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« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.
samedi 29 février 2020
Les Invités de LLC : Serge Sur : L'article 49. 3 n'est nullement l'instrument d'un régime autoritaire
jeudi 27 février 2020
Affaire Fillon : L'échec attendu des QPC
La prescription
Le détournement de fonds publics
mardi 25 février 2020
Cartes SIM prépayées : l'étau se resserre
Les cartes prépayées
Placide. Médiapart, 19 avril 2016 |
Les données à caractère personnel
L'article 2 de la convention européenne sur la protection des données définit comme donnée à caractère personnel "toute information concernant une personne physique identifiée ou identifiable". Une jurisprudence constante de la CEDH considère donc que la collecte, la conservation et l'utilisation de données personnelles constituent des ingérences dans la vie privée. Il en ainsi, par exemple, en matière d'utilisation du GPS dans les enquêtes criminelles (CEDH, 2 septembre 2010, Uzun c. Allemagne), de l'exigence de communication de données personnelles par les fournisseurs d'accès (CEDH, 2 décembre 2008, K.U. c. Finlande), de fichier d'empreintes digitales (CEDH, 13 novembre 2012, S. and Marper c. Royaume Uni) ou encore des fichier des auteurs de violences sexuelles (CEDH, 17 décembre 2009, Gardel c. France).
Cette ingérence dans la vie privée est toutefois parfaitement licite si elle est organisée par la loi, répond à un but légitime, et se révèle "nécessaire dans une société démocratique". En l'espèce, la collecte des données sur les acheteurs de cartes prépayées est prévue par la loi allemande. Le but légitime n'est pas contesté, puisqu'il s'agit à la fois de poursuivre les auteurs d'infractions pénales et de lutter préventivement contre le terrorisme.
Le contrôle de proportionnalité
Reste le caractère "nécessaire dans une société démocratique", appréciation qui est réalisée par un contrôle de proportionnalité. La CEDH va donc s'assurer que l'ingérence dans la vie privée que constitue cette collecte de donnée est proportionnée aux buts annoncés. Dans plusieurs arrêts, et notamment Ramda c. France du 19 décembre 2017, la Cour affirme que la lutte contre le crime organisé et le terrorisme constitue une ardente nécessité. L'évolution des télécommunications requiert, quant à elle, de nouveaux instruments d'investigation, nécessité formulée dans l'arrêt Marper c. Royaume-Uni.
En l'espèce, les requérants font valoir que cette contrainte d'identification des acheteurs de carte SIM prépayée peut être contournée par l'usage d'une carte volée ou d'un faux nom. Aux yeux de la CEDH, un tel argument ne permet pas de contester l'utilité de cette procédure qui a pour objet de renforcer les moyens de l'Etat de droit.
Les requérants invoquent aussi la décision rendue par la Cour de justice de l'Union européenne le 8 avril 2014 Digital Rights Ireland, dans laquelle le juge européen écarte une directive de 2006 qui mettait en place une collecte de masse des données privées figurant sur internet, et spécialement les réseaux sociaux. Il s'agissait alors d'effectuer un profilage des individus, en particulier au profit des entreprises privées actives sur le net, par exemple pour mieux connaître leurs habitudes de consommations et davantage cibler les actions de promotion. Mais dans l'affaire Breyer devant la CEDH, les données collectées ne sont pas particulièrement sensibles et de ne permettent pas d'établir des profils de comportement. La conservation des données est limitée dans le temps (un an après la fin de la relation contractuelle avec l'entreprise qui a vendu la carte SIM), durée qui semble opérer une conciliation satisfaisante entre les besoins de la police et la protection des données personnelles. Au regard de ces considérations, la CEDH estime donc que la loi allemande ne porte pas une atteinte excessive à la vie privée.
Et qu'en est-il du droit français ? Le décret du 10 novembre 2016 relatif à la lutte contre le financement du terrorisme, entré en vigueur le 1er janvier 2017, impose désormais une déclaration lors de l'achat d'une carte prépayée. Elle peut toutefois intervenir a posteriori, par l'envoi au fournisseur de la copie d'une pièce d'identité. Si cette procédure n'est pas respectée, la carte SIM sera désactivée dans un délai de quinze jours. On peut évidemment s'interroger sur l'efficacité du système : n'est-il pas possible d'envoyer la copie d'une fausse pièce d'identité, ou de celle d'un tiers ? N'est-il pas plus simple, si l'on est animé d'intentions plus ou moins honnêtes, d'acheter dans des circuits plus ou moins opaques une carte volée ou venant de l'étranger ? Bref, les lacunes de législations demeurent importantes et les Paul Bismuth en tous genres ont sans doute encore de beaux jours devant eux.
