« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


lundi 12 mai 2025

La Légion d’honneur de Nicolas Sarkozy menacée par son bracelet électronique


La jurisprudence administrative vient d'être saisie d'un dossier quelque peu embarrassant. En effet, l'ancien secrétaire national d'Europe Écologie - Les Verts, maître Julien Bayou, a déposé une requête devant le tribunal administratif de Paris le 6 mai 2025. Il conteste le refus d'exclure Nicolas Sarkozy de l'ordre de la Légion d'honneur, et demande qu'il soit enjoint à ce dernier de "constater l'exclusion de droit de M. Sarkozy de la Légion d'honneur". 

 

Un ancien président de la République

 

L'affaire n'est pas dépourvue d'intérêt. D'une part, il faut reconnaître que le contentieux de la Légion d'honneur n'est pas fréquent. Si des exclusions sont effectivement quelquefois prononcées, les intéressés ne se précipitent pas pour faire des recours. Ils préfèrent "imiter de Conrard le silence prudent", et ne pas médiatiser leurs turpitudes par des requêtes intempestives et surtout inutiles. De fait, la jurisprudence fait cruellement défaut. D'autre part, la situation de Nicolas Sarkozy, ancien Président de la République, est tout-à-fait particulière. Comme tous les présidents de la République nouvellement élus, il a été reconnu grand maître de la Légion d'honneur par le grand chancelier, le jour de son investiture. Celui-ci lui présente le grand collier de l'ordre prononçant les paroles suivantes : « Monsieur le président de la République, nous vous reconnaissons comme grand maître de l’ordre national de la Légion d’honneur ». 

De cette situation particulière, certains déduisent qu'il est impossible de retirer la Légion d'honneur à quelqu'un qui l'a obtenue es qualité. Ils considèrent même qu'il s'agit de protéger l'ordre lui-même, dès lors que l'ancien président en a été le grand maître. L'analyse pourrait toutefois être inversée, car les règles qui organisent la discipline dans l'ordre de la Légion d'honneur ont précisément pour objet de protéger les valeurs qu'il incarne, en écartant ceux qui précisément les ont violées, au point d'être l'objet de graves condamnations pénales.Tel est le cas de Nicolas Sarkozy, condamné, en décembre 2024, à trois ans d'emprisonnement, dont un ferme, pour corruption et trafic d'influence dans l'affaire Paul Bismuth. 

Pour savoir si l'ancien président doit être privé de sa Légion d'honneur, il convient de répondre à deux questions juridiques étroitement imbriquées. D'une part, quelle procédure s'applique, d'autre part qui est compétent pour la mettre en oeuvre.

 


La légion d'honneur. Maxime Le Forestier

Chanson posthume de Georges Brassens. 1985

 

La procédure disciplinaire

 

Pratiquement toute la presse s'appuie, sans d'ailleurs le citer, sur l'article 96 du code de la Légion d'honneur. Celui-ci prévoit que des "peines disciplinaires", au nombre desquelles figure l'exclusion, peuvent être prononcées à l'encontre de "tout membre de l'ordre qui aura commis un acte contraire à l'honneur". L'information peut être transmise au grand chancelier par les ministres de la justice ou de la défense, ou encore par les préfets. 

Une procédure disciplinaire peut alors être engagée, qui s'accompagne évidemment de l'exercice des droits de la défense, l'intéressé bénéficiant de l'assistance d'un avocat. A l'issue, le conseil de l'ordre émet un avis sur les mesures disciplinaires à prendre contre l'intéressé. Lorsqu'il conclut à l'exclusion, cet avis doit être acquis à la majorité des deux tiers des votants. L'article R106 prévoit ensuite que l'exclusion comme la suspension sont prononcées par décret du président de la République. Celui-ci peut toujours s'y refuser, l'article R104 précisant qu'il n'est possible de passer outre à l'avis du conseil qu'en faveur du légionnaire.

L'actuel président de la République a déjà fait savoir qu'il "ne signerait pas un tel décret", mais la formule n'est pas sans ambiguïté. En effet, il se pourrait bien qu'il ne soit pas compétent pour le signer.

 

L'exclusion automatique de l'article R91

 

Reprenons donc les termes de l'article R106. Il prévoit certes que l'exclusion est prononcée par décret du président de la République, mais cette procédure s'applique "sauf dans les cas prévus aux articles R 90 alinéa 2 et R. 91". Le premier traite de l'exclusion de droit des personnes qui ont perdu la nationalité français, mais le second est plus intéressant. L'article R 91 du code de la Légion d'honneur affirme : "Sont exclues de l'ordre les personnes condamnées pour crime, et celles condamnées à une peine d'emprisonnement sans sursis égale ou supérieure à un an". On sait qu'en droit l'indicatif a valeur d'impératif, et l'on observe que le code ne prévoit aucune disposition particulière régissant le retrait de la Légion d'honneur des anciens présidents de la République. Nicolas Sarkozy, on le sait, a été condamné à une peine sans sursis égale à un an.

C'est finalement un tout récent décret du 22 janvier 2025 qui emporte la conviction. Il introduit une nouvelle rédaction de l'article R107 du code de la Légion d'honneur qui ne laisse guère de doute sur la compétence du grand chancelier " Dans les cas prévus (...) à l'article R. 91, le grand chancelier informe le conseil de l'ordre et constate, par arrêté, l'exclusion de l'ordre". Autrement dit, lorsqu'une personne est condamnée à au moins un an d'emprisonnement ferme, le grand chancelier se borne à prendre acte de l'exclusion, à la constater. Celle-ci relève d'un simple jeu d'écriture et ne s'accompagne d'aucune procédure disciplinaire.

Le décret du 22 janvier 2025, signé d'Emmanuel Macron lui-même, a pour conséquence immédiate de l'écarter de la procédure, qui semble relever de la compétence exclusive du grand chancelier. On doit saleur l'habileté de l'actuel Président qui se débarrasse ainsi du problème Sarkozy, tout en prenant des postures de soutien devant les journalistes. Quant au grand chancelier, il a compétence liée, ce qui signifie qu'il est tenu de constater l'exclusion d'un membre condamné à une telle peine de prison. 

Ces deux autorités sont ainsi, d'une certaine manière, protégées par les dispositions du récent décret. Le président de la République n'a pas à intervenir et le grand chancelier n'a aucune marge de manoeuvre. Tout au plus pourrait-il envisager de gagner du temps, peut être en attendant l'issue du recours en cassation, mais la peine de Nicolas Sarkozy est déjà en cours d'exécution... Et le juge administratif pourrait peut-être finalement prononcer l'injonction demandée.

 

 

vendredi 9 mai 2025

Le droit du sol et l'indivisibilité de la République


Le droit du sol n'est pas un principe fondamental reconnu par les lois de la République (PFLR). Le Conseil constitutionnel en a décidé ainsi dans sa décision du 7 mai 2025 portant sur la loi visant à renforcer les conditions d’accès à la nationalité française à Mayotte. Il autorise ainsi le législateur à moduler les conditions d'octroi de la nationalité, en acceptant une lecture souple du droit du sol.

