juillet 2005.
En l'espèce, la CEDH observe que les occupants du véhicule en fuite étaient soupçonnés d'atteintes aux biens et non pas aux personnes. Il est vrai que le conducteur a directement tenté de renverser un gendarme, acte qui révèle sa dangerosité. Mais rien ne permet d'assimiler les autres occupants au conducteur, et le jeune N.T. était installé sur la banquette arrière et ne mettait personne en danger. Surtout, le gendarme a tiré alors que la voiture s'éloignait, à un moment où sa vie et celle des ses collègues n'était plus menacée. Il ne pouvait donc, au moment du tir, avoir la conviction que son intégrité physique se trouvait en péril, critère utilisé dans l'affaire Giuliani et Gaggio c. Italie du 25 août 2009. De tous ces éléments, la Cour déduit que le recours à la force létale n'était pas absolument nécessaire pour procéder à l'arrestation et conclut à la violation de l'article 2. On ne peut contester le principe selon lequel la force ne peut être utilisée que lorsqu'elle s'analyse comme une nécessité impérieuse. Il n'empêche que la CEDH se prononce exclusivement à partir d'éléments de fait, la jurisprudence donnant ainsi l'impression d'une construction au cas par cas.
Les conditions juridiques
La Cour ne se prononce pas, en effet, sur les conditions juridiques de l'emploi de la force létale. Il est vrai que, sur ce point, sa jurisprudence est beaucoup plus restrictive. Elle ne sanctionne que l'improvisation des interventions armées, lorsqu'elles ne s'appuient sur aucun fondement juridique, et l'absence ou l'insuffisance de l'enquête qui a suivi les évènements. Dans l'affaire Toubache, le gendarme a appliqué le droit de l'époque, et l'enquête a été satisfaisante.
Sans attendre la présente décision, et conscientes du risque de condamnation par la CEDH, les autorités françaises ont fait évoluer le droit. La loi du 28 février 2017 prévoit désormais que "les policiers et gendarmes peuvent "faire usage de leurs armes en cas d’absolue nécessité et de manière strictement proportionnée", formule directement inspirée de la jurisprudence européenne. La loi précise que cet usage des armées létales est limité aux personnes qu'il est nécessaire de contraindre à s'arrêter et qui sont "susceptibles de perpétrer, dans leur fuite, des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celles d’autrui."
Sur le papier, tout semble désormais limpide. Les forces de l'ordre ne peuvent user de la force létale contre les petits délinquants, sauf hypothèse où ils menacent directement leur vie. Cette règle semble aussi évidente qu'incontestable. Le problème est que, dans la vraie vie, tout n'est pas toujours aussi simple. L'identité du contrevenant et ses antécédents ne sont pas toujours connus au moment où s'engage une poursuite en voiture, la menace qu'il représente pour les tiers n'est pas toujours clairement identifiée. Dans le doute, les forces de l'ordre sont donc finalement invitées à s'abstenir.
mardi 5 juin 2018
Le référendum local à Grenoble, ou la démocratie en trompe l'oeil
La procédure d'interpellation et la votation citoyenne
Dans le dossier de presse présentant cette procédure, le maire Eric Piolle (EELV) la présente comme un outil qui donne "la possibilité aux Grenoblois d'être à l'initiative de projets, d'intervenir au conseil municipal pour interpeller les élus sur une opinion ou des idées, et de décider directement, par la votation citoyenne, les choix budgétaires pour les réorienter au plus près de leurs besoins ». Concrètement, l'interpellation confère aux Grenoblois âgés de plus de seize ans la faculté de signer une pétition dans un domaine relevant de la compétence du conseil municipal. Si elle recueille plus de 2000 signatures, son objet est inscrit à l'ordre du jour. Si le conseil municipal ne donne pas satisfaction aux pétitionnaires, un référendum est organisé auquel peuvent participer tous les habitants de plus de seize ans. Si la proposition recueille plus de 20 000 voix, le maire s'engage à la mettre en oeuvre dans un délai de deux ans.
La formule est sans doute démocratique, mais le seul problème est qu'une telle procédure n'est pas prévue par le droit positif. Le tribunal administratif l'annule donc sur déféré préfectoral, rappelant ainsi aux élus locaux qu'ils ne sont pas compétents pour organiser la démocratie locale selon des mécanismes qui leur conviennent.
Le déféré
En l'espèce, le recours intervient au moment où cette procédure nouvelle est mise en oeuvre pour la première fois. Le 20 juin 2016, une délibération du conseil municipal de Grenoble vote l'augmentation des tarifs de stationnement dans la ville. Une pétition demandant son abrogation réunit rapidement 2000 signatures, et un débat a lieu au conseil municipal le 26 septembre 2016, sans qu'un vote soit formalisé. La proposition d'abrogation est ensuite soumise au vote des Grenoblois le 16 octobre 2016, mais ne recueille que 4515 voix sur les 20 000 requises, 90 % du corps électoral s'étant abstenu.
Le préfet de l'Isère a vainement demandé au maire de Grenoble le retrait de la décision instituant la procédure d'interpellation et de votation citoyenne. Il a donc usé de la procédure du déféré qui lui permet de demander au juge administratif l'annulation d'un acte qu'il estime illégal.
Oui à la France. Lefor Openo. Affiche pour le référendum de 1958 |
L'article 72-1 de la Constitution
Devant le juge, la mairie de Grenoble invoque deux fondements juridiques bien distincts pour justifier la procédure. Elle s'appuie d'abord sur l'article 72-1 de la Constitution, dont les deux premiers alinéas sont ainsi rédigés :
"La loi fixe les conditions dans lesquelles les électeurs de chaque collectivité territoriale peuvent, par l'exercice du droit de pétition, demander l'inscription à l'ordre du jour de l'assemblée délibérante de cette collectivité d'une question relevant de sa compétence.
