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« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.
lundi 29 juin 2020
Le droit d'accès aux archives de François Mitterrand
vendredi 26 juin 2020
Les Invités de LLC : Serge Sur : Vive le Parquet national financier !
Liberté Libertés Chéries reçoit aujourd'hui Serge Sur,
Professeur émérite de l'Université Paris 2 (Panthéon-Assas).
Depuis quelques jours, depuis l’audition par une commission parlementaire de Madame Eliane Houlette, ancien Procureur national financier, une polémique entretenue par des avocats et relayée par des médias est engagée. Elle met en cause non seulement l’action de Mme Houlette à la tête du PNF, mais l’institution elle-même, qui serait en quelque sorte une atteinte permanente aux libertés, harcelant et traquant des innocents injustement persécutés. Et les avocats de dénoncer des méthodes intrusives contre les suspects, une surveillance indue à leur encontre, des atteintes à leur secret professionnel, etc… Mme Rachida Dati, ancienne garde des sceaux du président Sarkozy et comme lui en délicatesse avec la justice, n’hésite pas à dénoncer dans le PNF une « officine », formule qui relaie la thèse du « cabinet noir » qui aurait, par de basses manœuvres, détruit la candidature présidentielle de François Fillon. L’union sacrée contre le PNF est ainsi réalisée entre fillonistes et sarkozystes, qui s’étripaient voici encore quelques mois. Derrière des attaques conjoncturelles, une remise en cause plus insidieuse de l’institution, alors qu’elle est la grande réussite judiciaire de ces dernières années.
Le procès du Parquet national financier
Les attaques contre le PNF sont à trois étages : les politiques mis en examen et en attente de procès d’abord. Leurs avocats ensuite, qui font flèche de tout bois pour discréditer l’accusation et ceux qui la portent, faute d’arguments de fond plus convaincants. Les médias enfin, toujours désireux de répandre le venin du soupçon et de créer l’événement, même lorsqu’il ne repose sur aucun fondement réel. A chaque étage, la mise en cause du PNF est hautement sujette à caution. On comprend bien que les personnes visées par une accusation maudissent ceux qui les chargent et cherchent à impressionner ceux qui vont les juger – mais la disqualification n’est pas un argument. Quant à leurs avocats revendiquent hautement, par exemple par la bouche de Me Dupont Moretti, le droit de mentir, un droit qu’ils se flattent donc d’exercer. Belle déontologie ! Dès lors, quelle crédibilité accorder à leur parole, à leurs postures de pères nobles drapés dans les plis du droit puisqu’eux-mêmes nous disent qu’il ne faut pas les croire ? Les médias enfin, qui donnent volontiers unilatéralement la parole aux personnes publiques poursuivies et à leurs conseils, sans se soucier du principe du contradictoire, sans interroger les autorités compétentes pour leur permettre de donner leur analyse, et en réalité de rectifier les assertions souvent erronées des premiers.
Pour
ne prendre qu’un exemple, les médias bruissent d’une prétendue « affaire
des écoutes », parce que l’on a demandé la liste des communications
téléphoniques d’un certain nombre d’avocats qui auraient pu entraver une
enquête contre l’ancien président Sarkozy qui, à l’instar d’individus peu
recommandables, avait choisi de mener ses conversations téléphoniques sous
pseudonyme, usurpant au passage l’identité d’un honnête citoyen qui n’y pouvait
mais. N’a-t-on pas, au surplus, poussé l’audace jusqu’à géolocaliser certains
d’entre eux ? Et de conclure qu’il y a là une atteinte inacceptable au
secret professionnel des avocats. Voilà le type même de la Fake New, de la
désinformation intéressée. En effet, il ne s’agit nullement d’écoutes,
puisqu’il n’y a pas d’accès au contenu des conversations, et puisque ces
méthodes ne sont en rien répréhensibles et surtout pas illégales lorsque l’on a
affaire à une délinquance économique et financière qui s’apparente au grand
banditisme. Aujourd’hui, on voit les émeutiers demander que l’on désarme la
police et les escrocs demander que l’on désarme la justice. Et nombre de
politiques font chorus, à tout le moins manifestent de l’émotion devant une
supposée atteinte aux libertés, en réalité défendant un milieu, une société de
connivence dans laquelle les petits arrangements entre amis sont dérangés par
une justice qui remplit sa mission, enquêter sur les délits et organiser la
poursuite judiciaire de leurs auteurs.
