« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


lundi 28 novembre 2016

Le mythe de la liberté d'accès aux décisions de justice

La justice est rendue, dit-on, au nom du peuple français. Ce n'est pas pour autant que le peuple, c'est-à-dire le citoyen lambda, vous ou moi, peut avoir facilement accès aux décisions de justice. Certes, il peut toujours obtenir communication d'un jugement, à la condition d'en connaître avec précision les références. La loi du 5 juillet 1972 affirme ainsi, pour l'ordre judiciaire, que "les tiers sont en droit de se faire délivrer copie des jugements prononcés publiquement". Devant le juge administratif, il est également possible de demander copie d'une décision. Les conclusions du rapporteur public, en revanche, sont sa propriété et ne sont communicables que s'il y a consenti. Ces procédures traditionnelles ne permettent que l'accès individuel à une décision précisément identifiée.

Elles constituent aujourd'hui la trace d'une conception qui reposait sur l'idée que le corpus des décisions de jurisprudence était le champ clos des spécialistes, à ne pas mettre entre toutes les mains. Il est vrai que le support papier ne permettait guère une ouverture très large. Pendant bien longtemps, les décisions de l'ordre judiciaire devaient être recherchées dans le Bulletin des arrêts des différentes chambres de la Cour de cassation, et dans le célèbre Lebon pour le Conseil d'Etat. Ce dernier est édité "en vertu d'une délégation de service public" depuis 1821 "sous le haut patronage du Conseil d'Etat" par des maisons d'édition successives qui ont été finalement intégrées dans le groupe Dalloz par des mouvements de concentrations successifs. Il constitue, à lui seul, une institution si vénérable qu'il serait sans doute impertinent de s'interroger sur l'existence même de cette délégation et des différents appels d'offre qui ont permis son renouvellement constant. Quoi qu'il en soit, tous les recueils de jurisprudence présentent les deux mêmes caractéristiques : ils sont payants et ne donnent qu'une image déformée de la jurisprudence, dans la mesure où ils ne sont pas exhaustifs mais reposent sur des choix effectués par la juridiction elle-même.

Le service public de la diffusion du droit sur internet


Aujourd'hui, les choses ont changé, au moins sur le papier. Le décret du 7 août 2002 crée un "service public" de la diffusion du droit par internet. Le site Legifrance, mis en oeuvre par la Direction de l'information légale et administrative (DILA) est au centre de ce nouveau service public. Il diffuse gratuitement les données publiques et constitue un instrument précieux de documentation. Il n'en demeure pas moins que la base Legifrance n'est pas non plus exhaustive. Le décret de 2002 mentionne ainsi que le nouveau service public "met gratuitement à la disposition du public les données suivantes : (...) 3° La jurisprudence : les décisions et arrêts du Conseil constitutionnel, du Conseil d'Etat, de la Cour de cassation, et du tribunal des conflits".  Sont donc largement absentes de Legifrance les décisions des juges du fond et surtout celles des cours d'appel.

Pourquoi cette lacune ? Tout simplement parce que les décisions des cours d'appel figurent dans une base de données gérée par la Cour de cassation, JuriCA, souvent présentée comme "un outil de communication et de recherche" indispensable à la "construction des savoirs juridique et sociologique". C'est sans doute vrai pour les magistrats qui bénéficient, heureusement, d'un accès direct et gratuit par l'intranet Justice. Pour les autres, leur curiosité scientifique n'est pas suffisante pour justifier un accès à JuriCA. Il faut aussi de l'argent, et même beaucoup d'argent.

Un arrêté du 23 mars 2009 fixe ainsi le montant des redevances perçues en contrepartie de l'accès à ces décisions. Il concerne en pratique la fourniture d'arrêts en masse, fourniture effectuée pratiquement en temps réel, contrairement à Légifrance qui ne met les décisions en ligne qu'avec un certain retard. En d'autres termes, et pour être très clair, la Cour de cassation vend les arrêts des cours d'appel. Et elle les vend très cher, puisque l'on considère qu'il faut environ 100 000 € pour s'offrir l'ensemble du stock. Le résultat est que les clients sont les grands éditeurs juridiques qui vont ensuite offrir un accès à travers leur propre plate-forme, également accessible moyennant une rétribution très élevée.

I want to know. Adriano Celentano. 1977

La réutilisation des données


La réutilisation des données se heurte également à des obstacles importants. En principe, les autorités françaises ont adopté le principe de l'Open Data. Depuis le décret du 20 juin 2014,  les licences Legifrance sont en principe gratuites. En témoigne un arrêté du 24 juin 2014 relatif "à la gratuité de la réutilisation des bases de données juridiques (...) de la DILA". Toute personne a donc le droit d'accéder aux décisions de justice et des réutiliser.  La DILA joue le jeu, et avec elle, bon nombre d'institutions qui mettent en ligne et autorisent le téléchargement de données publiques.

Certes, mais cet accès ne fait pas l'affaire de ceux qui ont l'habitude de vendre les décisions de justice. Leur argument essentiel pour s'opposer à l'Open Data réside dans la nécessairement anonymisation des décisions de justice. Depuis une recommandation du 29 novembre 2001, la CNIL estime "qu'il est préférable que les éditeurs de bases de données de décisions de justice librement accessibles sur des sites internet s'abstiennent (...) d'y faire figurer le nom et l'adresse des parties au procès ou des témoins". Cette prohibition a ensuite été étendue aux gestionnaires des sites en accès restreint, au nom du droit à l'oubli numérique. L'arrêté du 9 octobre 2002 relatif à Legifrance reprend ensuite ce principe.

Cette exigence d'anonymisation est tout-à-fait légitime mais il n'est guère concevable qu'elle puisse durablement empêcher l'accès au droit en Open Data. Rappelons en effet que la directive du 17 novembre 2003 sur la réutilisation des informations du secteur public, applicable en droit français depuis juillet 2015 affirme que "la publicité de tous les documents généralement disponibles qui sont détenus par le secteur public, non seulement par la filière politique, mais également par la filière judiciaire (...) constitue un instrument essentiel pour développer le droit à la connaissance, principe fondamental de la démocratie". Derrière ce style digne des institutions de l'Union européenne apparaît à l'évidence la nécessité de développer l'Open Data. Des solutions devront donc être trouvées, par exemple par des conventions prévoyant l'anonymisation des données par celui qui souhaite les réutiliser.

Les compétences de la CADA


En attendant, on doit relever une intéressante jurisprudence de la Commission d'accès aux documents administratifs (CADA). Cette autorité indépendante, chargée de donner un avis sur le caractère communicable ou non de certains documents, se trouve en dans une situation pour le moins improbable, en raison du partage de ses compétences entre d'un côté la réutilisation des informations publiques, et de l'autre l'accès aux documents administratifs.

