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« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.
mardi 30 août 2016
Les droits des femmes, parlons-en
samedi 27 août 2016
Les Invités de LLC : Serge Sur : Une ordonnance qui ne règle rien
Une version plus courte de cet article a été publiée dans Le Monde, daté du 27 août 2016.
Economie de moyens
De ce débat, de l’argumentation du maire et de celle du TA, le Conseil d’Etat ne retient rien. Balayée la laïcité, oubliée la discrimination, foin des droits des femmes. Il trace rapidement son chemin vers la suspension, par une série d’affirmations relevant de l’imperatoria brevitas qui lui est chère. L’ordonnance n’est certes qu’une mesure provisoire, sans autorité de chose jugée, mais en réalité il s’agit bien d’un jugement sur lequel le Conseil ne reviendra sans doute pas en raison de la force des termes qu’il utilise. Une justice rapide, mais un jugement accéléré, mais un jugement expéditif. Il repose en effet sur son interprétation de l’ordre public. Le Conseil déclare qu’il n’est pas troublé par le Burkini. Or cette appréciation est à la fois subjective et à géométrie variable dans sa jurisprudence.
Décision d'espèce
Le Conseil se réfère à une conception étroite de l’ordre public, celle de l’absence de violences ou de manifestations hostiles sur les plages. C’est très bien, mais le Conseil d’Etat n’a pas toujours eu cette conception restrictive. L’ordre public est avec lui une sorte de Fregoli du droit administratif. Dans d’autres affaires, il a incorporé à l’ordre public un principe de dignité, qui lui a permis par exemple de condamner le« lancer de nains » ou d’interdire un spectacle de Dieudonné alors qu’aucune manifestation hostile ne le visait. Dans l’affirmation du jour, le Conseil se comporte en juge du fait et substitue son appréciation à celle du maire, comme un supérieur hiérarchique. Ce faisant, il ne rend qu’une décision d’espèce, ce qui est au demeurant la nature du référé, puisque dans d’autres circonstances l’ordre public pourrait justifier l’interdiction du Burkini. Il est donc inexact de dire que cette ordonnance du 26 août « fait jurisprudence » ou tranche la question.
Une politique juridique en question
L’ordonnance ne peut trancher les questions de fond, et il reviendra éventuellement au Parlement de le faire. On ne saurait reprocher au Conseil d’Etat de rester sur le plan du droit positif et de ne pas se comporter en législateur. On peut en revanche lui demander neutralité et impartialité et de ne pas faire intervenir des positions militantes dans la décision. Or dans cette ordonnance, les déclarations antérieures de l’un des trois juges posent un sérieux problème d’impartialité. Dans un rapport sur la politique d’intégration de la France, en 2013, il a rejeté le concept d’intégration, remplacé par une « société inclusive » et dénoncé « la célébration du passé révolu d’une France chevrotante et confite dans des traditions imaginaires ». La laïcité est-elle au nombre de ces traditions imaginaires ? Au Coran et à son affirmation de l’infériorité des femmes, on peut préférer la Constitution de 1946 et l’égalité des sexes – un passé révolu ?
On lit notamment dans ce rapport les propos suivants (p. 10), à propos de l’intégration : « Encore plus périphérique, et stratosphérique même, l’invocation rituelle, chamanique, des Grands Concepts et Valeurs suprêmes ! Empilons sans crainte – ni du ridicule ni de l’anachronisme – les majuscules les plus sonores, clinquantes et rutilantes : Droits et Devoirs ! Citoyenneté ! Histoire ! Œuvre ! Civilisation française ! Patrie ! Identité ! France ! – on se retient, pour ne paraître point nihiliste… » Heureusement qu’il se retient ! Et à propos de la Burqa (p. 64) : « Qu’on sache, aucun mouvement de fond n’est venu exiger que les femmes de confession musulmane puissent déambuler en Burqa. C’est le gouvernement qui a décidé de cibler les quelques femmes ainsi vêtues pour les dévêtir de la toute puissance de la loi, inventant ce slogan, qui laisse encore perplexe, selon lequel la République se lit à visage découvert… ». Mieux vaut « une autre vision de l’espace public… » que celle dans laquelle « les pelouses de la laïcité sont défendues par de sourcilleux gardiens ».
