La Cour nationale du droit d'asile (CNDA) a reconnu la qualité de réfugiés, le 11 juillet 2025, à une femme palestinienne originaire de Gaza et son fils mineur. Les "actes de persécution" dont ils ont été victimes trouvent leur origine dans les "méthodes de guerre" utilisées par l'armée israélienne. La décision permet ainsi aux Palestiniens d'obtenir l'asile parce qu'ils sont palestiniens et, qu'en tant que tels, ils sont persécutés.
Trois procédures
Pour comprendre l'importance de la décision, il est d'abord indispensable de distinguer les trois procédures permettant à un étranger d'obtenir le droit d'asile sur le territoire français. En l'espèce, la première forme, le droit d'asile constitutionnel, n'est pas réellement en cause. Il trouve son fondement dans le Préambule de la Constitution de 1946, repris dans l’article L511-1 ceseda, et affirme que « tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d’asile sur les territoires de la République ». Le droit d’asile constitutionnel concerne donc une personne qui a effectivement subi des persécutions. Elle peut alors bénéficier d'un titre de séjour d'une durée de validité de dix ans.
Dans le cas présent, la requérante et son fils bénéficiaient déjà de la protection subsidiaire, issue de la loi du 10 décembre 2003 est destinée aux étrangers qui sont menacés. Il est ouvert notamment à ceux qui ont à redouter une violence généralisée liée à un conflit armé, ce qui est évidemment le cas des Gazaouis. En l'espèce, la requérante a perdu sa maison située à Beit Lahia, dans le nord de Gaza. Son fils, alors âgé de onze ans, a été gravement blessé aux jambes. Ils ont heureusement été pris en charge par l'ambassade de France, puis exfiltrés en Egypte pour des soins hospitaliers, puis accueillis en France en janvier 2024, avec deux laissez-passer consulaires. La requérante a alors obtenu la protection subsidiaire, et l'on sait que la CNDA avait déjà admis, le 12 février 2024, qu'elle soit accordée à des Gazaouis, du fait de la violence aveugle dont ils étaient victimes. Par la suite, le 13 décembre 2024, elle avait précisé que cette protection subsidiaire était aussi accordée, dans la mesure où la protection sur place de la population palestinienne ne pouvait plus être assurée par l'Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA). Depuis octobre 2024, les agents de l'UNRWA se sont vus interdire l'accès à Gaza par Israël.
Mais la requérante voulait obtenir le droit d'asile conventionnel qui lui offrait la qualité de réfugié et le titre de séjour de dix ans qui lui est attaché. Celui-ci trouve son origine dans la Convention de Genève du 28 juillet 1951, à laquelle la France est partie. Elle énonce que le terme « réfugié » « s’applique à toute personne (…) qui (…) craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ». Le statut de réfugié est alors accordé, sur le fondement direct de la Convention de Genève, à une personne menacée de persécutions. C'est précisément ce droit d'asile conventionnel que la CNDA confère à la requérante dans sa décision du 11 juillet 2025, alors même qu'elle ne bénéficie pas de la protection de l'ONU.
Pour prendre cette décision, la CNDA s'appuie sur deux motifs essentiels.
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La violence de l'armée israélienne
Le premier réside dans la violence des méthodes de guerre israéliennes dans la bande de Gaza. La CNDA rend une décision fortement documentée, s'appuyant notamment sur les rapports du Comité spécial des Nations Unies chargé d'enquêter sur les pratiques israéliennes affectant les droits de l'homme du peuple palestinien dans les territoires occupés, sur le rapport sur la situation dans la bande de Gaza du Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies (OCHA), et enfin sur le point de situation établi par l'UNWRA en juin 2025. Tous ces documents sont publics et accessibles sur internet. La CNDA s'appuie ainsi sur les rapports des organisations internationales, écartant ceux des ONG.