Dans un conseil du 27 juillet 2010, elle s'estime compétente pour rendre un avis sur toute décision défavorable en matière de réutilisation des informations publiques contenues dans des jugements ou arrêts judiciaires. En revanche, dans un avis du 28 avril 2016, elle déclare irrecevable une demande  dirigée contre le refus opposé par la Cour de cassation à un accès aux décisions contenues dans JuriCA, en vue de leur réutilisation. Celles-ci ne sont pas considérées comme des "documents administratifs" au sens de la loi du 17 juillet 1978. Autrement dit, la CADA est incompétente pour se prononcer sur l'accès aux décisions de justice, mais compétente pour se prononcer sur leur réutilisation. La Commission a dû se rendre compte de l'étrangeté de la situation, et elle a pris soin de mentionner qu'il "appartiendra au demandeur, s'il l'estime utile, de la saisir de toute décision défavorable en matière de réutilisation qui serait apparue dans ses échanges ultérieurs avec le Premier Président de la Cour de cassation". Un véritable appel à une nouvelle saisine que la CADA semble souhaiter.

Doctrine.fr : refonder l'accès au droit


De toute évidence, l'Open Data fait bouger les lignes. Tous ceux qui souhaitent continuer à faire commerce des décisions de justice vont devoir évoluer, parfois dans la douleur. Le droit positif offre en effet un véritable droit à la communication des décisions de justice et un droit à leur réutilisation. Les responsables du tout jeune moteur de recherche Doctrine.fr l'ont bien compris et ils se sont engagés dans un combat courageux contre les "majors" du système en utilisant tout simplement ces nouvelles règles. Avouons que la situation ne manque pas de sel : une jeune Start Up utilise le droit pour refonder l'accès au droit.

jeudi 24 novembre 2016

Cachons les gays : mais que font les polices ?

Des affiches consacrées à une campagne nationale de prévention du SIDA ont suscité l'irritation de certains élus Les Républicains. Sur la photo, deux hommes s'enlacent, et les messages sont clairs : "Coup de foudre, coup d'essai, coup d'un soir", ou "Avec un amant, avec un ami, avec un inconnu", ou encore "Les situations varient, les modes de protection aussi".

Le maire d'Angers, comme ceux d'une quinzaine d'autres villes, a  demandé à l'entreprise J.C. Decaux de retirer les panneaux installés à proximité des écoles. Celui d'Aulnay-sous-bois a pris un arrêté interdisant purement et simplement cette campagne d'affichage sur le territoire de sa commune. Marisol Touraine, ministre de la santé à l'origine de cette opération, annonce aussitôt sur Twitter qu'elle entend "saisir la justice" pour s'opposer à cette "censure".

A première vue, tout cela semble relever la gesticulation politique. D'un côté, les proches des milieux catholiques de La Manif pour tous qui ont actuellement des raisons de tester leur toute récente puissance politique. De l'autre, une ministre qui considère que cette mise en cause d'une campagne de santé publique relève de l'homophobie. Tout cela serait sans aucun intérêt si ces affiches ne posaient pas une intéressante question d'articulation entre deux compétences de police générale.

Les mesures ministérielles


La campagne de communication a pour objet de protéger la santé publique, et l'on sait que la prévention du SIDA fait aujourd'hui l'objet d'une véritable politique publique, avec un Conseil national du SIDA (CNS) qui donne son avis sur toutes les campagnes de prévention initiées par le ministère de la santé, et un plan quinquennal qui définit les priorités dans ce domaine. Cette organisation est cependant loin d'être aussi rigide qu'il n'y paraît. C'est ainsi que le cinquième plan a pris fin en 2014, sans qu'il semble être question de l'élaboration du sixième. Par ailleurs, le caractère public de cette politique est largement battu en brèche par l'intervention de différentes associations auxquelles l'administration sous-traite une partie de la politique de prévention, ainsi que par le recours à des intermédiaires privés. Dans le cas présent, les affiches sont diffusées par le réseau privé J.C. Decaux, même si ce réseau entretient des liens étroits avec l'Etat.

La politique de santé peut être considérée comme une mesure de police. Au plan de l'Union européenne, l'article 45 § 3 du traité prévoit que la libre circulation peut être limitée par un Etat membre "pour des raisons d'ordre public, de sécurité publique et de santé publique", la santé étant donc considérée comme un élément de l'ordre public. En droit interne, le Conseil d'Etat a jugé, dans un arrêt du 19 mars 2007 rendu à propos de l'interdiction de fumer dans les lieux publics, qu'il appartenait au Premier ministre de prendre les mesures de police applicables à l'ensemble du territoire, "au nombre desquelles figurent les impératifs de santé publique".

Le Premier ministre dispose seul du pouvoir réglementaire, mais il appartient aux ministres concernés de mettre en oeuvre les politiques publiques de prévention, et c'est précisément ce qui a été fait par la ministre de la santé.


 Je suis gay, soyons gays.
Offenbach. La Belle Hélène. Opéra Bouffe du Québec. 2012.


Le pouvoir des maires

 

Cette politique publique nationale n'a pas pour effet de neutraliser le pouvoir de police générale détenu par les maires. Observons d'ailleurs, mais ce n'est qu'une question de terminologie, qu'il ne s'agit pas de "censure" au sens juridique du terme. Celle-ci implique en effet, dans sa définition même, un contrôle préalable qui n'existe pas en l'espèce : les maires n'exercent pas une censure antérieure destinée à empêcher l'affichage mais en prononcent l'interdiction a posteriori.

Il est admis depuis longtemps que les élus peuvent réglementer l'affichage sur le territoire de leur commune au titre de leur pouvoir de police. Encore faut-il qu'il soit constitutif d'un trouble à l'ordre public (C.E., 29 avril 1938, Maigret, rec. 384 ; C.E. Sect. 19 juin 1942 Chambre syndicale de l'affichage en France et autres). L'essentiel de la jurisprudence porte ainsi non pas sur le contenu du message, mais plutôt sur son support. Une mesure de police peut ainsi interdire un panneau publicitaire qui risque de chuter sur la tête des passants ou de distraire les automobilistes.

Morale publique


Il arrive cependant, certes plus rarement, que la mesure de police porte sur le contenu du message et plus précisément sur la "moralité publique", élément traditionnel de l'ordre public. Dans un arrêt du 11 mai 1977, le Conseil d'Etat admet ainsi la légalité de la décision du maire de Lyon interdisant la pose de deux enseignes lumineuses "Sex Shop" à proximité immédiate du Mémorial de la Résistance. En l'espèce, les élus ne prononcent pas directement le mot "morale" mais invoquent la protection de la jeunesse, dès lors que sont visées les affiches placées à proximité des écoles. Le problème est qu'il n'existe aucun fondement juridique spécifique justifiant une interdiction d'affichage sur cette base. De fait, la mesure ne peut relever que du pouvoir de police générale, ce qui nous ramène à la moralité publique.