 

Les PFLR

 

On sait que la notion de PFLR, qui figure dans le Préambule de 1946 sans que lui ait été attribué un contenu bien précis, joue désormais le rôle d'une sorte de boîte à outils. En fonction des besoins, le Conseil y fait entrer certains droits et certaines libertés qui ont été consacrés par une loi républicaine antérieure à 1946, c'est-à-dire votée à une époque où la loi était la norme suprême. La qualité de PFLR fut ainsi attribuée, par la grande décision du 16 juillet 1971, à la liberté d'association. Issue de la célèbre loi du 1er juillet 1901, la liberté d'association a donc pris en 1971 une sorte d'ascenseur normatif qui lui a permis d'acquérir une valeur constitutionnelle. 
 
 

 
 Né quelque part. Maxime Le Forestier. 1988
 
 

Le droit du sol n'est pas absolu

 

 
L'acquisition de la nationalité pour les enfants nés en France de parents étrangers est organisée par les articles 21-7 et 21-11 du code civil. Ces enfants peuvent obtenir la nationalité, soit de plein droit à partir de leurs dix-huit ans, soit sur réclamation à partir de treize ou seize ans, à condition d’avoir leur résidence habituelle en France pendant une période d’au moins cinq ans depuis, depuis l’âge de huit ou onze ans selon les cas.
 
Ces dispositions parlent d'elles-mêmes et montrent que le droit du sol, en tant que tel, n'est pas absolu. Le système juridique a considérablement évolué depuis la loi sur la nationalité du 26 juin 1889, confirmée par celle du 10 août 1927. A l'époque, le législateur considérait qu'était française à sa majorité toute personne née en France d'un étranger. S'il existait une condition de résidence, aucune initiative de la part de l'intéressé n'était requise. A l'époque, il s'agissait de répondre à des nécessités liées aussi bien à la démographie qu'à la conscription. 

Ces références historiques sont utiles, car ce sont elles qui fondent la décision rendue par le Conseil constitutionnel le 20 juillet 1993. Déjà, le législateur avait posé des limites à l'acquisition de la nationalité dans les collectivités d'outre-mer. Le Conseil constitutionnel avait alors estimé que ces motifs circonstanciels, à l'origine des lois de 1889 et de 1927, interdisaient de considérer le droit du sol comme un PFLR.
 
 

Le cas de Mayotte

 
Les dispositions législatives déférées au Conseil constitutionnel ne font que renforcer la spécificité du droit de la nationalité applicable à Mayotte.
 
Celle-ci figurait déjà dans la loi du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie. A l'époque,  une nouvelle rédaction de l'article 2493 du code civil avait déjà imposé une contrainte supplémentaire au territoire de Mayotte. Il conditionnait l'acquisition de la nationalité par un enfant né à Mayotte de parents étrangers à la résidence régulière d’un de ses parents en France pendant au moins trois mois à la date de sa naissance.
 
Dans sa décision du 6 septembre 2018, le Conseil avait déclaré ces dispositions conformes à la Constitution. Il est vrai que les requérants n'avaient pas invoqué la violation d'un éventuel PFLR. Ils avaient préféré se fonder sur le principe de fraternité que le Conseil venait d'invoquer, deux mois plutôt, dans sa décision du 6 juillet 2018. Il avait déclaré inconstitutionnel sur ce fondement le délit d'aide au séjour irrégulier. Depuis cette date cependant, le principe de fraternité a été souvent invoqué, mais toujours écarté par le Conseil constitutionnel.
 
De fait, les dispositions examinées par le Conseil le 7 mai 2025 se bornent à renforcer la spécificité du droit applicable à Mayotte, spécificité qui était déjà largement acquise. Elle exige désormais que, au moment de la naissance, les deux parents de l'enfant résident en France de manière régulière et ininterrompue depuis au moins un an. Le Conseil mentionne que cette particularité du droit de la nationalité à Mayotte se justifie par l'importance des flux migratoires et la forte proportion de personnes de nationalité étrangère, dont beaucoup sont en situation irrégulière. De fait, le nombre d'enfants nés de parents étrangers y est particulièrement élevé. Sur ce point, le Conseil reprend sa jurisprudence du 6 septembre 2018, en affirmant que ces « caractéristiques et contraintes particulières » autorisent l'adaptation des règles d'accès à la nationalité.
 
 

L'indivisibilité de la République

 

Observons tout de même que le Conseil constitutionnel prévoit une sorte de garde-fou exprimé dans une réserve. Il affirme en effet que le principe d'indivisibilité de la République, mentionné dans l'article 1er de la Constitution, "s’oppose à ce que des dispositions fixant les conditions d’acquisition de la nationalité puissent ne pas être les mêmes sur l’ensemble du territoire". Il ajoute immédiatement que cette règle s'impose "sous la seule réserve des dispositions particulières prévues par la Constitution". Dans le cas présent, ces "dispositions particulières" sont celles de l'article 73 qui mentionne que les lois et règlements sont applicables de plein-droit dans les collectivités d'outre-mer, mais qu'ils "peuvent faire l’objet d’adaptations tenant aux caractéristiques et contraintes particulières de ces collectivités
 
Le droit du sol peut donc faire l'objet d'adaptations outre-mer, ce que l'on savait déjà. En revanche, il est clair que le principe d'indivisibilité serait mis en cause s'il était totalement supprimé, et non pas seulement adapté. La réserve ainsi formulée prend l'allure d'une mise en garde. En revanche, il reste à se demander quelle serait la décision du Conseil constitutionnel dans l'hypothèse, peu probable certes, où le législateur déciderait de substituer totalement le droit du sang au droit du sol. Car, dans ce cas, les conditions d'acquisition de la nationalité seraient "les mêmes sur l'ensemble du territoire".
 
 
La nationalité : Manuel de Libertés publiques version E-Book et version papier, chapitre 5, section 2 § 1 A

mardi 6 mai 2025

Les Golden Passports maltais maltraités par la CJUE



L' histoire de l'ile de Malte est marquée par une longue tradition de piraterie. De nouvelles formes de délinquance sont apparues plus récemment, les autorités acceptant de vendre un trésor très particulier. La nationalité maltaise pouvait en effet être purement et simplement achetée par ceux qui voulaient bénéficier du statut de citoyen de l'Union européenne. Saisie d'un recours en manquement initié par la Commission, la Cour de justice de l'Union européenne, dans un arrêt du 29 avril 2025, constate que Malte a manqué aux obligations imposées par l'article 20 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), et par l'article 4 § 3 du traité de l'Union européenne.

 

Le statut de citoyen de l'Union


L'article 20 TFUE confère le statut de citoyen de l'Union à toute personne ayant la nationalité d'un État membre. Cette citoyenneté européenne n'est donc pas attribuée directement. Il s’agit d’une citoyenneté de superposition, dépendante de la possession de celle d’un État membre. De fait, les citoyens des États membres ont le droit de circuler, de séjourner, de voter et d'être éligibles aux élections municipales et européennes. Autant dire que le statut est attractif pour des ressortissants des États tiers qui souhaitent faire des affaires sur le territoire européen, voire se mettre à l'abri d'éventuelles poursuites initiées dans leur pays d'origine. 

