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« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.
vendredi 30 septembre 2016
Les invitations de LLC : La liberté de presse au XXIè siècle
mardi 27 septembre 2016
Transaction pénale : Vers l'annulation du décret de 2015
Une nouvelle forme de transaction pénale
Une jurisprudence bien établie
Observons d'emblée que la transaction pénale contestée dans la présente QPC n'est pas la première du genre. Qu'il s'agisse du classement sous condition et médiation pénale, de la composition pénale, de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, voire de l'amende forfaitaire utilisée dans de nombreux domaines, la formule est solidement ancrée dans notre système juridique et a suscité plusieurs décisions du Conseil constitutionnel.
Depuis sa décision du 30 mars 2006, il la considère conforme à la Constitution, à la condition que soient respectées deux conditions cumulatives. En premier lieu, sa mise en oeuvre est subordonnée à l'accord de la personne mise en cause, assistée d'un avocat. En second lieu, la peine proposée ne doit avoir aucun caractère exécutoire en soi, l'intéressé pouvant refuser l'offre qui lui est faite. Cette double condition a ensuite été confirmée par la décision du 26 septembre 2014 rendue à propos de la transaction pénale en matière environnementale. Dans la décision du 23 septembre 2016, le Conseil s'attache donc à examiner ces deux éléments.
Desperate Housewives. Marc Cherry. Saison 6 épisode 9. 2009. |
L'absence de caractère exécutoire
La précision est importante, car le Conseil constitutionnel offre ainsi sur un plateau un cas d'annulation du décret d'application du 13 octobre 2015. En effet, celui mentionne que "la consignation vaut paiement de l'amende transactionnelle si la transaction est homologuée". Ajoutant ainsi une disposition qui ne figure pas dans la loi, le décret risque d'autant plus d'être annulé par le Conseil d'Etat que nul n'ignore que l'incompétence est un moyen d'ordre public.
Les droits de la défense
Les requérants invoquent ensuite la violation des droits de la défense, dans l'hypothèse où la transaction peut être proposée à la personne mise en cause durant sa garde à vue. Or, le droit positif pose un cadre très strict à l'intervention de l'avocat durant la garde à vue, celui ne pouvant réellement s'entretenir avec son client qu'à sa première heure et au moment de son éventuel renouvellement, pour trente minutes (art. 63-4 cpp). Si la proposition de transaction est faite après ces entretiens, le client n'est donc pas en mesure d'en discuter avec son conseil.
En l'espèce, le Conseil ne peut pas annuler une disposition législative qui n'existe pas, la loi ne précisant pas le moment où la proposition de transaction doit intervenir. Il formule donc une réserve d'interprétation, interdisant "qu'une transaction soit conclue sans que la personne suspectée d'avoir commis une infraction ait été informée de son droit à être assistée de son avocat avant d'accepter la proposition qui lui est faite, y compris si celle-ci intervient pendant qu'elle est placée en garde à vue".
Là encore, le Conseil met le pouvoir réglementaire en porte-à-faux. En effet, le décret du 13 octobre 2015 voulant, sans doute avec la meilleure volonté du monde, éviter toute atteinte au droit de la défense, a purement et simplement interdit toute proposition de transaction pénale pendant la garde à vue. Or le législateur ne l'interdit pas, et c'est ce que fait subtilement observer le Conseil constitutionnel, offrant à nouveau un cas d'incompétence au Conseil d'Etat.
L'incompétence négative
Le Conseil ne se borne tout de même pas à offrir des cas d'annulation du décret d'application. Il déclare fondé le grief reposant sur l'incompétence négative du législateur, dans la mesure où ce dernier ne fixe pas avec précision le champ d'application de la nouvelle transaction pénale. Il renvoie en effet au pouvoir réglementaire le soin de fixer le montant de la valeur des objets volés en-dessous duquel la transaction peut-être proposée. Pour le Conseil, le refus de fixer ce plafond emporte une violation de l'article 34 de la Constitution, dès lors que seul le législateur est compétent pour définir les règles gouvernant l'extinction de l'action publique et le champ d'application d'une procédure pénale.
