Robert Doisneau. Les Ecoliers de la rue Damesme. 1956.jpg |
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« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.
mercredi 30 janvier 2013
Les Roms et le droit à l'instruction
dimanche 27 janvier 2013
Twitter rappelé à l'ordre... juridique français
René Magritte. La promesse. 1950 |
En conséquence, le juge ordonne à la société Twitter Inc. de communiquer aux associations demanderesses les données en sa possession de nature à permettre l'identification des auteurs d'infractions. Cette communication doit intervenir dans les quinze jours après la décision, sous astreinte de 1000 € par jour de retard, passé ce délai.
Un dispositif de signalement des contenus illicites
Le juge des référés ne se limite pas à ordonner, de manière ponctuelle, la communication des données d'identification. Il exige également la mise en place d'un dispositif permanent de signalement des contenus illicites, au regard du droit français. Cette fois, il s'appuie l'article 6-I-8 de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique, qui autorise l'autorité judiciaire à "prescrire toutes mesures propres à prévenir un dommage ou à faire cesser un dommage occasionné par le contenu d'un service de communication en ligne". Dans le cadre de sa plate-forme française, Twitter doit prévoir un "dispositif facilement accessible et visible"permettant à toute personne de porter à sa connaissance des contenus illicites, notamment ceux constituant une apologie de crime contre l'humanité ou une incitation à la haine raciale.
Une régionalisation juridique
Cette décision s'inscrit dans une tentative, d'ailleurs largement partagée dans les pays de l'UE, de soumettre les réseaux sociaux au droit des Etats. Cette régionalisation juridique de Twitter est déjà commencée, et on sait que l'entreprise américaine a dû prendre des mesures pour empêcher la diffusion en Allemagne de messages néo-nazis. De tels messages peuvent donc être envoyés, mais ils ne peuvent être lus que dans les pays où ils sont licites. Même aux Etats-Unis, Twitter a dû se soumettre aux demandes d'un juge new-yorkais qui, le 30 juin 2012, lui demandait la communication de "tweets" envoyés par un manifestant d'Occupy Wall Street. Là encore, la firme avait finalement renoncé à sa conception extensive du secret de la vie privé et s'était soumise aux injonctions de la Cour.
Quoi que l'entreprise en dise, Twitter n'est pas uniquement soumise au droit contractuel qu'elle a élaboré et que l'internaute accepte par un simple clic, sans même en avoir pris connaissance. Les autorités judiciaires sont actuellement en train de trouver les moyens de soumettre Twitter au droit de l'Etat, de rétablir ainsi l'égalité devant la loi et l'efficacité du droit territorial de diffusion.
jeudi 24 janvier 2013
Le canard coquin, plumé par la Cour de cassation
mardi 22 janvier 2013
L'UE et la liberté d'accès à une information libre et pluraliste
Henri de Toulouse Lautrec Désiré Dihau lisant le journal dans le jardin. 1890 |
dimanche 20 janvier 2013
Liberté religieuse : un avertissement de la Cour européenne ?
Dans l'affaire Eweida, la Cour effectue exerce ainsi son contrôle de proportionnalité sur chacune des quatre requêtes. Elle rend donc un arrêt très nuancé, puisqu'elle traite différemment des situations différentes.
En revanche, lorsqu'il n'existe aucune législation, la Cour se montre évidemment plus souple dans son contrôle de proportionnalité. Dans l'arrêt Lautsi du 18 mars 2011, elle considère que la présence de crucifix dans les écoles publiques italiennes ne porte pas une atteinte excessive à la liberté de conscience des élèves, dès lors que la loi italienne ne l'interdit pas. Le Royaume Uni est dans une situation comparable, et n'a pas adopté de législation interdisant le port de signes religieux sur les lieux de travail. La Cour observe dès lors que la contrainte imposée à Mesdames Eweida et Chaplin n'a pas de fondement légal, mais repose uniquement sur une décision du chef de service. La Cour se livre donc au contrôle de proportionnalité, et, de nouveau, rend une décision différente dans chaque cas.
