« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


dimanche 13 janvier 2013

Non bis in idem, un principe constitutionnel autonome ?

Le Conseil constitutionnel est actuellement saisi d'une QPC 2012-289 portant sur le principe "Non bis in idem". Déjà connu du droit romain, il signifie tout simplement que nul ne peut être poursuivi ni condamné deux fois pour les mêmes faits. Cette règle figure dans l'article 368 du code de procédure pénale, le Protocole n° 7 de la Convention européenne des droits de l'homme (art. 4), l'article 15 § 7 du Pacte international sur les droits civils et politiques et enfin l'article 50 de la Charte européenne des droits fondamentaux. On le constate, tous ces textes font du principe "Non bis in idem" une obligation conventionnelle ou législative, limitée au cadre strict du droit pénal. 

Deux procédures disciplinaires

La QPC posée au Conseil constitutionnel porte cette fois sur la procédure disciplinaire. Dans sa décision du 7 novembre 2012, le Conseil d'Etat pose en effet la question de la constitutionnalité de l'article L 145-2 du code de la sécurité sociale. Celui ci prévoit un système assez complexe de cumul de poursuites disciplinaires contre les médecins. Ces derniers sont soumis à deux types de règles. D'une part, adhérents à un Ordre professionnel, il doivent respecter des normes déontologiques dont la violation peut conduire à une sanction prononcée par la Chambre disciplinaire de l'Ordre. D'autre part, prescripteurs de dépenses publiques, ils sont soumis à d'autres règles, dans l'intérêt cette fois de la sécurité sociale. Les sanctions sont alors prononcées par les Sections des assurances sociales, considérées comme des juridictions de contrôle technique prononçant également des sanctions disciplinaires. 

Le requérant, M. Laurent A., est accusé d'avoir accompli des actes chirurgicaux en dehors de sa spécialité. Il a donc été condamné à une interdiction d'exercer pendant deux ans prononcée par la Chambre disciplinaire de l'Ordre des médecins, puis à une interdiction de donner des soins aux assurés sociaux pendant trois ans, par la Section des assurances sociales. Conformément aux dispositions de l'article L 145-2 css., c'est finalement la sanction la plus forte qui a été mise à exécution, soit une peine de trois années d'interdiction de soins aux assurés sociaux. Une procédure est donc mise en oeuvre pour éviter le cumul des peines, mais pas celui des poursuites.


Knock. Guy Lefranc. 1951. Louis Jouvet et Pierre Renoir

Les règles de cumul

Le droit positif n'exclut pas les doubles poursuites, lorsqu'il s'agit de cumuler des poursuites disciplinaires, administratives ou fiscales avec une action strictement pénale. Depuis le célèbre arrêt du Tribunal des conflits Thépaz du 14 janvier 1935, on sait que le comportement d'un fonctionnaire peut constituer à la fois une faute pénale et une faute de service, et susciter à la fois des poursuites pénales et disciplinaires. Dans une décision du 8 juillet 2012, la Cour de cassation refuse ainsi la transmission au Conseil d'une QPC portant sur les dispositions qui autorisent l'Autorité des marchés financiers (AMF) à engager des poursuites administratives susceptibles de se cumuler avec des poursuites pénales. La Cour considère en effet que le principe "Non bis in idem" ne s'applique pas, dès lors qu'il s'agit de deux procédures de nature différente. 

Certes, mais en l'espèce, notre médecin fait l'objet de deux actions de nature disciplinaire. C'est précisément ce qui a justifié, cette fois, la transmission de la QPC au Conseil constitutionnel. 

Il faut en convenir, l'état du droit positif n'est guère favorable au requérant. Le Conseil d'Etat estime certes qu'un fonctionnaire ou un agent contractuel ne peut être sanctionné qu'une seule fois sur le plan disciplinaire. Dans un arrêt du 4 mars 1988, il a ainsi déclaré illégale la décision d'un maire révoquant un ouvrier d'entretien de la commune qui s'était battu avec un habitant, car une première sanction de mise à pied de cinq jours avait déjà été prise à son encontre. Dans l'affaire Laurent A. cependant, les deux procédures sont bien distinctes et les sanctions ne sont pas prononcées par les mêmes autorités.

Vers l'autonomie du principe "Non bis in idem" ? 

Il n'en demeure pas moins que si le Conseil décidait de faire de "Non bis in idem", un principe clairement constitutionnel, il pourrait être considéré comme s'appliquant à l'ensemble des procédures, qu'elles soient disciplinaires ou pénales. Une telle évolution irait évidemment dans le sens d'une jurisprudence qui tend à définir un certain nombre de garanties fondamentales de droit processuel, applicables à toutes les procédures pouvant s'analyser comme des sanctions.

Pour le moment, le Conseil constitutionnel n'a été appelé à se prononcer qu'en matière pénale, et il précise, dans sa décision du 25 février 2010, que le législateur peut prévoir que certains faits peuvent donner lieu à différentes qualifications. A cette occasion, il se réfère à "la règle Non bis in idem", sans préciser sa valeur juridique, et même sans réellement la dissocier du principe de nécessité de la peine, lui-même rattaché à l'article 8 de la Déclaration de 1789.

La QPC actuellement soumise au Conseil constitutionnel lui offre l'occasion de consacrer l'autonomie de la règle "Non bis in idem" et d'affirmer sa valeur constitutionnelle. Il peut le faire, sans pour autant nécessairement donner satisfaction au requérant, ce qui est sans doute la voie la plus simple pour réaliser une évolution jurisprudentielle.

Mais il pourrait aussi estimer que la double procédure dont le requérant a fait l'objet porte atteinte au principe "Non bis in idem", non pas en matière de peines, mais en matière de poursuites. En pratique, on ne voit d'ailleurs pas ce qui interdirait la mise en oeuvre par l'Ordre des médecins d'une procédure disciplinaire unique, à laquelle pourrait se joindre les organismes sociaux. Quant aux sanctions, l'interdiction de donner des soins aux assurés sociaux prononcée en matière de sécurité sociale ressemble étrangement à l'interdiction d'exercer prononcée par l'Ordre. Tous les patients, ou presque, ne sont-ils pas des assurés sociaux ?

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