Circonstances locales

 

Encore faut-il que des circonstances locales extérieures aux convictions du maire justifient la mesure. Cette condition est clairement énoncée en matière de police cinéma. Un élu peut en effet, depuis le célèbre arrêt du 18 décembre 1959 Société des Films Lutétia, interdire la diffusion d'une oeuvre cinématographique "à raison du caractère immoral du film et de circonstances locales". Là encore, la jurisprudence récente se montre très réticente à cet égard, et les élus ont fini par renoncer à exercer ce pouvoir de police. Le maire de Villiers-sur-Marne avait ainsi annoncé, en janvier 2015, l'interdiction de Timbuktu sur le territoire de sa commune pour éviter que "les jeunes puissent prendre comme modèle les djihadistes". Il a rapidement battu en retraite, sans doute informé, un peu tard,  de l'illégalité manifeste d'une telle mesure, en raison précisément d'une absence de circonstances locales justifiant un trouble effectif à l'ordre public.

De toute évidence, les élus qui ont interdit la campagne d'affichage contre le SIDA risquent de se heurter à la même jurisprudence, car aucune des conditions n'est remplie. L'atteinte à la moralité publique n'existe qu'à l'aune de leurs convictions religieuses. Elles sont parfaitement respectables, mais certainement pas de nature à fonder une jurisprudence, d'autant que le juge hésiterait sans doute à qualifier d'immorale une campagne de prévention initiée par l'Etat. Quant aux circonstances locales, elles ne justifient en aucun cas une interdiction, les affiches n'ayant pas suscité de manifestation particulière de la part de la population.

Il est très probable que ces arrêtés seront finalement suspendus par le juge des référés. Il est très probable aussi que la campagne de prévention du ministre est passée totalement inaperçue dans les communes concernées par les interdictions. Il n'en demeure pas moins que l'initiative des élus Les Républicains témoigne surtout de leur volonté de faire revenir dans l'espace public une certaine idée de la morale qu'ils estiment devoir imposer à leurs électeurs. Mais n'y sont-ils pas incités par un discours dominant qui insiste sur le respect des convictions religieuses de chacun, y compris lorsqu'elle s'affichent dans l'espace public ?

dimanche 20 novembre 2016

Non bis in idem devant la Cour européenne des droits de l'homme

Dans un arrêt du 15 novembre 2016 A. et B. c. Norvège, la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) s'est prononcée sur le principe Non bis in idem. Cette décision intervient à point pour éclairer le débat juridique qui s'est développé en France sur ce principe depuis les décisions rendues par Conseil constitutionnel le 24 juin 2016 sur les affaires Cahuzac et Wildenstein. On notera d'ailleurs que la France a plaidé dans l'affaire A.B. c. Norvège comme tiers intervenant, dans le but d'affirmer le caractère administratif des sanctions infligées par le fisc.

Un guide touristique des paradis fiscaux


Comme messieurs Cahuzac et Wildenstein, les requérants devant la CEDH sont poursuivis pour fraude fiscale. Le rappel des faits ressemble étrangement à un guide touristique des paradis fiscaux. On y apprend que A. et B. sont propriétaires d'une société Estora immatriculée à Gibraltar, elle-même propriétaire d'une autre société Strategic installée à Samoa et au Luxembourg. En 2001, les deux société acquièrent des participations dans une troisième, mais ces actions sont revendues deux mois plus tard à une quatrième, également domiciliée à Gibraltar. On l'a compris, l'objet de ces mouvements de fonds est de faire échapper au fisc norvégien une somme équivalent à environ 3 600 000 €. Après un contrôle fiscal méticuleux, les deux requérants ont fait l'objet d'une sanction fiscale et ils se sont acquittés à la fois des impôts qu'ils devaient et d'une majoration de 30 %. En plus de ce redressement, ils ont été condamnés à un an d'emprisonnement. 

L'article 4 du Protocole n° 7


Tous deux considèrent que, en vertu de l'application du principe Non bis in idem, l'application d'une sanction fiscale fait obstacle à une condamnation pénale. Les tribunaux norvégiens les ont également déboutés et ils se tournent vers la CEDH en s'appuyant sur l'article 4 du Protocole n° 7 à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. Ses dispositions affirment que "nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement par les juridictions du même Etat en raison d'une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif (...) ".

Observons que ces dispositions ont été adoptées en 1984 et sont entrées en vigueur en 1988, soit presque quarante ans après la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. Le moins que l'on puisse dire est qu'elles ne donnent pas lieu à un consensus européen. Quatre Etats (Allemagne, Pays-Bas, Royaume-Uni, Turquie) n'ont pas ratifié ce Protocole, et quatre autres (Autriche, France, Italie, Portugal) l'ont ratifié avec des réserves ou déclarations interprétatives précisant que le mot "pénalement" doit être entendu selon le sens donné par leur loi nationale.

Le caractère pénal et les "critères Engel"


Dans l'affaire A. et B. c. Norvège, le Protocole n° 7 est parfaitement applicable. Pour que le principe Non bis in idem puisse être invoqué, il faut donc que les poursuites pour fraude fiscale puissent être considérées comme relevant de la matière pénale. Cette qualification, lorsqu'elle est donnée par la Cour européenne, ne repose pas sur la compétence juridictionnelle mais sur le contenu de l'accusation qui ne doit pas relever du domaine civil. 

Depuis l'arrêt  Sergeï Zolotoukhine c. Russie du 10 février 2009, il est désormais acquis que les critères utilisés pour apprécier la nature "pénale" d'une sanction sont les "critères Engel", issus de l'arrêt Engel c. Pays-Bas du 8 juin 1976. 

Le premier est la qualification juridique de l'infraction dans le droit de l'Etat, le second la nature de l'infraction aux yeux de la Cour elle-même, et enfin le troisième réside dans la sévérité de la sanction encourue. Cette liste est faussement simple, car l'articulation entre les critères varie selon les décisions. C'est ainsi que les deux derniers critères sont utilisés de manière tantôt alternative, tantôt cumulative, par la Cour.

Don't think twice, it's alright. Bob Dylan. 1963

Une procédure intégrée


En réalité, la Cour se prononce au regard de l'éventuel préjudice porté au justiciable par la double incrimination pour les mêmes faits. Aux yeux du juge européen, cette double incrimination n'est admissible que si elle s'analyse comme le résultat d'un système intégré, parfaitement articulé et prévisible, formant un tout cohérent. Tel est le cas en l'espèce, dès lors que le système norvégien combine majoration d'impôt dans une procédure administrative et condamnation pour fraude fiscale dans une procédure pénale. Les deux sanctions sont en quelque sorte complémentaires. 

Un lien matériel et temporel suffisamment étroit


Encore faut-il cependant, et c'est une précision essentielle apportée par l'arrêt du 15 novembre 2016, qu'il existe entre les deux procédures "un lien matériel et temporel suffisamment étroit". 

Le principe Non bis in idem devient applicable en effet si les deux procédures n'avaient aucun lien entre elles, situation qui constitue une source d'insécurité juridique pour le requérant. Dans l'arrêt Nykänen c. Finlande du 20 mai 2014, la Cour a ainsi constaté, a propos d'une autre affaire de fraude fiscale, que les sanctions pénales et fiscales avaient été infligées par des autorités différentes, avec des procédures distinctes, chaque autorité ayant fixé une peine sans tenir aucun compte de la sanction prononcée par l'autre. Dans ce cas, la Cour estime qu'il y a violation de l'article 4 du Protocole n° 7.