La Vérité. Guy Béart
Apologie du Parquet national financier
Car derrière les attaques en cours ou en préparation contre une magistrate, c’est l’institution même qu’il s’agit d’atteindre et si possible de détruire. Le PNF, voilà l’ennemi ! On oublie les conditions de sa création au moment de l’affaire Cahuzac, et la droite politique qui brandit volontiers le reproche de partialité feint de ne plus se souvenir que c’est un ancien ministre socialiste qui, sous une présidence socialiste, a donné lieu au procès le plus retentissant découlant de l’action du PNF. On oublie surtout que la partie visible de l’iceberg PNF, les enquêtes sur des responsables politiques, ne sont qu’une partie minime de son action. La partie invisible, du moins la partie qui n’intéresse pas les médias et sur laquelle les avocats préfèrent garder le silence modeste qui convient aux causes perdues, est en effet beaucoup plus importante, et bénéfique pour le respect du droit comme pour le trésor public. Si l’on consulte la Synthèse annuelle établie par le PNF sur son activité, document en accès libre et qui devrait être davantage connu, on observe que pour 2019, le PNF est en charge de 577 procédures en cours, que 156 ont été ouvertes durant l’année ; que 50 % de ces affaires concernent des atteintes à la probité, 7 % aux marchés financiers, 43 % aux finances publiques ; que l’activité du PNF a permis au trésor public de récupérer au profit de l’Etat 7,7 milliards d’euros. C’est un bilan qui est tout à fait à l’honneur de l’institution et de ceux qui l’animent, avec un sens de l’Etat de droit qu’il convient de saluer et non de salir.
Car, comme le note Mme Eliane Houlette dans son avant-propos de la Synthèse 2018, il faut pour parvenir à ce résultat, utiliser des méthodes, naturellement légales, mais adaptées à un type de criminalité rationnelle, inventive, cynique et rusée : "(...) Utilisation de nouvelles méthodes de renseignement, d'investigation et de traitement de l'enquête économique et financière, mise en oeuvre des réponses pénales variées et adaptées à la spécificité des dossiers. Ces principes d'action (...) portent le projet de renforcer la lutte contre la grande délinquance économique et financière dont l'aptitude au renouvellement et à l'innovation nous oblige encore et toujours à adapter nos principes de fonctionnement, nos méthodes et outils de travail."
Qu’il y ait besoin en France d’un parquet national financier disposant de moyens juridiques et matériels renforcés est démontré sans conteste possible par les résultats obtenus depuis qu’il existe. Le supprimer serait une action contre le droit, contre l’Etat, contre l’intérêt public, dont seuls les escrocs pourraient se réjouir. L’affaiblir, mettre en cause les personnes qui le servent, est un pas dans cette direction, et tous ceux qui jouent les sycophantes contre le PNF feraient bien d’y réfléchir. Sans doute pourrait-on souhaiter que, dans l’intérêt même d’un ordre constitutionnel bien compris, on institue un réel pouvoir judiciaire, indépendant, au statut constitutionnel, permettant de refondre en un même corps la justice judiciaire, administrative et constitutionnelle, que le parquet ne dispose plus d’une compétence d’enquête préliminaire et que tous les actes d’instruction soient réservés à des magistrats du siège. Il y faudra une révision constitutionnelle, mais dans l’état actuel du droit, celui d’une justice fragmentée, dotée de moyens insuffisants, peu respectée par les responsables politiques, l’existence du PNF et sa réussite sont une bénédiction pour l’Etat de droit et la démocratie.
lundi 22 juin 2020
La loi Avia, un désastre annoncé
Etat de droit et procédure législative
"Abus de la liberté" et contrôle de proportionnalité
Le retrait dans l'heure
Le retrait dans les 24 heures
"Retravailler le dispositif"
vendredi 19 juin 2020
Eliane Houlette, victime de Fake News
L'absence de pressions de l'Exécutif
Politique pénale et action publique
Un choix de procédure
Une "pression" favorable à François Fillon
Les effets de l'interim
lundi 15 juin 2020
La liberté de manifester garantie, au profit de l'Exécutif
La décision a été saluée avec enthousiasme par certains commentateurs et même par certains organisateurs de cortèges, qui considèrent désormais que le droit de manifester peut s'exercer totalement librement. Le Monde affirme ainsi que "les rassemblements de moins de 5000 personnes, interdits dans le cadre de l'état d'urgence, sont de nouveau autorisés".
