« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


mercredi 3 novembre 2021

Il faut sauver le soldat Sarkozy


Convoqué comme témoin devant la 32e Chambre du tribunal correctionnel de Paris au procès des sondages de l'Elysée, l'ancien Président de la République Nicolas Sarkozy a refusé de répondre aux trente-six questions qui lui ont été posées. A l'appui de son refus, il a invoqué "les constitutionnalistes", selon lui unanimes, pour affirmer que sa comparution viole la Constitution. En réalité, l'ancien Président a sans doute lu la tribune publiée dans Le Monde par le professeur Olivier Beaud et l'avocat Daniel Soulez-Larivière. En revanche, il n'a sans doute pas pris connaissance l'autre article figurant sur la même page, signé celui-là par le professeur Julien Jeanneney. D'autres constitutionnalistes se sont d'ailleurs exprimés dans d'autres journaux ou revues juridiques, prenant une position nettement plus nuancée que celle mise en avant par des auteurs toujours prompts à dénoncer l'intolérable intrusion des juges dans les activités des politiques.

C'est vrai que l'ancien Président de la République a été cité dans bon nombre d'affaires depuis 2012, date à laquelle s'est achevé son quinquennat. Mais c'est la première fois qu'il est convoqué pour témoigner dans une affaire qui s'est déroulée durant ses fonctions présidentielles et qui touche ses principaux collaborateurs de l'époque. Ces derniers ont sans doute apprécié à sa juste valeur un silence qui, à leurs yeux, ne saurait remplacer un témoignage qui aurait pu être à décharge.

A la place, l'ancien Président a infligé aux juges un cours de droit constitutionnel sommaire, et même très sommaire. Il repose sur une assimilation pure et simple entre irresponsabilité et inviolabilité.

 

Irresponsabilité, inviolabilité, immunité

 

L'article 67 de la Constitution affirme que "le Président de la République n'est pas responsable des actes accomplis en cette qualité". Les seules exceptions à ce principe sont l'éventuelle compétence de la Cour pénale internationale (art. 53-2) ou la tout aussi éventuelle destitution du président par la Haute Cour pour "manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat" (art. 68). De fait, durant son mandat, le Président ne peut "durant son mandat" et devant aucune juridiction être requis de témoigner, non plus que faire l'objet d'une action, d'un acte d'information, d'instruction ou de poursuite". Ce même article 67 ajoute que durant ce mandat "tout délai de prescription ou de forclusion est suspendu". Enfin, un dernier alinéa clôt l'article 67 en ces termes :  "Les instances et procédures auxquelles il est ainsi fait obstacle peuvent être reprises ou engagées contre lui à l'expiration d'un délai d'un mois suivant la cessation des fonctions".

Le texte même de la Constitution  affirme ainsi que le principe d'irresponsabilité a pour fonction de sanctuariser la fonction présidentielle durant la durée du mandat. Il s'accompagne logiquement d'une inviolabilité qui s'analyse comme un simple privilège de juridiction. En effet, le Président en exercice peut être mis en cause devant la Haute Cour s'il a commis un acte grave constituant un manquement aux devoirs de sa fonction. La rédaction de l'article 67 montre clairement que ce privilège de juridiction n'a qu'un temps, puisque le délai de prescription est simplement suspendu. En effet, si le Président bénéficiait d'une inviolabilité "à vie", la prescription serait purement et simplement supprimée. De même est-il précisé que les procédures auxquelles il est fait obstacle peuvent être engagées ou reprises un mois après la cessation de ses fonctions. 

De toute évidence, la Constitution opère une distinction. Si l'irresponsabilité du Président s'étend à tous les actes commis durant ses fonctions, le privilège de juridiction prend fin avec la fin de celles-ci. Dans la mesure où Nicolas Sarkozy n'est pas lui-même poursuivi dans l'affaire des sondages, rien ne s'oppose donc à ce qu'il soit entendu comme témoin.

Cette confusion entre irresponsabilité et inviolabilité est sans doute le fruit d'une pratique aussi constante qu'erronée, qui consiste à utiliser le terme très englobant d'"immunité" présidentielle. C'est d'ailleurs celui employé dans l'article du Monde, qui présente la comparution de Nicolas Sarkozy comme "une claire violation de l'immunité présidentielle". De la part de constitutionnalistes, l'emploi de ce terme peut sembler étrange, car il ne figure pas dans la Constitution de 1958. En réalité, cette prétendue immunité n'est rien d'autre qu'un privilège de juridiction.



