Dans une décision du 7 avril 2023, le Conseil d'État écarte le pourvoi déposé par la commune des Sables-d'Olonne, contre l'injonction adressée par le tribunal administratif de Nantes le 16 décembre 2021, puis par la Cour administrative d'appel (CAA Nantes) de cette même ville le 16 septembre 2022. A deux reprises donc, il a a été enjoint au maire de procéder à l'enlèvement d'une statue représentant Saint Michel, érigée irrégulièrement sur le domaine public communal, et de remettre en état la parcelle.
La décision a suscité une considérable irritation du maire des Sables-d'Olonne, Monsieur Yannick Moreau, qui a publié un communiqué furieux dans laquelle les membres du Conseil d'État se font traiter d'"ayatollahs", auteurs d'un "vandalisme d'État", d'une "inquisition wokiste", complices évidemment des "casseurs laïcards". A cela s'ajoute un tweet non moins réjouissant, qui dénonce la "tempête du wokisme et de la cancelculture qui s'est abattue sur Les Sables d'Olonne".
Il faut sans doute remercier l'élu d'avoir mis au jour cette apparition du wokisme au Conseil d'État, phénomène si souterrain que personne ne l'avait sérieusement observé. Si cette révélation ne suscitera sans doute pas beaucoup de commentaires de la doctrine administrativiste, il ne fait aucun doute qu'elle introduit un peu de gaîté dans un contentieux habituellement austère.
Si le maire des Sables-d'Olonne est libre de voir du wokisme partout, il ne lui appartient pas, cependant, de réécrire le droit administratif. La manière dont il présente la décision du Conseil d'État à ses ouailles, ou plutôt à ses électeurs, relève davantage de l'oeuvre d'imagination que des règles du contentieux.
Tempête dans un bénitier. Georges Brassens. 1991
Une décision de ne pas examiner le pourvoi
L'élu affirme donc que le Conseil d'État a décidé "de ne pas examiner le pourvoi" en cassation qu'il avait déposé pour demander l'annulation du jugement de la CAA Nantes de septembre 2022. Ce n'est pas tout-à-fait vrai. En réalité, le Conseil d'État met en oeuvre l’article L. 822-1 du code de la justice administrative qui énonce que "le pourvoi en cassation devant le Conseil d'État fait l'objet d'une procédure préalable d'admission". Celle-ci peut être fondée "si le pourvoi est irrecevable ou n'est fondé sur aucun moyen sérieux". Cette procédure de filtrage ne pouvait tout de même pas être ignorée par l'élu vendéen, car elle a été initiée par l'article 11 de la loi du 31 décembre 1987, portant réforme du contentieux administratif.
Or, il faut bien reconnaître que les moyens développés à l'appui du pourvoi en cassation sont extrêmement faibles. D'une part, les requérants produisent des extraits de Wikipedia qui n'ont jamais figuré dans les écritures des parties, ce qui entraine une violation du principe du contradictoire. D'autre part, le pourvoi se borne à affirmer que l'installation de la statue de Saint-Michel ne marque pas la reconnaissance d'une culte et d'une préférence religieuse mais constitue un élément culturel lié à l'histoire du quartier et que sa présence est particulièrement discrète. Ces questions de fait n'ont évidemment rien à voir avec le contrôle de cassation. Elles relèvent des juges du fond, et précisément l'illégalité de l'installation de la statue ne fait aucun doute.
Il n'empêche que pour déclarer l'absence de moyens sérieux, leur examen demeure indispensable. Il y a donc bien un "examen" du pourvoi, même si c'est pour déclarer son irrecevabilité. Au demeurant, l'importance des moyens développés n'exigeait pas une analyse juridique très subtile ni très longue.
