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« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.
lundi 30 septembre 2019
4e Journée des Libertés : La télévision : les libertés en images
dimanche 29 septembre 2019
GPA : Trois hommes et un couffin
Une situation complexe
Le volet civil
En l'espèce, l'analyse ne peut manquer de surprendre. Car la si la convention passée par le couple d'homosexuels est entachée d'une nullité telle que la reconnaissance de M. Z. est également nulle, celle passée par M. et Mme Y. est, en quelque sorte, validée par la Cour de cassation, et la paternité de M. Y,, même sans lien biologique avec un enfant qu'il a acheté pour 15 000 €. Avouons que la sévérité à l'égard de M. X. n'a d'égale que l'indulgence à l'égard de M. Y.
Une victime directe
Des dégâts collatéraux
jeudi 26 septembre 2019
Le droit à l'oubli, un droit européen
La Cour était saisie d'une question préjudicielle posée par le Conseil d'Etat, lui-même saisi par quatre requérants qui s'étaient vu refuser le déréférencement de certaines données sensibles par Google. La CNIL, agissant au nom du G29, c'est-à-dire d'un groupe réunissant l'ensemble des autorités de protection européennes, a mis en demeure Google de procéder au déréférencement sur l'ensemble de ses moteurs de recherche. En l'absence de réponse positive, le 10 mars 2016, elle a condamné Google à une amende de 100 000 €. Cette sanction est contestée par Google, et c'est à l'occasion de ce recours que le Conseil d'Etat a posé la présente question préjudicielle, demandant si le droit à l'oubli s'applique aux seuls moteurs de recherche utilisés dans les Etats de l'Union, ou à l'ensemble des moteurs gérés par Google, y compris hors territoire européen.
Oubli, déréférencement, effacement
Elle exige ensuite de Google le déréférencement d'articles de presse remontant à 1998 et mentionnant la vente sur saisie des biens appartenant au requérant, alors lourdement endetté. A l’époque, la CJUE déduisait le droit à l'oubli a directive européenne du 24 octobre 1995 qui consacrait alors un droit de rectification des données inexactes ou incomplètes. C'est ce texte qui était en vigueur au moment du recours qui a donné lieu à la présente question préjudicielle.
Territorialité du droit à l'oubli
Pour la CNIL, le droit de l'Union européenne, tant la directive de 1995 en vigueur à l'époque des faits que l'actuel RGPD, entend "éviter qu’une personne soit exclue de la protection garantie (...) et que cette protection soit contournée, en prévoyant un champ d’application territorial particulièrement large". Elle appuie cette analyse sur les considérants 18 à 20 de l'exposé des motifs de la directive qui mentionnent notamment que "l'établissement, dans un pays tiers, du responsable du traitement de données ne doit pas faire obstacle à la protection des personnes prévue par la présente directive". Ces dispositions sont toutefois dépourvues de réelle puissance juridique.
La CNIL insiste sur le fait que si les garanties ne s'appliquent pas à l'ensemble des traitements mis en oeuvre par l'entreprise, celle-ci sera évidemment tentée de se soustraire aux obligations imposées par l'Union européenne en ne les rendant accessibles qu'à partir d'un site installé dans un Etat tiers. La CNIL raisonne donc à partir de la notion de personne responsable du traitement, dès lors que ce traitement conserve et diffuse les données des internautes européens.
Cette analyse n'est pas sans écho jurisprudentiel. Dans un arrêt L'Oréal c. e-Bay du 12 juillet 2011, la CJUE avait été saisie de la licéité de l'offre de vente sur un site marchand américain de produits accessibles sur le territoire européen, sans le consentement des marques concernées. Elle avait alors considéré que le droit de l'Union s'appliquait dès lors que cette offre de vente était "destinée aux consommateurs situés sur le territoire couvert par la marque". Peu importe donc que le site marchand soit situé aux Etats-Unis, dès lors que les produits sont proposés sur le territoire de l'UE.
dimanche 22 septembre 2019
Visioconférence à l'audience et bonne administration de la justice
Disons-le clairement, cette décision du Conseil constitutionnel n'aura aucun impact sur le droit positif, dans la mesure où l'ordonnance du 1er décembre 2016 a supprimé le régime juridique particulier du contentieux de la mise en liberté, et soumet donc la visioconférence au consentement du demandeur. Les contentieux antérieurs ne se sont pas éteints pour autant et les opposants aux audiences par visioconférence, et notamment le syndicat des avocats de France intervenant à la QPC, comme le syndicat de la magistrature et la Ligue des droits de l'homme, ont su les utiliser à bon escient. Leur combat n'aurait rien de surprenant, s'il n'avait reçu l'appui aussi inattendu qu'involontaire de l'actuelle Garde des Sceaux, Mme Belloubet.
