En l'espèce, Soflyan I. ne pouvait invoquer l'inconstitutionnalité de la procédure d'assignation à résidence, déjà déclarée conforme à la Constitution par la décision Cédric D. du 22 décembre 2015. Il a donc choisi de contester la prorogation de la mesure dont il est l'objet, c'est-à-dire concrètement sa durée. Il a reçu le soutien de la Ligue des droits de l'homme qui a présenté des observations en intervention.
L'article 66
Le second moyen soulevé, à dire vrai très ressassé depuis le début de l'état d'urgence, réside dans l'atteinte à l'article 66 de la Constitution qui énonce que "nul ne peut être arbitrairement détenu. L'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi ". A la lecture de ces dispositions, on pourrait comprendre que le droit français repose sur un principe selon lequel toute atteinte à une liberté constitutionnellement garantie relève de la compétence du juge judiciaire. C'est pourtant loin d'être le cas. En matière d'assignation à résidence, comme dans d'autres domaines, le Conseil affirme qu'il s'agit d'une mesure de police administrative. Ayant pour objet de prévenir les atteintes à l'ordre public, elle est l'expression de prérogatives de puissance publique, justifiant le contrôle par la juridiction administrative.
Il est vrai que, dans la même décision Cédric D. du 22 décembre 2015, le Conseil constitutionnel formule une réserve d'interprétation. Elle ne concerne cependant pas la durée globale de l'assignation à résidence, mais seulement la durée de l'astreinte obligeant l'intéressé à demeurer dans son lieu d'habitation : pour le Conseil, une astreinte supérieure à douze heures pourrait être analysée comme une atteinte à la liberté individuelle. Dans ce cas, l'article 66 pourrait s'appliquer et la compétence du juge judiciaire être imposée. Mais, on l'a compris, la réserve d'interprétation porte sur une durée de douze heures d'astreinte et non pas sur une durée de douze mois d'assignation. Et précisément, dès lors que le Conseil n'a pas formulé ce second type de réserve en décembre 2015, on ne voit pas pourquoi il prononcerait une sanction sur ce fondement en mars 2017.
Ce n'est, en tout cas, pas l'arrêt D. rendu par le Conseil d'Etat le 11 décembre 2015 qui était susceptible de le faire changer d'avis. Certes, le juge administratif y déclare qu'une mesure d'assignation à résidence pourrait, "compte tenu de sa durée (...) prendre le caractère d'une mesure privative de liberté".. Sans doute, mais la haute juridiction administrative se prononce sur la conformité d'une assignation à l'article 5 de la Convention européenne.. Une telle décision ne peut donc avoir aucun impact sur la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui n'est pas plus liée par la Convention européenne des droits de l'homme que par les arrêts du Conseil d'Etat.
Le grief fondé sur la non conformité à l'Article 66 de la Constitution est donc écarté une nouvelle fois. Mais le Conseil constitutionnel est, en quelque sorte, venu au secours de la défense en lui suggérant le seul moyen utile pour obtenir une déclaration d'inconstitutionnalité. Ce moyen, soulevé d'office, a donc été communiqué à l'avocat du requérant, ainsi qu'à celui de la Ligue des droits de l'homme qui ont pu ensuite développer leurs observations.
Le principe d'impartialité
La décision révèle "en creux" une accoutumance générale à l'omniprésence du Conseil d'Etat. Les avocats n'y avaient pas songé, tant ils sont habitués à voir la Haute Juridiction administrative intervenir dans tous les domaines et à toutes les étapes de la procédure. Reste tout de même à s'interroger sur l'avenir de cette jurisprudence. Si elle était appliquée de manière rigoureuse, elle pourrait remettre en cause toute l'organisation de la juridiction administrative. On ne doit pas oublier, en effet, que le Conseil d'Etat exerce des fonctions administratives et des fonctions contentieuses. Il est donc conduit à examiner des décrets, dans sa formation de conseil, avant d'en apprécier la légalité, dans sa formation contentieuse. Un tel partage est-il conforme au principe d'impartialité, tel que le définit le Conseil constitutionnel ? La question est désormais posée.
Sur le principe d'impartialité : Chapitre 4 section 1 § 1 du manuel de libertés publiques sur internet
=== LES CAVES SE REBIFFENT ===
RépondreSupprimerToutes mes plus sincère félicitations pour cette excellente exégèse de la QPC du 16 mars 2017 portant sur la problématique de l'état d'urgence. De mon point de vue, elle présente un double intérêt.
1. Premier intérêt : un questionnement sur la prorogation "indéfinie" de l'état d'urgence
Si justifiée soit-elle (avec les réserves récentes exprimées par la CNCDH) la prorogation à l'infini de l'état d'urgence ne peut que soulever qu'une kyrielle de problèmes juridiques qu'illustre cette décision du Conseil constitutionnel. Comment peut-on raisonnablement transformer une situation d'exception en situation ordinaire ? Ce qui est amplement justifié par l'imminence de la menace à la sécurité ne l'est plus au fil des mois, voire des années. Ou bien l'état d'urgence devient la règle. Mais alors, la France doit se retirer définitivement d'un certain nombre de conventions européennes et internationales, et peut-être, du Conseil de l'Europe. On l'aura compris l'exercice relève de la quadrature du cercle.
2. Second intérêt : un questionnement sur l'impartialité objective du Conseil d'état
Même si certains préfèrent détourner le regard, cette remarque relève de la vérité d'évidence. Quand commencera-t-on à comprendre, dans la "patrie des droits de l'homme" que l'impartialité du Conseil d'état est un leurre ? Comme dit l'adage bien connu, on ne peut être juge et partie à la même cause. Comment disposer de fonctions de Conseil de l'état tout en étant juge de la mise en oeuvre de ses décisions ? Dès lors, deux solutions sont possibles : ne retenir qu'une seule compétence pour les fonctionnaires du Palais-Royal, à savoir la fonction contentieuse en confiant à une autorité à définir la fonction consultative ou bien ne lui conserver que la fonction consultative et confier à la juridiction judiciaire sa fonction contentieuse. Le choix est simple. Ne manque que le courage d'y procéder. Le thème de l'impartialité n'est-il pas au coeur du droit à un procès équitable au sens de l'article 6 de la convention européenne des droits de l'homme ?
Pour conclure, Michel Audiard est toujours d'un excellent secours en élargissant son propos au cas d'espèce :
« Pauvre con ! Le droit ! Mais dis-toi bien qu'en matière de monnaie les États ont tous les droits et les particuliers aucun ! » (Michel Audiard, Le cave se rebiffe, dit par Jean Gabin).
Bonjour,
RépondreSupprimerJe suis donc la personne à l'origine de cette QPC. Je suis ravi qu'on ai gagné. C'est en effet une grande victoire pour les libertés individuelles, et ce combat contre toute une administration fut loin d'être facile. Très bon article, qui expose vraiment bien les choses et les enjeux. En espérant que ce soit un premier pas vers la fin de cet état d'exception.
Sofiyan IFREN