Someday my Prince will come
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« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.
dimanche 29 septembre 2013
La princesse et sa Cour... européenne des droits de l'homme
Someday my Prince will come
mercredi 25 septembre 2013
Sécurité et sûreté : les joyeux contresens de Christian Estrosi
Assiette révolutionnaire. Nevers 1789 |
dimanche 22 septembre 2013
La Scientologie devant la Cour européenne : halte aux recours dilatoires
L'irrecevabilité de fond
La Cour européenne ne rejette pas les moyens au fond, mais déclare, à l'unanimité, la requête irrecevable. On pourrait s'en étonner, dès lors que le droit français ne connaît que les irrecevabilités de forme, mais le droit de la Convention européenne connaît aussi une irrecevabilité pour "défaut manifeste de fondement" (art. 35 § 3 a). Elle ne vise pas seulement les requêtes que l'on pourrait qualifier de fantaisistes mais celles qui, "à la suite d'un examen préliminaire de son contenu, ne révèle aucune apparence de violation des droits garantis par la Convention, de sorte que l'on peut la déclarer irrecevable d'emblée".
Le droit à un juste procès et la procédure globale
Une grande part des déclarations d'irrecevabilité de ce type concernent des requêtes invoquant, comme c'est le cas dans l'affaire asbl Eglise de Scientologie c. Belgique, une violation de l'article 6 § 1. En effet, le droit à un procès équitable ne vise que la régularité de la procédure contentieuse, la manière dont le juge interne a respecté l'égalité entre les parties tout au long de l'affaire, jusqu'à la décision finale. Il s'agit donc d'une appréciation globale, principe acquis avec la décision Star Epilekta Gevmata et a. c. Grèce du 6 juillet 2010.
Dans l'affaire asbl Eglise de Scientologie c. Belgique, la Cour rappelle donc, logiquement, que l'équité de la procédure ne peut s'apprécier que dans son ensemble, une fois que les juges internes ont statué définitivement sur l'affaire (par exemple : CEDH 2 mars 2000, Beljanski c. France). En l'espèce, la Cour européenne est saisie alors que les décisions de justice relatives aux recours de la Scientologie ne sont toujours pas intervenues. La globalité de la procédure ne peut donc être appréciée au regard de l'article 6 § 1 de la Convention.
En ce qui concerne la présomption d'innocence, garantie par l'article 6 § 2 de la Convention européenne des droits de l'homme, la Cour reconnaît qu'une telle atteinte peut être le fait des autorités publiques et judiciaires d'un Etat. Que leurs propos soient ou non repris dans la presse est sans effet sur leur responsabilité en matière de présomption d'innocence. En revanche, ces propos doivent effectivement "donner à penser qu'une autorité de ce type considère l'intéressé comme coupable, alors qu'il n'a pas été définitivement jugé tel". De fait, les autorités de l'Etat doivent rechercher un équilibre entre la nécessaire information du public sur les enquêtes en cours et la réserve que commande le respect de la présomption d'innocence (CEDH, 10 février 1995, Allenet de Ribemont c. France).
En l'espèce, la Scientologie n'invoque qu'un communiqué de presse anodin qui se borne à affirmer qu'il y a effectivement eu des perquisitions dans ses locaux. Pour le reste, elle se fonde sur les articles de presse qui mentionnent des "sources proches de l'enquête", sans qu'il soit possible de déterminer si ces sources existent. Les auteurs d'éventuelles atteintes à la présomption d'innocence seraient donc les journalistes auteurs des articles, mais certainement pas les membres du parquet auxquels sont attribués des propos dont il est impossible de prouver qu'ils les ont tenus. Très logiquement, la Cour décide donc que "cette partie de la requête est manifestement mal fondée".
La décision repose sur l'articulation entre un champ d'application très large des conditions d'irrecevabilité devant le Cour européenne, et l'analyse de la procédure dans sa globalité. A ce titre, elle n'emporte aucune réelle rupture jurisprudentielle. Elle conduit cependant à une décision très sévère qui prend l'allure d'un avertissement à la Scientologie et à l'armée d'avocats qui travaillent à protéger ses intérêts. Certes, il n'existe pas au sens formel, de sanction pour recours abusif devant la Cour, mais les recours dilatoires ou purement médiatiques risquent de se retourner contre ceux qui les introduisent. C'est sans doute le message subliminal de la Cour.
vendredi 20 septembre 2013
Le "Like" sur Facebook protégé par le 1er Amendement
Dans une première décision rendue par le juge de district Jackson en avril 2012, ce dernier avait considéré que le simple clic "like" n'emportait aucun "actual statement", contrairement au "commentaire" édité sur Facebook et qui lui suppose une expression formelle, même en quelques mots. Le premier était donc, aux yeux du juge de première instance, un "insufficient speech to merit constitutional protection". Traduit en français, cela signifie que le "like" n'a pas un contenu informationnel suffisant pour justifier une garantie constitutionnelle. Un tel raisonnement conduit ainsi à dissocier l'expression sur Facebook, entre ce qui relève du discours structuré, même très bref, et ce qui doit être rattaché à un vague témoignage de satisfaction.