A ce lien matériel s'ajoute un lien temporel. Dans la décision Kapetanios et autres c. Grèce du 30 avril 2015, les requérants se plaignaient d'avoir été condamnés à une amende fiscale pour contrebande après avoir été définitivement acquittés par le juge pénal. La Cour a vu dans cette absence de lien temporel une atteinte au principe Non bis in idem.

Non bis in idem et principe de sûreté


L'arrêt A. et B. c. Norvège s'efforce de simplifier quelque peu une jurisprudence complexe. La Cour revient à l'esprit du principe Non bis in idem qui ne vise pas à interdire de cumuler les sanctions pour un même fait, mais qui veut simplement assurer la sécurité juridique de la personne concernée. Si elle a effectivement commis une infraction, elle doit certes en assumer les conséquences mais ce n'est pas pour autant qu'elle doit, parfois durant des années, est confrontée à des procédures de nature différente et qui peuvent finalement conduire à une sanction globale disproportionnée. Considéré sous cet angle, Non bis in idem devient, en quelque sorte, un élément du principe de sûreté.


Il est évident que le droit français devra s'interroger sur cette jurisprudence. Car même s'il refuse de considérer la "nature pénale" de la procédure fiscale, il n'en demeure pas moins que le cumul des procédures, tant en matière fiscale que disciplinaire, n'est pas organisé de manière à former un ensemble cohérent et propre à garantir la sécurité juridique des personnes. Loin de là.

mardi 15 novembre 2016

La loi sur la liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias, sans le secret des sources

La loi du 14 novembre 2016 visant à renforcer la liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias se présente comme un texte ambitieux. En témoigne son titre qui donne un peu le sentiment que la liberté d'expression dans les médias, était gravement menacée avant l'adoption de ce texte. En réalité, l'apport du texte est plus modeste que son intitulé et il comporte des dispositions d'une clarté et d'un intérêt inégaux.

Les contrôles


La loi confère au Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) le soin de garantir « l’honnêteté, l’indépendance et le pluralisme de l’information et des programmes », principes qui figureront dans les conventions conclues entre l'autorité indépendante et les opérateurs. Le texte demeure cependant peu clair sur les compétences effectives du CSA. S'agira-t-il de juger de la ligne éditoriale des différents médias ? Pourra-t-il effectuer des enquêtes portant sur le fonctionnement des médias ainsi contrôlés ? A ces questions, le législateur n'apporte aucune réponse.

La même incertitude pèse sur la création, désormais imposée à chaque radio généraliste à vocation nationale et à chaque télévision diffusant des programmes politiques, d'un comité "relatif à l'honnêteté, à l'indépendance et au pluralisme de l'information et des programmes". La formule laisse songeur. Pourquoi le législateur juge-t-il nécessaire la création d'un comité pour assurer l'honnêteté des médias, alors que ces derniers utilisent la déontologie des journalistes comme leitmotiv pour affirmer leur honnêteté ? Cette déontologie serait-elle finalement insuffisante ? Quoi qu'il en soit, si ces comités sont composés de personnalités extérieures, leur rôle se borne à transmettre d'éventuels manquements au CSA et à effectuer un bilan annuel. Ils ne disposent donc d'aucun moyen d'action qui leur soit propre. L'impact de cette innovation risque donc d'être fort limité.

La transparence financière


De nouvelles contraintes de transparence imposent aux entreprises du secteur de rendre publiques chaque année les informations relatives à la composition de leur capital. Le non-respect de cette obligation est susceptible d'entrainer la suspension des aides publiques dont elles bénéficient. Si elles n'étaient pas directement mises à la disposition du public, ces informations étaient cependant déjà accessibles. En contrepartie de cette contrainte, finalement légère, l'avantage fiscal accordé aux personnes investissant dans les entreprises de presse est désormais étendu à celles investissant dans des entreprises "consacrées pour une large part à l'information politique et générale".

Beatles. Do want to know a secret ? 1963

Le secret des sources


L'essentiel de la loi réside cependant dans ce qui n'y figure pas, ou plus dans ce qui n'y figure plus. En effet, la loi du 14 novembre 2016 a été publiée, amputée de son article 4 relatif au secret des sources des journalistes, annulé par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 10 novembre 2016

Le secret des sources a été introduit dans la loi par voie d'un amendement gouvernemental, ce qui n'est d'ailleurs guère surprenant dans la mesure où le texte est issu d'une proposition de loi présentée par deux députés socialistes, Patrick Bloche et Bruno Le Roux. Ce secret des sources est alors perçu par les auteurs du texte comme un élément du "droit d'opposition" dont sont titulaires les journalistes et qui les autorise aussi à refuser toute pression, refuser de signer un texte ou de participer à une émission modifiés à leur insu ou contre leur volonté, ou encore, de manière plus générale de refuser tout acte contraire à la déontologie.

Le caractère quelque peu disparate des prérogatives ainsi intégrées au droit d'opposition apparaît clairement au regard de ses garanties. Car si le droit de refuser une pression quelconque est sanctionné par le droit du travail, le secret des sources, quant à lui, relève du droit pénal.

Les insuffisances de la loi Dati


Rappelons que le secret des sources existe dans notre système juridique depuis la loi Dati du 4 janvier 2010 qui était considérée comme établissant une protection insuffisante. Elle se borne à affirmer que le "secret des sources des journalistes est protégé dans l'exercice de leur mission d'information du public". Elle prévoit en outre la possibilité, pour les pouvoirs publics, de porter atteinte à ce secret "si un impératif prépondérant d'intérêt public le justifie et si les mesures envisagées sont strictement nécessaires et proportionnées au but légitime poursuivi". La formule est directement inspirée par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, jurisprudence inaugurée par l'arrêt Goodwin c. Royaume-Uni du 27 mars 1996.

Il n'en demeure pas moins que la loi Dati n'est pas parvenue à empêcher d'empêcher l'espionnage des communications des journalistes par les services de renseignement lors de l'affaire Woerth-Bettencourt. La jurisprudence s'est pourtant vaillamment efforcée de lui donner un contenu, donnant une définition étroite de l'impératif prépondérant d'intérêt public susceptible de justifier une atteinte au secret des sources. Dans une décision du 25 février 2014, la Chambre criminelle de la Cour de cassation reproche ainsi à la chambre de l'instruction de n'avoir pas suffisamment démontré que des investigations et perquisitions effectuées chez un journaliste dans le seul but de démontrer une violation du secret professionnel relevaient d'un tel impératif.

Les amendements introduits dans la loi du 14 novembre 2016 n'amélioraient pas sensiblement le droit positif et la simplification annoncée était purement cosmétique.

Les atteintes licites au secret des sources


En 2016, le législateur a renoncé à la notion d'impératif prépondérant d'intérêt public, largement contestée par les journalistes. Il a préféré énumérer les infractions au nom desquelles il est possible de porter atteinte au secret des sources. En matière criminelle, l'atteinte pouvait ainsi être justifiée par le double intérêt de la prévention et de la répression de l'infraction. En matière délictuelle en revanche, une atteinte au secret des sources ne pouvait reposer que sur la nécessité de prévenir l'infraction. Il était donc interdit de porter atteinte à ce secret dans le but d'assurer la répression d'un délit, quelle que soit sa gravité. Pour ne prendre qu'un exemple, la loi interdisait de porter atteinte au secret des sources dans le but de réprimer des faits constitutifs d'une association de malfaiteurs en vue d'actes de terrorisme.