Cette censure n'est guère surprenante. Le Conseil constitutionnel semble directement s'inspirer de l'arrêt France Nature Environnement rendu par l'Assemblée du Conseil d'Etat le juillet 2006. Celui-ci avait alors affirmé "qu'il appartient au législateur, (...) lorsqu'il crée un régime de transaction pénale, de déterminer les règles qui permettent d'en assurer le respect ; qu'au nombre de ces règles figurent le champ d'application de la transaction pénale".
La décision QPC du 23 septembre 2016 révèle, en creux, de graves insuffisances dans la rédaction des textes législatifs et réglementaires. Nul doute que l'annulation pour incompétence négative aurait pu être évitée, tant il était évident que le plafond financier de la transaction conditionnait son champ d'application. Nul doute aussi que la rédaction du décret accumule les cas d'incompétence et que le Conseil constitutionnel se fait un plaisir, peut-être un peu pervers, de les signaler au Conseil d'Etat. La QPC va donc entrainer non pas l'annulation de la loi mais très probablement celle du décret. Un exemple de plus de l'influence considérable de la jurisprudence constitutionnelle sur l'ensemble du système juridique. Pourquoi pas ? Encore faudrait-il réfléchir sérieusement à la composition du Conseil constitutionnel, à l'impartialité de ses membres et à toutes questions qui empêchent aujourd'hui de le considérer comme une vraie juridiction.
vendredi 23 septembre 2016
Le régime juridique du lien hypertexte
La communication au public
Roy Lichtenstein. Finger Pointing. 1973 |
But lucratif, ou pas
mercredi 21 septembre 2016
Royauté du plaignant et loyauté de la preuve
Principe de loyauté et procès équitable
Liberté de preuve pour les personnes privées
Liberté de preuve pour les enquêteurs
James Bond. Goldfinger. Guy Hamilton. 1964. L'atelier de Mister Q. |
Le stratagème
L'intérêt de la décision résidera sans doute dans ses conséquences. Dans l'affaire des deux journalistes, la presse annonce déjà l'abandon des poursuites, dès lors que les preuves par enregistrement ne peuvent plus être utilisées. Cette solidarité professionnelle est très sympathique, mais personne ne connaît réellement le dossier, et on ne sait pas si d'autres éléments de preuve existent.
Les conséquences d'ordre général sont beaucoup plus intéressantes. Certes, la Cour de cassation impose une vision extrêmement rigoureuse de la recherche de la preuve et du principe de loyauté, et on peut s'en doute s'en féliciter sur un plan purement symbolique. Sur le plan pratique cependant, on peut penser que les policiers prendront désormais la précaution d'inciter la victime de ce type d'infraction à procéder seule aux enregistrements avant de les leur remettre comme preuves de l'infraction. Une aubaine pour les officines de sécurité privée qui viennent de trouver un nouveau marché. Nul doute que leur vision de la loyauté de la preuve est marquée par une éthique rigoureuse..
dimanche 18 septembre 2016
Facebook : l'enfant est une personne
Le déni de la vie privée
La vie privée des enfants
Les parents, auteur de l'atteinte au droit à l'image
Vers une "loi gomme" ?