Le "Like" et le "Symbolic Speech"
Le Juge William B. Traxler Jr annule la décision du Juge Jackson. A ses yeux, le "like" relève de la liberté d'expression, même s'il s'agit d'une expression ni verbale, ni écrite. A ce titre, sa position repose sur la jurisprudence relative au "Symbolic Speech" qui considère que le simple fait de manifester son opinion, soit dans la rue, soit en brûlant un drapeau, soit encore en cliquant sur "Like" doit être protégé par le Premier Amendement. Peu importe que l'expression soit sommaire, car le juge n'a pas à apprécier la qualité de cette dernière.
En l'espèce, il s'agit d'affirmer son soutien à une campagne électorale en cours, et le clic prend une réelle signification. Il n'y a donc pas de différence, au regard de la garantie constitutionnelle, entre le fait de cliquer sur "Like" ou celui de taper un message de soutien en quelques mots.
La solution a le mérite d'être simple, même si ses conséquences sont, pour le cas d'espèce, loin de l'être. En effet, le juge considère que le shérif auteur du licenciement bénéficie de l'immunité financière accordée par le 11è Amendement. aux autorités des Etats fédérés. En clair, l'Etat de Virginie devra sans doute réintégrer les requérants dans leurs fonctions, mais le shérif ne sera pas personnellement tenu de les indemniser pour le dommage subi.
Le droit français
Il n'en demeure pas moins qu'il est bien difficile de poser un principe général dans ce domaine. Le bouton "J'aime", comme son homologue américain "like" est largement utilisé à des fins publicitaires et de marketing commercial. Il est désormais possible, on n'arrête pas le progrès, d'acheter des "j'aime" dans le but de développer la diffusion d'une page. Un site propose ainsi un paquet de 30 000 "Like" pour 149 euros, et certains estiment que le soutien massif au bijoutier de Nice s'explique par le recours à ce genre de commerce. Dans ce cas, la question reste posée du titulaire de la liberté d'expression. S'agit-il du robot à l'origine de la création d'une identité fictive ? Certainement pas, car les robots ne sont pas titulaires du droit, du moins pas encore. S'agit-il de la personne qui a acheté les identités fictives ? Théoriquement oui, mais est ce réellement satisfaisant d'accorder un droit à quelqu'un qui se cache et dont le but est de tromper les internautes ? On le voit, les problèmes juridiques posés par le "j'aime" de Facebook ne font que commencer.
mardi 17 septembre 2013
Le Québec entre laïcité et communautarisme
samedi 14 septembre 2013
La GPA devant la Cour de cassation : immobilisme jurisprudentiel
Une étrange situation juridique
L'objet de la circulaire Taubira est de permettre la délivrance d'un certificat de nationalité française
aux enfants nés à l'étranger d'un parent français ayant "vraisemblablement" eu recours à une procréation médicalement assistée (PMA) ou à une GPA. Dès lors qu'est établi un lien de filiation entre l'enfant et un ressortissant français, lien établi par un acte d'état civil licite dans le droit du pays concerné, il est donc possible d'obtenir un certificat de nationalité. La circulaire repose ainsi sur l'intérêt supérieur de l'enfant : quelles que soient les conditions de sa naissance, même illicites au regard du droit français, il doit pouvoir être citoyen français, comme l'un au moins de ses parents.
"Fraus omnia corrumpit"
Cette sévérité résulte d'une application rigoureuse de l'adage "Fraus omnia corrumpit", depuis longtemps intégré dans la jurisprudence de la Cour de cassation, et qui lui permet de prononcer la nullité de tous les actes issus d'une fraude. Le problème est tout de même que la fraude, qu'elle soit civile ou pénale, se définit par la volonté de nuire, ce qui n'est pas le cas en l'espèce. Les parties à un contrat de gestation pour autrui n'ont pas réellement le désir de nuire à qui que ce soit, seulement celui de mettre un enfant au monde.
