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« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.
vendredi 31 mars 2017
Etat d'urgence : Le juge judiciaire et le contrôle des perquisitions (épisode 2)
lundi 27 mars 2017
La Cour européenne et l'exportation des prestations sociales
Femme d'Alger. Roy Lichtenstein. 1963 |
Absence de droit d'obtenir une prestation
Le principe de non-discrimination
jeudi 23 mars 2017
L'assignation à résidence ou le Conseil d'Etat à tous les étages
En l'espèce, Soflyan I. ne pouvait invoquer l'inconstitutionnalité de la procédure d'assignation à résidence, déjà déclarée conforme à la Constitution par la décision Cédric D. du 22 décembre 2015. Il a donc choisi de contester la prorogation de la mesure dont il est l'objet, c'est-à-dire concrètement sa durée. Il a reçu le soutien de la Ligue des droits de l'homme qui a présenté des observations en intervention.
L'article 66
Le second moyen soulevé, à dire vrai très ressassé depuis le début de l'état d'urgence, réside dans l'atteinte à l'article 66 de la Constitution qui énonce que "nul ne peut être arbitrairement détenu. L'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi ". A la lecture de ces dispositions, on pourrait comprendre que le droit français repose sur un principe selon lequel toute atteinte à une liberté constitutionnellement garantie relève de la compétence du juge judiciaire. C'est pourtant loin d'être le cas. En matière d'assignation à résidence, comme dans d'autres domaines, le Conseil affirme qu'il s'agit d'une mesure de police administrative. Ayant pour objet de prévenir les atteintes à l'ordre public, elle est l'expression de prérogatives de puissance publique, justifiant le contrôle par la juridiction administrative.
Il est vrai que, dans la même décision Cédric D. du 22 décembre 2015, le Conseil constitutionnel formule une réserve d'interprétation. Elle ne concerne cependant pas la durée globale de l'assignation à résidence, mais seulement la durée de l'astreinte obligeant l'intéressé à demeurer dans son lieu d'habitation : pour le Conseil, une astreinte supérieure à douze heures pourrait être analysée comme une atteinte à la liberté individuelle. Dans ce cas, l'article 66 pourrait s'appliquer et la compétence du juge judiciaire être imposée. Mais, on l'a compris, la réserve d'interprétation porte sur une durée de douze heures d'astreinte et non pas sur une durée de douze mois d'assignation. Et précisément, dès lors que le Conseil n'a pas formulé ce second type de réserve en décembre 2015, on ne voit pas pourquoi il prononcerait une sanction sur ce fondement en mars 2017.
Ce n'est, en tout cas, pas l'arrêt D. rendu par le Conseil d'Etat le 11 décembre 2015 qui était susceptible de le faire changer d'avis. Certes, le juge administratif y déclare qu'une mesure d'assignation à résidence pourrait, "compte tenu de sa durée (...) prendre le caractère d'une mesure privative de liberté".. Sans doute, mais la haute juridiction administrative se prononce sur la conformité d'une assignation à l'article 5 de la Convention européenne.. Une telle décision ne peut donc avoir aucun impact sur la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui n'est pas plus liée par la Convention européenne des droits de l'homme que par les arrêts du Conseil d'Etat.
Le grief fondé sur la non conformité à l'Article 66 de la Constitution est donc écarté une nouvelle fois. Mais le Conseil constitutionnel est, en quelque sorte, venu au secours de la défense en lui suggérant le seul moyen utile pour obtenir une déclaration d'inconstitutionnalité. Ce moyen, soulevé d'office, a donc été communiqué à l'avocat du requérant, ainsi qu'à celui de la Ligue des droits de l'homme qui ont pu ensuite développer leurs observations.
Le principe d'impartialité
La décision révèle "en creux" une accoutumance générale à l'omniprésence du Conseil d'Etat. Les avocats n'y avaient pas songé, tant ils sont habitués à voir la Haute Juridiction administrative intervenir dans tous les domaines et à toutes les étapes de la procédure. Reste tout de même à s'interroger sur l'avenir de cette jurisprudence. Si elle était appliquée de manière rigoureuse, elle pourrait remettre en cause toute l'organisation de la juridiction administrative. On ne doit pas oublier, en effet, que le Conseil d'Etat exerce des fonctions administratives et des fonctions contentieuses. Il est donc conduit à examiner des décrets, dans sa formation de conseil, avant d'en apprécier la légalité, dans sa formation contentieuse. Un tel partage est-il conforme au principe d'impartialité, tel que le définit le Conseil constitutionnel ? La question est désormais posée.