C’est au demeurant la presque unique mention des femmes dans le rapport. Sur la base de ces propos et de cette idéologie, comment attendre un jugement serein sur le Burkini, dépassionné, en fonction du dossier et des circonstances locales ? D’autant moins que le même rapport observe à propos de l’ordre public (p. 63) que « la notion est vague, et pour tout dire, politique dans ses extrêmes et ses frontières ». Tiens, tiens… Il est triste d’observer qu’une décision rendue le jour anniversaire de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ignore à ce point la dignité des femmes.
mardi 23 août 2016
Burkini : la jurisprudence s'affine
Un effort de motivation
La liberté d'exprimer ses convictions religieuses
Le contrôle de proportionnalité
Edna Boies Hopkins. The Waves. 1917 |
Fondamentalisme et démarche identitaire
Les droits des femmes
Espace public, espace privé
Une simple ordonnance de référé offre ainsi aux requérants un véritable cours de libertés publiques. Il est bon que les choses soient dites.
samedi 20 août 2016
Le burkini devant le juge
Un burkini, affirmé comme un signe religieux par les requérants
Pluralité des motifs d'interdiction
Le principe de laïcité
Le contexte local
Et la dignité des femmes ?
dimanche 14 août 2016
Le cas du "réfugié" afghan, ou les manipulations du droit
Demandeur d'asile et réfugié
Police judiciaire et police administrative
jeudi 11 août 2016
Perquisition en état d'urgence : exploitation des données
Définir l'espace du contrôle
Rappelons que la loi du 21 juillet 2016 met en place une procédure en trois temps.
- Au moment de la perquisition, les agents qui en sont chargés peuvent accéder aux données contenues dans les ordinateurs, téléphones, tablettes trouvés sur place.
- Si ce premier coup d'oeil révèle des informations en rapport avec une menace pour la sécurité et l'ordre publics (par exemple, numéro de téléphone de personnes fichées S ou traces de consultation de sites djihadistes etc...), ils peuvent alors prendre copie de ces données ou les saisir.
- Enfin l'administration va demander au juge des référés du tribunal administratif l'autorisation d'exploiter ces données, autorisation que le juge accorde ou refuse dans un délai de 48 heures.
C'est précisément ce que fait le juge des référés du Conseil d'Etat, intervenant en appel.
Le préfet du Var avait demandé en vain au juge des référés du tribunal administratif de Toulon d’autoriser l’exploitation des données contenues dans le téléphone portable de M. B. A., saisi lors de la perquisition administrative réalisée le 29 juillet 2016 au domicile de ce Tunisien en situation irrégulière. La décision rendue le 2 août 2016 est malheureusement introuvable, le dernier jugement mentionné dans les "actualités" du site du tribunal administratif de Toulon remontant à septembre 2015. De l'ordonnance rendue par le Conseil d'Etat, on peut néanmoins déduire que le juge toulonnais avait considéré que les éléments invoqués par l'administration ne permettaient pas de préciser la menace que représentait le propriétaire du téléphone pour l'ordre public. Il avait donc refusé l'autorisation demandée.
Le juge des référés du Conseil d'Etat donne cette autorisation, et marque clairement l'étendue de son contrôle ainsi que celle des prérogatives de l'administration.
Contrôle des motifs
En l'espèce, le juge administratif affirme un contrôle très étendu des motifs de la décision, dans le droit fil de celui qu'il exerce dans d'autres domaines de mise en oeuvre de l'état d'urgence. Dans une ordonnance du 22 janvier 2016 Halim A., le juge des référés du Conseil d'Etat n'hésite pas à suspendre une assignation à résidence qui lui semble reposer sur des motifs trop fragiles.