Ce refus d'examiner l'intérêt supérieur de l'enfant est d'autant plus surprenant que, dans sa décision du 17 mai 2013 sur le mariage pour tous, le Conseil constitutionnel a énoncé une réserve d'interprétation dont tout le monde se souvient. Il a en effet estimé que l'alinéa 10 du Préambule de 1946 qui énonce que "la Nation assure à l'individu et à la famille le conditions nécessaires à leur développement" devait s'entendre comme imposant le respect de l'intérêt de l'enfant pour toute procédure d'adoption. Certes, l'adoption n'est pas la GPA, mais il n'en demeure pas moins que l'intérêt supérieur de l'enfant dispose maintenant d'un fondement constitutionnel qui devrait s'imposer aux juridictions.
Et maintenant ?
Que va t il se passer, maintenant que la Cour de cassation a soigneusement bloqué toute possibilité
Claire Bretécher. Le destin de Monique. 1983 |
Du côté des pouvoirs publics, on peut envisager le recours à la voie législative pour autoriser formellement la transcription dans les registres français de l'état civil de l'acte de naissance des enfants que l'on soupçonne d'être nés par une convention de gestation pour autrui. Le problème est évidemment de nature politique, car on imagine facilement les hurlements de ceux qui manifestaient à grand bruit contre le mariage pour tous.
Si le gouvernement écarte la voie législative, les intéressés devront se tourner vers la Cour européenne des droits de l'homme. Elle seule pourra exercer son contrôle au regard de l'intérêt de l'enfant et du droit au respect de la vie privée de ceux qui sont allés à l'étranger pour profiter d'un système juridique plus favorable. Peut-être songera t elle alors que le droit français est beaucoup plus indulgent à l'égard de ceux qui transfèrent leur fortune dans des paradis fiscaux qu'à l'égard de ceux qui vont faire des enfants dans des "paradis de mères porteuses" comme les Etats Unis ou l'Inde. Les premiers sont invités gracieusement à rapatrier leur argent, les seconds n'ont pas le droit de rapatrier leurs enfants.
jeudi 12 septembre 2013
Le registre des baptêmes, un fichier comme un autre
Pour parvenir à cette solution, la Cour d'appel examine successivement les deux moyens invoqués par le requérant.
Le Parrain. Francis Ford Coppola 1972 |
Le premier d'entre eux est la loyauté, ce qui signifie que les informations ne peuvent être collectées à l'insu des intéressés. Tel n'est pas le cas en l'espèce, puisque les parents du requérant ont, au contraire, souhaité que son nom figure sur le registre des baptêmes.
Le second est le principe de finalité qui veut que les données conservées doivent être strictement conformes à l'objet du fichier. L'inscription sur le registre des baptêmes a pour objet d'informer les membres du clergé du fait qu'une personne est baptisée, notamment lorsque l'intéressé souhaite ensuite, par exemple, la célébration d'un mariage religieux. Il ne s'agit, en aucun cas, d'en déduire une quelconque participation à une communauté paroissiale ou d'utiliser le fichier à des fins de prosélytisme. La loi du 6 janvier 1978 prévoit d'ailleurs expressément le cas des données conservées par les organismes religieux à but non lucratif, qui ne doivent pas être communiquées à des tiers, sauf consentement de l'intéressé. Le registre des baptêmes ne fait pas exception à cette règle, et la diffusion des données aux tiers, dans le cas du requérant, est de son propre fait, puisqu'elle résulte du contentieux dont il a pris l'initiative.
Le troisième principe enfin est celui de la pertinence et de l'exactitude des données stockées. Le registre des baptêmes ne conserve que le minimum des informations utiles pour savoir qu'une personne a été baptisée. L'intéressé peut d'ailleurs, comme l'a fait le requérant, demander l'ajout d'une mention selon laquelle il a renié son baptême. Sur ce point encore, le registre des baptêmes est donc conforme à la loi.
Le registre des baptêmes de la paroisse de Fleury est donc un fichier comme les autres, et un fichier licite. Il n'est que le reflet d'une situation à une date donnée, et, à ce titre, il a aussi une valeur d'archive. Il ne donne aucune information sur la pratique religieuse du requérant, mais seulement sur la démarche de ses parents qui, en 1940, ont souhaité le faire baptiser. Leur acte de volonté a existé, même si leur fils a ensuite renié cette appartenance religieuse, ce qui est son droit le plus strict. Mais il n'est pas en mesure de réécrire une histoire qui ne lui appartient pas.
mardi 10 septembre 2013
La fiabilité des statistiques de la délinquance, éternel débat ?