Dans le cas de Madame Eweida, la Cour considère que les tribunaux britanniques n'ont pas fait une juste appréciation des intérêts en présence. S'il est légitime pour l'entreprise de vouloir véhiculer une certaine image de marque laïque, notamment en imposant le port d'un uniforme, le refus total de tout signe religieux apparaît excessif, d'autant que, après les faits et confrontée à d'autres recours, l'entreprise a finalement changé son code vestimentaire pour autoriser le port de signes religieux discrets. Dans le cas de Mme Chaplin, en revanche, la Cour observe que l'interdiction repose sur un motif d'intérêt général, dès lors qu'un patient peut s'accrocher à ce bijou et provoquer des blessures. En l'espèce, la Cour considère que l'employeur a pris une décision proportionnée aux intérêts en cause, et que les juges britanniques ont confirmé à juste titre cette appréciation.
Homosexualité et non-discrimination
Dans le cas de Mme Ladele et de M. Mc Farlane, la Cour se montre plus rigoureuse. Elle rappelle que toute différence de traitement en raison de l'orientation sexuelle ne peut se justifier que par des motifs particulièrement solides (Par exemple : CEDH, Schalk et Kopf C. Autriche, 2004). Les sanctions prises contre les deux requérants apparaissent alors à la Cour tout à fait proportionnées par rapport à l'objectif de non discrimination poursuivi par les autorités publiques et dont le respect s'impose à tous les agents publics. La requête est donc fermement rejetée.
Il est tout de même intéressant de noter une petite phrase, glissée par la Cour dans la rédaction de l'arrêt.
Conformément à sa jurisprudence antérieure, elle affirme que les Etats jouissent d'une grande d'appréciation pour organiser dans leur ordre interne la situation des couples homosexuelles. Mais elle ajoute immédiatement que "les couples homosexuels sont globalement dans une situation identique à celle des couples hétérosexuels au regard de leur reconnaissance juridique et de la protection de leur relation". Cette formule n'a sans doute pas été introduite par hasard dans la décision et elle sonne un peu comme un avertissement pour les Etats membres, et pour la France en particulier. La liberté religieuse ne saurait être invoquée pour justifier une législation qui maintiendrait des discriminations entre les couples, en fonction de leur orientation sexuelle. A bon entendeur..
jeudi 17 janvier 2013
Liberté de manifestation : qui paie les dégâts ?
De toute évidence, la loi de 1983 n'est pas applicable en l'espèce, ce qui impose un retour au droit commun de la responsabilité. Le patrimoine responsable est donc bel et bien celui des organisateurs de la manifestation.
Un partage de responsabilité ?
Cela ne signifie pas, évidemment, qu'ils seront condamnés à réparer l'intégralité du préjudice causé à la ville de Paris. Chacun sait que la liberté de manifester s'exercer dans le cadre d'un régime de déclaration préalable, depuis un décret-loi du 23 octobre 1935. A Paris, les organisateurs doivent déclarer au préfet de police leur intention de manifester, et cette déclaration donne lieu à une négociation sur le jour, l'itinéraire, les précautions à prendre en matière de service d'ordre etc etc. Nul doute que pour une manifestation présentée par ses organisateurs comme devant déplacer beaucoup de monde, ces discussions ont dû être substantielles.