La situation est plus délicate en matière de perquisition, tout simplement parce que le contrôle ne peut intervenir qu'a posteriori, au moment où la visite domiciliaire est terminée. La condition d'urgence nécessaire à un référé fait donc nécessairement défaut. Dans sa décision du 19 février 2016, celle-là même qui a imposé une nouvelle intervention du législateur pour organiser la copie des données informatiques, le Conseil constitutionnel a estimé que cette situation ne porte pas atteinte au droit à un recours effectif. Aux yeux du Conseil, ce droit est suffisamment garanti par l'action en responsabilité que peut toujours engager la victime d'une perquisition abusive. S'il est impossible d'empêcher une perquisition, au moins est-il possible de réparer le dommage éventuel qu'elle peut causer.
En l'espèce, le juge affirme un contrôle étendu, proche sur ce point de celui exercé en matière d'assignation à résidence ou de dissolution d'un groupement. Dans sa décision du 5 août 2016, il prend soin d'énumérer les motifs invoqués. La perquisition avait ainsi révélé que l'appareil saisi contenait des vidéos salafistes et des contacts avec des individus ayant rejoint Daesh dans les zones de combat en Syrie et en Irak.
Possibilité d'enrichir le dossier en appel
En même temps qu'il accroît son contrôle, le juge administratif autorise l'administration à enrichir son dossier en appel. En l'espèce, le juge tient compte des procès verbaux de perquisition qui montrent que l'intéressé a reconnu que l'un de ses frères est mort en Irak en 2014, en commettant un attentat suicide pour le compte de Daesh. En outre, le ministre produit en appel une note blanche faisant état de liens de l'intéressé avec un ressortissant allemand ayant participé à différents projets d'attentats en 2015, et désormais parti en Syrie.
dimanche 7 août 2016
Déclaration de patrimoine : ça n'arrive qu'aux autres
Les membres du Conseil constitutionnel : un cavalier qui surgit hors de la nuit
Il observe que cette obligation a été introduite en première lecture à l'Assemblée nationale par la voie d'amendement. Or une telle obligation ne peut trouver son origine constitutionnelle dans une autre norme que celle prévue par l'article 63 de la Constitution qui énonce qu'une "loi organique détermine les règles d'organisation et de fonctionnement du Conseil constitutionnel (...)". Le législateur devait donc se fonder sur l'article 63 de la Constitution, et modifier l'ordonnance portant loi organique du 7 novembre 1958 sur le Conseil constitutionnel. Or le texte sur lequel le Conseil est appelé à statuer repose sur les articles 13 (compétence de nomination aux emplois civils et militaires), 64 (exigence d'une loi organique pour définir le statut des magistrats) et 65 de la Constitution (Conseil supérieur de la magistrature).
Dans la mesure où aucune des ces trois dispositions ne vise le statut des membres du Conseil constitutionnel, il en déduit que l'amendement leur imposant une déclaration de patrimoine s'analyse comme un cavalier législatif. Ces dispositions, affirme-t-il, "ne présentent pas de lien, même indirect, avec les disposition sud projet de loi organique". En d'autres termes, les membres du Conseil constitutionnel ne sont pas des magistrats et ne sont donc pas concernés par la loi.
Le raisonnement est incontestable, si ce n'est que le Conseil n'a pas toujours été aussi exigeant, loin de là. Dans une décision du 19 juin 2001, il a ainsi admis, dans la loi organique modifiant le statut des magistrats, un amendement modifiant la procédure civile, pénale et administrative, disposition ne relevant pas du domaine de la loi organique. De même a-t-il accepté, le 19 juillet 2010, un amendement supprimant la formation spéciale de la Cour de cassation en matière de question prioritaire de constitutionnalité dans une loi organique portant sur le Conseil supérieur de la magistrature.
Il est vrai que le Conseil se montre parfois beaucoup plus formaliste, sanctionnant par exemple un amendement portant le statut de la Nouvelle-Calédonie (art. 77 de la Constitution) le dans une loi organique relative à la Polynésie (décision du 28 juillet 2011). Aujourd'hui, le Conseil semble généraliser cette exigence d'une habilitation constitutionnelle parfaitement précisée dans la loi organique et qu'il est impossible d'étendre par la voie d'amendement. On ne doute pas que le Président Fabius aura à coeur de maintenir cette rigueur jurisprudentielle dans un domaine autre que celui des déclarations patrimoniales des membres du Conseil. Dans le cas contraire, les mauvais esprits pourraient penser que le Conseil a surtout cherché à échapper à cette obligation.
