Depuis quelques jours, la batterie est en danger, la batterie de cuisine s'entend. En effet, les déplacements du Président de la République et des membres du gouvernement font l'objet d'un accompagnement orchestral très particulier. Dans la pure tradition des anciens charivaris, les manifestants jouent de la casserole, dans le but de faire le plus de bruit possible et de développer leur pratique de la musique atonale.
Le préfet qui fait tout
Pour tenter de mettre un couvercle sur la marmite, les préfets se sont efforcés de tenir à distance ces musiciens d'un nouveau genre, en prenant des arrêtés énonçant plusieurs types d'interdictions. Ces textes relèvent de l'improvisation, non pas musicale, mais juridique.
Un premier arrêté a été pris par le préfet de l'Hérault le 19 avril 2023, instaurant un périmètre de protection dans le département à l'occasion de la visite officielle du Président Macron, le 20 avril, dans la commune de Ganges. Un second arrêté signé du préfet du Loir et Cher est daté du 25 avril 2023, pour empêcher ces manifestations bruyantes lors de la visite du Président Macron à Vendôme le même jour. Il a immédiatement été suspendu par une ordonnance du juge des référés du tribunal administratif d'Orléans. Ce même 25 avril, c'est au tour du préfet du Doubs de prendre un troisième arrêté créant un "périmètre de sécurité" dans la zone de La-Cluse-et-Mijoux, région qui doit accueillir le Président le 27 avril. Ce nouvel arrêté faisait aussi l'objet d'un recours devant le juge des référés du tribunal administratif de Besançon, mais le préfet, prudent, a finalement choisi de retirer son texte. Une bonne idée, si l'on considère que le risque d'une nouvelle suspension était particulièrement grand. La cuisine juridique mitonnée par les préfets a donc fait long feu.
La définition juridique de la casserole
Les préfets se sont d'abord heurtés à une question inédite : comment définir juridiquement une casserole ou tout autre article de cuisine susceptible de faire du bruit ? La question était importante, car un contrôle était prévu à l'entrée dans le périmètre de sécurité, afin d'empêcher les casseroles d'y pénétrer.
L'arrêté du préfet de l'Hérault interdisait donc les "objets susceptibles de constituer une arme (par destination) ou pouvant servir de projectile présentant un danger, ainsi que l'usage de dispositifs sonores portatifs". La formulation ne manquait pas d'audace, et la définition d'une casserole comme arme par destination ou dispositif sonore portatif a offert aux juristes un heureux moment de détente. Si la casserole est une arme par destination, tout autre objet peut être qualifié de la même manière. Un coup de casserole est-il plus douloureux qu'un coup de parapluie ? Quant au dispositif sonore portatif, la notion s'applique parfaitement à un téléphone cellulaire ou un porte-voix, que les militants syndicaux utilisent régulièrement lors des manifestations.
Le préfet du Loir-et-Cher a cru améliorer la recette en qualifiant les casseroles de "dispositif sonore amplificateur de son". Personne n'avait jamais songé à qualifier une casserole en ces termes, la plupart des utilisateurs, cruellement dépourvus d'imagination, ne s'en servent en effet que pour faire la cuisine. Là encore, la cohérence de la définition fait défaut, car enfin, pour faire du bruit, on peut taper sur n'importe quoi avec n'importe quoi. Tout objet que l'on frappe contre un autre devient donc un "dispositif sonore amplificateur de son".
Hélas, les juristes resteront sur leur faim. Le tribunal administratif d'Orléans ne se donne pas le ridicule de définir une casserole. Il se fonde sur un motif autrement plus sérieux, et, sur ce point, il n'y va pas avec le dos de la cuillère.
Asterix légionnaire. René Goscinny et Albert Uderzo. 1967
La casserole terroriste
Les préfets, sans même trouver une telle procédure un peu louche, se sont fondés sur la loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme (loi SILT). On se souvient que ce texte fut l'un des premiers votés par la toute nouvelle majorité présidentielle, son objet étant de faire entrer dans le droit commun des dispositions qui, auparavant, ne pouvaient être prises que sur le fondement de l'état d'urgence.
Précisément, les préfets invoquent l'existence d'une menace terroriste pour justifier l'interdiction des casseroles. Ce faisant, ils ont donné au juge administratif le fouet pour les battre, façon omelette. Le juge des référés d'Orléans fait observer qu'un déplacement du Président de la République à Vendôme, "en l'absence de circonstances particulières", ne justifie pas l'instauration d'un périmètre de sécurité. Cette procédure est en effet applicable à la seule hypothèse d'une menace terroriste réelle, condition qui ne semble pas tout-à-fait remplie, en présence de quelques dizaines de personnes armées de casseroles. La "casserolade" n'a rien à voir avec le terrorisme, et c'est sur ce fondement que le juge des référés suspend l'arrêt du préfet du Loir-et-Cher. C'est aussi pour cette raison que l'arrêté du préfet du Doubs a été retiré, car il reposait sur le même fondement.
Le juge sanctionne ainsi un véritable détournement de pouvoir commis par les représentants de l'État. Ils s'y sont pris comme des manches. L'affaire est plus grave qu'il n'y paraît, car elle confirme les craintes exprimées lors de l'adoption de la loi SILT. On pouvait redouter en effet que par une sorte d'"effet d'aubaine" de la menace terroriste, celle-ci soit mise à toutes les sauces pour justifier des atteintes aux libertés. C'est exactement ce qui a été fait dans ces arrêtés, et l'on ne peut que regretter que ceux-là mêmes qui représentent l'État dans les département n'hésitent pas à traiter l'État de droit avec une telle désinvolture. Invoquer le terrorisme pour interdire des casseroles, c'est un peu comme prendre un rouleau à pâtisserie pour écraser une mouche. Les arrêtés contestés sont à ramasser à la petite cuiller.
La menace terroriste : Manuel de Libertés publiques version E-Book et version papier, chapitre 2, section 2 § 2 A