La décision du 21 mars 2019
Dans sa décision du 21 mars 2019, rendu à propos de la loi Belloubet de programmation pour la justice, le Conseil a en effet censuré son article 54 qui accroissait considérablement la possibilité de recours à la visioconférence sans consentement de l'intéressé, en l'élargissant à tout le contentieux de la prolongation de la détention provisoire.
Le Conseil avait alors écarté la justification apportée par le législateur qui entendait "contribuer à la bonne administration de la justice et au bon usage des deniers publics, en évitant les difficultés et les coûts occasionnés par l'extraction de la personne". A ses yeux, une telle procédure imposée à l'intéressé portait une atteinte excessive aux droits de la défense que le seul intérêt financier de l'Etat ne saurait justifier. Et le Conseil d'insister sur l'important de la "présentation physique de l'intéressé devant le magistrat".
En voulant ainsi généraliser les audiences par visioconférence en matière de détention provisoire, la loi Belloubet a ainsi indirectement permis le contrôle du Conseil constitutionnel sur l'article 706-71-3. Ses détracteurs avaient effet, à quatre reprises, obtenu qu'une QPC soit transmise à la Cour de cassation. Mais la Cour avait rendu quatre décisions de refus de renvoi. Elle considérait alors, invariablement, que "le recours à la télécommunication audiovisuelle" était "une modalité de la comparution personnelle". Mais la décision rendue par le Conseil le 21 mars 2019 s'analysait comme un changement de circonstances de droit susceptible de justifier un renvoi, et c'est précisément ce qu'a décidé la Cour, dans une décision du 26 juin 2019.
La bonne administration de la justice
Si le requérant, et tous ceux qui soutenaient son recours, ont obtenu une déclaration d'inconstitutionnalité, ils n'ont pourtant pas remporté une franche victoire. Le Conseil ne déclare pas que l'audience par visioconférence constitue, en soi, une procédure inconstitutionnelle. Au contraire, il s'étend longuement sur l'article 199 du code de procédure pénale qui permet au président de la chambre de l'instruction de refuser d'entendre une personne qui a déjà comparu depuis moins de quatre mois. Mais celui-ci peut renoncer à cette procédure s'il estime nécessaire d'entendre la personne détenue, "notamment par un moyen de télécommunication audiovisuelle". Autrement dit, la visioconférence incite le juge à entendre une personne qui, autrement, n'aurait pas été entendue.
Surtout, le Conseil affirme clairement que la visioconférence "vise à éviter les difficultés et les coûts occasionnés par les extractions judiciaires. Ces dispositions "contribuent ainsi à la bonne administration de la justice et au bon usage des deniers publics ". La justice bien administrée est donc celle qui coûte le moins cher possible. Et maintenir une personne devant un écran dans les locaux pénitentiaires ne coûte pratiquement rien.
La notion de "bonne administration de la justice" a été affirmée comme objectif à valeur constitutionnelle, avec une référence improbable aux articles 14 et 15 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, dans une décision du 28 décembre 2006. Cette construction initiée par le Cosneil a été utilisée à de nombreuses reprises, par exemple en QPC le 16 septembre 2011 pour justifier le recours à des peines plancher pour sanctionner les infractions graves au code de la route. Il s'agissait alors de désencombrer les prétoires.
Dans sa décision du 6 septembre 2018 relative à la loi asile et immigration, le Conseil ajoute la préoccupation financière, estimant que l'audience vidéo en matière d'asile n'empêche pas, en soi, l'exercice des droits de la défense, et n'entrave pas le droit au respect équitable. Au contraire, elle repose sur "le bon usage des deniers publics". La "bonne administration de la justice" justifie ainsi des législations qui n'ont pas d'autre objet que d'éponger un contentieux abondant à un moindre coût.