Les magistrats : l'assassinat par enthousiasme
Dans le cas des magistrats, le Conseil constitutionnel adopte la méthode de l'assassinat par enthousiasme. Il relève que la loi organique impose une déclaration patrimoniale aux seuls premier président et présidents de chambre de la Cour de cassation, procureur général et premiers avocats généraux près la Cour de cassation, premiers présidents des cours d'appel et procureurs généraux près les cours d'appel, présidents des tribunaux de première instance et procureurs de la République près les tribunaux de première instance, le législateur organique a traité différemment ces magistrats des autres magistrats exerçant des fonctions en juridiction. Mais cette liste n'est pas suffisante aux yeux du Conseil, tant il est vrai que cette déclaration patrimoniale "a pour objectif de renforcer les garanties de probité et d'intégrité de ces personnes. Elle est ainsi justifiée par un motif d'intérêt général".
Enthousiasme donc, au point que le Conseil constitutionnel refuse de considérer que les hauts magistrats sont dans une situation différente de celle de l'ensemble des magistrats exerçant leurs fonctions au sein d'une juridiction. Il considère, et on peut parfaitement soutenir ce point de vue, que cette finalité de probité et d'intégrité existe à tous les niveaux de la hiérarchie judiciaire. Certes, on objectera que le Conseil, dans sa décision du 9 octobre 2013 sur la loi relative à la transparence de la vie politique, avait parfaitement admis que la déclaration de patrimoine ne soit imposée qu'aux seuls fonctionnaires d'autorité, ceux en particulier occupant des emplois à la discrétion du gouvernement. Quoi qu'il en soit, dans sa décision du 28 juillet 2016, le Conseil sanctionne pour violation du principe d'égalité la disposition limitant la déclaration patrimoniale aux magistrats les plus élevés dans la hiérarchie judiciaire.
Devant une telle situation, le législateur a donc le choix entre deux solutions. La première et la plus logique serait d'étendre l'obligation à l'ensemble des magistrats. Rappelons que ces déclarations, dans l'état actuel du droit tel qu'il résulte de la loi du 11 octobre 2013, sont déposées auprès de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) qui a mission de les contrôler. L'ensemble des magistrats devraient donc remettre une déclaration personnelle, dans les deux mois qui suivent l'installation dans leurs fonctions, puis dans les deux mois qui suivent leur cessation. Cette déclaration devrait être renouvelée à chaque changement de fonctions, afin de permettre à la HATVP de détecter d'éventuelles évolutions inexpliquées du patrimoine.
Tout cela est fort intéressant, sur le papier. Mais les seuls magistrats de l'ordre judiciaire représentent déjà plus de 8 000 personnes, soit 8000 déclarations de patrimoine, renouvelées fréquemment au fil des avancements et des mutations. La HATVP est composée d'un collège de huit membres et d'une trentaine d'agents. Autant dire que l'afflux des déclarations risque de noyer une institution qui n'a pas été conçue pour analyser une telle masse de données. Devant une telle situation, le législateur a le choix entre deux solutions. La première, et la plus souhaitable, serait de muscler la HATVP, en accroissant de manière substantielle ses moyens, afin de répondre à cet afflux. La seconde, et la plus probable, est qu'il renoncera à imposer la déclaration de patrimoine aux magistrats, les plus élevés comme les moins élevés. La déclaration de patrimoine serait ainsi victime d'un assassinat par enthousiasme. En la généralisant, on la tue. Il sera intéressant de voir quelle sera la voie choisie par le législateur. Les paris sont ouverts.
mercredi 3 août 2016
Toréador en garde : l'oeil noir du Conseil d'Etat te regarde
1er acte : la corrida entre au patrimoine immatériel
Edouard Manet. L'homme mort. 1864 |