L'illégalité de l'installation
Si la mairie des Sables-d'Olonne a usé de toutes les voies de recours possibles, cela ne signifie pas qu'elle avait la moindre chance de gagner ce contentieux et d'obtenir l'annulation des injonctions prononcées à son encontre. Peut-être aurait-il pu consulter au préalable son collègue maire de Ploêrmel ? On se souvient que, dans un arrêt du 25 octobre 2017, le Conseil d'État a annulé une décision, d'ailleurs implicite, de cette municipalité bretonne, décidant la mise en place d'une statue monumentale du pape Jean-Paul II, érigée Place Jean-Paul II à Ploërmel. En l'occurence, le juge avait ordonné le retrait de la croix surplombant cette statue, croix évidemment considérée comme un symbole religieux.
Il s'appuyait sur les termes mêmes de l'article 28 de la loi du 9 décembre 1905 qui interdit "à l'avenir" d'élever ou d'apposer aucun signe ou emblème religieux sur "quelque emplacement public que ce soit", à l'exception des édifices servant au culte, des cimetières ainsi que des musées ou expositions. "A l'avenir", cette formule signifie tout simple que peuvent demeurer en place les signes et emblèmes antérieurs à 1905, mais qu'il est est interdit d'en installer de nouveaux. La décision d'installer la statue de Ploërmel sur une place publique avait été prise en 2006. Celle d'installer la statue de Saint Michel aux Sables-d'Olonne était tout aussi implicite que celle de Ploërmel, les élus ayant en commun d'oublier de demander au conseil municipal de délibérer sur ce sujet. En tout cas, il n'est pas contesté que cette décision a été prise en 2018, la statue ayant été placée sur une parcelle du domaine public communal située place Jean Jaurès. Quant au caractère religieux de la statue de Saint-Michel, il a été affirmé dès le jugement du tribunal administratif de Nantes et la CAA a estimé sa motivation convaincante. Cette appréciation relève donc exclusivement des juges du fond.
Le recours devant le Conseil d'État déposé par le maire des Sables d'Olonne n'avait donc aucune chance de prospérer. L'élu ne pouvait l'ignorer, mais il ne fait aucun doute que l'opération était surtout destinée à donner satisfaction à des électeurs vendéens qui feignent souvent, comme leurs élus, d'ignorer l'existence même de la loi de Séparation.
A cet égard, on peut penser que le Conseil a déclaré l'irrecevabilité, précisément pour sanctionner un pourvoi qui s'analysait finalement comme une posture politique. Et sans doute a-t-il voulu rappeler que la loi de la République s'applique sur le territoire de la République, y compris en Vendée. La statue de Saint Michel sera donc déboulonnée, en raison de l'influence catastrophique du wokisme qui sévit au Palais-Royal. Bien entendu, il ne s'agit en aucun cas de détruire cette statue, mais tout simplement de la déplacer dans un lieu plus conforme à sa vocation, lieu de culte ou école religieuse par exemple. Quant aux électeurs des Sables, ils sont aussi contribuables. Sans doute seront-ils heureux d'apprendre que leurs impôts ont permis de financer trois recours, tous inutiles.
La liberté de culte : Manuel de Libertés publiques version E-Book et version papier, chapitre 10, section 2
Toute idéologie mise à part, cette analyse, ne devrait appeler aucun commentaire, tant elle aurait pu se résumer ainsi : « le droit, c’est le droit, un point c’est tout ! ». Mais son auteur a surtout voulu terrasser le maire des Sables-d’Olonne, avec une once d’ironie facile. Et ce faisant, sans même s’en apercevoir, il a fait sienne, sous un incontestable habillage juridique, la phraséologie d’une poignée d’imbéciles qui, sans doute avec leurs belles gueules de parachutistes sautant sur Dien Bien Phu, avaient, par désœuvrement militant, décidé de faire cesser un insupportable affront à la laïcité, sous l’effet d’une libre pensée bien risible. Mais il n’y a pas que le droit ! Ces quelques lignes qui se placent sous l’égide de « Liberté, Libertés chéries » auraient pu utilement nous expliquer comment la liberté d’une petite escouade d’irascibles est supérieure à celle d’une majorité écrasante de citoyens d’une municipalité vendéenne. Peut-être y aurait-il là matière à une nouvelle page qui s’intitulerait : La liberté, quand elle est menacée, n’a parfois que faire du droit.
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