On s'étonne évidemment que ces organisateurs qui se présentaient comme des maîtres de la logistique et du transport en bus, aient oublié qu'ils installaient les manifestants sur le domaine public de la ville de Paris. On s'étonne encore davantage que les autorités de police n'aient pas eu l'idée d'interdire tout simplement l'accès au Champs de Mars et demandé la dispersion dans un endroit moins exposé, par exemple l'Esplanade des droits de l'homme ou la Place du Trocadéro, puisque nos manifestants préféraient défiler à Paris-Ouest plutôt qu'arpenter Bastille-République. Souvenons nous qu'il n'y a pas si longtemps, le 16 décembre 2012, la manifestation des partisans du mariage pour tous, partie de la Bastille, s'est tranquillement dispersée devant les grilles du jardin du Luxembourg, sans y pénétrer.
lundi 14 janvier 2013
Mariage pour tous et référendum
Il n'est évidemment pas question de considérer le mariage comme un élément de l'organisation des pouvoirs publics, formule qui renvoie aux pouvoirs constitués. Il n'est pas davantage possible de la considérer comme un service public car il ne vise pas à fournir des prestations, dans un but d'intérêt général.
On conviendra qu'il est bien difficile de contester la définition du mariage donnée par le Conseil constitutionnel, surtout depuis que cette noble institution a sanctionné la disposition de la loi de finances qui prévoyait le prélèvement à 75 % pour les revenus les plus élevés ?
Observons d'emblée que si le Constituant dresse une liste limitative des domaines susceptibles de donner lieu à référendum, c'est précisément parce qu'il n'entend pas l'ouvrir à toutes les revendications. Cette liste a d'ailleurs suscité bon nombre de réflexions et de révisions depuis 1958. Il a, en effet, été question d'élargir le référendum au domaine des libertés, et c'était l'objet d'un projet de loi constitutionnelle initié par François Mitterrand en juillet 1984. Adopté par l'Assemblée nationale, le projet a finalement été rejeté par le Sénat. A l'époque, il s'agissait, on le sait, d'un Sénat de droite. Plus tard, le projet de révision engagé en 1992, issu des travaux de la Commission Vedel, propose, à peu près dans les mêmes termes, d'élargir le champ du référendum aux "garanties fondamentales des libertés publiques". Hélas, le projet sera finalement enterré, à la suite de la victoire de la droite aux législatives de 1993.
Depuis cette date, il n'a jamais plus été question d'élargir le champ du référendum aux libertés publiques. La révision du 4 août 1995 a certes introduit la possibilité d'y recourir pour "les réformes relatives à la politique et sociale", mais le rapport Larché affirme alors clairement la volonté de ne pas revenir à la formulation de 1984, et donc d'exclure le référendum en matière de libertés. En 2008, lorsque l'administration Sarkozy propose à son tour une révision, c'est seulement pour ajouter la politique "environnementale" dans le champ du référendum. En d'autres termes, la droite a eu deux fois la possibilité d'élargir le champ du référendum aux libertés, et deux fois elle s'y est refusée.
Le référendum d'initiative partagée
Hélas toujours, le gouvernement de François Fillon a mystérieusement tardé à déposer le projet de loi organique indispensable à la mise en oeuvre du référendum d'initiative partagée. C'est sans doute un simple oubli, et non pas une manoeuvre pour empêcher une réforme qui permettait à l'opposition, à l'époque de gauche, de susciter un référendum. Quoi qu'il en soit, après la révision de 2008, le projet de loi a été déposé en décembre 2010, pour parvenir en discussion en décembre 2011, et être voté en première lecture le 10 janvier 2012, soit trois années après la révision. A ce jour, il n'est toujours pas passé en première lecture au Sénat, et le gouvernement actuel n'est évidemment pas pressé de faire entrer en vigueur une révision qu'il n'a pas votée.
Nos manifestants ne sont guère fondés à demander un référendum. Ceux là même qui défilaient ont refusé à la fois l'extension du référendum aux libertés et la mise en oeuvre de l'initiative partagée. La vie est cruelle. Heureusement, il reste la liberté de manifester, élément essentiel de la liberté d'expression d'une opposition, qui doit s'accepter comme telle.