Pour le Conseil, le législateur n'a pas assuré "une conciliation équilibrée entre la liberté d'expression et la sauvegarde des intérêts fondamentaux de la Nation, la recherche des auteurs d'infractions et la prévention des atteintes à l'ordre public nécessaires à la sauvegarde de droits et de principes de valeur constitutionnelle".

L'immunité pénale


Le contrôle de proportionnalité est d'une intensité identique lorsque le Conseil examine les personnes bénéficiant de l'immunité pénale au nom du secret des sources. Dans ce domaine, le législateur affirmait, de manière quelque peu surprenante, que le secret ne concernait pas seulement les journalistes mais aussi "les collaborateurs de la rédaction", notion faisant l'objet d'une définition extrêmement large. Etaient ainsi titulaire du secret des sources "toutes les personnes qui, par leur fonction au sein de la rédaction (...) sont amenées à prendre connaissance d'informations permettant de découvrir une source (...)". La personne chargée du standard téléphonique se trouvait protégée par le secret des sources, dès lors qu'elle avait mis en communication une personne identifiable avec un journaliste. Il en était de même du pigiste, voire du stagiaire s'il avait entendu parler d'investigations en cours en distribuant les cafés. C'est donc un principe d'irresponsabilité générale des employés de l'entreprise de presse ou de médias audiovisuels qui était posé.

Il n'est pas surprenant que le Conseil ait estimé, une nouvelle fois, que la conciliation était déséquilibrée entre la liberté d'expression et le secret des correspondances d'un côté, et la recherche des auteurs d'infractions ainsi que les exigences des intérêts de la Nation de l'autre côté.

De toute évidence, il n'a pas échappé au Conseil que ces dispositions étaient le résultat d'un lobbying efficace des différents syndicats et associations chargés de défendre les intérêts des journalistes. L'annulation ainsi prononcée impose désormais une nouvelle intervention du législateur et sans doute une plus grande modération des lobbys lors des futurs débats. Tous sont clairement avertis que le Conseil exercera sur le futur texte un contrôle de proportionnalité exigeant. N'a t il pas rappelé que la protection des sources des journalistes n'est pas un droit de valeur constitutionnelle, principe qu'il avait déjà affirmé dans sa décision QPC du 24 juillet 2015, mais que le législateur avait feint d'oublier ? Il serait sans doute utile de préciser, dans les débats à venir, que le secret des sources est indispensable, précisément parce qu'il n'est pas une prérogative des journalistes mais un instrument de protection d'un tiers, cette "source" dont finalement on parle bien peu.

Sur  le secret des sources : Chap 9, section 1 § 2, B du manuel de libertés publiques.




vendredi 11 novembre 2016

Entre le boeuf et l'âne, le Conseil d'Etat refuse de choisir

L'intervention du Conseil d'Etat en matière de laïcité se caractérise presque toujours par un recours à l’ambiguïté. On se souvient que, dès 1989, dans un avis de ses formations administratives, il avait affirmé que le port de signes religieux par les élèves de l'enseignement public ne pouvait être interdit que s'il portait atteinte à l'ordre public ou témoignait d'une volonté de prosélytisme. La frontière entre le licite et l'illicite n'était donc pas clairement établie, en l'absence d'une définition de la notion de prosélytisme. Le législateur était donc finalement intervenu par la loi du 15 mars 2004 pour enfin poser une règle claire et interdire le port de signe religieux dans les établissements dans les écoles, les collèges et les lycées publics. 

Des jurisprudences contradictoires


Cette culture de l’ambiguïté n'a pas disparu et les deux arrêts rendus le 9 novembre 2016 en témoignent. Il s'agit cette fois d'apprécier la légalité de crèches de Noël installées par des élus locaux, la première dans l'enceinte de l'Hôtel de ville de Melun, la seconde dans celle de l'Hôtel du département de la Vendée. Dans les deux cas, des associations de libres-penseurs ont saisi le tribunal administratif contre une installation qui leur apparaissait comme une violation du principe de laïcité. Mais les deux recours ont connu des sorts différents. La Cour administrative d'appel (CAA) de Paris a finalement jugé illégale la crèche de Melun le 8 octobre 2015, alors que celle de Poitiers était jugée légale par la Cour administrative d'appel de Nantes le 13 octobre 2015. Ces deux décisions parfaitement contradictoires, à moins d'une semaine d'intervalle, justifiaient l'intervention rapide du Conseil d'Etat. C'est désormais chose faite et les élus locaux vont devoir comprendre rapidement cette jurisprudence avant de décider, ou non, d'installer une crèche pour le prochain Noël. 

Le principe de laïcité


Ils percevront sans doute aisément la première partie de chacune des décisions qui rappelle l'importance du principe de laïcité. Sa valeur constitutionnelle est incontestable, dès lors qu'il figure dans l'article 2 de la Constitution qui affirme que "la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale". Sur le plan législatif, il s'incarne dans la loi du 9 décembre 1905 qui impose à l'Etat d'assurer la liberté de conscience, de garantir le libre exercice des cultes, et de veiller au respect du principe de neutralité dans les services publics, ce qui impose en particulier le fait de ne reconnaître ni subventionner aucun culte. Jusque là, tout va bien, et les élus locaux se trouvent sur un terrain connu.

La notion d'emblème religieux


La question devient plus complexe lorsque le Conseil d'Etat se penche sur le cas des crèches. Il s'agit alors d'interpréter l'article 28 de la loi du 9 décembre 1905 : "Il est interdit, à l'avenir, d'élever ou d'apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l'exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires, ainsi que des musées ou expositions". Il ne fait guère de doute que le hall d'une mairie ou d'un hôtel de département constitue un "emplacement public" dès lors qu'il s'agit de bâtiments publics dans lesquels les administrés peuvent librement pénétrer.

La solution dépend donc de la qualification juridique qu'il convient de donner à la crèche de Noël. Peut-elle s'analyser comme un emblème religieux ? Pour les associations requérantes, il ne fait aucun doute qu'elle se rattache à la religion catholique et donc être considérée comme un tel emblème. Mais l'analyse est un peu courte, et le Conseil d'Etat précise justement qu'une "crèche de Noël est une représentation susceptible de revêtir une pluralité de significations" . S'il est vrai qu'elle fait partie de l'iconographie chrétienne, elle est aussi, et de plus en plus, un élément des décorations qui "accompagnent traditionnellement, sans signification religieuse particulière, les fêtes de fin d’année". La crèche est donc à la fois religieuse et profane.

Cette dualité de significations conduit le Conseil d'Etat à refuser une solution tranchée. Impossible, à ses yeux, de l'interdire complètement parce qu'elle n'est pas entièrement religieuse, ou de l'autoriser complètement parce qu'elle n'est pas entièrement profane. Il va donc imaginer des critères croisés particulièrement subtils.