Sur le principe d'impartialité : Chapitre 4 section 1 § 1 du manuel de libertés publiques sur internet
dimanche 19 mars 2017
Délit d'entrave à l'IVG : les réserves du Conseil constitutionnel
La décision du 16 mars 2017 ne saurait cependant être analysée comme une victoire des partisans de l'IVG. D'abord, parce que ce n'est pas l'intervention elle-même qui était menacée par ce délit, mais la communication sur l'IVG. Ensuite, parce qu'il faut bien reconnaître que l'infraction sort quelque peu éprouvée du contrôle de constitutionnalité. En effet, le Conseil constitutionnel formule des réserves d'interprétation qui encadrent strictement ce délit.
Le texte soumis au Conseil constitutionnel trouve son origine dans une proposition portée par Bruno Le Roux et plusieurs de ses collègues du groupe socialiste de l'Assemblée nationale. La loi ne comporte qu'un seul article dont l'objet est à la fois d'élargir et de "moderniser" le délit d'entrave à l'IVG. Cette infraction est apparue avec la loi du 27 janvier 1993, à une époque où l'IVG suscitait des actions violentes destinées à empêcher sa mise en oeuvre. Certains militants s'enchaînaient aux tables d'opérations, d'autres cherchaient à faire pression sur les femmes et sur les médecins par différents procédés d'intimidation. Il s'agissait donc d'une entrave physique à l'IVG et la loi punissait désormais de deux ans d'emprisonnement et 30 000 € d'amende, le fait de perturber " de quelque manière que ce soit l'accès aux établissements (...) , la libre circulation des personnes à l'intérieur de ces établissements ou les conditions de travail des personnels médicaux et non médicaux".
De l'entrave physique à l'intimidation sur internet
Aujourd'hui, ces procédés d'intimidation prennent une autre forme, à une époque où internet est souvent la source d'information privilégiée des femmes qui veulent recourir à l'IVG. On a vu ainsi se multiplier les sites de désinformation et de propagande hostile à l'IVG, souvent cachés sous l'apparence de sites plus ou moins rattachés au service public hospitalier. C'est ainsi qu'IVG.net se présente comme un site d'"écoute", d'"accompagnement", de "conseils spécialisés" et d'"informations complètes". Derrière ces préoccupations altruistes apparaît pourtant une démarche visant à dissuader les femmes de recourir à l'IVG. C'est ainsi que la page "Témoignages" ne comporte que deux types de points de vue : soit la femme a pris brutalement conscience des bienfaits de la maternité et renoncé à son projet, soit elle a procédé à l'IVG et le regrette amèrement car elle a de graves séquelles physiques ou psychologiques...
Pour essayer d'empêcher cette utilisation partisane d'internet, la loi du 4 août 2014 sur l'égalité réelle entre les femmes et les hommes a étendu le délit d'entrave à l'IVG au fait de perturber l'accès des femmes à l'information sur l'intervention. Aujourd'hui, le législateur vote donc un nouvel élargissement visant spécifiquement les sites de désinformation sur internet. L'article L 2223-2 du code de la santé publique est désormais augmenté d'un nouvel alinéa qui punit de la même peine le fait d'exercer "des pressions morales et psychologiques, des menaces ou tout acte d'intimidation à l'encontre (...) par tout moyen de communication au public, y compris en diffusant ou en transmettant, par voie électronique ou en ligne, des allégations ou indications de nature à induire intentionnellement en erreur, dans un but dissuasif, sur les caractéristiques ou les conséquences médicales d'une interruption volontaire de grossesse". Ce sont ces dispositions qui sont soumises au Conseil constitutionnel.
Le moyen fondé sur l'atteinte à l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi est rapidement rejeté par le Conseil constitutionnel qui estime ces dispositions suffisamment précises pour qu'il soit rejeté.
La liberté d'expression
Par leur second moyen, le plus intéressant, les parlementaires auteurs de la saisine invoquent une violation de la liberté d'expression et de communication, dont le fondement réside dans l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Sa valeur constitutionnelle a été affirmée dans la décision rendue par le Conseil constitutionnel le 11 octobre 1984 mais cela ne signifie pas qu'elle ait un caractère absolu. Dans sa décision QPC du 28 mai 2010, le Conseil rappelle en effet que le législateur peut décider de porter atteinte à l'exercice de la liberté d'expression dès lors que cette atteinte est nécessaire, adaptée et proportionnée à l'objectif poursuivi.
