Ce choix d'un paquet témoigne sans doute d'une volonté de mener à bien rapidement la réforme des institutions, mais il est aussi source de complexité. L'articulation entre les textes n'est pas évidente, et le lecteur peut être surpris de s'apercevoir que les réformes les plus essentielles, en particulier la réduction du nombre des parlementaires, figurent non pas dans la loi constitutionnelle mais dans la loi organique.
Le débat parlementaire n'est pas encore commencé, et il est aujourd'hui bien difficile de prévoir ce que deviendra cette réforme. Pour le moment, le paquet constitutionnel reflète surtout la volonté réformatrice du Président de la République et du gouvernement, volonté parfois tempérée par le réalisme du Conseil d'Etat. On y retrouve nombre de dispositions figurant déjà dans le premier projet de 2018, dont la discussion avait été abandonnée à la suite de l'affaire Benalla.
Il est évidemment impossible, dans le cadre limité d'un blog, de faire une analyse exhaustive de cet ensemble. On se limitera à étudier les dispositions qui touchent directement aux libertés publiques, et à mettre en évidence les axes essentiels de la réforme, ceux-là mêmes qui sont susceptibles de provoquer les débats les plus vifs, tant au parlement que dans l'opinion.
L'environnement
Certains reprocheront sans doute au projet d'enterrer l'environnement. Le texte original soumis au Conseil d'Etat prévoyait d'inscrire au premier alinéa de l'article 1er de la Constitution : "La France agit pour la préservation de l'environnement et de la diversité biologique et contre les changements climatiques". Le Conseil d'Etat n'a pas montré d'enthousiasme excessif à l'égard de cette disposition, faisant observer que "l’article 1er de la Constitution n’a pas, en principe, vocation à accueillir l’énoncé de politiques publiques". Il reconnaît toutefois que le "caractère prioritaire de la cause environnementale" peut justifier une dérogation.
En revanche, la rédaction a suscité des réserves plus profondes. L'emploi du verbe "agir" lui a semblé dangereux, dans la mesure où il impose une obligation d'agir à l'Etat, tant au plan interne qu'international. Il risque donc d'avoir des conséquences tout-à-fait imprévisibles, la responsabilité de l'Etat risquant d'être engagée dès qu'il serait accusé d'inaction. Il a donc suggéré une autre rédaction : "La France favorise la préservation de l’environnement, la diversité biologique et l’action contre les changements climatiques". Le verbe "favoriser" implique un engagement pour la cause environnementale et son intégration dans les politiques publiques, sans pour autant engager directement la responsabilité de l'Etat.
Cette nouvelle rédaction est celle qui figure dans l'article 1er du projet de révision constitutionnelle. A dire vrai, n'ajoute rien au cadre constitutionnel du droit de l'environnement. L'article 34 de la Constitution confie déjà à la loi le soin de déterminer les principes fondamentaux de sa préservation. La Charte de l'environnement, intégrée au bloc de constitutionnalité en 2005, affirme en même temps que « la préservation de l’environnement doit être recherchée au même titre que les autres intérêts fondamentaux de la Nation ». La nouvelle rédaction de l'article 1er est donc sans conséquences juridiques, et n'a sans doute pas d'autre objet que de donner satisfaction à un mouvement écologiste de plus en plus actif.
Reste qu'il serait tout de même nécessaire que l'Exécutif relise ses projets avant de les transmettre au parlement. La rédaction choisie dans l'article 1er n'est, en effet, pas identique à celle annoncée dans l'exposé des motifs. Celui-ci énonce en effet, dans une sorte de cote mal taillée, que la France "favorise la préservation de l'environnement et de la diversité biologique et agit contre les changements climatiques". En principe, les parlementaires seront toutefois invités à débattre du texte de la loi et non pas de l'exposé des motifs.
Affiche, circa 1930 |
Le référendum
La manière dont est traitée la question du référendum relève de l'exercice de rhétorique. Il s'agit d'affirmer un attachement au référendum, instrument de démocratie directe qui était au coeur des revendications des Gilets jaunes. Mais en même temps, car il y a toujours un "en même temps", le projet révèle une grande méfiance à l'égard de la démocratie directe, une recherche constante de faire en sorte que le référendum n'existe que "sur le papier".
Le champ du référendum de l'article 11 est élargi aux "pouvoirs publics territoriaux" et aux "questions de société". La première mention est purement redondante car l'article 11 mentionnait déjà les "pouvoirs publics" et il était facile d'en déduire que les pouvoirs locaux en faisaient partie. La référence aux "questions de société" manque, quant à elle, de précision. D'ores et déjà, l'exposé des motifs semble craindre une interprétation trop large. Il précise donc que ces "questions de société n'incluent pas les matières fiscale et pénale". Les motifs de ce refus sont pour le moins embarrassés et le gouvernement invoque à la fois leur "nature particulière" et notre "tradition constitutionnelle". Le Conseil d'Etat, qui recommandait cette réserve, n'était pas plus clair sur sa motivation, expliquant que l'utilisation du référendum en matière pénale et fiscale "appelle (...) prudence et précaution". Disons-le franchement, l'idée générale est que le peuple ne doit pas se saisir de questions qu'il convient de laisser aux spécialistes.
Le référendum d'initiative partagée (RIP) fait l'objet d'un traitement tout aussi ambigu. Certes, il fera l'objet d'un nouvel article 69, figurant dans un nouveau titre XI, intitulé "De la participation citoyenne". Les seuils de mise en oeuvre seront abaissés à 1/10è des parlementaires et un million d'électeurs (au lieu des 4 700 000 signatures actuellement exigées). L'initiative pourrait même être inversée, le recueil des signatures précédans la résolution parlementaire.