Stille Nacht. St Thomas Boys Choir

L'installation


L'installation elle-même doit présenter un" caractère culturel, artistique ou festif, sans exprimer la reconnaissance d’un culte ou marquer une préférence religieuse". De manière très imprécise, le juge ajoute ensuite que pour porter cette appréciation, il convient de tenir compte d'un certain nombre d'éléments. 

Le premier d'entre eux est le "contexte, qui doit être dépourvu de tout élément de prosélytisme".  Sur ce point, on aurait souhaité que le Conseil donne la définition du prosélytisme, comme l'avait fait  le jugement du tribunal administratif de Montpellier qui avait admis la légalité de la crèche de Béziers, en s'appuyant sur les travaux préparatoires de la loi de 1905. A l'époque, le législateur avait défini l'emblème religieux comme celui qui "symbolise la revendication d'opinions religieuses". On imagine ainsi que serait illicite une crèche mentionnant un lieu de prière ou les horaires des messes.

Le second critère réside dans les "conditions particulières de cette installation". La formule est encore plus énigmatique. A quelles "conditions particulières" fait-on référence ? Les élus devront certainement attendre que la jurisprudence donne quelques éléments de réponse avant de comprendre cette exigence. Pour le moment, on ne peut que leur conseiller de tenir à distance le curé de paroisse et les enfants des écoles religieuses. 

Le troisième critère est celui de "l’absence d’usages locaux", ce qui semble signifier qu'une crèche sera légale si et seulement si elle relève d'une tradition solidement établie. Un élu local ne pourrait donc pas inaugurer une nouvelle pratique en mettant une crèche devant la mairie. Mais en quoi cette restriction est-elle réellement justifiée, dès lors que son installation est dépourvue de tout élément de prosélytisme et qu'aucune mystérieuse "condition particulière" ne semble s'y opposer ? 

Bâtiment public ou emplacement public


Le quatrième et dernier critère est celui du lieu de l'installation, et c'est incontestablement le plus obscur. Le Conseil d'Etat opère en effet une distinction si subtile entre le bâtiment public et l'emplacement public qu'il éprouve le besoin d'en donner le mode d'emploi. 

Il définit ainsi le bâtiment public comme celui qui est le siège d'une d’une collectivité publique ou d’un service public. Dans ce cas, l'installation d'une crèche porte en principe atteinte au principe de neutralité. Mais cette présomption d'illégalité peut être renversée si "des circonstances particulières" permettent de reconnaître à cette crèche "un caractère culturel, artistique ou festif". Il ne suffira donc pas d'affirmer que la crèche présente l'une de ces caractéristiques, il sera nécessaire de le démontrer en faisant état de circonstances particulières. 

C'est ainsi que pour installer une crèche dans la cour intérieure du Palais Royal, il pourrait être judicieux de demander à Daniel Buren de lui ajouter quelques colonnes, ce qui démontrerait son caractère "artistique". On pourrait aussi poser un recueil Lebon aux pieds de l'enfant Jésus, afin de démontrer le caractère hautement culturel des cadeaux des rois mages, et par ricochet, de la crèche. A moins que l'on installe dans la cour la grande roue initialement installée Place de la Concorde, solution qui permettrait, sans aucun doute, de démontrer le caractère "festif" de la crèche...

Les "autres emplacements publics" ne sont pas définis par le Conseil, mais on peut s'imaginer qu'il s'agit, d'une manière générale, du domaine public. Dans ce cas, l'installation d'une crèche est, en principe, autorisée. Les fêtes de fin d'année suffisent en effet à faire présumer le caractère festif de l'installation. Encore faut-il que la crèche ne révèle aucun élément de prosélytisme ou de revendication d'une opinion religieuse. A l'issue du raisonnement, nous voilà dans la situation du serpent qui se mord la queue, car nous retournons au premier critère, celui de l'absence de prosélytisme religieux.

La jurisprudence Lautsi


Le Conseil d'Etat aurait pu choisir de se référer à ce critère unique, à la fois simple et essentiel. Il y était incité par la jurisprudence Lautsi c. Italie de la Cour européenne des droits de l'homme. Dans cette décision du 18 mars 2011, la Cour se prononce sur la conformité à la Convention européenne des droits de l'homme des dispositions du droit italien qui autorise la présence de crucifix dans les écoles publiques. La Cour admet qu'il s'agit d'un symbole religieux, mais elle fait observer que les Etats conservent une large marge d'appréciation dans le domaine des traditions qu'ils jugent important de perpétuer. En l'espèce, les autorités italiennes affirment que le crucifix symbolise un système de valeurs communes. La Cour constate que sa présence dans les salles de classe ne s'accompagne d'aucune forme d'endoctrinement, les enfants n'étant pas contraints à une pratique religieuse et pouvant arborer les signes d'autres religions. Elle en déduit que le crucifix posé sur un mur est "un symbole essentiellement passif " dont l'influence sur les élèves est pour le moins réduite. La liberté de conscience n'a donc fait l'objet d'aucune atteinte.

Par analogie, le Conseil d'Etat aurait pu considérer la crèche de Noël est un "symbole passif", dans la mesure où sa présence ne s'accompagne d'aucune forme d'endoctrinement et que son influence proprement religieuse sur les passants est certainement très limitée. Bien entendu, dans le cas contraire, c'est-à-dire lorsqu'elle révèle une volonté de prosélytisme, elle pourrait être considérée comme un emblème religieux.

Pourquoi le Conseil d'Etat n'a-t-il pas fait le choix de la simplicité ? Personne ne peut le dire avec précision. On peut tout de même se demander si l'affaire du burkini n'a pas influencé, en creux, la présente décision. Certes, on objectera que la décision sur le burkini est une ordonnance de référé, insusceptible de faire jurisprudence. Mais cela ne signifie pas qu'elle n'ait pas eu une influence plus souterraine.

On se souvient que le juge avait suspendu un arrêté d'interdiction du burkini, considérant que le port de ce vêtement était conforme au principe de laïcité, à la condition toutefois qu'il n'ait suscité aucun trouble à l'ordre public. De toute évidence, le Conseil d'Etat ne pouvait interdire totalement les crèches sans être accusé par certains de mieux traiter les musulmans que les catholiques. A l'inverse, il n'a pas voulu les autoriser totalement, peut-être pour ne pas apparaître comme le protecteur de la culture catholique au détriment des autres... Il a donc choisi une solution qui lui permet de ne pas prendre parti et, in fine, de régler le problème lui même, au cas par cas, au fil des contentieux. Quant aux malheureux élus locaux qui vont devoir mettre en oeuvre cette jurisprudence, ils n'ont plus qu'à mettre un cierge à Saint Jude, le patron des causes perdues et des cas désespérés.




Sur la laïcité et l'installation des crèches de Noël : Chap 10, section 1 § 2, B du manuel de libertés publiques.