Quoi qu'il en soit, la CNDA note que le dernier rapport de l'OCHA, daté du 18 juin 2025, faisait état de 55 617 morts au 22 mars 2025, dont 8 304 femmes et 15 613 enfants, ainsi que de 129 880 blessés. Les infrastructures sont détruites, notamment 89 % des installations d'eau et d'assainissement. Quant aux hôpitaux, sur les 36 que comptait le territoire, une vingtaine ne sont plus opérationnels, et les autre ne le sont que partiellement. 70 % des bâtiments scolaires ont disparu et avec eux, les personnes qui les utilisaient comme refuges. A ce désastre s'ajoute la faim, et la CNDA relève que 54 % de la population de Gaza se trouve dans une situation d'urgence alimentaire.
La CNDA se réfère également à la jurisprudence de la Cour internationale de Justice qui, dans trois ordonnances des 26 janvier, 28 mars et 24 mai 2024 dans l'affaire relative à l'application de la Convention pour la prévention et la répression du génocide dans la bande de Gaza, a enjoint aux autorités israéliennes de prendre des mesures conservatoires pour empêcher que soient commis à l'encontre des Palestiniens de Gaza, des actes entrant dans le champ d'application de cette convention.
La lecture de la décision révèle une motivation soignée, qui montre que les méthodes de guerre employées par Tsahal ne témoignent d'aucun souci de préserver les populations civiles.
Si la violence aveugle d'une armée pouvait déjà justifier la protection subsidiaire, elle peut désormais fonder l'octroi de la qualité de réfugié.
La "nationalité" palestinienne
La décision du 11 juillet 2025 repose sur un second motif qui, bien souvent, n'a pas été compris par les commentateurs. Certains ont en effet affirmé que la CNDA reconnaissait l'existence d'une nationalité palestinienne. Il faut cependant s'attarder un peu sur la formulation exacte de la décision. Il n'est pas contesté que les requérants sont des "apatrides palestiniens" mais la CNDA affirme qu'ils "possèdent les caractéristiques liées à une "nationalité" au sens de l'article 1er A 2 de la Convention de Genève. Ces caractéristiques ont été précisées par la directive européenne du 13 décembre 2011 qui définit les critères permettant d'obtenir la qualité de réfugié au sein de l'Union européenne. Son article 10 énonce ainsi que "la notion de nationalité ne se limite pas à la citoyenneté ou à l’inexistence de celle-ci, mais recouvre, en particulier, l’appartenance à un groupe soudé par son identité culturelle, ethnique ou linguistique, ses origines géographiques ou politiques communes, ou sa relation avec la population d’un autre État". Pour la directive européenne, la nationalité peut être latente, définie en réalité par le sentiment d'appartenance de la population à un même groupe. N'est-ce pas finalement la définition traditionnelle de la nation ?
La CNDA se réfère ainsi à cette nationalité latente qui trouve d'ailleurs des échos dans le droit positif. Au plan international, certains gouvernement reconnaissent déjà la Palestine comme État. La France, quant à elle, toujours aussi peu cohérente dans ses choix, se déclare favorable à une solution "à deux États", mais ne va pas jusqu'à reconnaître la Palestine. Au plan interne, on sait que l'Autorité palestinienne délivre des passeports à ses ressortissants, ce qui ne signifie pas qu'ils soient universellement reconnus La CNDA ne consacre donc pas une nationalité palestinienne, mais reconnaît qu'une nationalité palestinienne pourrait être reconnue, au sens de la directive du 13 décembre 2011.
La CNDA a pris une décision courageuse qui doit être saluée comme telle. Il reste tout de même à s'interroger sur ses conséquences concrètes. Combien de Palestiniens pourraient, dans l'état actuel des choses, déposer une demande d'asile en France ? Tous les ressortissants étrangers ont quitté la Palestine, et les Palestiniens vivent dans un territoire minuscule devenu une prison à ciel ouvert, déplacés, bombardés, affamés et gardés par une armée israélienne qui ne laisse personne sortir. Combien seront-ils à pouvoir demander l'asile ?
Le droit d'asile : Manuel de Libertés publiques version E-Book et version papier, chapitre 5, section 2 § 1 A
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