dimanche 11 septembre 2016
Etat d'urgence : le premier refus d'exploitation des données
Perquisition et saisie de données
Arman. Accumulation de téléphones portables. Circa 2000 |
Contrôle des motifs
La maîtrise de l'évolution du droit
jeudi 8 septembre 2016
Les invités de LLC : Vida Azimi : Parole de Persane : ça commence toujours avec le « dérisoire »…
Un "islam français"
1979, et après
La servitude consentie
Une identité soucieuse
mardi 6 septembre 2016
Dire que le Premier ministre fume la moquette relève de la liberté d'expression
Réputation et vie privée
Rappelons qu'aux termes de l'article 10, une ingérence dans la liberté d'expression peut être licite si elle est prévue par la loi, si elle poursuit un but légitime et si elle se révèle nécessaire dans une société démocratique. En l'espèce, nul ne conteste, pas même les juges portugais, que l'article contesté contient une ingérence dans la vie privée de l'ancien Premier ministre. Il n'est pas davantage contesté que cette ingérence est prévue par la loi, le code civil portugais autorisant l'action en responsabilité en cas d'atteinte à l'honneur et à la considération d'une personne. Dans une jurisprudence constante, et récemment dans son arrêt Almeida Leitao Bento Fernandes c. Portugal du 12 mars 2015, la Cour affirme en effet que la protection de la réputation constitue un élément de la vie privée et qu'elle constitue donc un but légitime autorisant une restriction à la liberté d'expression.
Le débat d'intérêt général
Sa motivation aurait pu se limiter au rappel de la notion de "débat d'intérêt général" qui permet de justifier les intrusions de la presse dans la vie privée des personnes. Dans deux arrêts du 14 janvier 2014, Ojala et Etukeno Oy c. Finlande et Ruusunen c. Finlande, la Cour considère que les juges finlandais n'avaient pas à prononcer la saisie d'un livre écrit par une femme qui racontait sa liaison avec le Premier ministre. Ils pouvaient se borner à interdire les passages portant sur la vie sexuelle ou intime du couple. Pour la Cour, l'histoire de cette liaison contribuait donc à un débat d'intérêt général. Dans l'arrêt Medipress-Sociedade Jornalistica LDA, la Cour aurait pu simplement affirmer que le journaliste participait à un débat d'intérêt général en contestant, même en termes un peu vifs, le projet développé par le Premier ministre de modifier le droit de la presse. Le fait de l'accuser "d’un délire provoqué par la consommation de drogues dures" serait alors considéré comme une figure de style donnant à l'article un ton pamphlétaire qui n'est pas illicite.
Exagération et provocation
La décision Brasilier c. France du 11 avril 2006 offre un exemple réjouissant de ce raisonnement. Le requérant est un candidat malheureux aux élections législatives de 1997, très malheureux même car, dans la circonscription du 5è arrondissement de Paris où il était opposé à Jean Tiberi, il s'est aperçu qu'aucun des 60 000 bulletins à son nom n'avait été déposé dans les bureaux de vote. Il organise donc une manifestation où il brandit une banderole portant l'inscription : "Tiberi, tu nous casses les urnes". L'intéressé porte plainte pour diffamation, mais M. Brasilier est relaxé sur la plan pénal et condamné à verser 1 euro symbolique à Jean Tiberi sur le plan civil. La Cour européenne estime pourtant que cet euro est de trop, car un adversaire politique doit avoir la possibilité de discuter la régularité d'une élection et que, dans ce cas, "la vivacité des propos est plus tolérable qu'en d'autres circonstances".
Information factuelle ou jugement de valeur
Pour le requérant, il s'agit d'une affirmation factuelle mettant en cause sa probité et reprenant d'ailleurs des rumeurs malveillantes. C'est sensiblement la position adoptée par les juges portugais. Pour le journal, il s'agit d'un jugement de valeur qui s'inscrit dans un article dont la tonalité générale est extrêmement critique.