Tel est le cas en l'espèce, et le Conseil ne manque pas de rappeler qu'une personne en détention provisoire peut former une demande de mise en liberté à tout moment, sur le fondement de l'article 148 cpp. La Chambre de l'instruction peut donc être saisie très fréquemment, soit par voie d'appel, soit si le juge des libertés et de la détention n'a pas statué dans le délai imparti, soit si la personne détenue n'a pas été entendue depuis quatre mois par le juge d'instruction.
Dans le cas présent toutefois, le Conseil exerce un contrôle de proportionnalité entre l'atteinte portée aux droits de la défense du demandeur et l'impératif constitutionnel de "bonne administration de la justice". Il observe qu'en matière criminelle, la prolongation de la détention provisoire peut intervenir une année entière après l'incarcération, aux termes de l'article 145-2 cpp. Les conséquences d'une audience par vidéoconférences seraient alors trop lourdes pour un prévenu ainsi privé d'une présentation physique devant le juge. C'est donc le seul cas de ces personnes qui est pris en considération pour déclarer inconstitutionnelles les dispositions de l'article 706-71-3.
Une cote mal taillée
Certes, le Conseil constitutionnel pose un frein au développement considérable de l'audience par visioconférence, tentation incontestable dans une période où l'on attend de la justice qu'elle fonctionne avec des moyens humains et matériels extrêmement dégradés. Mais force est de constater qu'il n'envisage l'atteinte aux droits de la défense que par le petit bout de la lorgnette. Il oublie, étrangement, de s'intéresser à la procédure qui entoure l'audience. Or le problème essentiel réside dans le fait que le détenu est seul devant un écran, dans l'établissement pénitentiaire, alors que son avocat, lui, se trouve dans la salle d'audience. Ils ne peuvent donc communiquer directement, et les droits de la défense sont alors réduits à une sorte de jeu de rôle. Mais discuter de ce point reviendrait à remettre en cause l'ensemble des audiences organisées de cette manière, et c'est précisément ce que ne veut pas le Conseil. Sa décision du 20 septembre 2019 prend ainsi l'allure d'une cote mal taillée, hésitant entre la protection des droits de la défense et les contraintes liées à la misère de la justice.
Sur la détention provisoire : Chapitre 4 , Section 2 § 1 C du manuel de Libertés publiques sur internet.
mardi 17 septembre 2019
Les "décrocheurs" devant le Président Magnaud
La fin de l'offense au Chef de l'Etat
L'état de nécessité
Le caractère actuel ou imminent du danger
La condition de proportionnalité
vendredi 13 septembre 2019
Droit de grève et service minimum dans les transports : quelques questions
Le droit de grève
Dans le metro. Louis Latapie. 1891-1972 |
Le transport terrestre
lundi 9 septembre 2019
Le droit d'épouser son ex-belle soeur
Le code civil grec porte-t-il atteinte au droit au mariage "dans sa substance même" ? La CEDH répond positivement à cette question, et avance trois arguments essentiels.
La décence et l'institution de la famille
Le premier réside dans la rigueur extrême du droit grec. Il considère en effet que l'interdiction du mariage entre alliés jusqu'au troisième degré subsiste après la dissolution du mariage. Alors même que M. Theodorou avait divorcé de Mme P.T., le lien avec la famille de cette dernière subsistait, et Mme Tsotsorou demeurait sa belle-soeur, du moins au regard du droit grec. Pour les autorités grecques, cette règle "sert la décence et l'institution de la famille" et doit éviter les confusions entre lien et degré de parenté ainsi qu'entre les générations. Peut-être s'agit-il aussi, même si les autorités grecques n'en ont pas fait mention, d'une volonté de limiter autant que possible les conséquences du divorce, considéré comme destructeur de la famille traditionnelle.
La CEDH reconnaît évidemment que les Etats peuvent limiter le droit de contracter mariage, lorsque le consentement est vicié, ou pour prévenir la bigamie ou la consanguinité. Dans sa décision O'Donoguhe et autres c. Royaume Uni du 14 décembre 2011 elle précise même que des restrictions peuvent intervenir pour lutter contre les mariages blancs. Encore faut-il toutefois que ces limitations n'aient pas pour effet d'enlever à une personne ou à une catégorie de personnes la capacité juridique de contracter mariage.