Hommage à Leonard Cohen : Bird on a wire


Like a bird on a wire
Like a drunk in some old midnight choir
I have tried in my way to be free


Bird on a wird. Leonard Cohen. 1979

lundi 7 novembre 2016

La Cour européenne et les supporters de football



La violence parfois extrême des supporters sportif suscite, de plus en plus, la création d'un droit dérogatoire. Dans une décision du 27 octobre 2016, Les Authentiks et Supras Auteuil 91 c. France, la Cour européenne déclare conformes à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme les dispositions du droit français autorisant la dissolution d'associations de supporters dans des conditions qui ne sont pas celles du droit commun. 

Le 28 février 2010, en marge d'un match joué au Parc des Princes entre Paris-Saint-Germain (PSG) et l'Olympique de Marseille (OM), des supporters du club parisien se sont violemment affrontés, et l'un d'entre eux est mort de ses blessures. Les auteurs de cette agression étaient membres des deux associations requérantes, associations crées en 2008 pour "compenser l'image déplorable donnée par les supporters du PSG, issus des milieux d'extrême-droite, racistes et antisémites", A l'époque, ces deux associations succédaient aux Boulogne Boys, dont la dissolution fut prononcée pour des motifs comparables, motifs déjà jugés conformes à la Convention européenne par la Cour, dans un arrêt du 22 février 2011, Association nouvelle des Boulogne Boys c. France.

Les mêmes causes produisant les mêmes effets,  et l'image déplorable des supporters du PSG n'ayant pas franchement été modifiée, les pouvoirs publics ont décidé de prononcer la dissolution de ces deux groupements. 

Un droit dérogatoire

 

Ecartons d'emblée la dissolution judiciaire des associations qui ne peut intervenir que si il existe un conflit si sérieux entre les membres que la poursuite des activités devient impossible, ou encore si leur objet est illicite. 

Les associations requérantes font l'objet d'une dissolution administrative. Elle n'intervient pas sur le fondement de la loi du 10 janvier 1936 qui constitue pourtant le droit commun dans ce domaine. Ce texte ancien prévoit qu'un groupement peut être dissous s'il participe ou provoque à des manifestations armées dans la rue, s'il a pour but de porter atteinte à l'intégrité du territoire ou à la forme républicaine du régime, ou encore s'il incite à la discrimination ou au terrorisme. La loi vise donc essentiellement, comme son nom l'indique clairement, les groupes de combat et les milices privées. 

En l'espèce, Les Authentiks et Supras Auteuil 91 sont dissoutes par le ministre de l'intérieur sur le fondement de la loi du 5 juillet 2006 relative à la prévention des violences lors des manifestations sportives. Elle intègre dans le code du sport une disposition qui permet de dissoudre par décret une association dont les membres ont commis, à l'occasion d'une manifestation sportives, des atteintes aux biens ou aux personnes, ou encore des incitations à la haine ou à la discrimination. Il s'agit donc clairement de sanctionner le hooliganisme. Le décret intervient après avis de la Commission nationale consultative de prévention des violences lors des manifestations sportives devant laquelle les représentants des associations et du club concerné peuvent présenter leurs observations.

Dans le cas présent, la procédure a été respectée, et les associations requérantes ont usé de leur droit au recours, d'abord en demandant au juge des référés du Conseil d'Etat de suspendre le décret de dissolution, ce qui leur a été refusé par une ordonnance du 7 juin 2010, ensuite en contestant la légalité du décret. Dans deux arrêts du 13 juillet 2010, les deux recours ont été rejetés.

Johny Halliday. La bagarre. 1963 (Amsterdam)



L'ingérence dans la liberté d'association


Devant la Cour européenne des droits de l'homme, les requérants invoquent essentiellement une violation de l'article 11 de la Convention européenne qui protège la liberté d'association. Dans les arrêts Sidiropoulos et a. c. Grèce du 10 juillet 1998 et Gorzelik et a. c. Pologne du 17 février 2004, la Cour rappelle le rôle essentiel joué par les associations dans le maintien du pluralisme nécessaire dans un régime démocratique. Elle doit donc apprécier tout ingérence dans la liberté d'association de manière particulièrement stricte, et s'assurer qu'elle est prévue par la loi, qu'elle répond à un "besoin social impérieux" et est « proportionnée au but légitime poursuivi

En l'espèce, la dissolution des associations de supporters est organisée par la loi de 2006, dont l'objet, parfaitement conforme à l'intérêt général, est de garantir l'ordre public. La Cour observe que s'il est vrai que l'association, en tant que groupement, ne s'est livrée à aucune activité illicite, pas plus que ses dirigeants, certains de ses membres ont commis des infractions particulièrement graves.

La question posée est donc celle de savoir si la dissolution d'un groupement peut être prononcée du fait des actions de certains de ses membres, même peu nombreux. En matière de liberté de réunion, la Cour a déjà considéré que la défense de l'ordre public ou la prévention du crime peuvent justifier une interdiction lorsque seulement certains manifestants se livrent à des actes de violence (CEDH, 24 mars 2011, Giuliani et Gaggio c. Italie). Dans le cas des associations de supporters du PSG, la Cour estime que, compte tenu du contexte de violence extrême, les autorités françaises ont pu considérer que la dissolution des groupements répondait à un besoin social impérieux, dès lors qu'il s'agit de mettre fin à des troubles violents et d'en empêcher de nouveaux.

Quant à la proportionnalité de la mesure, elle est également admise par la Cour. Elle se réfère d'abord au dossier fourni par les autorités françaises qui montrent que les mesures d'interdiction de stade prévues par la loi du 23 janvier 2006 s'étaient déjà révélées insuffisantes et n'avaient pas permis d'endiguer la violence. La Cour trouve également un argument dans sa propre jurisprudence, puisqu'elle confère une plus grande latitude aux Etats lorsqu'ils sont confrontés à la violence. Dans un arrêt Schwabe et M.G. c. Allemagne, du 1er décembre 2011, elle admet ainsi la détention pendant six jours par les autorités allemandes de manifestants qui voulaient perturber une conférence du G 8. La Cour ajoute d'ailleurs que la situation est moins grave pour une association de supporters de football qui n'"a pas la même importance pour une démocratie qu'un parti politique". De tous ces éléments, la Cour européenne déduit donc que la dissolution des deux associations est une mesure proportionnée et qu'elle n'emporte aucune atteinte à l'article 11.

La Cour européenne admet ainsi pleinement l'existence d'un droit dérogatoire, uniquement destiné à lutter contre le hooliganisme. Elle avait d'ailleurs déjà accepté, dans un arrêt Ostendorf c. Allemagne du 7 mars 2015  l'arrestation et l'internement d'un supporter de football dès son arrivée dans une ville, enfermement qui n'avait pris fin qu'à l'issue du match auquel il était venu assister.
Internement administratif, dissolution des groupements, le droit du hooliganisme se caractérise par une gestion administrative de la violence, gestion dont la conformité à la Convention européenne des droits de l'homme est admise par la Cour. De toute évidence, ce droit n'est pas très différent de celui mis en oeuvre par l'actuel état d'urgence. L'article 6 de la loi du 20 novembre 2015 prorogeant l'état d'urgence autorise ainsi la dissolution de groupements qui participent à la commission d'actes portant une atteinte grave à l'ordre public ou dont les activités y incitent.  Le plus intéressant réside peut être dans le fait que personne n'a jamais dit que le droit applicable aux hooligans constituait une atteinte intolérable aux libertés publiques.