La Cour européenne adopte cette seconde thèse. Dans l'affaire Brasilier, elle avait estimé que le "Tiberi, tu nous casses les urnes" relevait à l'évidence du jugement de valeur, faisant toutefois observer qu'il avait une origine factuelle, le Conseil constitutionnel ayant annulé l'élection de l'intéressé pour fraude électorale. En l'espèce, la situation est plus délicate car la consommation de drogues dures imputée au ministre ne repose sur aucune base factuelle. La Cour préfère donc insister sur le caractère ironique de ce propos que les juges portugais ont refusé de voir, les prenant au pied de la lettre. Elle en avait fait de même dans un arrêt du 6 novembre 2007 Lepovic c. Serbie, à propos d'un élu local, accusé d'avoir dépensé l'argent de manière "presque insensée", formule qui, aux yeux de la Cour, ne mettait pas en cause sa santé mentale, mais traitait, ironiquement, de son honnêteté.
A l'issue du raisonnement de la Cour, on retrouve donc ce fameux débat d'intérêt général qui permet de faire prévaloir la liberté de presse, débat d'intérêt général qui peut être développé sur le ton satirique. La solution d'espèce est évidemment satisfaisante mais elle n'interdit pas de se poser des questions sur l'avenir de cette jurisprudence. Elle repose sur des faits, et sur l'appréciation que fait la Cour du caractère ironique ou non de l'article. Le sens de l'humour est-il identique à Lisbonne, à Belgrade et à Strasbourg ? On attend avec impatience les suites de cette jurisprudence pour le savoir et pour rire un peu.
vendredi 2 septembre 2016
Autorité des marchés financiers : L'apparence de l'impartialité
Dans un arrêt X. et Y. du 1er septembre 2016, la Cour européenne des droits de l'homme déclare que la procédure de sanction mise en oeuvre par l'Autorité des marchés financiers (AMF) ne porte atteinte à aucun de ces principes.
La prévisibilité de la loi
Ecartons rapidement le moyen invoquant un manquement à l'article 7 de la Convention européenne des droits de l'homme qui garantit le principe de légalité des délits et des peines. En l'espèce, les requérants ne contestent pas l'existence, l'accessibilité et prévisibilité des obligations professionnelles qui s'imposent à eux, mais ils soutiennent que le non-respect de ces obligations n'étaient pas constitutives d'un manquement sanctionné par l'AMF. A leurs yeux, il devait seulement donner lieu à des opérations techniques et non pas à des sanctions. Disons-le clairement : les malheureux banquiers ne connaissaient pas les règles gouvernant une augmentation de capital.
L'impartialité
BNP. Votre argent m'intéresse. Publicité. 1973 |
Impartialité subjective
Impartialité objective
Cette appréciation formelle de l'impartialité ne surprend guère. La Cour avait déjà conclu à l'impartialité de la Commission des sanctions de l'AMF dans son arrêt Messier c. France du 23 juin 2011. Cette jurisprudence témoigne d'une grande tolérance de la Cour à l'égard des autorités administratives indépendance, tolérance égale à celle dont elle fait preuve à l'égard du Conseil d'Etat. Rappelons en effet qu'avec deux arrêts, l'un du 15 juillet 2009 Yvonne Etienne c. France, l'autre du 4 juin 2014 Marc Antoine c. France, la Cour a admis la conformité de la procédure contentieuse mise en oeuvre devant le Conseil d'Etat à la Convention. Cette jurisprudence semble bien généreuse, si l'on considère que l'institution du rapporteur public mise en oeuvre avec le décret du 7 janvier 2009 ne modifie pas de manière substantielle une procédure qui avait été sanctionnée par la jurisprudence Kress c. France de 2001.
Le pouvoir de sanction des autorités administratives indépendantes est évidemment conforté par l'arrêt X. et Y. c. France. Mais le principe d'impartialité, quant à lui, en sort un peu malmené. On aurait nettement préféré que la Cour apprécie l'ensemble du dossier et pas seulement le contenu des textes en vigueur. Nul n'ignore que les relations entre les fonctions de régulation et de sanction ne sont pas toujours aussi cloisonnées que les textes l'affirment. Or l'impartialité n'est pas seulement une question d'apparence formelle. C'est aussi une question bien réelle qui exige que les requérants ou les personnes sanctionnées puissent avoir confiance dans les juges.