En l'espèce, "la décence et l'institution de la famille" ne sont pas concernées. M. Theodorou et Mme Tsotsorou ont vu leur mariage définitivement annulé dix ans après qu'il été célébré. Depuis cette date, ils vivent ensemble, hors les liens du mariage, puisque, en tout état de cause, ils ne peuvent pas faire autrement. On doit alors s'interroger sur les dispositions du droit grec qui invoquent "la décence et l'institution de la famille"... pour transformer un couple marié en couple illégitime. La CEDH fait d'ailleurs observer qu'il ne ressort pas du dossier que la fille issue du premier mariage de M. Theodorou souffre d'une "insécurité émotionnelle" suscitée par cette situation. En tout état de cause, les motifs invoqués par les autorités grecques pour justifier cette règle semblent bien légers par rapport à la brutalité de la dissolution d'un mariage.
Le consensus
Le second argument de la CEDH se trouve dans l'existence d'un consensus européen en matière d’empêchement au mariage des (anciens) belles-sœurs et beaux-frères. Seulement deux Etats membres, l'Italie et Saint-Marin, interdisent une telle union. Encore cette prohibition n'est-elle pas absolue et les intéressés peuvent demander aux juges de leur accorder une dérogation. Aucun, à l'instar de la Grèce, n'impose une interdiction absolue et définitive.
Observons à ce propos que ce n'est pas la première fois que la Cour constate une certaine forme de marginalisation du droit grec. Dans l'arrêt Vallianatos et autres du 7 novembre 2013, elle avait ainsi sanctionné comme discriminatoire l'absence totale de pacte de vie commune pour les homosexuels.
Une nullité a posteriori
Le droit grec est d'autant plus sanctionné par la Cour qu'en l'espèce, la nullité du mariage a été prononcée a posteriori, sur recours de la première épouse du requérant, recours déposé cinq mois après la célébration. Les autorités compétentes avaient autorisé le mariage, contrairement à l'affaire B. et L. c. Royaume Uni de 2005, dans laquelle l'administration britannique avait prononcé l'interdiction préalable d'un mariage entre une femme et le fils de son premier mari. Quant à la première épouse, Mme P.T., elle n'avait aucunement protesté lors de la publication des bans, alors même que cette publicité est précisément destinée à permettre d'éventuels recours.
Le troisième argument de la CEDH doit donc être recherché dans la légèreté des autorités grecques, car, selon le code civil, il leur appartenait d'apprécier la régularité du mariage. Or, elles n'ont pas effectué ce contrôle, et le couple s'est ainsi trouvé confronté à l'annulation de son mariage dix ans après sa célébration. Il est vrai que ce contentieux a eu au moins l'avantage de provoquer la sanction de la norme elle-même et non pas de la procédure organisant sa mise en oeuvre.
Peu à peu, au fil des jurisprudences, la CEDH élabore ainsi un standard européen du mariage. Certes, les Etats jouissent encore d'une marge d'appréciation et ils peuvent prévoir un traitement différent selon qu'un couple est marié ou non, par exemple en matière fiscale ou sociale. En revanche, ils ne peuvent restreindre de manière radicale le droit de se marier, pour des motifs relevant d'une morale sociale ou religieuse dont il n'est pas certain qu'elle fasse consensus au sein de la société. Cette décision s'inscrit ainsi dans un mouvement jurisprudentiel qui vise à considérer le mariage, non plus comme une institution sociale destinée à protéger la famille mais comme un droit individuel, un facteur d'épanouissement de la vie privée. Une vision que les autorités grecques considéreront peut-être comme peu orthodoxe.
Sur la liberté du mariage : Chapitre 8, Section 2 § 1 du manuel de Libertés publiques sur internet.
samedi 7 septembre 2019
La libération conditionnelle devant le Conseil constitutionnel
Cette disposition est issue de la loi du 3 juin 2016 et il s'agissait, on l'a compris, de renforcer les mesures de lutte contre le terrorisme et d'empêcher que des personnes condamnées sur ce fondement soient libérées sans contrôle de leur dangerosité. En soi, l'objectif n'a rien de choquant. Le problème, car il y a évidement un problème, est que les rédacteurs du texte ne se sont pas préoccupés de son articulation avec le droit existant, et notamment avec l'article 729-2 cpp. Celui-ci énonce que lorsqu'un étranger condamné à une peine d'emprisonnement est l'objet d'une mesure d'éloignement, sa libération conditionnelle est subordonnée à la condition que cette mesure soit exécutée. Elle est alors décidée sans son consentement.