La loi maltaise prévoyait une "procédure transactionnelle" permettant aux candidats à la nationalité de participer à un "programme des investisseurs individuels". Concrètement, on pouvait acheter un Golden Passport, moyennant le paiement de 600 000 euros à 750 000 euros au gouvernement maltais, ou encore l'acquisition d'une résidence d'une valeur minimale de 700 000 euros, voire des dons à des ONG maltaises. 

Pour la Commission, une telle pratique viole l'article 4 § 3 TUE, qui établit le principe de coopération loyale entre l'Union et ses États membres. Elle consiste en effet à exploiter, à des fins purement financières, l'oeuvre commune que constitue la citoyenneté de l'Union. Certes, des négociations ont eu lieu, mais avec un effet très limité. En 2022, Malte a exclu de son programme de citoyenneté par investissements les ressortissants russes et biélorusses, mais la vente des Golden Passports a continué pour les demandeurs ressortissants d'autres États.

 


 Les autorités maltaises, après la décision de la CJUE

Astérix et Cléopâtre. René Goscinny et Albert Uderzo. 1965

 

Nationalité et espace européen

 

L'argument maltais selon lequel chaque État définit souverainement les conditions d’octroi et de perte de la nationalité est sèchement écarté par la CJUE. Cette compétence doit s'exercer dans le respect du droit de l’Union. Ce principe a été affirmé dès la décision Micheletti et a. du 7 juillet 1992, et rappelé récemment dans un arrêt du 5 septembre 2023 Perte de la nationalité danoise. La CJUE reconnaît alors que la perte de la nationalité danoise pour défaut de rattachement effectif avec cet État entraîne la perte du statut de citoyen de l'Union. En vendant la citoyenneté maltaise, il est clair que les autorités vendaient d'abord la citoyenneté de l'Union, la seule qui intéressait réellement les demandeurs. Ils seraient aussi bien devenus danois ou espagnols si le Danemark ou l'Espagne avaient vendu leurs passeports.

Les dangers d'une telle pratique pour l'UE apparaissent clairement si l'on considère qu'elle repose sur une confiance mutuelle incarnée par un espace européen. Certes le mythe de l'espace sans frontières est aujourd'hui bien écorné, alors que bon nombre d'États de l'Union ont rétabli les contrôles à leurs frontières. Mais il n'en demeure pas moins que cette notion d'espace européen fonde toujours la libre circulation et le droit de séjourner librement des ressortissants des États membres. La jurisprudence de la CJUE rappelle ainsi, en particulier dans les arrêts McCarthy et a. du 18 décembre 2014 et Direcţia pentru Evidenţa Persoanelor şi Administrarea Bazelor de Date du 22 février 2024, que les États doivent favoriser cette libre circulation. Aux yeux de la Commission, la vente des Golden Passports entraine une atteinte au principe même de la solidarité entre États membres.

Parmi ces prérogatives ainsi commercialisées figurent évidemment les droits politiques dont sont titulaires les citoyens de l'UE, droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales et européennes. L'article 2 TUE précise que le fonctionnement de l'Union repose sur la démocratie représentative, et une jurisprudence constante rappelle qu'il s'agit là d'un principe fondamental qui ne saurait être remis en cause. La CJUE l'a rappelé dans deux décisions du 19 novembre 2024 relatives à l'éligibilité et à la qualité de membre d'un parti politique. Les conditions d'octroi de la nationalité ont donc une influence directe sur le fonctionnement de l'Union européenne.

De tous ces éléments, la CJUE déduit la constatation du manquement. On ne doit pourtant pas en déduire qu'elle entend imposer aux États une véritable politique d'attribution de la nationalité. Leur compétence s'exerce pleinement, sous la seule réserve de sa compatibilité avec la nature même de la citoyenneté de l'Union. Concrètement, comme la CJUE l'affirme dans sa décision du 25 avril 2024, Stadt Duisburg (Perte de la nationalité allemande), la citoyenneté d'un État membre repose d'abord sur le lien de solidarité et de loyauté entre l'État et ses ressortissants, ensuite sur la réciprocité des droits et des devoirs. L'acquisition de la nationalité moyennant espèces sonnantes et trébuchantes est, à l'évidence, incompatible avec la nature de ces liens. En dehors de cette réserve, les États décident librement de leur politique d'attribution de la nationalité.

La décision de la CJUE va dans le sens d'une protection des principes qui gouvernent l'Union européenne, interdisant de faire commerce de l'espace européen. Il n'en demeure pas moins que le lecteur de la décision est nécessairement frappé par l'inertie des États membres face à cette situation. Le recours en manquement est dû à l'initiative de la Commission elle-même "ayant eu connaissance dudit programme". Mais les États, évidemment informés de cette situation, s'en sont accommodés et leurs relations avec Malte n'ont pas été sérieusement affectées. La CJUE semble ainsi rappeler des "valeurs" bien oubliées, et pas seulement à Malte.



La citoyenneté européenne : Manuel de Libertés publiques version E-Book et version papier, chapitre 5, section 2 § 1 A

samedi 3 mai 2025

Peut-on manifester tout seul ?



Après les cortèges du 1er mai, il est temps de s'interroger sur le caractère collectif ou nom de la liberté de manifester. Peut-on manifester tout seul ? C'est la question posée au tribunal administratif de Paris qui, le 11 avril 2025, a annulé un arrêté du 19 juin 2023 portant "interdiction partielle de manifester".

Pour comprendre cette "interdiction partielle", il faut éclairer le lecteur sur la situation de la requérante, Mme B.  Fort mécontente de la cour de cassation qui a rejeté son pourvoi, celle-ci s'est appuyée sur le droit des manifestations, conformément aux informations qui lui avaient été délivrées par les services de la préfecture de police. Elle a donc déposé une déclaration auprès d'eux annonçant son intention d'organiser un rassemblement statique, avec elle comme seul participante, pendant cinq journées successives, devant les grilles du Palais de justice, à Paris. Le préfet a cependant interdit cette manifestation, autorisant toutefois Mme B. à se tenir sur le trottoir d'en face pour dénoncer les turpitudes de la cour de cassation.

 

La manifestation, action collective


Le tribunal administratif ne se prononce évidemment pas sur l'atteinte à l'ordre public que pourrait entrainer l'initiative de la requérante. Sa présence statique ne gênait évidemment personne. En revanche, la question posée est celle du fondement juridique qui lui a été conseillé et qu'elle a employé.

Pour le tribunal administratif, "eu égard à ses modalités, une telle action ne peut être regardée comme une manifestation" et les dispositions du code de la sécurité intérieures relatives à la procédure déclaration n'étaient pas applicables en l'espèce. Autrement dit, une manifestation ne saurait être le fait d'une personne seule.