Gageons au surplus que, si la loi est votée, elle sera soumise par les parlementaires UMP, ceux-là mêmes qui réclament un référendum, au Conseil constitutionnel. On fera flèche de tout bois, sans souci de la contradiction, puisque à l'appel au peuple on substituera le recours à un collège de grands prêtres dont les liens avec le peuple sont des plus ténus. Le Conseil pourrait-il servir de champ d'écho au conseil des évêques dans une communion des augures ? Rien n'est impossible, mais on sera alors bien loin de la démocratie, aussi bien directe que représentative.
Pour finir, une anecdote historique qui illustre les variations de l’Eglise sur la nécessité pour un enfant d’avoir un père et une mère. Le Roi très Chrétien, Louis XIV, a engendré un nombre respectable d’enfants adultérins. Certains d’entre eux ont été légitimés, « sans nommer la mère » et avec droit de succession à la Couronne, ce contre quoi Saint Simon s’étouffait d’indignation. Cette particularité juridique, des enfants sans mère, a été bénie par l’Eglise du temps, comme acceptée par les juristes de l’époque. Ces enfants ont mené ensuite une vie princière des plus normales. Le Roi des Français, Louis-Philippe Ier, était l’un de leurs descendants, et toute la branche d’Orléans avec lui. L’Eglise de France était alors plus complaisante avec le législateur…
dimanche 13 janvier 2013
Non bis in idem, un principe constitutionnel autonome ?
Vers l'autonomie du principe "Non bis in idem" ?
Pour le moment, le Conseil constitutionnel n'a été appelé à se prononcer qu'en matière pénale, et il précise, dans sa décision du 25 février 2010, que le législateur peut prévoir que certains faits peuvent donner lieu à différentes qualifications. A cette occasion, il se réfère à "la règle Non bis in idem", sans préciser sa valeur juridique, et même sans réellement la dissocier du principe de nécessité de la peine, lui-même rattaché à l'article 8 de la Déclaration de 1789.
Mais il pourrait aussi estimer que la double procédure dont le requérant a fait l'objet porte atteinte au principe "Non bis in idem", non pas en matière de peines, mais en matière de poursuites. En pratique, on ne voit d'ailleurs pas ce qui interdirait la mise en oeuvre par l'Ordre des médecins d'une procédure disciplinaire unique, à laquelle pourrait se joindre les organismes sociaux. Quant aux sanctions, l'interdiction de donner des soins aux assurés sociaux prononcée en matière de sécurité sociale ressemble étrangement à l'interdiction d'exercer prononcée par l'Ordre. Tous les patients, ou presque, ne sont-ils pas des assurés sociaux ?
jeudi 10 janvier 2013
Conditions de détention : La menace de la Cour européenne
La décision du Conseil d'Etat du 22 décembre 2012
Tout récemment, le Conseil d'Etat, statuant en référé le 22 décembre 2012, a ordonné la dératisation de la prison des Baumettes, estimant que la situation sanitaire de cette prison vétuste était constitutive d'une carence de l'administration dans la protection du droit à la vie et à la dignité des détenus. Observons que le Conseil, comme à son habitude, demeure très prudent et ne donne satisfaction aux requérants que sur une seule question jugée urgente. Mais l'essentiel est qu'il se place sur le fondement de l'article 22 de la loi du 24 novembre 2009, selon lequel "l'administration pénitentiaire garantit à toute personne détenue le respect de sa dignité et de ses droits". Et le Conseil précise qu'elle doit "prendre les mesures propres à protéger la vie des détenus ainsi qu'à leur éviter tout traitement inhumain et dégradant". Pour le juge français, un examen très concret de la situation sanitaire des prisons et des efforts réalisés, ou non réalisés, pour y remédier, peut conduire à considérer que les détenus subissent un "traitement inhumain et dégradant". L'inertie des autorités françaises face à une telle situation pourrait donc conduire les détenus, et surtout leurs conseils, à saisir la Cour européenne.