Si l'on associe les deux textes, on s'aperçoit que l'étranger condamné pour terrorisme et faisant l'objet d'une décision d'éloignement ne peut pas demander une mesure de libération conditionnelle. Celle-ci devient irrecevable, dès lors que, devant être éloigné, il ne peut effectuer la période probatoire obligatoire. La situation est évidemment particulièrement dérogatoire pour ceux qui sont condamnés à perpétuité. Ne pouvant déposer de demande de libération conditionnelle, ils se trouvent ainsi dans une situation de perpétuité réelle, situation que les auteurs de la loi n'avaient même pas envisagée.
La nécessité de la peine
En l'espèce, le Conseil constitutionnelle déclare inconstitutionnelles les dispositions de l'article 730-2-1. Alors qu'il était invité par les avocats requérants à se placer sur le fondement de la dignité de la personne, il s'appuie, de manière plus classique, sur le principe de nécessité de la peine qui trouve son origine dans l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Il estime en effet que ces dispositions privent les étrangers condamnés pour des faits de terrorisme de toute possibilité d'aménagement de peine, "en particulier dans le cas où elles ont été condamnées à la réclusion criminelle à perpétuité, elles sont manifestement contraires au principe de proportionnalité des peines".
Certes, le Conseil reconnaît, notamment dans sa décision QPC du 25 novembre 2011, qu'il n'a pas "un pouvoir général d'appréciation et de décision que celui du Parlement". Mais il doit néanmoins s'assurer de l'"absence d'inadéquation manifeste" entre l'infraction et la peine. En l'espèce, le Conseil élargit cette appréciation au régime juridique d'exécution de la peine privative de liberté. Il fait observer que celui ci repose non seulement sur une volonté de protéger la société et d'assurer la punition du condamné, mais aussi de favoriser son éventuelle insertion. Or, les Français condamnés pour terrorisme peuvent solliciter une libération conditionnelle, alors que les étrangers se voient interdire une telle possibilité. Aux yeux du Conseil, la disproportion entre les deux régimes est excessive.
La perpétuité réelle
De fait, le Conseil se prononce pour la première fois sur la peine de perpétuité, même s'il se borne à affirmer que cette absence de possibilité de demander une libération conditionnelle s'applique "en particulier" aux personnes ainsi soumises à une perpétuité réelle. Certes, il ne condamne pas la perpétuité réelle, question dont il n'est pas saisi. Il se borne à affirmer que cette perpétuité réelle ne peut, en tout état de cause, pas intervenir par le seul résultat d'une décision d'irrecevabilité rendue par un tribunal d'application des peines.
On peut tout de même y voir un élément du dialogue des juges. En effet, dans un arrêt Vinter c. Royaume-Uni, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) note que le droit des Etats membres en matière pénale vise à la fois à punir des infractions et à "oeuvrer à la réinsertion des condamnés", y compris ceux condamnés à perpétuité. La législation interne ne doit donc pas interdire, "de manière absolue et avec un effet automatique, l’accès à la libération conditionnelle (...)". Il n'existe donc pas réellement de droit à la libération conditionnelle, mais il existe un droit de la demander, en quelque sorte un droit d'avoir l'espoir de sortir un jour de prison. L'arrêt Marcello Viola c. Italie du 13 juin 2019 reprend clairement ce principe, à propos cette fois les peines d'emprisonnement à perpétuité prononcées contre les auteurs de crimes mafieux.
In fine, le Conseil constitutionnel décide l'abrogation de la disposition litigieuse, mais prend la précaution de la reporter au 1er juillet 2020. Il s'agit évidemment de permettre au Parlement de résoudre cette contradiction entre les normes. Reste que l'on imagine mal qu'il décide d'appliquer une peine de perpétuité réelle à l'encontre des étrangers, surtout s'ils peuvent faire l'objet d'une mesure d'éloignement. Il est donc très probable qu'ils pourront désormais demander une libération conditionnelle, qui permettra en pratique de procéder à cet éloignement.
Sur le droit des étrangers : Chapitre 5, Section 2 du manuel de Libertés publiques sur internet.