En l'espèce, le Conseil constitutionnel affirme très clairement que l'IVG relève de "la liberté de la femme" qui découle de l'article 2 de la Déclaration de 1789. Il ajoute que les dispositions qui répriment les manifestations perturbant l'accès aux établissements pratiquant l'IVG ou les actes d'intimidation commis à l'encontre des médecins ou des femmes ne sont pas disproportionnées à l'objectif poursuivi.
Dans le cas des pressions morales et psychologiques, menaces et actes d'intimidation exercés au moyen de sites de communication en ligne, le Conseil constitutionnel se montre plus circonspect. Il admet le caractère proportionné de ce délit nouveau, mais énonce deux réserves aux conséquences particulièrement importantes pour sa mise en oeuvre.
Les réserves
Le Conseil affirme d'abord que "la seule diffusion d'informations à destination d'un public indéterminé sur tout support, notamment sur un site de communication au public en ligne, ne saurait être regardée comme constitutive de pressions, menaces ou actes d'intimidation au sens des dispositions contestées, sauf à méconnaître la liberté d'expression et de communication". De manière très claire, le Conseil constitutionnel affirme ainsi que les sites de propagande anti-IVG ne sont pas interdits. Il rappelle ainsi que la liberté d'expression protège toutes les opinions, y compris celles qui n'ont pas la faveur de la majorité de la population, surtout celles là puisque, par hypothèse, elles ont davantage besoin d'être protégées. Le délit ne sera constitué que lorsque les gestionnaires de ces sites entreprendront des actions concrètes destinées à empêcher ou dissuader une femme de s'informer sur l'IVG ou d'y recourir. Le site pourra donc expliquer Urbi et Orbi pourquoi l'IVG n'est pas conforme à la volonté de Dieu mais ses gestionnaires ne pourront user d'une pratique bien connue qui consiste à harceler l'intéressée de courriels ou de SMS en lui demandant de repousser l'intervention, jusqu'à ce que le délai légal ait expiré.
Reste à savoir si cette infraction demeurera dans le droit positif. François Fillon a en effet annoncé, dans une interview à Famille Chrétienne, sa volonté, s'il est élu Président de la République, de supprimer le délit d'entrave à l'IVG, qu'il s'agisse de l'entrave physique ou des pressions exercées sur internet. Un bon moyen de revêtir le costume de protecteur de la famille.
jeudi 16 mars 2017
Le voile en entreprise et la conception française de la laïcité
Dans le premier cas, la CJUE considère que l'interdiction du voile n'est pas discriminatoire, alors qu'elle prononce une censure dans le second cas. Les deux décisions ne sont pourtant pas contradictoires mais complémentaires. La première consacre la conception de la laïcité fondée sur le principe de neutralité, la seconde en précise l'encadrement juridique.
Deux questions préjudicielles
A partir de cette définition très large, deux conceptions bien distinctes de la laïcité s'opposent désormais. D'un côté, le droit anglo-saxon qui autorise toutes les manifestations religieuses dans l'espace public comme dans l'entreprise. De l'autre côté, la conception développée par l'entreprise belge et qui est également celle du droit français, visant au contraire à assurer le respect du principe de neutralité, l'expression des convictions religieuses demeurant dans la sphère de la vie privée.
Consécration de la conception française de la laïcité
De toute évidence, la décision Samira Achbita confirme que cette conception française et belge du principe de laïcité n'emporte pas une atteinte à la liberté religieuse. Là encore, la CJUE reprend la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme. Dès son arrêt Dogru c. France du 4 décembre 2008, celle-ci avait affirmé que la laïcité française repose à la fois sur la reconnaissance du pluralisme religieux et sur la neutralité de l'Etat, principes compatibles avec l'article 9 de la Convention européenne des droits de l'homme.
Ce principe de neutralité peut s'imposer non seulement aux agents publics mais aussi aux salariés du secteur privé. Sur ce point, la CJUE a précédé la CEDH avec la décision Hartlauer du 10 mars 2009 qui affirme que le règlement intérieur d'une entreprise peut interdire aux travailleurs le port visible de signes religieux, à la condition qu'il s'agisse de mettre en oeuvre une véritable politique de neutralité poursuivie de manière cohérente et systématique. La CEDH, dans son Eweida et autres c. Royaume-Uni du 15 janvier 2013 applique la même jurisprudence a contrario : en l'absence d'une politique de neutralité clairement affirmée, une restriction identique n'est pas possible dans une entreprise britannique.