Certes, le tribunal administratif applique ainsi sur l'article L 211-2 du code de la sécurité intérieure qui énonce que "sont soumis à l'obligation d'une déclaration préalable tous cortèges, défilés et rassemblements de personnes, et, d'une façon générale, toutes manifestations sur la voie publique".  Si les "cortèges, défilés et rassemblements" indiquent une action collective, il n'en est pas tout-à-fait de même pour la "manifestation", définie d'abord par son usage de la voie publique.

C'est finalement la Cour de cassation qui, dans un arrêt du 9 février 2016, donne une première définition juridique de la manifestation, comme « tout rassemblement, statique ou mobile, sur la voie publique d'un groupe organisé de personnes aux fins d'exprimer collectivement et publiquement une opinion ou une volonté commune ». La chambre criminelle casse alors un arrêt de la cour d'appel de Paris qui envisageait la manifestation de manière bien différente, comme « un déplacement collectif organisé sur la voie publique aux fins de produire un effet politique par l'expression pacifique d'une opinion ou d'une revendication, cela à l'aide de chants, banderoles, bannières, slogans, et l'utilisation de moyens de sonorisation ». Pour la cour d'appel, un rassemblement de militants de la CGT à un péage autoroutier dans le but de distribuer des tracts aux automobilistes, sans brandir aucune banderole et sans crier de slogans ne s'analysait donc pas comme une manifestation. La Cour de cassation estime que cette définition « ajoute à la loi des conditions qu'elle ne prévoit pas quant aux modalités matérielles d'expression des buts de la manifestation ». Autrement dit, ce ne sont pas les banderoles et les slogans qui définissent la manifestation. Une manifestation peut demeurer silencieuse, dès lors qu'elle utilise la voie publique pour exprimer une opinion.

Le tribunal administratif de Paris, dans son jugement du 11 avril 2025, met en oeuvre cette interprétation étroite. Certes, Mme B. utilise la voie publique pour exprimer son opinion sur une décision de la Cour de cassation, mais il ne s'agit pas d'une opinion "collective" ou d'une "volonté commune" au sens où l'entend cette même cour de cassation le 9 février 2016. A cet égard, la malheureuse Mme B. est doublement victime de la Cour de cassation, d'abord de la décision qu'elle veut contester devant les grilles du Palais du justice, ensuite de la jurisprudence qui lui interdit de le faire...

 


 Quelques manifestants. Sempé. 1983

 

A la recherche d'un fondement juridique

 

L'analyse juridique du tribunal administratif est certes défendable, mais il faudrait tout de même que Mme B. puisse disposer d'un fondement juridique quelconque pour exprimer sa revendication. Car, dans le fond, on ne voit pas ce qui interdirait à une personne seule de manifester. 

Dès lors, la question posée, d'ordre plus général, est celle du fondement,  non pas de la procédure, mais de la liberté de manifestation elle-même. Celle-ci se caractérise par un caractère hybride. 

Pour le Conseil constitutionnel, la liberté de manifestation est un sous-produit de la liberté d'expression. De sa décision du 18 janvier 1995 à celle du 4 avril 2019, le Conseil trouve son fondement dans " « le droit d'expression collective des idées et des opinions », c'est-à-dire l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Pour la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), le fondement de la liberté de manifester se trouve dans l'article 11 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et fait donc partie de la "liberté de réunion pacifique" qu'il garantit. Elle s'assure que les restrictions à son exercice ne sont pas excessives, en laissant toutefois aux États une large marge d'autonomie en ce domaine. Les uns peuvent opter pour un régime d'autorisation, les autres pour un régime de déclaration, sans violer la Convention.

Ces deux positions ne sont pas aussi antagonistes que l'on pourrait le penser,  car les régimes juridiques tendent plutôt à se rapprocher. Dans son arrêt Women on Waves c. Portugal du 3 février 2009, la CEDH reconnaissait que la liberté de réunion et la liberté d'expression sont difficilement séparables. Plus récemment, dans un arrêt Apnel c. France du 12 septembre 2024, la Cour admet que l'interdiction d'une manifestation de nudistes à bicycltte emporte une ingérence dans leur liberté d'expression, sans toutefois la juger excessive.

La Cour de cassation, quant à elle, opère une sorte de fusion entre les deux approches. D'un côté, elle applique la jurisprudence constitutionnelle en invoquant la liberté d'expression. De l'autre, elle exerce un contrôle de la nécessité de ses restrictions très proche de celui exercé par la CEDH. Dans un arrêt du 11 septembre 2024, rendu à propos des manifestations sur le site de Bures, elle exige ainsi du juge pénal qu'il évalue la proportionnalité de la sanction au regard de la liberté d'expression.

Sans doute, mais le cas de Mme B. n'a rien à voir avec le juge pénal. Elle est en effet confrontée à une décision administrative qui lui interdit de manifester à l'endroit qu'elle avait choisi. Dans son cas, le seul fondement possible est celui de la liberté d'expression, dès lors qu'il est en effet difficile d'envisager une réunion ne comportant qu'une unique participante. Or le fondement de la liberté d'expression est précisément celui utilisé par le Conseil constitutionnel pour constitutionnaliser la liberté de manifester. Et il ne fait aucun doute la liberté d'expression peut être exercée aussi bien par une personne seule que par un groupe de personnes.

Pour le moment, l'action de Mme B. ne bénéficie donc d'aucune garantie et ne semble même pas considérée par le tribunal administratif comme une liberté constitutionnellement protégée. On espère que le jugement fera l'objet d'un recours car la question posée est loin d'être anecdotique. La manifestation n'est pas exclusivement une action, c'est aussi un choix individuel. Et pourquoi ne pas l'exercer seul ?


La liberté de manifester : Manuel de Libertés publiques version E-Book et version papier, chapitre 12, section 1




mercredi 30 avril 2025

Le viol sur mineure de moins de quinze ans devant la CEDH



Le traitement pénal des affaires de viol, et plus particulièrement de viol de mineures, fait actuellement l'objet de différents recours devant la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH). L'arrêt rendu le 25 avril 2025, L. et autres c. France, met en lumière certaines défaillances du système français. On observe néanmoins que la décision porte sur des faits et des décisions de justice antérieurs à la loi du 3 août 2018 et à celle du 21 avril 2021. Les procédures pénales sanctionnées par la Cour ne pourraient sans doute pas se reproduire aujourd'hui de manière totalement identique. Il n'empêche que la Cour insiste sur des points qui ne sont pas résolus.

 

Les trois victimes

 

En l'espèce, les requérantes sont au nombre de trois. Deux étaient âgées de 14 ans au moment des faits, et la troisième de 16 ans. 

