« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


mercredi 23 juillet 2025

Le droit d'asile n'est pas un "principe inhérent"


La décision QPC Association Cimade et a. du 27 juin 2025 rendue par le Conseil constitutionnel est une décision de non-lieu à statuer. On pourrait en déduire que si il refuse de se prononcer sur la question qui lui est posée, c'est sans doute qu'elle ne présente aucun intérêt, mais, en l'espèce, ce n'est pas le cas.

 

Une QPC sans perspective 

 

Le Conseil était saisi des articles L 572-1 et de l’article L. 572-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (ceseda). Ces dispositions portent sur la procédure de transfert d'un étranger vers le pays responsable de l'instruction de sa demande d'asile, lorsque précisément ce pays ne respecte pas ses engagements dans ce domaine. Les associations requérantes souhaitaient obtenir une injonction du ministre de l'Intérieur demandant à ses services de délivrer une attestation de demande d'asile à tous les étrangers dont le dossier aurait dû être géré par l'Italie, puisque ce pays ne respecte plus la procédure européenne. On doit rappeler en effet que le gouvernement italien a annoncé, le 5 décembre 2022, une "suspension temporaire" des transferts Dublin vers l’Italie, suspension motivée par la “saturation des structures d’accueil destinées aux demandeurs d’asile”. En clair, l'Italie ne veut plus accueillir les "dublinés".

Certes, mais avouons que la demande de la Cimade n'est pas réellement dans l'air du temps, et qu'il y avait bien peu de chances que le ministre de l'Intérieur délivre à ses services une injonction de ce type. Les associations requérantes ont donc fait un recours  contre ce refus devant le Conseil d'État, à l'occasion duquel elles ont déposé une QPC portant sur ces dispositions. Le Conseil constitutionnel note que le droit positif laisse subsister la compétence appartenant à tout État membre de l'Union européenne d'accorder l'asile à un ressortissant étranger, quand bien le système Dublin donnerait à un autre État la compétence d'instruction de droit commun, établie en fonction du lieu d'entrée de l'étranger sur le territoire de l'Union.  Le fait d'instruire une demande d'asile, et de l'accorder, est donc une faculté, mais ce n'est pas une obligation. L'attitude de l'Italie est sans influence sur les dispositions législatives contestées et la QPC n'avait donc aucune raison de prospérer.

 


The Immigrant. Charlie Chaplin. 1917 

 

La définition des PIIC

 

La décision présente tout de même un intérêt. Les requérants invoquaient en effet l'existence d'un principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France (PIIC), en l'occurrence le droit d'asile. Mais cette analyse est sèchement écartée par le Conseil, ce qui lui permet de préciser la notion de PIIC. 

Dès sa décision du 10 juin 2004, le Conseil constitutionnel se déclarait incompétent pour connaître de la conformité à la Constitution de dispositions législatives "qui se bornent à tirer les conséquences nécessaires de dispositions inconditionnelles et précises", c'est-à-dire d'effet direct d'une directive. Mais, dans cette même décision, il affirmait déjà qu'il pourrait exercer un contrôle si la loi de transposition contenait une "disposition expresse contraire à la Constitution".

La  notion de principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France a ensuite été forgée par le Conseil constitutionnel comme un instrument lui permettant d'affirmer la primauté de la constitution sur le droit dérivé européen. Elle est mentionnée pour la première fois  dans la décision du 27 juillet 2006 sur la loi relative au droit d'auteur dans la société de l'information. Le Conseil affirme alors très clairement que "la transposition d'une directive ne saurait aller à l'encontre d'une règle ou d'un principe inhérent à l'identité constitutionnelle de la France, sauf à ce que le constituant y ait consenti".

Cette jurisprudence a ensuite été élargie, au-delà des seules directives, au traité CETA, Accord économique global passé entre le Canada et l'Union européenne et ses États membres. Le Conseil constitutionnel a été saisi de la loi autorisant sa ratification et, dans sa décision du 31 juillet 2017, il rappelle qu'il lui appartient de déterminer si cette procédure impose une révision constitutionnelle. Dans le cas des stipulations de l'Accord relevant d'une compétence exclusive de l'Union européenne, il précise qu'il lui appartient de "veiller  à ce qu'elles ne mettent pas en cause une règle ou un principe inhérent à l'identité constitutionnelle de la France".

Mais c'est seulement avec la décision du 15 octobre 2021 Société Air France qu'un PIIC est clairement affirmé, qui interdit de déléguer à des personnes privées des compétences de police administrative générale inhérentes à l’exercice de la force publique. La QPC du 27 juin 2025 visait donc à faire reconnaître le droit d'asile comme un second PIIC. C'est donc un échec.

 

Le droit d'asile garanti par la Constitution

 

Précisément, le Conseil constitutionnel explique clairement les motifs de son refus d'admettre ce second PIIC, précisant au passage la définition qu'il donne à ces principes inhérents. Il fonde en effet son refus sur le fait que le droit d'asile est protégé par le droit de l'Union européenne. L'article 18 de la Charte des droits fondamentaux de l'UE affirme ainsi qu'il est "garanti dans le respect des règles de la convention de Genève du 28 juillet 1951 et du protocole du 31 janvier 1967 relatifs au statut des réfugiés et conformément au traité sur l'Union européenne et au traité sur le fonctionnement de l'Union européenne". Le droit européen s'est donc approprié les textes protégeant le droit d'asile, en particulier la convention de Genève.

Or, pour qu'il y ait consécration d'un "principe inhérent à l'identité constitutionnelle de la France", il est nécessaire qu'il ne soit pas protégé par le droit de l'Union. L'exclusion est logique si l'on considère que le PIIC a précisément été créé pour faire prévaloir les principes constitutionnels sur le droit dérivé de l'Union. L'analyse est très proche de celle adoptée par le Conseil d'État qui, dans son arrêt du 21 avril 2021 French Data Network, s'est autorisé à « vérifier que le respect du droit européen tel qu’interprété par la CJUE ne compromettait pas les exigences de la Constitution française ».

Bien entendu, cette définition aura pour conséquence de réduire considérablement le champ des PIIC. Mais en l'espèce, la restriction apportée à leur définition est sans aucune influence, car le droit d'asile, figurant dans le Préambule de 1946, a déjà valeur constitutionnelle depuis bien longtemps. Sur ce point, le Conseil constitutionnel a bien choisi sa décision. La QPC n'avait aucune chance de succès et s'est terminée par un non-lieu à statuer, le droit d'asile n'est pas atteint dans son essence même... Bref, la décision idéale pour préciser la définition des "principes inhérents", sans aucune conséquence concrète. Si on ne connaissait pas la Cimade et le Gisti, on pourrait presque penser que ces associations se sont entendues pour offrir au Conseil constitutionnel une belle opportunité. 


Le droit d'asile : Manuel de Libertés publiques version E-Book et version papier, chapitre 5,  section 2 § 1 A

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