Ces deux facettes de la laïcité sont donc désormais clairement identifiées, tant par la Cour de Strasbourg que par celle de Bruxelles. Selon la formule employée par l'arrêt de la CEDH Ebrahimian c. France du 26 novembre 2015, le droit européen reconnaît désormais un "modèle français de laïcité".
Le cadre juridique de la neutralité
Encore faut-il que le principe de neutralité ainsi garanti et consacré au plan européen réponde à certaines conditions de cohérence et de proportionnalité. Le règlement intérieur de l'entreprise ne peut interdire le port de signes religieux que si cette règle "traite de manière identique tous les travailleurs de l'entreprise en leur imposant, de manière générale et indifférenciée, le respect de la neutralité vestimentaire". Ce n'est pas précisément le voile qui est interdit, mais aussi le port visible d'une croix, d'une kippa, d'un turban, en bref de tout élément de costume susceptible d'afficher des convictions religieuses. Samira Achbita n'est donc pas victime d'une différence de traitement qui s'analyserait comme une discrimination.
Contrairement à ce qu'une lecture rapide pourrait laisser penser, le second arrêt de la CJUE, Asma Bougnaoui, n'est que la conséquence de cette jurisprudence. Dans le cas de Asma Bougnaoui, l'entreprise concernée n'a pas mis en place de politique de neutralité, comme en témoigne le fait que l'intéressée s'est vue accorder un contrat de travail à durée indéterminée alors qu'elle avait décidé de porter le voile durant son stage.
Son licenciement pourrait cependant ne pas être discriminatoire si le souhait d'un client de l'entreprise ne pas avoir à faire à une salarié voilée pouvait être considéré comme une "exigence professionnelle essentielle et déterminante" au sens de la directive. Or, selon ce même texte, cette formulation renvoie à "la nature de l'activité professionnelle et aux conditions de son exercice". Il s'agit donc, à l'évidence, des conditions de travail envisagées de manière objective. C'est ainsi que le port du voile peut quelquefois se révéler dangereux au regard des activités exercées. Dans le cas de Mme Chaplin, partie à l'arrêt Eweida c. Royaume-Uni, la Cour européenne des droits de l'homme a ainsi déjà jugé que le port ostensible d'une croix peut être interdit dans un hôpital, pour des raisons de sécurité. L'interdiction visant Asma Bougnaoui repose, quant à elle, non pas sur des conditions objectives d'exercice de son travail mais sur une appréciation plus subjective du chef d'entreprise qui souhaite donner satisfaction à l'un de ses clients. Pour la Cour de Justice, les dispositions de la directive ne sauraient être interprétées dans ce sens, et le licenciement de l'intéressé se trouve donc dépourvu de fondement juridique.
L'affaire Asma Bougnaoui offre ainsi aux entreprise le mode d'emploi du principe de neutralité. L'interdiction du port de signes religieux doit reposer sur un règlement intérieur qui met en place une politique cohérente de neutralité et vise l'ensemble des salariés, quelle que soit leur confession, ou sur des considérations de sécurité incontestables. Dans les autres cas, l'atteinte à la liberté religieuse peut être sanctionnée.
Le droit français se trouve ainsi à la fois consacré et encadré. Mais il faut bien reconnaître que cet encadrement ne dépasse pas le principe de non discrimination tel qu'il est déjà garanti par le droit interne. Car ce principe était déjà posé dans la célèbre décision de la Cour de cassation rendue à propos de l'affaire Baby Loup, le 25 juin 2014. Elle avait alors admis le licenciement de l'employée d'une crèche privée, au motif précisément que le règlement intérieur de l'établissement prévoyait une politique de neutralité.
Les partisans français de la laïcité anglo-saxonne, et ils sont fort nombreux, vont peut-être devoir modifier quelque peu leur discours. Au fil des affaires, de Baby Loup au burkini en passant par l'interdiction de la dissimulation du visage dans l'espace public, la jurisprudence européenne, celle de la CEDH comme celle de la CJUE était devenue, en effet, non pas l'instrument d'une analyse juridique mais plutôt un élément de langage. Dès qu'un texte, national, local, voire le règlement d'une entreprise, prohibait le port de signes religieux, on voyait immédiatement se multiplier dans les médias chroniques et commentaires affirmant, d'un ton informé et péremptoire, que les juges européens censureraient bientôt ces décisions attentatoires à la liberté religieuse, voire aux droits des femmes. La censure espérée ne se produit pas. Au contraire, les juges européens reconnaissent désormais clairement que la neutralité est une politique parfaitement compatible avec la liberté religieuse.