La première victime de 14 ans, fragile et isolée car traitée pour le traumatisme subi par un harcèlement scolaire, a porté plaine pour viol et agression sexuelle, commis par un sapeur pompier et deux de ses amis. Mais la jeune victime se montrait très passive, tétanisée par cette situation, et le juge d'instruction a finalement requalifié les faits en atteintes sexuelles commises sans violence, menace, contrainte, ni surprise. Les trois prévenus furent donc renvoyés devant le tribunal correctionnel. Les recours ont été vains et finalement la Cour de cassation estima que les motifs du renvoi relevaient de l'appréciation souveraine des juges du fond. Le 1er février 2022, la Cour d'appel de Versailles, saisie sur renvoi, prononça un non-lieu partiel.

Les parents de la seconde victime, également âgée de 14 ans, ont signalé sa disparition en mai 2020 à la gendarmerie de Forbach. Peu après cependant, elle était de retour à son domicile, en état d'ivresse manifeste. L'enquête a montré qu'elle avait passé la nuit avec deux hommes de 21 et 29 ans. Sous l'effet de l'alcool massivement consommé, la jeune requérante a eu sa première expérience sexuelle, subie, avec l'un des deux hommes, l'autre ayant des relations avec son amie, âgée de 17 ans. Là encore, les juges ont déduit que rien dans le dossier n'établissait que le viol avait eu lieu par violence, contrainte, menace ou surprise. Les agresseurs pouvaient donc supposer qu'une enfant de 14 ans totalement ivre était consentante. Les juges estiment ainsi que le fait que la victime n'ait pas été en état de consentir fait présumer le consentement.

La troisième victime a porté plainte, alors qu'elle avait 22 ans, pour des faits remontée à l'année de son seizième anniversaire. Elle se plaint d'avoir été violée par un jeune homme de 18 ans, lors d'une fête à son domicile en 2088.  Elle affirme avoir refusé clairement de se livrer à un acte sexuel, mais, malgré ses refus verbaux, elle s'est sentie incapable de réagir. Cette passivité pouvait être expliquée, là encore, par une consommation importante d'alcool et de stupéfiants. Le jeune agresseur, quant à lui, déclara que le manque de réaction de la requérante lui avait laissé penser qu 'elle était consentante.Cette fois, le procureur classa l'affaire, estimant que l'absence d'élément intentionnel ne permettait pas de qualifier les faits. Une ordonnance de non-lieu fut ensuite confirmée par la Cour de cassation le 6 avril 2022.

Les trois requérantes invoquant devant la Cour une violation de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme qui sanctionne les traitements inhumains et dégradants ainsi qu'une atteinte à l'article 8 relatif à la protection de la vie privée. 

 


 Hôtel de Brignac, Montagnac. Poutre du plafond. circa 1450


Le principe de célérité

 

La première défaillance relevée par la CEDH réside dans l'absence de célérité et de diligence dans les procédures pénales. Pour la première requérante, la procédure a duré entre huit et douze ans pour des affaires ne présentant pas de difficulté particulière, les auteurs n'ayant pas cherché à échapper à la justice. Or, la jurisprudence de la CEDH se montre particulièrement attentive à cette exigence de célérité dans le cas particulier des abus sexuels, principalement ceux subis par un enfant, comme le rappelle l'arrêt G. c. Lituanie du 20 février 2024.

Cette attention au principe de célérité trouve son origine dans la volonté de protéger la victime, surtout lorsqu'il s'agit d'un enfant. Les procédures pénales constituent une épreuve particulièrement traumatisante et il convient donc de réduire autant que possible la durée de cette épreuve. Rappelons qu'au terme de la Convention sur les droits de l'enfant, toute décision le concernant doit être prise en tenant compte de son "intérêt supérieur".  Un mineur victime d'abus sexuels doit donc bénéficier de mesures d'accompagnement appropriées facilitant son rétablissement. Or, dans aucune des trois affaires, les juges internes n'ont sérieusement évalué les circonstances de l'espèce, particulièrement l'état de santé particulièrement détérioré de la première victime, les faits commis par les pompiers pouvant finalement être considérés comme un abus de sa vulnérabilité.

 

Le consentement

 

Cette même absence d'évaluation de la situation de chaque victime caractérise l'appréciation par les juges de la place de son consentement, ou de son absence de consentement, aux pratiques sexuelles.

La notion de consentement figure dans la jurisprudence de la cour de cassation depuis un arrêt ancien du 25 juin 1857 comme critère de l'incrimination. A l'époque, il s'agissait de punir un homme qui avait obtenu un acte sexuel en se glissant dans le lit de sa victime, se faisant passer pour son mari. La Cour de cassation affirme alors que le défaut de consentement peut résulter de "la violence physique ou morale (...) ou de tout autre moyen de contrainte ou de surprise".

Le cas des victimes en état d'alcoolémie est également envisagé par la Cour de cassation qui réprime une un viol commis par "surprise" lorsque la victime n'est pas suffisamment lucide pour comprendre ce qui lui arrive. Tel est le cas dans l'arrêt du 11 janvier 2017, la victime étant tellement ivre qu'elle avait pris son violeur pour son conjoint.

Mais cette jurisprudence ne permettait pas d'offrir une protection particulière aux victimes de moins de quinze ans. Le législateur a pourtant fait évoluer les choses. La loi du 3 août 2018, la première, pose comme principe que l'élément de surprise peut résulter de la seule différence d'âge entre l'auteur des faits et sa victime, ainsi que de l'autorité de droit ou de fait qu'il peut exercer sur celle. Ce texte constituait certes une avancée majeure, mais la CEDH observe, à juste titre, que l'analyse demeurait sur le terrain de la preuve. La circulaire d'application de ce texte invitait en effet les juges à évaluer le discernement de la victime. La loi du 21 avril 2021 sort enfin de cette logique, en déduisant de l'écart d'âge de cinq ans une présomption d'agression sexuelle. En même temps, le viol comme par un majeur sur un mineur devient une infraction autonome.

On sait qu'il est aujourd'hui question d'introduire expressément la notion de consentement dans la définition du viol. Sans intervenir directement sur l'activité du législateur français, on sent que la Cour est favorable à une telle réforme. Elle insiste en effet sur le fait que l'évaluation du discernement de la victime, et plus particulièrement de la jeune mineure de moins de quinze ans, est l'élément clé de la procédure pénale et que cette absence de discernement doit être déduite du jeune âge de la victime. La Cour observe d'ailleurs que nombre d'États du Conseil de l'Europe ont intégré le consentement dans la définition du viol.


La "victimisation secondaire"


La CEDH, dans sa décision du 25 avril 2025, sanctionne aussi la France pour des faits de "victimisation secondaire". La notion est apparue dans la Convention d'Istanbul sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique, élaborée au sein du Conseil de l'Europe. Il est alors demandé aux États parties d'éviter cette "victimisation secondaire".

Dans son arrêt Y. c. Slovénie du 28 août 2015, la CEDH considère comme "victimisation secondaire" le fait de reproduire des stéréotypes sexistes dans des décisions de justice ou dans la procédure pénale. C'est le cas lorsqu'une femme qui a été violée se voit exposée à des propos culpabilisants ou moralisants de nature à décourager sa confiance dans la justice. Or la troisième victime a été exposée à ce type de propos, un des agents chargés de l'auditionner lui ayant brutalement reproché de ne pas avoir adopté un comportement adéquat en se défendant physiquement contre son agresseur. Ces propos étaient non seulement culpabilisants, mais ils ne correspondaient même pas à l'état du droit en vigueur. En effet, selon l'arrêt M. C. c. Bulgarie du 4 décembre 2003, la qualification de viol n'est plus subordonnée à la preuve de la résistance physique de la victime.