Sur le hooliganisme  : Chapitre 5 section 1 du manuel de libertés publiques sur internet.


vendredi 4 novembre 2016

Le fichier des honnêtes gens, saison 2

Le décret du 28 octobre 2016 autorise la création d'un traitement intitulé "titres électroniques sécurisés" (TES). Il s'agit de réunir, dans un fichier unique, les données à caractère personnel relatives aux passeports et aux cartes d'identité. Soixante millions de Français ont donc vocation à figurer dans ce fichier et ce gigantisme suscite un tel émoi médiatique que le ministre de l'intérieur se voit contraint de développer quelques éléments de langage pour justifier sa mise en oeuvre. 

Comme bien souvent, les critiques sont dirigées vers ce qui est le plus visible, mais pas nécessairement le plus dangereux pour les libertés publiques. Observons ainsi que le TES ne fait qu'agréger deux fichiers antérieurs, l'un concernant les passeports, l'autre les titres d'identité. Surtout, le nombre de personnes fichées, aussi important soit-il, n'est pas le seul élément pour apprécier une atteinte aux droits des personnes. C'est ainsi que le fichier de sécurité sociale conserve des données sur l'ensemble de la population française, sans provoquer d'émoi particulier. Le danger d'un fichier réside, non pas dans le nombre des personnes fichées, mais dans les garanties qu'il leur offre au regard de la protection de leurs données personnelles et dans les finalité qu'il poursuit.

La conséquence de la décision du 22 mars 2012


Le décret du 28 octobre 2016 est la conséquence directe de la décision rendue par le Conseil constitutionnel le 22 mars 2012, censurant une large partie de la loi relative à la protection de l'identité, texte qui prévoyait une première mouture du fichier TES. A l'époque, le Conseil n'avait pas considéré comme illicite la finalité du fichier, celui-ci étant présenté comme un instrument de nature à faciliter la lutte contre les usurpations d'identité. En revanche, il avait considéré que les moyens mis en oeuvre étaient disproportionnés par rapport à cette finalité. A ses yeux, il était en effet possible de déceler une usurpation d'identité sans recourir à la conservation dans un fichier unique des données biométriques très complètes de l'ensemble de la population. La CNIL comme le Sénat proposaient d'ailleurs qu'une puce contenant ces informations soit intégrée au titre d'identité, permettant à la victime de l'usurpation d'identité de faire reconnaître l'infraction par comparaison avec une seule empreinte conservée sur les fichiers des titres d'identité, tout en conservant la maîtrise de ses données personnelles.

Aujourd'hui, le TES revient sous forme d'un décret. Il reprend la même finalité, affirmant que ce traitement automatisé sera utilisé « pour procéder à l'établissement, à la délivrance, au renouvellement et à l'invalidation des cartes nationales d'identité (…) et des passeports (…) ainsi que prévenir et détecter leur falsification et contrefaçon ». En revanche, le décret précise, cette fois très nettement, que le TES ne pourra être utilisé pour identifier une personne à partir de ses données biométriques, mais seulement pour vérifier que les données contenues sur la pièce d'identité correspondent à celles figurant dans le fichier.

La grosse différence entre la proposition de loi et le décret est que la première permettait aussi l’exploitation de cette base pour identifier une personne à partir de ses données biométriques. Le décret se limite à l’authentification du document, à savoir s’assurer que les informations du document d’identité correspondent aux informations de la base.

La foule. Jean-Michel Folon. 1979

Le choix de la voie réglementaire


Reste que cette précision risque d'avoir une efficacité limitée, tout simplement parce que les dispositions législatives annulées par le Conseil constitutionnel sont remplacées par un simple décret. Contrairement à ce que certains ont affirmé, le choix de la voie réglementaire ne porte pas atteinte au partage des compétences définies par la Constitution. L'article 27 de la loi du 6 janvier 1978 relative aux fichiers, à l'informatique et aux libertés énonce que les traitements de données personnelles mis en oeuvre pour le compte de l'Etat et qui portent sur des données biométriques nécessaires pour contrôler ou authentifier l'identité des personnes font l'objet d'une autorisation par décret en Conseil d'Etat. La loi de 1978 imposait donc, en principe, la voie réglementaire.

Certes, mais il n'était pas pour autant illicite de choisir la voie législative, comme en 2012. Depuis sa décision du 30 juillet 1982, le Conseil constitutionnel estime qu'une loi peut comporter des dispositions à caractère réglementaire, sans que cela entraine nécessairement leur inconstitutionnalité. En effet, le gouvernement pouvait opposer leur irrecevabilité durant le débat parlementaire, au motif que le texte législatif empiétait sur les compétences de l'Exécutif. S'il ne l'a pas fait, il est donc supposé avoir accepté cette ingérence. En clair, si le parlement et le gouvernement sont d'accord pour adopter une règles par la voie législative, le Conseil constitutionnel n'y voit pas d'inconvénient.

Dans le cas du fichier TES, on peut néanmoins regretter l'absence d'un nouveau débat parlementaire, d'autant qu'il se serait nécessairement accompagné d'une étude d'impact et que la voie réglementaire n'offre pas des garanties identiques.

Prenons par exemple cet engagement formulé dans le décret, selon lequel le TES ne sera utilisé qu'à des fins de lutte contre l'usurpation d'identité. Il risque de se heurter à certaines dispositions législatives, en particulier celles de la loi renseignement du 24 juillet 2015. Elle définit de manière très large les données accessibles aux services, englobant finalement toutes celles échangées par les utilisateurs connectés et toutes celles susceptibles de les identifier ou de les repérer. Les dispositions d'un décret empêcheront-elles d'utiliser le TES à des fins d'identification ou de repérage ? Imagine-t-on un instant que l'on puisse renoncer à interroger un tel fichier lorsqu'il s'agit de repérer une personne soupçonnée de préparer un attentat terroriste ? Il serait sans doute plus sain d'envisager clairement une telle utilisation, afin de définir des garanties associées à un tel usage.

Au lieu de cela, on feint de croire que le TES est un fichier administratif ordinaire, destiné à lutter contre les usurpations d'identité. On refuse d'admettre qu'il offrira aux services administratifs et judiciaires une formidable base de données de l'ensemble de la population française et qu'ils seront évidemment tentés de l'utiliser à d'autres fins. Pour le moment, le débat agite les experts, et seulement eux. Le choix entre le recours à une puce électronique ou à un fichier centralisé a été imposé sans aucun contrôle démocratique. Il serait pourtant intéressant de savoir ce qu'en pensent les Français et leurs représentants. Sont-ils si hostiles à la création d'un tel fichier et à son utilisation à des fins d'identification ? Nul n'en sait rien parce qu'on les traite comme des enfants incapables de comprendre les enjeux d'un tel fichage.