Hergé. Le Lotus Bleu. 1946 |
Un arrêt-pilote
Surtout, la Cour européenne a recours à la procédure de l'arrêt-pilote, qui accroit la visibilité de sa décision. Elle s'applique aux "affaires répétitives" qui trouvent leur origine dans un dysfonctionnement chronique du droit interne d'un Etat. Dans l'affaire Torregiani et autres, la Cour était en pratique saisie d'un grand nombre de requêtes à peu près identiques portant sur la condition pénitentiaire en Italie. L'arrêt-pilote permet alors à la Cour de traiter en priorité une ou plusieurs d'entre elles et d'indiquer ainsi au gouvernement concerné les mesures qu'il doit prendre pour remédier à une situation qui viole la Convention européenne. Les autres affaires pendantes sont alors gelées jusqu'à ce que les mesures adéquates soient prises pour améliorer la situation. Bien entendu, si les autorités n'exécutent pas l'arrêt-pilote, la Cour peut toujours "dégeler" les affaires pendantes et prononcer de nouvelles condamnations.
Il est vrai que la Cour ne sanctionne pas seulement la situation matérielle dans laquelle se trouvent les établissement pénitentiaires italiens. Elle considère aussi un système juridique qui prive les prisonniers d'un recours efficace pour faire cesser ce type de situation. Le seul recours possible en Italie est en effet le juge d'application des peines qui, en l'espèce, avait effectivement considéré que les prisonniers étaient victimes d'un traitement inhumain et dégradant. Mais cette juridiction ne dispose d'aucun instrument juridique pour faire exécuter sa décision. Tel n'est évidemment pas le cas en France, comme l'a montré le succès de la procédure de référé devant le Conseil d'Etat, en décembre 2012.
Il n'en demeure pas moins que le recours à la notion de traitement inhumain et dégradant pour qualifier une situation particulièrement grave de surpopulation carcérale est indépendant des recours ouverts aux victimes. Sur ce point, la situation française est particulièrement préoccupante, et les conseils des personnes détenues pourraient s'engouffrer dans la brèche ouverte par l'arrêt Torregiani et autres. Heureusement, le Garde des Sceaux, Christiane Taubira a annoncé la mise en chantier de trois nouveaux établissements pénitentiaires et la rénovation du parc existant. Espérons que les travaux seront achevés avant la condamnation par la Cour européenne.
dimanche 6 janvier 2013
Le pseudonyme, la protection qui ne protège pas
Pseudonyme et liberté d'expression
En droit français, Zoé Shepard a commis une faute professionnelle. Le fait qu'elle ait situé l'action de son livre dans un service imaginaire ne suffit pas à l'exonérer de sa responsabilité, dès lors que certains de ses collègues s'étaient reconnus dans son pamphlet. Surtout, et c'est sans doute, le plus important, le fait de publier sous pseudonyme ne l'exonère pas davantage. Dans ce cas, le pouvoir hiérarchique, qui impose la confidentialité des informations relatives au service et la réserve à son égard, l'emporte clairement sur la liberté d'expression.
Comment résoudre le conflit de normes ?
Cette dernière affaire permet peut être de prendre conscience de la méthode bien peu nuancée que le droit positif utilise pour résoudre le conflit entre la liberté d'expression et le devoir de réserve. Car le fonctionnaire peut choisir d'utiliser un pseudonyme pour des motifs très diversifiés.
Dans certains cas, on l'a vu sur les réseaux sociaux, le pseudonyme est utilisé pour échanger des plaisanteries de potache bien à l'abri derrière son pseudo, se moquer du Président trop rigide ou du témoin maladroit. Tout cela n'est pas bien méchant, mais faut-il, dans ce cas, faire prévaloir la liberté d'expression sur les devoirs qui sont ceux du fonctionnaire ? Dans le cas des magistrats de Tweeter, ce n'est pas tant le contenu de leurs propos qui leur est reproché que le fait qu'ils aient utilisé le réseau social pour se distraire, pendant un procès. L'accusé avait en effet le droit d'être jugé par des magistrats attentifs. Ce n'est donc pas tant le manquement à l'obligation de réserve qui est invoqué que la faute professionnelle de nature à semer un doute sur la sérénité de la justice.