Hergé. L'étoile mystérieuse. 1942 |
dimanche 8 septembre 2013
La contrainte pénale : de quoi parle-t-on ?
Desperate Housewives. Saison 6. Teri Hatcher et Dana Delany 2010 |
Et pourquoi pas la probation ?
Le plus visible dans le projet de loi réside paradoxalement dans une absence, celle de toute référence à la notion de probation. Or, celle-ci figurait dans le travail de la conférence de consensus qui est directement à l'origine de la réforme, le rapport remis au Premier ministre préconisant la mise en oeuvre d'une "peine de probation". Cette terminologie est également celle adoptée par le Conseil de l'Europe, dans sa recommandation du 20 janvier 2010 "relative à la probation".
Le projet Taubira préfère pourtant se référer à la contrainte pénale, terme également privilégié par le rapport Raimbourg présenté à l'Assemblée nationale en janvier 2013. Il présente un premier avantage d'ordre terminologique, qui est d'éviter toute confusion avec le champ d'intervention des agents de probation, ceux là même qui sont chargés de l'accompagnement et de la prise en charge des personnes condamnées en milieu libre.
Ce choix est d'abord un hommage à l'"inventeur" de cette notion, Pierre-Victor Tournier, dont les travaux en criminologie sont bien connus des spécialistes Celui-ci propose en effet, une peine de "contrainte pénale appliquée dans la communauté". La référence à la "communauté" est, en fait, une forme d'anglicisme inspiré des travaux du Conseil de l'Europe. Dans un pays comme la France qui récuse tout communautarisme, l'idée est tout simplement celle d'une peine effectuée en milieu ouvert, par opposition au milieu carcéral. Pour supprimer toute ambiguïté terminologique, les auteurs du projet ont donc préféré retirer toute référence à cette "communauté", bien étrangère au droit français.
Cet hommage au travail de Pierre-Victor Tournier cache cependant une seconde cause de cette préférence de la "contrainte pénale" au détriment de la "probation : le champ d'application de la première est bien plus étroit que celui de la seconde. La probation est généralement présentée comme englobant l'ensemble des peines exécutées en dehors des murs d'une prison, dans le but de réinsérer l'auteur de l'infraction dans la société et de contribuer ainsi à la sécurité. L'idée générale est de créer un "désistement" (atrocement aussi appelé "désistance"), c'est à dire un processus par lequel l'auteur d'infraction est conduit, par de multiples leviers, à mettre un terme à ses activités de délinquance. La "contrainte pénale", de son côté, a des ambitions plus modestes même si elles demeurent importantes. Il s'agit de lutter contre la récidive, en sortant la personne du milieu carcéral pour l'exécution de sa peine. La contrainte pénale englobe donc une série d'obligations de comportement mises à la charge de la personne condamnée.
La contrainte pénale "déconnectée" de l'emprisonnement ?
La contrainte pénale se veut donc "déconnectée" de la peine de prison. Elle est prononcée par la juridiction de jugement, en l'occurrence le tribunal correctionnel, puisqu'elle s'applique aux personnes déclarées coupables d'un délit punissable d'une peine inférieure ou égale à cinq années d'emprisonnement. Entendons nous bien, le tribunal correctionnel se borne à condamner à la contrainte pénale, sans plus de précision. Les services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP) devront ensuite, dans un délai de trois mois, faire ce que les anglo-saxons appellent un "diagnostic à visée criminologique", c'est à dire une enquête prenant en considération l'ensemble du contexte socio-culturel dans lequel évolue le condamné : vie familiale, aptitudes professionnelles, capacités de réinsertion, etc. Ils proposeront ensuite les mesures qui leur paraîtront adaptées au cas particulier et c'est le juge d'application des peines qui décidera du contenu effectif de la contrainte pénale. La plupart des mesures possibles existent déjà dans notre système juridique : obligation de soins, travaux d'intérêt général, obligation de suivre une formation, interdiction de s'approcher de telle ou telle personne ou de tel ou tel lieu etc. (art. 9 du projet de loi).
jeudi 5 septembre 2013
Droit au nom et non discrimination
Sur le fond, la décision apparaît comme la simple mise en oeuvre d'une jurisprudence Ünal Tekeli c. Turquie du 16 novembre 2004. La Cour y sanctionnait déjà le droit turc qui, à l'époque, n'autorisait d'ailleurs même pas l'épouse à accoler son nom à celui de son mari. Tout au plus pouvait elle utiliser ce patronyme double dans sa vie quotidienne, à condition qu'il n'apparaisse jamais sur des actes officiels. L'évolution qui autorise cette pratique n'a pas pour conséquence de rendre ces règles conformes à la Convention, et la Cour sanctionne donc de nouveau le droit turc.