Certes, l'arrêt rendu par la CEDH porte sur le droit antérieur à deux réformes législatives d'envergure, mais il n'en demeure pas moins qu'il met en lumière la nécessité de nouvelles réflexions pouvant conduire à une évolution de la législation. La question du consentement est actuellement en débat, celle de la "victimisation secondaire" n'est pas, en revanche, sérieusement envisagée. Il est vrai que les forces de police et de gendarmerie, comme d'ailleurs les juges, sont de mieux en mieux formés à l'audition des victimes d'agressions sexuelles, et plus précisément des mineurs. Mais le chemin est encore long pour que cette évolution se traduise par un véritable accompagnement, sans doute, comme toujours, faute de moyens.

 


samedi 26 avril 2025

Les Invités de LLC - Jules Ferry, Lettre aux instituteurs, 17 novembre 1883

L'usage veut qu'à l'occasion des vacances, Liberté Libertés Chéries invite ses lecteurs à retrouver les grands textes sur les libertés publiques. Pour comprendre le droit d'aujourd'hui, pour éclairer ses principes fondamentaux et comprendre les crises qu'il traverse, il est nécessaire de lire ou de relire ceux qui en ont construit le socle historique et philosophique. Les courts extraits proposés n'ont pas d'autre objet que de susciter une réflexion un peu détachée des contingences de l'actualité, et de donner envie de lire la suite. Bien entendu, les lecteurs de Liberté Libertés Chéries sont invités à participer à cette opération de diffusion de la pensée, en faisant leurs propres suggestions de publication. Qu'ils en soient, à l'avance, remerciés.

Aujourd'hui, LLC propose à ses lecteurs la très célèbre lettre adressée par Jules Ferry aux instituteurs le 17 novembre 1883, dans la seconde année d'application de la loi du 28 mars 1882.

 

Jules Ferry

Lettre aux instituteurs


17 novembre 1883

 


 L'écolier. Chagall. 1925

 

Monsieur l’Instituteur,


L’année scolaire qui vient de s’ouvrir sera la seconde année d’application de la loi du 28 mars 1882. Je ne veux pas la laisser commencer sans vous adresser personnellement quelques recommandations qui sans doute ne vous paraîtront pas superflues après la première année d’expérience que vous venez de faire du régime nouveau. Des diverses obligations qu’il vous impose, celle assurément qui vous tient le plus à cœur, celle qui vous apporte le plus lourd surcroît de travail et de souci, c’est la mission qui vous est confiée de donner à vos élèves l’éducation morale et l’instruction civique : vous me saurez gré de répondre à vos préoccupations en essayant de bien fixer le caractère et l’objet de ce nouvel enseignement ; et, pour y mieux réussir, vous me permettrez de me mettre un instant à votre place, afin de vous montrer, par des exemples empruntés au détail même de vos fonctions, comment vous pourrez remplir à cet égard tout votre devoir et rien que votre devoir.

La loi du 28 mars se caractérise par deux dispositions qui se complètent sans se contredire : d’une part, elle met en dehors du programme obligatoire l’enseignement de tout dogme particulier, d’autre part elle y place au premier rang l’enseignement moral et civique. L’instruction religieuse appartient aux familles et à l’église, l’instruction morale à l’école.

Le législateur n’a donc pas entendu faire une œuvre purement négative. Sans doute il a eu pour premier objet de séparer l’école de l’église, d’assurer la liberté de conscience et des maîtres et des élèves, de distinguer enfin deux domaines trop longtemps confondus, celui des croyances qui sont personnelles, libres et variables, et celui des connaissances qui sont communes et indispensables à tous. Mais il y a autre chose dans la loi du 28 mars : elle affirme la volonté de fonder chez nous une éducation nationale et de la fonder sur des notions du devoir et du droit que le législateur n’hésite pas à inscrire au nombre des premières vérités que nul ne peut ignorer. Pour cette partie capitale de l’éducation, c’est sur vous, Monsieur, que les pouvoirs publics ont compté. En vous dispensant de l’enseignement religieux, on n’a pas songé à vous décharger de l’enseignement moral : c’eût été vous enlever ce qui fait la dignité de votre profession. Au contraire, il a paru tout naturel que l’instituteur, en même temps qu’il apprend aux enfants à lire et à écrire, leur enseigne aussi ces règles élémentaires de la vie morale qui ne sont pas moins universellement acceptées que celles du langage et du calcul.

En vous conférant de telles fonctions, le Parlement s’est-il trompé ? A-t-il trop présumé de vos forces, de votre bon vouloir, de votre compétence ? Assurément il eût encouru ce reproche s’il avait imaginé de charger tout à coup quatre-vingt mille instituteurs et institutrices d’une sorte de cours ex professo sur les principes, les origines et les fins dernières de la morale. Mais qui jamais a conçu rien de semblable ? Au lendemain même du vote de la loi, le Conseil supérieur de l’instruction publique a pris soin de vous expliquer ce qu’on attendait de vous, et il l’a fait en des termes qui défient toute équivoque. Vous trouverez ci-inclus un exemplaire des programmes qu’il a approuvés et qui sont pour vous le plus précieux commentaire de la loi : je ne saurais trop vous recommander de les relire et de vous en inspirer. Vous y puiserez la réponse aux deux critiques opposées qui vous parviennent. Les uns vous disent : « Votre tâche d’éducateur moral est impossible à remplir. » Les autres : « Elle est banale et insignifiante. » C’est placer le but ou trop haut ou trop bas. Laissez-moi vous expliquer que la tâche n’est ni au-dessus de vos forces ni au-dessous de votre estime, qu’elle est très limitée et pourtant d’une très grande importance ; extrêmement simple, mais extrêmement difficile.

J’ai dit que votre rôle en matière d’éducation morale est très limité. Vous n’avez à enseigner à proprement parler rien de nouveau, rien qui ne vous soit familier comme à tous les honnêtes gens. Et quand on vous parle de mission et d’apostolat, vous n’allez pas vous y méprendre : vous n’êtes point l’apôtre d’un nouvel évangile ; le législateur n’a voulu faire de vous ni un philosophe, ni un théologien improvisé. Il ne vous demande rien qu’on ne puisse demander à tout homme de cœur et de sens. Il est impossible que vous voyiez chaque jour tous ces enfants qui se pressent autour de vous, écoutant vos leçons, observant votre conduite, s’inspirant de vos exemples, à l’âge où l’esprit s’éveille, où le cœur s’ouvre, où la mémoire s’enrichit, sans que l’idée vous vienne aussitôt de profiter de cette docilité, de cette confiance, pour leur transmettre, avec les connaissances scolaires proprement dites, les principes mêmes de la morale, j’entends simplement de cette bonne et antique morale que nous avons reçue de nos pères et que nous nous honorons tous de suivre dans les relations de la vie sans nous mettre en peine d’en discuter les bases philosophiques. Vous êtes l’auxiliaire et, à certains égards, le suppléant du père de famille ; parlez donc à son enfant comme vous voudriez que l’on parlât au vôtre ; avec force et autorité, toutes les fois qu’il s’agit d’une vérité incontestée, d’un précepte de la morale commune ; avec la plus grande réserve, dès que vous risquez d’effleurer un sentiment religieux dont vous n’êtes pas juge.