Dans d'autres cas, comme celui de Zoé Shépard, le pseudonyme est utilisé pour porter à la connaissance du public certains dysfonctionnements, notamment lorsque la voie hiérarchique a échoué. "Absolument dé-bor-dée" utilise le mode pamphlétaire, une des traditions du journalisme français, pour dénoncer des abus bien connus dans les administrations territoriales. Sur ce plan, le livre n'est certainement pas inutile, et ses supérieurs hiérarchiques auraient sans doute été mieux inspirés en lui proposant une mission sur la réforme des services. Cette utilisation médiatique du pseudonyme est assez fréquente, et l'on se souvient de la grosse colère de l'Elysée, lorsque quelques officiers réunis sous le nom de "Surcouf", avaient publié, en juin 2008 dans le Figaro, un article critiquant le "Livre Blanc" de la défense. Le pseudonyme avait alors permis de faire en sorte que la "Grande Muette"... ne le soit plus.
Dans cette seconde hypothèse, le pseudonyme permet de faire connaître à l'opinion publique tel ou tel dysfonctionnement, et d'engager un débat sur les moyens d'y remédier. Sur ce point, la jurisprudence pourrait peut être s'inspirer de celle de la Cour européenne en matière de liberté de presse. Elle considère, en effet, que la liberté de presse doit l'emporter sur la vie privée des personnes, dès que l'article contesté apporte une "contribution à l'intérêt général". Ne pourrait-on, sur ce modèle, estimer que la liberté d'expression sous pseudonyme doit l'emporter sur l'obligation de réserve, dès que l'auteur contribue à un débat d'intérêt général ?
En tout cas, l'affaire Zoé Shépard montre que la protection du pseudonyme n'est jamais absolue. Elle peut céder devant l'enquête pénale, mais aussi, on l'a vu, la simple jalousie ou animosité des collègues. Le pseudonyme n'offre donc qu'un anonymat temporaire et fragile. Il faut s'en souvenir avant d'écrire un pamphlet, ou un tweet.
jeudi 3 janvier 2013
Hadopi : Trois condamnations... et encore.
Si on considère cet ensemble législatif au regard de ses objectifs, il n'a rien de particulièrement choquant. N'est-il pas indispensable d'envisager une protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur internet et de lutter contre un pillage généralisé qui porte atteinte aux droits des créateurs ? Il s'agit, en effet, d'appliquer à internet un dispositif répressif de lutte contre la contrefaçon, qui existe déjà dans le droit positif.
La réponse graduée
Si l'objectif général ne suscite guère de contestation, les modalités de mise en oeuvre des poursuites pénales sont beaucoup plus discutées. Elles reposent sur l'intervention de la Haute autorité pour la protection des oeuvres et la protection des droits sur internet (HADOPI) chargée d'assurer une "réponse graduée". Lorsqu'un téléchargement illégal est constaté, le plus souvent par les victimes, la Haute Autorité envoie d'abord un message électronique appelé "recommandation". En cas de récidive dans un délai de six mois, le contrevenant reçoit un second avertissement, cette fois par lettre recommandée. Enfin, un nouveau manquement dans un délai d'un an suivant l'envoi de cette seconde "recommandation" suscitera une nouvelle lettre, préalable à un éventuel transfert du dossier au parquet. Le titulaire de l'accès à internet par lequel les téléchargements illégaux ont été effectués risque alors d'être condamné pour "négligence caractérisée". Cette négligence, constitutive d'une contravention, est constituée, soit lorsqu'il n'a pas mis en place un moyen de sécurisation de son accès à internet, soit lorsqu'il a manqué de diligence dans la mise en oeuvre de ce moyen.
