Si on considère cet ensemble législatif au regard de ses objectifs, il n'a rien de particulièrement choquant. N'est-il pas indispensable d'envisager une protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur internet et de lutter contre un pillage généralisé qui porte atteinte aux droits des créateurs ? Il s'agit, en effet, d'appliquer à internet un dispositif répressif de lutte contre la contrefaçon, qui existe déjà dans le droit positif.
La réponse graduée
Si l'objectif général ne suscite guère de contestation, les modalités de mise en oeuvre des poursuites pénales sont beaucoup plus discutées. Elles reposent sur l'intervention de la Haute autorité pour la protection des oeuvres et la protection des droits sur internet (HADOPI) chargée d'assurer une "réponse graduée". Lorsqu'un téléchargement illégal est constaté, le plus souvent par les victimes, la Haute Autorité envoie d'abord un message électronique appelé "recommandation". En cas de récidive dans un délai de six mois, le contrevenant reçoit un second avertissement, cette fois par lettre recommandée. Enfin, un nouveau manquement dans un délai d'un an suivant l'envoi de cette seconde "recommandation" suscitera une nouvelle lettre, préalable à un éventuel transfert du dossier au parquet. Le titulaire de l'accès à internet par lequel les téléchargements illégaux ont été effectués risque alors d'être condamné pour "négligence caractérisée". Cette négligence, constitutive d'une contravention, est constituée, soit lorsqu'il n'a pas mis en place un moyen de sécurisation de son accès à internet, soit lorsqu'il a manqué de diligence dans la mise en oeuvre de ce moyen.
Observons que cette saisine du juge pénal est, en soit, un progrès par rapport à la procédure initiale, organisée par un législateur bien peu soucieux de la séparation des pouvoirs. Il avait alors prévu de conférer à Hadopi la compétence pour suspendre l'abonnement internet du contrevenant, procédure que le Conseil constitutionnel a sanctionné dans sa décision du 13 juin 2009. Pour le juge constitutionnel, cette sanction portaient une atteinte excessive à la liberté d'expression sur internet, dans la mesure où elle n'était pas prononcée par un juge, mais par une autorité administrative, même indépendante. Le décret du 26 juillet 2010 est donc venir rendre au juge pénal l'exclusivité du pouvoir de sanction.
Cette modification de la compétence n'a cependant pas résolu le problème de l'inefficacité de la sanction pénale, parfaitement mise en lumière par la réponse ministérielle du 25 décembre 2012. Elle mentionne que, depuis sa création en 2010, la Hadopi a adressé 1 150 000 premières "recommandations", et 100 000 seconds avertissements. Actuellement, 340 dossiers sont en troisième phase, c'est à dire qu'une seconde lettre recommandée doit être envoyée aux intéressés, et 14 procédures ont été transmises au parquet.
Sur ces 14 procédures, trois ont fait l'objet de décisions judiciaires définitives : une relaxe, deux condamnations, dont une assortie d'une dispense de peine, et l'autre condamnant le contrevenant à une amende de 150 €.
Michel Robic. Livres des pirates. L'Herne. 1964 |
L'échec de la sanction pénale
Bien entendu, les chiffres peuvent toujours être interprétés à l'avantage de celui qui les invoque. La Hadopi, qui se bat pour son existence, ne manque pas d'affirmer que le dispositif repose sur la dissuasion. Les internautes, effrayés par la première "recommandation", renonceraient immédiatement à tout téléchargement illicite, rendant inutile toute poursuite pénale.
De leur côté, les pénalistes insistent sur l'ambiguité de l'incrimination. Comment définir cette "négligence caractérisée" et les "moyens de sécurisation d'internet"? Faut-il que le titulaire de l'abonnement enferme son ordinateur dans un placard pour s'assurer qu'il ne sera pas utilisé par un tiers ? La première, et la seule réelle condamnation, prononcée par le tribunal de Belfort en septembre 2012, vise un internaute convaincu d'avoir téléchargé deux chansons de Rihanna, ce qui relève sans doute du droit pénal. Son ex-épouse, divorcée depuis les faits, a reconnu avoir effectué ces téléchargements, mais son témoignage n'a pas empêché la condamnation de son ex-mari, puisqu'il était le titulaire de l'abonnement à internet et qu'il avait négligé de sécuriser son accès.
Cette affaire illustre parfaitement le problème essentiel de cette infraction, qui repose sur une présomption de culpabilité. Certes, le Conseil constitutionnel a admis cette possibilité de présomption de culpabilité, dans sa décision du 16 juin 1999, à la condition toutefois que les "faits induisent raisonnablement la vraisemblance de l'imputabilité", et que les droits de la défense sont respectés. En l'espèce, la "négligence caractérisée" de l'abonné résidait donc le fait qu'il n'avait pas su empêcher son épouse de procéder aux téléchargements fautifs. On imagine que les juges doivent hésiter avant de prononcer de telles condamnations, car l'élément moral de l'infraction fait cruellement défaut. L'internaute avait il vraiment conscience de commettre une infraction, en laissant son épouse utiliser librement son ordinateur ?
La conclusion s'impose. Le dispositif pénal de lutte contre les téléchargements illégaux ne fonctionne pas. La Hadopi dispose d'un budget qui a été réduit à neuf millions d'euros pour 2013, après s'être élevé à onze millions d'euros en 2012. Elle envoie des lettres, fait une politique de sensibilisation des internautes, mais sa mission se heurte très rapidement à l'ineffectivité de la sanction pénale. Il serait peut être possible d'économiser les deniers publics et de réfléchir à d'autres instruments juridiques et judiciaires.
"Il serait peut être possible d'économiser les deniers publics et de réfléchir à d'autres instruments juridiques et judiciaires."
RépondreSupprimerOui ! Lesquels d'après vous ?