Sur le port du voile en entreprise : Chapitre 10 section 1 du manuel de libertés publiques sur internet
dimanche 12 mars 2017
Un costume relève-t-il de la vie privée ?
Liberté individuelle et vie privée
Le débat d'intérêt général
Sur le débat d'intérêt général : Chapitre 8 section 4 § 1 C du manuel de libertés publiques sur internet
samedi 11 mars 2017
Marwa et le droit de mourir dans la dignité
L'urgence et le fond
Obstination déraisonnable ou non
La volonté de la famille
Cette prise de position du juge trouve certaine son origine dans le sentiment de compassion qu'il éprouve à l'égard des parents de l'enfant et sans doute aussi dans la volonté d'éviter des contentieux particulièrement longs. Sur un plan strictement juridique, la loi Léonetti précise pourtant que les membres de la famille doivent être "consultés". Leur avis n'est que consultatif et l'équipe médicale peut prendre la décision d'arrêter un traitement, même dans l'hypothèse où cet avis est négatif. Le problème est que cette rigueur juridique est bien délicate à mettre en oeuvre lorsqu'une famille n'est pas en mesure d'accepter l'inacceptable. A leur manière, les juges décident donc de laisser du temps au temps. Le temps pour les médecins de démontrer le caractère irréversible des lésions, le temps pour les parents de le comprendre et de l'accepter.
Là encore, la situation est bien différente dans l'affaire Vincent Lambert. Dans son cas, la famille est loin d'être unanime et elle est même extrêmement divisée. Si la mère du jeune homme refuse tout interruption des traitements, son épouse et son frère souhaitent au contraire le laisser s'éteindre dans la dignité. Il faut bien reconnaître que, dans cette affaire, le temps a plutôt permis de cristalliser les conflits plutôt que de les résoudre.
L'ordonnance rendue par le juge des référés du Conseil d'Etat le 8 mars 2017 montre finalement que la loi Léonetti définit un cadre juridique, librement interprété par le juge. Il est vrai qu'il y est incité par le Code de la santé publique qui rappelle que chaque cas est un cas particulier, qui doit être apprécié dans sa globalité. Le résultat, et c'est le seul point commun entre le cas de Vincent Lambert celui de Marwa, est que l'intervention de la famille devient prépondérante, ce qui n'était sans doute pas dans l'esprit initial de la loi. Le concept même de jurisprudence est-il encore pertinent dans un contentieux où il n'existe que des cas d'espèce très différents et donc le seul point commun est leur caractère tragique ?
mercredi 8 mars 2017
Trêve de plaisanterie
La trêve électorale devant le juge administratif
Le problème est que cette trêve électorale n'existe pas vraiment devant le juge administratif.
Frédéric Rolin, dans son article sur "La retenue du juge administratif en période électorale", montre que quelques affaires anciennes ont effectivement pu être traitées avec une sage lenteur. Le seul cas cité remonte à presque trente années. Le Conseil d'Etat avait alors été confronté, avant le referendum qui a suivi les accords de Nouméa, à un recours du Front Calédonien contre l'arrêté fixant la liste des partis politiques autorisés à participer à la campagne référendaire, liste dans laquelle il ne figurait pas. A l'époque le Conseil d'Etat avait effectivement refusé de statuer avant la consultation. Ensuite, dans un arrêt du 10 mai 1989, il avait rendu une décision de non-lieu, l'affaire ne présentant plus aucun intérêt dès lors que le referendum avait eu lieu le 6 novembre 1988. Frédéric Rolin reprend la formule courtoise de René Chapus qui évoque à ce propos "un non-lieu d'expédient". Disons-le franchement, il s'agit de laisser pourrir un contentieux pour ne plus avoir à le traiter. C'est sans doute ce que souhaite J. E. Schoettl à propos de l'affaire Fillon. On doit néanmoins se réjouir que le juge judiciaire se refuse à de telles pratiques qui s'analysent comme un déni de justice.
Au demeurant, cette possibilité est aujourd'hui exclue, même devant le juge administratif pourtant si prêt à temporiser et à rendre la justice quand elle ne présente plus aucun intérêt. Depuis la loi du 30 juin 2000, les procédures d'urgence ont été considérablement développées devant la juridiction administrative. Aujourd'hui, le Front Calédonien pourrait tout simplement déposer un référé et contraindre ainsi le juge à statuer rapidement...