Sans doute aurait-il été utile de lire la suite de la phrase. Car si le juge des référés suspend l'article 3 du décret du 31 mai 2020, c'est seulement en tant qu'il "s'applique aux manifestations sur la voie publique soumises à l’obligation d’une déclaration préalable en vertu de l’article L.211-1 du code de la sécurité intérieure". Et précisément, l'article L 211-1 organise le droit commun du régime de la liberté de manifestation.
Deux régimes distincts
De fait, le juge des référés reconnaît l'existence de deux régimes distincts, ce qui d'ailleurs s'inscrit parfaitement dans le droit positif. D'une part, le régime de droit commun initié par le décret-loi du 23 octobre 1935, est aujourd'hui codifié par le code de la sécurité intérieure et plus précisément son article L 211-1. Il met en place un régime déclaratoire qui impose aux organisateurs du rassemblement de faire connaître aux autorités de police (le maire ou le préfet de police selon les cas) leur nom, l'objet de la manifestation, son itinéraire et les mesures prévues pour garantir l'ordre. D'autre part, le décret du 31 mai 2020, modifié le 14 juin, prévoit, quant à lui, un régime dérogatoire fondé sur l'état d'urgence sanitaire. Cette fois, le principe est celui de l'interdiction des rassemblements de plus de dix personnes, sauf exception lorsque le cortège compte moins de 5000 participants parfaitement respectueux des gestes barrières, et surtout lorsque ses organisateurs ont pris soin de respecter la procédure de droit commun en déclarant le rassemblement.
Le juge des
référés indique ensuite la manière dont doit s'articuler le régime de droit
commun de déclaration préalable avec le régime spécial reposant, lui, sur un
principe d'interdiction. Il affirme qu'une manifestation déclarée sur le
fondement de l'article L 211_1 du code de la sécurité intérieure ne peut être
interdite sur la base de l'état de l'état d'urgence, dès lors qu'elle respecte le
plafond des 5000 participants et les gestes barrières. Cette interprétation
permet au juge des référés du Conseil d'Etat d'apparaître comme le protecteur
de la liberté de manifester, tout en plaçant les organisateurs de
rassemblements dans une situation délicate, et l'Exécutif dans une position
confortable.
Voutch. Les joies du monde moderne. 2015
La position confortable de l'Exécutif
Nul n'ignore en effet que les organisateurs d’une manifestation ont généralement une certaine tendance à exagérer quelque peu, et même beaucoup, le nombre de participants. S'ils annoncent en attendre plus de 5000, ils se retrouvent dans le régime de l'état d'urgence sanitaire, c'est-à-dire dans la régime d'interdiction, quand bien ils auraient pris la précaution de déclarer la manifestation et de prévoir des masques.
Quant à l'Exécutif, il conserve un usage confortable du régime d'interdiction pour les rassemblements les plus nombreux, ce qui était sans doute son souhait. Ceux de moins de 5000 personnes n'intéressent pas grand monde en effet, et on peut les autoriser sans risque sérieux de débordements et surtout sans qu'ils suscitent un véritable débat politique. Disons-le franchement, une manifestation de moins de 5000 personnes est actuellement un échec pour les organisateurs, et c’est finalement un bon choix de l’autoriser, puisqu’elle révèle surtout la faiblesse du mouvement.
Le juge des référés a d'ailleurs pris la précaution d'affirmer que ces manifestations de plus de dix et de moins de 5000 personnes ne peuvent être interdites, "sauf circonstances particulières", formulation qui laisse à l'Exécutif la possibilité d'interdire le rassemblement en invoquant des difficultés spécifiques dans le maintien de l'ordre public.
Il reste
toutefois à s'interroger sur la mise en oeuvre de cette nouvelle organisation
juridique. Imaginons, par exemple, que les participants à une manifestation de
moins de 5000 personnes ne respectent pas les gestes barrières. Ils risquent
alors de voir arriver les forces de l'ordre qui verbaliseront pour non-respect
des règles imposées par l'état d'urgence sanitaire, alors même que la
manifestation a été déclarée sur le fondement du code de la sécurité
intérieure. Les éventuels recours conduiront les juges à s'interroger sur la
nature juridique de l'opération. Une manifestation déclarée peut-elle s’analyser
comme un "rassemblement" de plus de dix personnes au sens de l’état d’urgence
sanitaire ? La réponse à cette question risque de se révéler délicate et de mettre à l'épreuve les commentateurs.