Le 27 juin 2025, le Conseil d'État a rejeté les recours déposés par un groupe de parents d'élèves et d'associations, à la tête desquelles figurait le Syndicat de la famille dirigé par Ludovine de la Rochère, autrefois connu sous le nom de Manif pour tous. Ils contestaient deux textes signés de la ministre de l'Éducation nationale, un arrêté du 3 février 2025 fixant le programme d'éducation à la sexualité "éduquer à la vie affective et relationnelle (Evars)", et une circulaire du lendemain, le 4 février 2025, relative à sa mise en oeuvre dans les établissements primaires et secondaires.
La décision au fond était attendue car le juge des référés du Conseil d'État, dans une ordonnance du 5 mars 2025, avait refusé de suspendre ces textes, au motif que la condition d'urgence n'était pas remplie. Les requérants invoquaient, pour justifier cette urgence, l'atteinte que ce programme porterait "à la primauté éducative des parents, à l'autorité parentale, au droit à l'éducation, au droit à la vie privée, au droit à la santé, au principe de neutralité du service public et qu'il est susceptible de conduire à la commission de l'infraction d'outrage sexuel". Cet empilement de motifs n'avait pas impressionné le juge qui avait refusé d'y voir la justification d'une quelconque urgence. Ce n'est pas surprenant si l'on considère que l'urgence est appréciée par le juge à travers le caractère grave et immédiat d'une atteinte à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. En l'espèce, ce caractère grave et immédiat, faisait défaut, puisque le programme Evars n'entrera en vigueur qu'à la rentrée 2025.
L'arrêt du 27 juin se prononce cette fois au fond, et il commence par affirmer la compétence de la ministre de l'Éducation nationale qui, en l'espèce, ne fait qu'appliquer la loi. Aux termes de l'article L 311-2 du code de l'éducation, l'organisation et le contenu des formations sont définis par des décrets et arrêtés du ministre chargé de l'Éducation. De manière encore plus précise l'article L 312-16 du même code impose une "information et une éducation à la sexualité" dispensés dans les établissements scolaires, à raison de trois séances annuelles, organisées par groupes d'âge homogène. Ce texte trouve son origine dans la loi du 4 juillet 2001 relative à l'IVG et à la contraception qui, la première, a prévu une éducation à la sexualité.
Parmi tous les moyens invoqués, certains ne pouvaient qu'être écartés d'emblée. Il en est ainsi de l'idée selon laquelle le simple fait de parler sexualité à un enfant conduirait à commettre le délit d'outrage sexuel. L'article 222-33-1-1 du code pénal définit comme outrage sexuel un propos ou un comportement qui "porte atteinte à la dignité en raison de son caractère dégradant ou humiliant". Il semble bien difficile de considérer un cours sur la sexualité comme un traitement dégradant ou humiliant.
Il en est de même de l'idée étrange selon laquelle cet enseignement priverait les parents de l'autorité parentale ou porterait une atteinte excessive au droit à la vie privée de l'enfant. Accueillir de tels moyens reviendrait à considérer que les parents peuvent choisir à la carte les cours suivis par leurs enfants, et écarter ceux qu'ils estiment porter atteinte à sa vie privée, ou plutôt à la leur. Il deviendrait alors possible d'interdire à une petite fille d'aller à la piscine, ou à un enfant de faire de la musique, parce que ces activités sont contraires à sa religion, donc à sa vie privée.
L'Ecole des femmes, acte V, sc. 4. Molière
Isabelle Adjani et Bernard Blier. 25 mai 1973. Archives de l'INA
La "primauté éducative des parents"
Pour les requérants, le principe essentiel auquel porte atteinte le programme d'éducation à la sexualité est celui de la "primauté éducative des parents". Le seul problème est que ce principe n'existe pas au plan juridique. L'article L. 111-4 du code de l'éducation prévoit certes que " Les parents d'élèves sont membres de la communauté éducative. (...) / Leur participation à la vie scolaire et le dialogue avec les enseignants et les autres personnels sont assurés dans chaque école et dans chaque établissement". Cela ne signifie évidemment pas qu'ils peuvent librement définir ou modifier les programmes.
Le droit ne connaît que l'autorité parentale qui, précisément, n'est pas méconnue par les trois heures annuelles d'éducation à la sexualité dispensées aux enfants. Le Conseil d'État corrige la formulation employée par les requérants et affirme que la "primauté éducative des parents" est invoquée pour contester une atteinte à l'autorité parentale. L'interprétation ne manque pas de générosité car il ne fait aucun doute que, pour les requérants, la "primauté éducative des parents" est un principe qui a pour objet d'imposer aux établissements d'enseignements des programmes conformes à leurs convictions. En revanche, en renvoyant la "primauté éducative" à l'autorité parentale, le juge ne peut qu'écarter le moyen.
Sur le fond, le Conseil d'État explique que cet enseignement est dispensé de manière appropriée à l'âge des enfants. A l'école maternelle et primaire, ils bénéficient d'une éducation à la vie affective et relationnelle, la sexualité en tant que telle n'étant évoquée que dans les établissements du second degré, au moment où les enfants deviennent de jeunes adolescents. Au demeurant, la sexualité n'est qu'une des facettes d'un enseignement, et les enfants sont également formés au principe d'égalité entre les garçons et les filles, au principe de dignité, au refus des violences sexistes et sexuelles etc.
Le principe de neutralité
L'autre moyen développé par les requérants repose sur l'atteinte au principe de neutralité du service public de l'enseignement. Sur ce point, le Conseil d'État avait déjà considéré dans une décision Association Promouvoir, le 18 octobre 2000, qu'une éducation à la sexualité, dispensée alors dans le but de lutter contre l'épidémie de Sida, ne portait pas atteinte au principe de neutralité. Elle n'avait en effet ni pour objet ni pour conséquence de porter atteinte à la liberté de conscience des élèves. Quelques jours auparavant, le Conseil d'État, dans une première décision Association Promouvoir du 6 octobre 2000, énonçait déjà qu'une simple brochure distribuée aux collégiens de la classe de 3è, les informant sur la contraception, ne portait pas atteinte au principe de neutralité. Il précisait alors que cette neutralité n'était respectée qu'à la condition que le brochure ne contienne pas de développements sur sur les positions philosophiques ou religieuses relatives à la contraception.
L'arrêt rendu par le Conseil d'État le 27 juin 2025 peut sembler anodin. Personne ne s'attendait à ce qu'un programme officiel de l'Éducation nationale soit annuler sur des fondements aussi incertains. On observe d'ailleurs que le lobby de l'enseignement catholique s'était montré très actif durant la période de rédaction des textes, mais qu'il est arrivé devant le juge en ordre dispersé, certains groupes parmi les plus importants ne s'étant pas joints au recours.
Le plus important réside dans le fait que le Conseil d'État affirme clairement que la définition des programmes scolaires appartient à l'État. Les parents d'élèves peuvent faire connaitre leur position, mais ils ne sauraient revendiquer un pouvoir de décision dans ce domaine. Cette affirmation de la primauté de l'État prend un intérêt particulier alors qu'arrivent de toutes parts des informations sur l'absence de contrôle exercé sur les établissements privés, y compris sous-contrat. D'une certaine manière, le Conseil d'État invite l'État à exercer ses responsabilités, enfin.
L'enseignement public : chapitre 11, section 1 du Manuel de Libertés publiques version E-Book et version papier,