mercredi 19 février 2020
Le Conseil d'Etat à rebrousse-poil
L'obligation de neutralité
"Une manifestation claire des convictions"
L'argument laisse un peu songeur, car l'intéressé n'avait pas nié que son système pileux avait précisément pour objet de manifester sa religion. Il semble que le Conseil d'Etat refuse de considérer cet élément comme déterminant, s'interdisant ainsi de pénétrer dans la subjectivité de l'intéressé. Peut-être aussi considère que cette absence de dénégation n'est pas suffisante, le médecin égyptien n'ayant pas affirmé positivement sa volonté de prosélytisme.
Les considérations d'hygiène et de sécurité
Cette jurisprudence aura sans doute pour conséquence d'inciter les services concernés à user d'autres voies de droit. Le directeur de l'hôpital aurait en effet pu invoquer des considérations d'hygiène et de sécurité pour justifier sa décision, d'autant que le médecin exerçait ses fonctions au sein d'un service de chirurgie.
Il est très probable que ce motif aurait été admis. La CAA de Versailles, le 19 décembre 2008, en avait déjà décidé ainsi à propos d'un agent dont la commune de Villemomble avait refusé la titularisation. Lui aussi, employé à la piscine municipale, avait refusé de raser sa barbe, et la commune avait fait valoir que cette situation l'empêchait de porter le masque indispensable à sa protection lorsqu'il utilisait les produits d'entretien du bassin. La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme incite aussi à une telle pratique et l'arrêt Eweida du 15 janvier 2013 considère que le chef du service de gériatrie peut interdire le port d'une croix aux infirmières, un patient risquant de s'accrocher à ce bijou et de provoquer des blessures.
La décision du Conseil d'Etat a ainsi pour effet principal d'inciter les autorités responsables à mieux motiver leurs décisions en matière de laïcité. La neutralité peut être imposée dans les services publics à condition de s'appuyer sur les bons motifs. Encore faut-il les connaître, former les personnels à ces questions, et prendre des décisions qui seront bien difficiles à attaquer. C'est seulement à ces conditions que les services publics ne seront plus un territoire ouvert aux prosélytismes religieux.
Sur le principe de laïcité : Chapitre 10 du manuel de libertés publiques sur internet version e-book, version papier
dimanche 16 février 2020
Benjamin Griveaux : les députés LaRem appellent à durcir les textes
Haro sur l'anonymat
Un avocat bien connu, Eric Dupont-Moretti demande l'interdiction de l'anonymat sur les réseaux sociaux, demande également formulée par bon nombre de parlementaires LaRem. Ils oublient sans doute qu'aucun des acteurs de l'affaire Griveaux n'est anonyme. L'intéressé a envoyé une vidéo à une dame identifiée. Cette vidéo s'est ensuite retrouvée sur un site, reproduite dans un article signé de Piotr Pavlenski. Enfin, cet article a été "retweeté" par un pittoresque parlementaire représentant nos compatriotes résidant en Suisse, opération réalisée à partir de son compte personnel parfaitement nominatif. Rien n'est anonyme dans l'affaire.
Au demeurant, l'anonymat d'un compte n'est pas un obstacle sérieux aux poursuites pénales. L'article 6 de la loi du 21 juin 2004 affirme que "l'autorité judiciaire peut requérir communication auprès des prestataires" des données d'identification des comptes utilisés pour envoyer des contenus illégaux. Cette procédure est régulièrement utilisée. C'est ainsi que, le 24 janvier 2013, le juge des référés du tribunal de Paris ordonnait à Twitter de communiquer les données d'identification de comptes ayant été utilisés pour diffuser des messages au contenu antisémite. Leurs auteurs ont été identifiés sans difficultés et ils ont été jugés.
Cette attaque de l'anonymat sur les réseaux sociaux ne s'accompagne d'aucun début de réflexion sérieuse sur le sujet. En effet, l'anonymat sur les réseaux sociaux n'existe pas. On devrait plutôt évoquer un "pseudonymat" qui consiste à se dissimuler derrière un pseudo que le juge peut facilement percer. Mais le recours à un nom d'emprunt ne présente pas que des inconvénients. Il peut aussi être utilisé par les lanceurs d'alerte qui craignent des représailles de leur employeur ou qui redoutent d'être accusés de promouvoir tel ou tel intérêt. On a vu ainsi, tout récemment, un compte twitter sous pseudonyme dénoncer, preuves à l'appui, une thèse de doctorat presque entièrement plagiée. L'information ayant été reprise dans Le Point, l'université concernée semble avoir finalement décidé d'engager des poursuites disciplinaires. L'aurait-elle fait sans ce compte sous pseudonyme ?