Observons que cette saisine du juge pénal est, en soit, un progrès par rapport à la procédure initiale, organisée par un législateur bien peu soucieux de la séparation des pouvoirs. Il avait alors prévu de conférer à Hadopi la compétence pour suspendre l'abonnement internet du contrevenant, procédure que le Conseil constitutionnel a sanctionné dans sa décision du 13 juin 2009. Pour le juge constitutionnel, cette sanction portaient une atteinte excessive à la liberté d'expression sur internet, dans la mesure où elle n'était pas prononcée par un juge, mais par une autorité administrative, même indépendante. Le décret du 26 juillet 2010 est donc venir rendre au juge pénal l'exclusivité du pouvoir de sanction.
Cette modification de la compétence n'a cependant pas résolu le problème de l'inefficacité de la sanction pénale, parfaitement mise en lumière par la réponse ministérielle du 25 décembre 2012. Elle mentionne que, depuis sa création en 2010, la Hadopi a adressé 1 150 000 premières "recommandations", et 100 000 seconds avertissements. Actuellement, 340 dossiers sont en troisième phase, c'est à dire qu'une seconde lettre recommandée doit être envoyée aux intéressés, et 14 procédures ont été transmises au parquet.
Sur ces 14 procédures, trois ont fait l'objet de décisions judiciaires définitives : une relaxe, deux condamnations, dont une assortie d'une dispense de peine, et l'autre condamnant le contrevenant à une amende de 150 €.
Michel Robic. Livres des pirates. L'Herne. 1964 |
L'échec de la sanction pénale
Bien entendu, les chiffres peuvent toujours être interprétés à l'avantage de celui qui les invoque. La Hadopi, qui se bat pour son existence, ne manque pas d'affirmer que le dispositif repose sur la dissuasion. Les internautes, effrayés par la première "recommandation", renonceraient immédiatement à tout téléchargement illicite, rendant inutile toute poursuite pénale.
De leur côté, les pénalistes insistent sur l'ambiguité de l'incrimination. Comment définir cette "négligence caractérisée" et les "moyens de sécurisation d'internet"? Faut-il que le titulaire de l'abonnement enferme son ordinateur dans un placard pour s'assurer qu'il ne sera pas utilisé par un tiers ? La première, et la seule réelle condamnation, prononcée par le tribunal de Belfort en septembre 2012, vise un internaute convaincu d'avoir téléchargé deux chansons de Rihanna, ce qui relève sans doute du droit pénal. Son ex-épouse, divorcée depuis les faits, a reconnu avoir effectué ces téléchargements, mais son témoignage n'a pas empêché la condamnation de son ex-mari, puisqu'il était le titulaire de l'abonnement à internet et qu'il avait négligé de sécuriser son accès.
Cette affaire illustre parfaitement le problème essentiel de cette infraction, qui repose sur une présomption de culpabilité. Certes, le Conseil constitutionnel a admis cette possibilité de présomption de culpabilité, dans sa décision du 16 juin 1999, à la condition toutefois que les "faits induisent raisonnablement la vraisemblance de l'imputabilité", et que les droits de la défense sont respectés. En l'espèce, la "négligence caractérisée" de l'abonné résidait donc le fait qu'il n'avait pas su empêcher son épouse de procéder aux téléchargements fautifs. On imagine que les juges doivent hésiter avant de prononcer de telles condamnations, car l'élément moral de l'infraction fait cruellement défaut. L'internaute avait il vraiment conscience de commettre une infraction, en laissant son épouse utiliser librement son ordinateur ?
La conclusion s'impose. Le dispositif pénal de lutte contre les téléchargements illégaux ne fonctionne pas. La Hadopi dispose d'un budget qui a été réduit à neuf millions d'euros pour 2013, après s'être élevé à onze millions d'euros en 2012. Elle envoie des lettres, fait une politique de sensibilisation des internautes, mais sa mission se heurte très rapidement à l'ineffectivité de la sanction pénale. Il serait peut être possible d'économiser les deniers publics et de réfléchir à d'autres instruments juridiques et judiciaires.