Fort bien, mais tout cela ne modifie en rien le veto parlementaire. Comme aujourd'hui, le parlement pourra écarter le RIP, soit au stade de l'initiative, soit en refusant formellement le recours au référendum. Et le peuple ne dispose d'aucun moyen pour contourner ce veto. La démocratie directe ne peut donc s'exercer que sous le contrôle parlementaire.
Surtout, il est prévu une "clause anti-ADP". La proposition de loi soumise à un RIP ne pourra en effet avoir ni pour objet l'abrogation d'une disposition législative promulguée depuis moins de trois ans (et non un an comme aujourd'hui), ni porter sur le même objet qu'une disposition en cours d'examen au parlement ou définitivement adopté et non encore promulguée. Cette mesure est motivée en ces termes : "La participation citoyenne doit constituer un outil démocratique pour mettre à l'agenda politique des questions qui touchent les Français. Elle ne doit pas apparaître comme un mode de déstabilisation des institutions représentatives ou un moyen d'en contester constamment les décisions". La formulation est claire : l'intervention directe du peuple par référendum est perçue comme une "déstabilisation" et la durée de trois ans permet à un Président de développer son programme à peu près librement, sans être dérangé par une démocratie directe intempestive. De même, il suffira de laisser s'enliser un débat parlementaire pour empêcher la mise en oeuvre d'un RIP. Derrière l'élargissement du RIP se cache en réalité une forme d'assassinat par enthousiasme.
Ajoutons que le projet comporte la création d'un "Conseil de la participation citoyenne", institution au joli nom destinée à succéder au Conseil économique, social et environnemental. Il constituera l'image idéale de la participation médiatisée, indirecte et surtout totalement dépourvue de tout pouvoir décision, la future institution n'ayant qu'une fonction consultative.
La Justice
Sur ce point, le projet de 2019 ne diffère pas beaucoup de celui de 2018. L'article 5 du projet de révision supprime la disposition de l'article 56 de la Constitution aux termes de laquelle les anciens présidents de la République sont membres de droit du Conseil constitutionnel. On ne peut que s'en féliciter, mais déplorer en même temps que le caractère inabouti de la réforme. L'exposé des motifs inscrit en effet cette disposition dans un paragraphe intitulé : "Renforcer l'indépendance de notre justice". Peut-on vraiment considérer le Conseil constitutionnel comme une instance juridictionnelle indépendante et impartiale, alors que ses membres sont nommés exclusivement par des autorités politiques ? Poser la question revient malheureusement à y répondre.
Moins contestée est la réforme du Parquet, dont les membres seront désormais nommés sur avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature et non plus sur avis simple. Sans la supprimer tout-à-fait, cette disposition réduit le poids de l'exécutif dans la procédure de nomination, allant dans le sens des garanties exigées par la Cour européenne des droits de l'homme. De même, la suppression de la Cour de justice de la République était-elle envisagée depuis longtemps, la responsabilité pénale des ministre pouvant être engagée dans les conditions du droit commun, devant la Cour d'appel de Paris. Un filtrage sera toutefois mis en oeuvre, destiné à éviter les plaintes uniquement destinées à déstabiliser un adversaire politique.
Le Parlement
Les dispositions les plus contestées ne figurent pas dans la loi constitutionnelle, mais dans la loi organique. Elle concernant la réduction de 25 % du nombre de parlementaires. Le nombre de députés passerait de 577 à 433, le nombre de sénateurs de 343 à 261. Le Conseil d'Etat ne s'y oppose pas, précisant toutefois que les parlementaires doivent conserver une représentation démographique équitable. Il rappelle également les dispositions de l'article 46 de la Constitution qui énoncent que "les lois organiques relatives au Sénat doivent être votées dans les mêmes termes par les deux assemblées". On sent le doute vis à vis d'une réforme qui impose que le Sénat vote la suppression de 25 % de ses membres.
Il se montre moins enthousiaste encore à l'égard de la disposition visant à injecter une dose de proportionnelle dans l'élection des députés. Le projet prévoit en effet que, parmi les 433 députés, 87 seront élus au scrutin de liste à la représentation proportionnelle dans une circonscription nationale unique. Seront également élus au scrutin de liste, dans une circonscription unique, les députés élus par les Français établis hors de France. Le Conseil d'Etat estime qu'il n'a pas à se prononcer sur le choix politique d'introduire une part limitée de représentation proportionnelle. Il s'interroge en revanche sur les motifs invoqués à l'appui de cette réforme, en l'espèce une meilleure représentation de la diversité des formations politiques. Or, seules pourront participer à la répartition des sièges les listes ayant obtenu plus de 5 % des suffrages, seuil qui exclut les petites formations politiques. En d'autres termes, la représentation proportionnelle permettra sans doute au Rassemblement national d'être mieux représenté au parlement, mais elle jouera essentiellement en faveur des grands partis.
Ce seuil de 5 %, comme bien d'autres éléments du projet de révision, sera certainement l'objet d'un débat. Reste que le texte même du projet laisse le lecteur sur sa faim. Intégration de l'environnement, mais purement cosmétique. Réforme du Conseil constitutionnel, mais seulement pour les membres de droit. Réforme du RIP, mais avec une immense méfiance à l'égard de la démocratie directe. Réforme du champ du référendum mais en interdisant au peuple d'intervenir dans des questions essentielles. Réforme du mode de scrutin, mais seulement au profit des grands partis. A ce stade, il est évidemment impossible d'envisager ce que deviendra cette réforme. Tout au plus peut-on rêver à ce qu'elle aurait pu être.