Des précédents peu convaincants


Quant aux précédents invoqués par ceux qui veulent protéger Nicolas Sarkozy, ils ne sont guère convaincants. Ainsi affirment-ils, et ils ont raison, que des magistrats se sont vu interdire de perquisitionner à l'Elysée, en 2007, dans le cadre de l'instruction ouverte à la suite de l'assassinat du juge Borrel, en 1995, à Djibouti. Ils ont également raison lorsqu'ils affirment que le statut pénal du chef de l'État a été invoqué pour leur refuser l'entrée à l'Elysée. 

En revanche, la suite de l'analyse laisse songeur. Pour nos auteurs, le fait que l'Elysée ait opposé le statut pénal du Président rend immédiatement la perquisition inconstitutionnelle. Doit-on leur rappeler que personne n'en a jugé ainsi, et qu'il demeure tout à fait possible que ce refus soit, lui aussi, inconstitutionnel ? En effet, les juges n'allaient pas perquisitionner dans le bureau du Président mais à la cellule "Afrique" de l'Elysée. Et depuis 2007, la Cour de cassation a été saisie de cette question, précisément à propos de l'affaire des sondages. Dans un arrêt du 19 décembre 2012, elle estime ainsi que "aucune disposition constitutionnelle, légale ou conventionnelle, ne prévoit l'immunité ou l'irresponsabilité pénale des membres du cabinet du Président de la République". Autant dire que le précédent de 2007 relève de l'histoire du droit. 

De même est-il affirmé que François Hollande a violé la Constitution, comme d'ailleurs le juge qui l'a convoqué, lorsqu'il a été auditionné, en janvier 2019, dans l'enquête portant sur l'assassinat de deux journalistes au Mali. En s'efforçant de suivre l'analyse, on comprend que lorsque l'Elysée barricade sa porte contre une perquisition, il applique la constitution. En revanche, quand un Président respectueux de la justice répond à sa convocation, il viole la constitution. Bref, si on résume, la pratique de l'un est nécessairement constitutionnelle, alors que la pratique de l'autre est nécessairement inconstitutionnelle. Mais qui en a jugé ainsi ? Aucun juge, aucune décision du Conseil constitutionnel n'est intervenue en ce sens. Le raisonnement repose uniquement sur la conviction des auteurs.

 

Il faut sauver le soldat Sarkozy

 

On l'aura compris. Il faut sauver le soldat Sarkozy. Mais a-t-on oublié qu'il s'est porté partie civile, durant son mandat, notamment dans un affaire de piratage de son compte bancaire en 2008 ? A l'époque, le tribunal correctionnel de Nanterre avait déclaré recevable sa constitution de partie civile, mais sursis à statuer sur la demande de dommages et intérêts, renvoyant sa décision à l'issue du mandat présidentiel. Dans un arrêt du 15 juin 2012, la Cour de cassation avait refusé cette analyse et confirmé la décision du juge d'appel qui avait accordé un euro de dommages et intérêts à Nicolas Sarkozy. Elle avait alors jugé que "en sa qualité de victime", le Président de la République était recevable à exercer les droits de la partie civile pendant la durée de son mandat. Qu'en pensent ses défenseurs d'aujourd'hui ? Le Président de la République jouirait donc d'une totale immunité lorsqu'il lui est demandé de témoigner et, à l'inverse, il redeviendrait un justiciable comme les autres lorsqu'il est accusateur ? Ne voient-ils pas l'atteinte au principe d'égalité devant la loi qu'entraine cette instrumentalisation de la justice au profit d'un ancien Président ?




dimanche 31 octobre 2021

Les Invités de LLC : Ernest Renan. Souvenir d'enfance et de jeunesse

 

A l'occasion des vacances, Liberté Libertés Chéries invite ses lecteurs à retrouver les Pères Fondateurs des libertés publiques. Pour comprendre le droit d'aujourd'hui, pour éclairer ses principes fondamentaux et les crises qu'il traverse, il est en effet nécessaire de lire ou de relire ceux qui en ont construit le socle historique et philosophique. Les courts extraits qui seront proposés n'ont pas d'autre objet que de susciter une réflexion un peu détachée des contingences de l'actualité, et de donner envie de lire la suite. 

Les choix des textes ou citations seront purement subjectifs, détachés de toute approche chronologique. Bien entendu, les lecteurs de Liberté Libertés Chéries sont invités à participer à cette opération de diffusion de la pensée, en faisant leurs propres suggestions de publication. Qu'ils en soient, à l'avance, remerciés.