Si parfois vous étiez embarrassé pour savoir jusqu’où il vous est permis d’aller dans votre enseignement moral, voici une règle pratique à laquelle vous pourrez vous tenir : avant de proposer à vos élèves un précepte, une maxime quelconque, demandez-vous s’il se trouve, à votre connaissance, un seul honnête homme qui puisse être froissé de ce que vous allez dire. Demandez-vous si un père de famille, je dis un seul, présent à votre classe et vous écoutant, pourrait de bonne foi refuser son assentiment à ce qu’il vous entendrait dire. Si oui, abstenez-vous de le dire ; sinon, parlez hardiment, car ce que vous allez communiquer à l’enfant, ce n’est pas votre propre sagesse, c’est la sagesse du genre humain, c’est une de ces idées d’ordre universel que plusieurs siècles de civilisation ont fait entrer dans le patrimoine de l’humanité. Si étroit que vous semble, peut-être, un cercle d’action ainsi tracé, faites-vous un devoir d’honneur de n’en jamais sortir, restez en deçà de cette limite plutôt que de vous exposer à la franchir : vous ne toucherez jamais avec trop de scrupule à cette chose délicate et sacrée, qui est la conscience de l’enfant. Mais une fois que vous vous êtes ainsi loyalement enfermé dans l’humble et sûre région de la morale usuelle, que vous demande-t-on ? Des discours ? Des dissertations savantes ? De brillants exposés, un docte enseignement ? Non, la famille et la société vous demandent de les aider à bien élever leurs enfants, à en faire des honnêtes gens. C’est dire qu’elles attendent de vous non des paroles, mais des actes, non pas un enseignement de plus à inscrire au programme, mais un service tout pratique que vous pourrez rendre au pays plutôt encore comme homme que comme professeur.

Il ne s’agit plus là d’une série de vérités à démontrer mais, ce qui est tout autrement laborieux, d’une longue suite d’influences morales à exercer sur de jeunes êtres, à force de patience, de fermeté, de douceur, d’élévation dans le caractère et de puissance persuasive. On a compté sur vous pour leur apprendre à bien vivre par la manière même dont vous vivez avec eux et devant eux. On a osé prétendre pour vous à ce que d’ici quelques générations les habitudes et les idées des populations au milieu desquelles vous aurez exercé attestent les bons effets de vos leçons de morale. Ce sera dans l’histoire un honneur particulier pour notre corps enseignant d’avoir mérité d’inspirer aux Chambres françaises cette opinion, qu’il y a dans chaque instituteur, dans chaque institutrice, un auxiliaire naturel du progrès moral et social, une personne dont l’influence ne peut manquer en quelque sorte d’élever autour d’elle le niveau des mœurs. Ce rôle est assez beau pour que vous n’éprouviez nul besoin de l’agrandir. D’autres se chargeront plus tard d’achever l’œuvre que vous ébauchez dans l’enfant et d’ajouter à l’enseignement primaire de la morale un complément de culture philosophique ou religieuse. Pour vous, bornez-vous à l’office que la société vous assigne et qui a aussi sa noblesse : poser dans l’âme des enfants les premiers et solides fondements de la simple moralité.

Dans une telle œuvre, vous le savez, Monsieur, ce n’est pas avec des difficultés de théorie et de haute spéculation que vous avez à vous mesurer ; c’est avec des défauts, des vices, des préjugés grossiers. Ces défauts, il ne s’agit pas de les condamner — tout le monde ne les condamne-t-il pas ? — mais de les faire disparaître par une succession de petites victoires obscurément remportées. Il ne suffit donc pas que vos élèves aient compris et retenu vos leçons, il faut surtout que leur caractère s’en ressente : ce n’est pas dans l’école, c’est surtout hors de l’école qu’on pourra juger ce qu’a valu votre enseignement. Au reste, voulez-vous en juger vous-même dès à présent et voir si votre enseignement est bien engagé dans cette voie, la seule bonne : examinez s’il a déjà conduit vos élèves à quelques réformes pratiques. Vous leur avez parlé, par exemple, du respect dû à la loi : si cette leçon ne les empêche pas, au sortir de la classe, de commettre une fraude, un acte, fût-il léger, de contrebande ou de braconnage, vous n’avez rien fait encore ; la leçon de morale n’a pas porté. Ou bien vous leur avez expliqué ce que c’est que la justice et que la vérité : en sont-ils assez profondément pénétrés pour aimer mieux avouer une faute que de la dissimuler par un mensonge, pour se refuser à une indélicatesse ou à un passe-droit en leur faveur ?

Vous avez flétri l’égoïsme et fait l’éloge du dévouement : ont-ils, le moment d’après, abandonné un camarade en péril pour ne songer qu’à eux-mêmes ? Votre leçon est à recommencer. Et que ces rechutes ne vous découragent pas. Ce n’est pas l’œuvre d’un jour de former ou de réformer une âme libre. Il y faut beaucoup de leçons sans doute, des lectures, des maximes écrites, copiées, lues et relues ; mais il y faut surtout des exercices pratiques, des efforts, des actes, des habitudes. Les enfants ont en morale un apprentissage à faire, absolument comme pour la lecture ou le calcul. L’enfant qui sait reconnaître et assembler des lettres ne sait pas encore lire ; celui qui sait les tracer l’une après l’autre ne sait pas écrire. Que manque-t-il à l’un et à l’autre ? La pratique, l’habitude, la facilité, la rapidité et la sûreté de l’exécution. De même, l’enfant qui répète les premiers préceptes de la morale ne sait pas encore se conduire : il faut qu’on l’exerce à les appliquer couramment, ordinairement, presque d’instinct ; alors seulement la morale aura passé de son esprit dans son cœur, et elle passera de là dans sa vie ; il ne pourra plus la désapprendre.

De ce caractère tout pratique de l’éducation morale à l’école primaire, il me semble facile de tirer les règles qui doivent vous guider dans le choix de vos moyens d’enseignement.

Une seule méthode vous permettra d’obtenir les résultats que nous souhaitons. C’est celle que le Conseil supérieur vous a recommandée : peu de formules, peu d’abstractions, beaucoup d’exemples et surtout d’exemples pris sur le vif de la réalité. Ces leçons veulent un autre ton, une autre allure que tout le reste de la classe, je ne sais quoi de plus personnel, de plus intime, de plus grave. Ce n’est pas le livre qui parle, ce n’est même plus le fonctionnaire, c’est pour ainsi dire le père de famille dans toute la sincérité de sa conviction et de son sentiment.