Discrimination et vie privée
L'étude des motifs invoqués par le juge montre cependant une évolution peu visible, mais intéressante, entre les deux décisions. Dans les deux cas en effet, la requérante invoque une violation de l'article 14 qui interdit les discriminations et affirme que cette discrimination porte sur la mise en oeuvre du droit au respect de la vie privée et familiale, garanti par l'article 8. C'est précisément sur l'articulation entre ces deux dispositions que se situe l'évolution de la Cour.
Dans l'affaire Ünal Tekeli de 2004, la Cour estime qu'il y a violation de l'article 14, dans la mesure où une discrimination est effectivement introduite dans un domaine qui touche à la vie privée des personnes. La démonstration n'est pas si aisée, car la Turquie considère que le droit du nom de famille ne relève pas exclusivement de la vie privée, mais aussi de la vie publique. Aux yeux des autorités turques, l'unité de la famille est incarnée dans l'usage d'un seul nom patronymique, celui du mari, et ce principe s'analyse comme une politique publique. Elles font remarquer que la Cour européenne laisse aux Etats une large autonomie en matière d'état-civil, ce qui n'est pas faux.
Pour contourner l'objection, la Cour opère un contrôle de proportionnalité entre les intérêts en cause. L'unité de la famille ne justifie pas, affirme-t-elle, une mesure discriminatoire qui a des conséquences sur la vie privée de l'intéressée, dès lors que le mari apparaît nécessairement comme le "chef de famille". Et cette unité pourrait d'ailleurs être aussi bien affirmée en offrant la possibilité de choisir le nom de l'épouse. La Cour européenne constate ainsi une discrimination (art. 14) dans l'exercice du droit de mener une vie privée et familiale normale (art. 8).
En 2004, ce raisonnement était le seul possible, puisque le principe de non discrimination de l'article 14 ne pouvait être invoqué que "dans l'exercice des droits et libertés reconnus dans la présente convention". Il était donc indispensable de rattacher, même un peu artificiellement, la discrimination à l'un ou l'autre des droits garantis, en l'espèce le droit à la vie privée.
Au moment où intervient la décision du 3 septembre 2013, le Protocole n°12 à la Convention européenne est entré en vigueur depuis longtemps, depuis le 1er avril 2005 précisément. Cette fois, les droits concernés par l'article 14 ne sont plus seulement ceux figurant dans la Convention, mais aussi ceux garantis par l'Etat signataire. Le Protocole affirme ainsi que "la jouissance de tout droit prévu par la loi doit être assurée, sans discrimination aucune (...)".
Pour rechercher l'existence d'une discrimination, la Cour utilise deux critères cumulatifs, d'une part, une différence de traitement dans l'exercice d'une liberté, d'autre part une absence de justification raisonnable appréciée par une comparaison entre les moyens employés et le but poursuivi. En l'espèce, la différence de traitement est évidente, puisque seules les femmes sont contraintes d'abandonner leur nom de naissance. Il s'agit donc d'une discrimination fondée sur le sexe. Certes, l'article 8 est mentionné, mais sans s'y attarder, comme l'une des conséquences de la discrimination et non pas comme origine. La Cour ajoute d'ailleurs aussitôt qu'il n'est pas nécessaire de rechercher si la pratique turque constitue, en soi, une atteinte à la vie privée, dès lors que la discrimination fondée sur le sexe est démontrée.
Evolution de la jurisprudence ? Oui, sans doute, si l'on considère le mode de raisonnement de la Cour, désormais beaucoup plus libre en matière de discrimination. Il n'empêche qu'il peut sembler étrange que des Etats du Conseil de l'Europe, signataires de la Convention européenne des droits de l'homme, refusent toujours d'adopter le principe de liberté dans le choix du nom de famille. A l'époque où la plupart des Etats modernes ont adopté ce principe, à l'époque aussi où le mariage pour tous rend impensable l'idée même de "chef de famille", le droit turc apparaît bien désuet. Heureusement, la décision de la Cour va certainement susciter quelques changements. Car derrière cet attachement à la prééminence du nom du mari apparaît évidemment une conception de la famille marquée par des traditions religieuses qui supposent l'asservissement des femmes.