Dans les conditions prévues par la loi organique, les projets de délibération ou d'acte relevant de la compétence d'une collectivité territoriale peuvent, à son initiative, être soumis, par la voie du référendum, à la décision des électeurs de cette collectivité."
Aux yeux du maire de Grenoble, la procédure d'interpellation et de votation citoyenne se borne à combiner ces deux alinéas. Le problème est qu'il a lui-même organisé l'organisation de chacune des procédures et l'articulation entre elles. Or, l'article 72-1 énonce clairement que cet aménagement relève de la compétence législative. Les lois organiques du 1er août 2003 et du 13 août 2004 ont ainsi introduit dans le code général des collectivités territoriales des dispositions organisant la participation des électeurs aux décisions locales.
Référendum et consultation
Ce texte met en place deux procédures distinctes, parfois plus ou moins confondues dans l'esprit des élus. Le référendum local, celui de l'article 72-1, permet de faire adopter par le corps électoral "tout projet de délibération tendant à régler une affaire de la compétence de la collectivité". Il est soumis à une procédure spécifique, prévoyant notamment la transmission obligatoire au préfet de la délibération qui l'organise. Le référendum est organisé selon les conditions habituelles imposées par le droit électoral. Le projet est adopté si la moitié au moins des électeurs a pris part au vote et s'il réunit la moitié des suffrages exprimés.
La seconde procédure est la "consultation des électeurs sur les décisions que les autorités de la collectivité envisagent de prendre pour régler les affaires relevant de la compétence de celle-ci". Autrement dit, un projet de délibération du conseil municipal est soumis à la population pour avis. La décision de recourir à cette procédure appartient au conseil municipal mais l'initiative est partagée. En effet, le cinquième des électeurs inscrits sur les listes électorales peut demander l'inscription à l'ordre du jour d'une délibération en ce sens. Là encore, le préfet est obligatoirement saisi, dans les mêmes conditions que pour le référendum, l'objet de cette saisine étant de lui laisser la possibilité de faire un déféré devant la juridiction administrative. La grande différence réside évidemment dans le fait que cette seconde procédure est purement consultative. L'article L 1112-20 du code général des collectivités territoriales énonce seulement qu'"après avoir pris connaissance du résultat de la consultation, l'autorité compétente (...) arrête sa décision sur l'affaire qui en a fait l'objet".
Les élus grenoblois ont réalisé une sorte de mélange inédit entre les deux procédures. Il ne s'agissait pas d'un référendum, puisque l'initiative venait d'une pétition des électeurs, mais il ne s'agissait pas davantage d'une consultation puisque le conseil municipal était lié par son résultat, à la condition toutefois que la proposition recueille 20 000 voix. L'annulation de la délibération pour incompétence ne faisait donc aucun doute, dès lors que la mise en oeuvre de l'article 72 impose une intervention législative. La procédure était également irrégulière, puisqu'elle s'affranchissait de la transmission obligatoire au préfet. Sur le fond, l'illégalité était également manifeste puisque les deux procédures par la loi font intervenir les électeurs inscrits sur les listes électorales de la commune, et eux seuls. Or les élus grenoblois avaient élargi le corps électoral aux jeunes de seize à dix-huit ans.
Echec ou victoire ?
Les motifs d'illégalité sont flagrants, presque trop. Le maire de Grenoble, sans doute assisté d'un service juridique, pouvait-il réellement ignorer que la procédure ainsi initiée était parfaitement illégale et qu'elle susciterait un déféré préfectoral ? On peut raisonnablement en douter et donc se demander pourquoi l'élu grenoblois n'a pas utilisé tous simplement les procédures de démocratie locale autorisées par la loi.
Un élément de réponse peut sans doute être apporté, en observant que cet échec juridique peut s'analyser comme une victoire en termes de communication. Le conseil municipal décide d'augmenter le prix du stationnement dans la ville. Une pétition réunit plus de 2000 signatures, et obtient ainsi l'organisation d'un "référendum" décisionnel, la mairie s'engageant à renoncer à cette augmentation si le seuil des 20 000 électeurs est atteint. Or l'opposition ne réunit que 4500 électeurs, nombre dérisoire si l'on considère que la ville de Grenoble compte plus de 160 000 habitants. Le maire peut alors affirmer que cette mesure est le fruit des efforts combinés de l'opposition municipale qui a incité à l'abstention et du méchant préfet qui a suscité l'annulation d'une procédure démocratique... On en finirait par oublier que c'est le conseil municipal qui avait voté la délibération et décidé l'augmentation. On pourrait en sourire, si la grande perdante dans ce genre de situation n'était pas la démocratie locale elle-même. Car les habitants de la ville n'ont participé qu'à une parodie de consultation, dépourvue de fondement juridique et incapable de peser sur les délibérations du conseil municipal.
vendredi 1 juin 2018
Sites noirs de la CIA : l'acquiescement et la connivence
La question de la preuve
Article 3 : volet matériel et volet procédural
En l'espèce, la Cour va plus loin et considère qu'ils sont véritablement complices des traitements infligés aux requérants, dès lors qu'ils n'ont rien fait pour les empêcher ni pour les punir. Ils sont coupables d'"acquiescement et de connivence", formule extrêmement dure qui fustige la soumission de certains Etats, leur dépendance à l'égard des Etats Unis, au mépris des droits de l'homme les plus élémentaires.