L'arsenal juridique en matière d'atteintes à la vie privée
L'article 9 du code civil énonce que "chacun a droit au respect de sa vie privée". Une violation de la vie privée peut donner lieu à une réparation civile, mais aussi à des poursuites pénales. Les articles 226-1 et suivants du code pénal punissent ainsi d'un an d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende le fait d'avoir capté, enregistré ou transmis, sans son consentement, l'image d'une personne se trouvant dans un lieu privé.
Le Revenge Porn
Le problème a longtemps été celui du consentement. Les juges ont en effet été confrontés à la pratique récente du Revenge Porn.
Les faits sont toujours à peu près identiques : une jeune femme accepte de poser nue pour celui qui partage sa vie. Des photos dites de charme sont réalisées, avec son consentement. Quelques semaines, quelques mois ou quelques années plus tard, elle décide de rompre. Tout le problème est là : le couple disparaît mais les photos demeurent. Ces clichés peuvent alors devenir une arme redoutable pour un ancien compagnon animé par le désir de vengeance ou l'appât du gain, et dépourvu de toute élégance ou de tout scrupule. Il suffit en effet de les diffuser sur internet pour porter un préjudice considérable à l'intéressée.
Benjamin Griveaux est exactement dans cette situation. Il a envoyé lui-même une photo qu'il pensait flatteuse de son anatomie à une jeune femme, ce qui suppose évidemment qu'il a consenti à cet envoi. Et quelques mois plus tard, au moment où il est candidat à la mairie de Paris, cette photo apparaît sur internet, et est rapidement relayée sur les réseaux sociaux.
Appliquant le principe de l'interprétation étroite de la loi pénale, la Cour de cassation, dans un arrêt du 16 mars 2016, avait estimé que le Revenge Porn ne pouvait être sanctionné sur le fondement de l'article 226-1 du code pénal, précisément parce que l'image avait été captée avec le consentement de l'intéressé. Quant à la diffusion du cliché, l'intéressé ne peut s'y opposer que par un refus formel, le consentement étant présumé en l'absence de ce refus. Par voie de conséquence, la sanction du Revenge Porn devenait impossible.
La loi Lemaire du 7 octobre 2016
Heureusement, le législateur a rapidement réagi à cette situation. La loi Lemaire du 7 octobre 2016 pour une République numérique vient combler cette lacune du droit. Elle ajoute au code pénal un nouvel article 226-2-1 qui punit d'une peine d'emprisonnement de deux ans et d'une amende de 60 000 € le fait de diffuser sur le net, sans le consentement de l'intéressé, des images "présentant un caractère sexuel". C'est exactement sur cette disposition que s'appuie la plainte déposée par Benjamin Griveaux. Elle devrait permettre de poursuivre ceux qui sont à l'origine de la divulgation ainsi que ceux, dont le joyeux parlementaire représentant les Français résidant en Suisse, qui se sont bornés à diffuser la vidéo.
L'arsenal juridique est donc tout-à-fait suffisant pour punir les auteurs de telles pratiques. Il est inutile de légiférer dans l'urgence, ni même de légiférer du tout. Les parlementaires LaRem devraient peut-être commencer à prendre conscience que le droit existait avant eux, et qu'il est même arrivé à ceux qui les ont précédés de voter d'excellents textes. On comprend évidemment qu'ils soient très fâchés par ce qui est arrivé à leur candidat à la mairie de Paris, victime d'une nouvelle forme d'"entôlage" particulièrement détestable. Certes Benjamin Griveaux pourra sans doute obtenir la condamnation de ceux qui ont porté une atteinte à sa vie privée dans ce qu'elle a de plus intime. Mais il ne pourra rien faire contre quelque chose d'autrement plus dévastateur : le ridicule.
mardi 11 février 2020
Reconnaissance paternelle de l'enfant né sous X
L'accouchement sous X
La reconnaissance paternelle
Le droit de mener une vie familiale
vendredi 7 février 2020
La CEDH sanctionne la surpopulation carcérale... et le référé administratif
La surpopulation carcérale
L'absence d'arrêt pilote
Le référé-liberté
Sur les traitements inhumains et dégradants : Chapitre 7, section 1 § 2 du manuel de Libertés publiques sur internet.