Est-ce à dire qu’on puisse vous demander de vous répandre en une sorte d’improvisation perpétuelle sans aliment et sans appui du dehors ? Personne n’y a songé, et, bien loin de vous manquer, les secours extérieurs qui vous sont offerts ne peuvent vous embarrasser que par leur richesse et leur diversité. Des philosophes et des publicistes, dont quelques-uns comptent parmi les plus autorisés de notre temps et de notre pays, ont tenu à honneur de se faire vos collaborateurs, ils ont mis à votre disposition ce que leur doctrine a de plus pur et de plus élevé. Depuis quelques mois, nous voyons grossir presque de semaine en semaine le nombre des manuels d’instruction morale et civique. Rien ne prouve mieux le prix que l’opinion publique attache à l’établissement d’une forte culture morale par l’école primaire. L’enseignement laïque de la morale n’est donc estimé ni impossible, ni inutile, puisque la mesure décrétée par le législateur a éveillé aussitôt un si puissant écho dans le pays.

C’est ici cependant qu’il importe de distinguer de plus près entre l’essentiel et l’accessoire, entre l’enseignement moral qui est obligatoire, et les moyens d’enseignement qui ne le sont pas. Si quelques personnes, peu au courant de la pédagogie moderne, ont pu croire que nos livres scolaires d’instruction morale et civique allaient être une sorte de catéchisme nouveau, c’est là une erreur que ni vous, ni vos collègues, n’avez pu commettre. Vous savez trop bien que, sous le régime de libre examen et de libre concurrence qui est le droit commun en matière de librairie classique, aucun livre ne vous arrive imposé par l’autorité universitaire. Comme tous les ouvrages que vous employez, et plus encore que tous les autres, le livre de morale est entre vos mains un auxiliaire et rien de plus, un instrument dont vous vous servez sans vous y asservir.

Les familles se méprendraient sur le caractère de votre enseignement moral si elles pouvaient croire qu’il réside surtout dans l’usage exclusif d’un livre même excellent. C’est à vous de mettre la vérité morale à la portée de toutes les intelligences, même de celles qui n’auraient pour suivre vos leçons le secours d’aucun manuel ; et ce sera le cas tout d’abord dans le cours élémentaire. Avec de tout jeunes enfants qui commencent seulement à lire, un manuel spécial de morale et d’instruction civique serait manifestement inutile. À ce premier degré, le Conseil supérieur vous recommande, de préférence à l’étude prématurée d’un traité quelconque, ces causeries familières dans la forme, substantielles au fond, ces explications à la suite des lectures et des leçons diverses, ces mille prétextes que vous offrent la classe et la vie de tous les jours pour exercer le sens moral de l’enfant.

Dans le cours moyen, le manuel n’est autre chose qu’un livre de lectures qui s’ajoute à ceux que vous possédez déjà. Là encore, le Conseil, loin de vous prescrire un enchaînement rigoureux de doctrines, a tenu à vous laisser libre de varier vos procédés d’enseignement : le livre n’intervient que pour vous fournir un choix tout fait de bons exemples, de sages maximes et de récits qui mettent la morale en action.

Enfin, dans le cours supérieur, le livre devient surtout un utile moyen de réviser, de fixer et de coordonner ; c’est comme le recueil méthodique des principales idées qui doivent se graver dans l’esprit du jeune homme.

Mais, vous le voyez, à ces trois degrés, ce qui importe, ce n’est pas l’action du livre, c’est la vôtre. Il ne faudrait pas que le livre vînt en quelque sorte s’interposer entre vos élèves et vous, refroidir votre parole, en émousser l’impression sur l’âme de vos élèves, vous réduire au rôle de simple répétiteur de la morale. Le livre est fait pour vous, non vous pour le livre. Il est votre conseiller et votre guide, mais c’est vous qui devez rester le guide et le conseiller par excellence de vos élèves.

Pour vous donner tous les moyens de nourrir votre enseignement personnel de la substance des meilleurs ouvrages, sans que le hasard des circonstances vous enchaîne exclusivement à tel ou tel manuel, je vous envoie la liste complète des traités d’instruction morale et civique qui ont été, cette année, adoptés par les instituteurs dans les diverses académies ; la bibliothèque pédagogique du chef-lieu de canton les recevra du ministère, si elle ne les possède déjà, et les mettra à votre disposition. Cet examen fait, vous restez libre ou de prendre un de ces ouvrages pour en faire un des livres de lecture habituelle de la classe ; ou bien d’en employer concurremment plusieurs, tous pris, bien entendu, dans la liste générale ci-incluse ; ou bien encore, vous pouvez vous réserver de choisir vous-même, dans différents auteurs, des extraits destinés à être lus, dictés, appris. Il est juste que vous ayez à cet égard autant de liberté que vous avez de responsabilité. Mais quelque solution que vous préfériez, je ne saurais trop vous le redire, faites toujours bien comprendre que vous mettez votre amour-propre, ou plutôt votre honneur, non pas à faire adopter tel ou tel livre, mais à faire pénétrer profondément dans les jeunes générations l’enseignement pratique des bonnes règles et des bons sentiments.

Il dépend de vous, Monsieur, j’en ai la certitude, de hâter par votre manière d’agir le moment où cet enseignement sera partout non seulement accepté, mais apprécié, honoré, aimé, comme il mérite de l’être. Les populations mêmes dont on a cherché à exciter les inquiétudes ne résisteront pas longtemps à l’expérience qui se fera sous leurs yeux. Quand elles vous auront vu à l’œuvre, quand elles reconnaîtront que vous n’avez d’autre arrière-pensée que de leur rendre leurs enfants plus instruits et meilleurs, quand elles remarqueront que vos leçons de morale commencent à produire de l’effet, que leurs enfants rapportent de votre classe de meilleures habitudes, des manières plus douces et plus respectueuses, plus de droiture, plus d’obéissance, plus de goût pour le travail, plus de soumission au devoir, enfin tous les signes d’une incessante amélioration morale, alors la cause de l’école laïque sera gagnée, le bon sens du père et le cœur de la mère ne s’y tromperont pas, et ils n’auront pas besoin qu’on leur apprenne ce qu’ils vous doivent d’estime, de confiance et de gratitude.

J’ai essayé de vous donner, Monsieur, une idée aussi précise que possible d’une partie de votre tâche qui est, à certains égards, nouvelle, qui de toutes est la plus délicate ; permettez-moi d’ajouter que c’est aussi celle qui vous laissera les plus intimes et les plus durables satisfactions. Je serais heureux si j’avais contribué par cette lettre à vous montrer toute l’importance qu’y attache le gouvernement de la République et si je vous avais décidé à redoubler d’efforts pour préparer à notre pays une génération de bons citoyens.

Recevez, Monsieur l’instituteur, l’expression de ma considération distinguée.


Le Président du Conseil,
Ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts,
Jules Ferry.