Un étrange dossier
Le dossier de M. B. apparaît bien étrange. Des irrégularités peuvent être constatées dès sa constitution. Elle se poursuivent lorsque l'intéressé veut prendre connaissance des pièces qui le composent et s'aperçoit que certains éléments essentiels ont été purement et simplement détruits.
Les pièces inaccessibles
M. B. se plaint d'abord de n'avoir pu, après son rappel à Paris, retourner dans l'ambassade pour y récupérer certaines pièces indispensables à se défense.
La question de savoir si le rappel à Paris de M. X. est une décision prise dans l'intérêt du service ou une sanction déguisée a déjà été réglée par le Conseil d'Etat, dans un arrêt du 17 juillet 2013 : il s'agit, à ses yeux, d'une mesure prise dans l'intérêt du service. Rappelons que ce rappel a eu lieu le 6 septembre 2010, que la procédure disciplinaire a été engagée le 20 septembre suivant, date à laquelle l'intéressé a été invité à prendre connaissance de son dossier administratif, et qu'un signalement au procureur de la République a été effectué le 21 octobre 2010. Quoi qu'il en soit, pour le Conseil d'Etat, ce rappel à Paris ne s'inscrit pas dans une procédure de sanction.
Le tribunal administratif, quant à lui, constate que le requérant "ne justifie pas avoir été dans l'impossibilité matérielle de se faire communiquer ces dossiers", ce qui implique qu'il aurait dû faire constater par huissier le refus qui lui était opposé de retourner dans son ambassade pour y récupérer ses archives. Pourquoi le requérant y aurait-il songé, à un moment où il sait seulement qu'il est rappelé à Paris "en mission à l'administration centrale" ? A moins qu'il s'agisse réellement d'une sanction déguisée ?
Peut-être conscient de l'insuffisance de sa motivation, le tribunal ajoute que ces éléments étaient inutiles pour la défense de M. B. En effet, ils ont été utilisés dans le cadre d'un projet de rapport ne portant "que sur le comportement quotidien de M. B. à l'égard de ses collaboratrices (...) et non pas sur son activité professionnelle". La formule devient admirable si l'on considère que M. B. est précisément poursuivi pour harcèlement moral à l'encontre de l'une de ses collaboratrices. En d'autres termes, une pièce qui porte exactement sur l'accusation dont il fait l'objet n'est pas considérée comme utile à sa défense. Il fallait oser le dire.
Les pièces détruites
La question de savoir si les questionnaires remplis anonymement par les collaborateurs de l'intéressé lors de la procédure d'évaluation à 360° sont des pièces communicables a été réglée avec la même vigueur par la Haute Juridiction. Le 4 novembre 2010, la CADA avait pourtant rendu un avis favorable à la communication, estimant que ces éléments sont susceptibles "d'avoir une influence sur le déroulement de la carrière de l'intéressé". Elle observait que l'accès de l'intéressé aux témoignages qui l'accablent permet de garantir l'égalité des armes, dès lors que l'administration fonde précisément la procédure disciplinaire sur ces documents, évoquant notamment que les faits de harcèlement moral reprochés à l'intéressé reposeraient seraient attestés par les "pièces du dossier" et de "nombreux témoignages concordants". Le ministre des affaires étrangères n'a tenu aucun compte de l'avis de la CADA et a persisté dans son refus. Le Conseil d'Etat est venu à son secours, dans son arrêt du 17 juillet 2013. Il affirme alors que ces documents sont purement préparatoires et doivent demeurer confidentiels. M. B. a donc été sanctionné sur le fondement de pièces à la fois anonymes et secrètes.
Le tribunal administratif, parfaitement soumis à la décision du Conseil d'Etat, va jusqu'au bout du raisonnement. Il ajoute que ces éléments ont été appréciés par un collège d'évaluateurs chargé d'en faire la synthèse. Ils étaient ensuite fondés à les détruire purement et simplement à l'issue de cette exploitation. Cette destruction n'est donc pas une faute engageant la responsabilité de l'administration. M. B. ne connaîtra donc jamais les témoignages qui l'accablent.
Le tribunal administratif et le temps
Le jugement rendu le 24 mars 2016 semble adopter une vision très particulière de la chronologie des évènements. Aux yeux de M. B., la responsabilité de l'administration est également engagée dans la mesure où le Quai d'Orsay s'est courageusement abstenu de lui faire connaître le signalement au procureur de la République dont il était l'objet. Il ne l'a appris que deux ans plus tard, lors de sa première convocation devant le juge d'instruction.
La question posée est donc la suivante : ce type de document doit-il figurer dans le dossier administratif de l'intéressé ? Si son absence est fautive, la responsabilité du Quai d'Orsay est alors engagée. Sur ce point, le jugement du tribunal administratif révèle un certain embarras. "A supposer même que la note signalant le comportement supposé de M. B. au procureur (...) soit au nombre des pièces qui, par leur nature, doivent figurer au dossier administratif d'un agent", la formule montre que le tribunal refuse d'affirmer qu'une telle note ne doit pas figurer au dossier. Il ne peut feindre d'ignorer qu'elle est directement liée à la carrière de l'intéressé, ou plutôt à la manière dont il a été mis fin à cette carrière.
Le tribunal s'en tire par une pirouette juridique : à supposer même que la note ait dû figurer au dossier, sa présence n'y était pas utile. L'intéressé n'en a t il pas eu nécessairement connaissance lors des poursuites pénales engagées à son encontre ? Au moment où il se défendait devant le conseil de discipline, il ignorait pourtant ce signalement alors que ceux qui le poursuivaient, avec acharnement, en étaient parfaitement informés. Ce décalage dans le temps emporte donc, de nouveau, une atteinte à l'égalité des armes.
Cette atteinte est d'autant plus importante que le tribunal admet, en même temps, la destruction des témoignages produits lors de l'évaluation à 360°, celle qui a tout déclenché. Les avocats de M. B. ne pourront donc pas les contester devant le juge pénal et la condamnation sur pièces secrètes déjà mise en oeuvre en matière disciplinaire risque ainsi de se reproduire devant le tribunal correctionnel. Il ne reste plus qu'à espérer que ce dernier refusera de cautionner de telles pratiques et aura à coeur de rendre une justice indépendante et impartiale. Le dossier de l'accusation n'est-il pas finalement le dossier si soigneusement construit par l'administration, à l'appui de la procédure disciplinaire ?
Quant à la juridiction administrative dans son ensemble, elle affirme aujourd'hui qu'elle est en mesure de protéger les libertés, notamment lors de la mise en oeuvre de l'état d'urgence. L'affaire de M. B. donne pourtant des arguments à ceux qui voient des liens pour le moins incestueux entre les juges administratifs et la haute fonction publique.