Observons tout de même que le contentieux de la campagne électorale, le seul qui soit de la compétence du juge administratif, n'a vraiment rien à voir avec celui auquel est confronté le juge pénal. Le premier apprécie l'élection, la régularité de la campagne, l'égalité entre les candidats et le respect du pluralisme. Le second juge l'individu et les infractions qu'il est susceptible d'avoir commis. Il est alors particulièrement important que les électeurs puissent être informés avant le scrutin de faits susceptibles d'éclairer son vote.
La Trêve de Dieu |
La trêve électorale devant le juge judiciaire
Du côté du juge judiciaire, les choses sont encore plus simples. La prétendue trêve judiciaire n'existe pas et on ne lui trouve aucun fondement juridique. Dans le cadre de cette torsion de l'analyse juridique déjà évoquée, certains ont mentionné l'article L 110 du code électoral, selon lequel "aucune poursuite contre un candidat, en vertu des article L 106 et L 108, ne pourra être exercée (...) avant la proclamation du scrutin". Ils en ont déduit qu'il existait bien une "règle écrite" imposant la trêve judiciaire. On peut tout de même regretter que d'aussi fins juristes ne soient pas allés lire les articles L 106 et L 108 du code électoral. Ils auraient eu la surprise de découvrir que cette trêve ne s'applique pas au cas de François Fillon. L'article L 106 sanctionne les dons ou libéralités offerts à des électeurs pour tenter d'influencer leur vote. L'article L 108 réprime les mêmes faits au sein d'un conseil municipal. Dans les deux cas, il s'agit de punir un candidat qui distribue de l'argent à des électeurs. Dans le cas des faits reprochés à François Fillon, la situation est inversée, puisqu'il s'agit d'enrichir le candidat lui-même, ou sa famille. In fine, on constate l'absence totale de fondement juridique susceptible de justifier une telle trêve.
Aux yeux de J. E. Schoettl, la retenue judiciaire n'emporterait aucune atteinte à l'égalité devant la loi, dès lors qu'il reste possible de poursuivre François Fillon après l'élection s'il est battu, et à la fin de son mandat s'il est élu. Belle conception du principe d'égalité qui repousse les poursuites pénales selon le bon vouloir de celui qui en est l'objet ! Un chef d'entreprise qui a créé un emploi fictif risque aussi d'être poursuivi pour abus de biens sociaux, de voir sa crédibilité mise en cause auprès du personnel de son entreprise, de ses actionnaires ou de ses banquiers. Pourquoi ne pourrait-il pas, lui aussi, invoquer une trêve judiciaire ? Dans l'affaire Fillon elle-même, la trêve serait-elle étendue au bénéfice de Pénélope Fillon et de ses enfants ? L'auteur ne nous livre sur ce point aucune analyse juridique.
De la même manière considère-t-il que le parquet national financier a fait du zèle en demandant l'ouverture d'une instruction quelques jours avant la publication de la loi du 27 février 2017 portant réforme de la prescription. Il convient pourtant de rappeler que le rôle du procureur est précisément de poursuivre, de défendre l'intérêt de la loi, et non pas celui de l'accusé. Il est parfaitement dans son rôle en s'efforçant, en toute légalité, de couvrir l'ensemble d'une affaire, en décidant l'ouverture de l'instruction avant la publication d'une loi dont l'une des dispositions a été votée par les parlementaires pour étendre la prescription des infractions liées à la corruption. L'auteur regrette que cette loi ne soit pas applicable au cas de François Fillon, mais c'est tout de même une piètre défense que celle qui consiste à vouloir effacer les faits illicites par une prescription de complaisance...
D'une manière générale, toute l'analyse repose sur une bien curieuse conception de la séparation des pouvoirs. On comprend que, dans l'esprit de l'auteur, le juge judiciaire ne doit pas intervenir dans les petits arrangements entre amis qui caractérisent la gestion du parlement. Mais la séparation des pouvoirs vise seulement à interdire aux juges toute intervention dans le coeur de l'activité parlementaire que sont le vote de la loi et le contrôle du gouvernement. Elle ne s'applique en aucun cas aux infractions pénales détachables de la fonction législative. Au contraire, la séparation des pouvoirs devrait être invoquée pour permettre au juge judiciaire d'exercer sa mission dans la sérénité, sans être poursuivi par des propos haineux qui l'accusent de "procès staliniens", alors même qu'aucun procès n'est encore prévu. Cette mission du juge judiciaire est précisément au coeur de l'Etat de droit... une notion que J. E. Schoetll ne peut tout de même avoir totalement oubliée.