« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


vendredi 14 avril 2023

Le Conseil constitutionnel fait retraite


La décision rendue par le Conseil constitutionnel le 14 avril portant sur la loi relative aux retraites est certainement l'une des plus attendues et aussi des plus médiatisées de la Ve République. La vision d'un Conseil constitutionnel protégé par des barrières anti-émeutes et des rangs serrés de membres des forces de l'ordre montre que la décision était attendue comme une dernière chance par les opposants à la réforme des retraites. 

Certes, les parlementaires auteurs de la saisine avaient dressé une liste impressionnante de griefs dont la plupart n'avaient pas la moindre chance de prospérer. Ainsi se sont-ils efforcés de démontrer l'inconstitutionnalité du recours à l'article 49 al. 3 pour l'adoption du texte, ou ont-ils estimé que le vote bloqué portait atteinte à la sincérité du débat parlementaire. On est  un peu surpris que les auteurs des saisines ne se soient pas concentrés sur les griefs qui avaient une petite chance d'aboutir. En tout cas, ils ne seront pas satisfaits de la décision.


L'article 47-1

 

Le Conseil constitutionnel écarte le moyen reposant sur le détournement de procédure, c'est-à-dire l'utilisation par le gouvernement de l'article 47-1 de la Constitution pour imposer au parlement un débat législatif réduit dans le temps. Celui-ci doit se dérouler sur une période maximum de cinquante jours, soit vingt jours devant l'Assemblée nationale, puis quinze devant le Sénat. La suite de la procédure se déroule ensuite conformément à l'article 45 de la Constitution qui prévoit, en cas de désaccord persistant, l'intervention d'une commission mixte paritaire chargée de trouver un compromis sur le texte en discussion, avant un dernier vote sur l'ensemble du texte. C'est ce qui s'est produit dans la loi sur les retraites, mais on se souvient que le gouvernement n'a pas voulu affronter ce dernier vote, redoutant de ne pas avoir de majorité. La conséquence a été l'usage de l'article 49 -3 qui a permis de faire adopter la loi, sans qu'elle ait jamais été votée par l'Assemblée nationale.

L'usage de l'article 47-1 dans le cas de la loi sur les retraites pouvait être contesté. Ce texte n'a pas pour objet de rétablir un équilibre financier annuel, mais de réaliser une réforme structurelle des retraites, par hypothèse pluriannuelle. La décision du 20 décembre 2019 sur la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 précise qu'il "appartient au Conseil constitutionnel de déclarer contraires à la Constitution les dispositions législatives adoptées en violation de l'article L.O. 111-3 du code de la sécurité sociale" celui-là même qui énonce que "les lois de financement rectificatives ont le caractère de lois de financement de la sécurité sociale" et sont donc soumises aux mêmes contraintes. Autant dire que le Conseil était compétent pour affirmer l'inconstitutionnalité de la loi sur les retraites.

Le problème est qu'une telle analyse ne pouvait conduire qu'à une déclaration d'inconstitutionnalité touchant l'ensemble du texte, c'est-à-dire concrètement l'annulation totale de la loi retraites censée n'avoir jamais existé. Or une telle annulation globale est rarissime, et l'on ne peut guère citer que la décision du 24 décembre 1979 annulant la loi de finances pour 1980. L'inconstitutionnalité portait alors sur la procédure, les parlementaires ayant été invités à voter les recettes avant de se prononcer sur les dépenses. L'irrégularité était énorme et incontestable.

Le Conseil a donc choisi la prudence. Il fait observer que la loi sur les retraites comporte les éléments formels d'une loi rectificative de financement de la sécurité sociale, notamment "les prévisions de recettes et des tableaux d’équilibre, des objectifs de dépenses et de leurs sous-objectifs et des objectifs en matière d’amortissement de la dette". Il reconnaît toutefois que certaines dispositions relatives à la réforme des retraites ne doivent pas obligatoirement figurer dans un tel texte, mais "le choix qui a été fait à l’origine par le Gouvernement de les faire figurer au sein d’une loi de financement rectificative ne méconnaît, en lui-même, aucune exigence constitutionnelle".  Tout ce qui n'est pas formellement interdit est donc autorisé, et le Conseil estime que le gouvernement peut élargir à peu près autant qu'il le souhaite le contenu d'une loi rectificative du financement de la sécurité sociale. 

 

Le domaine des dieux. René Goscinny et Albert Uderzo. 1971
 

 

Des cavaliers qui surgissent hors de la nuit


Une fois écartée l'hypothèque de l'article 47-1, le Conseil constitutionnel censure quelques "cavaliers sociaux", ce qui signifie qu'il déclare inconstitutionnelles des dispositions qui n'ont rien à faire dans une loi de financement de la sécurité sociale. En tout, ces déclarations d'inconstitutionnalité concernent six dispositions, la plupart de détail. Les deux plus importantes sont l'article 2 sur l'index senior et l'article 3 sur le contrat de travail senior. Il est intéressant de noter que les parlementaires affiliés au groupe "Les Républicains" avaient exigé la présence de cet "index senior" dans la loi, et qu'aujourd'hui la loi ressemble beaucoup au texte initialement voulu par le gouvernement.

Il est, pour le moment, impossible de prévoir les conséquences de cette décision. Sur le plan juridique, elle ne risque guère de figurer dans un recueil de "grandes décisions" car elle n'apporte aucune évolution jurisprudentielle. Sur le plan politique, elle brise l'espoir de ceux qui espéraient encore que le Conseil allait annuler le texte et qui même l'annonçaient sur les chaînes de radio et de télévision. 
 
Mais finalement, on peut se demander si la principale victime de la décision du 14 avril 2023 n'est pas le Conseil constitutionnel lui-même. Sa composition, avec des membres de droit, anciens présidents de la République était déjà contestée, même si, heureusement, les anciens présidents ont, pour le moment, renoncé à siéger. Le choix des membres nommés et la politisation de ces choix est de plus en plus apparent, et nul n'a oublié les vidéos accablantes des auditions de certains nouveaux membres du Conseil devant les commissions des lois de chaque assemblée parlementaire. L'ignorance du droit constitutionnel n'était-elle pas étalée au grand jour et même présentée comme un élément positif, comme si le fait de ne pas connaître le droit était une condition nécessaire au bon fonctionnement de l'institution ? 
 
Mais la décision du 14 avril 2023 permet de franchir un nouveau pas. Le caractère politique des décisions du Conseil constitutionnel n'est plus un sujet tabou et tout le monde en discute sans aucune gêne. Le débat va sans doute s'amplifier, et on peut espérer que cette évolution conduira un jour à une véritable réforme du Conseil constitutionnel.

3 commentaires:

  1. Ce qui est certain aujourd'hui : "La cinquième république, au main d'un dictateur, est une dictature "

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    1. Il est effectivement temps de mettre fin à la 5ème République sinon l'histoire se répétera sur d'autres sujets. Mettre en place de nouvelles institutions devient de plus en plus urgent.

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  2. Allons donc ! La seule réforme nécessaire est le retour à la Constitution originelle 1958. Les modifications (dont celle - stupide - de 1962) sont une longue litanie d’aberrations.

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