 

 Ernest RENAN

SOUVENIRS D'ENFANCE ET DE JEUNESSE

Edition de Jean Pommier

Folio Classique

Préface, p. 7

 

 


 

Le but du monde est le développement de l’esprit, et la première condition du développement de l’esprit, c’est sa liberté. Le plus mauvais état social, à ce point de vue, c’est l’état théocratique, comme l’islamisme et l’ancien État Pontifical, où le dogme règne directement d’une manière absolue. Les pays à religion d’État exclusive comme l’Espagne ne valent pas beaucoup mieux. Les pays reconnaissant une religion de la majorité ont aussi de graves inconvénients. Au nom des croyances réelles ou prétendues du grand nombre, l’État se croit obligé d’imposer à la pensée des exigences qu’elle ne peut accepter. La croyance ou l’opinion des uns ne saurait être une chaîne pour les autres. Tant qu’il y a eu des masses croyantes, c’est-à-dire des opinions presque universellement professées dans une nation, la liberté de recherche et de discussion n’a pas été possible. Un poids colossal de stupidité a écrasé l’esprit humain. L’effroyable aventure du moyen âge, cette interruption de mille ans dans l’histoire de la civilisation, vient moins des barbares que du triomphe de l’esprit dogmatique chez les masses.

Or, c’est là un état de choses qui prend fin de notre temps, et on ne doit pas s’étonner qu’il en résulte quelque ébranlement. Il n’y a plus de masses croyantes : une très grande partie du peuple n’admet plus le surnaturel, et on entrevoit le jour où les croyances de ce genre disparaîtront dans les foules, de la même manière que la croyance aux farfadets et aux revenants a disparu. Même, si nous devons traverser, comme cela est très probable, une réaction catholique momentanée, on ne verra pas le peuple retourner à l’église. La religion est irrévocablement devenue une affaire de goût personnel. Or, les croyances ne sont dangereuses que quand elles se présentent avec une sorte d’unanimité ou comme le fait d’une majorité indéniable. Devenues individuelles, elles sont la chose du monde la plus légitime, et l’on n’a dès lors qu’à pratiquer envers elles le respect qu’elles n’ont pas toujours eu pour leurs adversaires, quand elles se sentaient appuyées.

Assurément, il faudra du temps pour que cette liberté, qui est le but de la société humaine, s’organise chez nous comme elle est organisée en Amérique. La démocratie française a quelques principes essentiels à conquérir pour devenir un régime libéral. Il serait nécessaire avant tout que nous eussions des lois sur les associations, les fondations et la faculté de tester, analogues à celles que possèdent l’Amérique et l’Angleterre. 

(...)

En somme, il se peut fort bien que l’état social à l’américaine vers lequel nous marchons, indépendamment de toutes les formes de gouvernement, ne soit pas plus insupportable pour les gens d’esprit que les états sociaux mieux garantis que nous avons traversés. On pourra se créer, en un tel monde, des retraites fort tranquilles. « L’ère de la médiocrité en toute chose commence, disait naguère un penseur distingué. L’égalité engendre l’uniformité, et c’est en sacrifiant l’excellent, le remarquable, l’extraordinaire, que l’on se débarrasse du mauvais. Tout devient moins grossier ; mais tout est plus vulgaire. » Au moins peut-on espérer que la vulgarité ne sera pas de sitôt persécutrice pour le libre esprit. Descartes, en ce brillant xviie siècle, ne se trouvait nulle part mieux qu’à Amsterdam, parce que, « tout le monde y exerçant la marchandise, » personne ne se souciait de lui. Peut-être la vulgarité générale sera-t-elle un jour la condition du bonheur des élus. La vulgarité américaine ne brûlerait point Giordano Bruno, ne persécuterait point Galilée. Nous n’avons pas le droit d’être fort difficiles. Dans le passé, aux meilleures heures, nous n’avons été que tolérés. Cette tolérance, nous l’obtiendrons bien au moins de l’avenir. Un régime démocratique borné est, nous le savons, facilement vexatoire. Des gens d’esprit vivent cependant en Amérique, à condition de n’être pas trop exigeants. Noli me tangere est tout ce qu’il faut demander à la démocratie. Nous traverserons encore bien des alternatives d’anarchie et de despotisme avant de trouver le repos en ce juste milieu. 

Mais la liberté est comme la vérité : presque personne ne l’aime pour elle-même, et cependant, par l’impossibilité des extrêmes, on y revient toujours.


jeudi 28 octobre 2021

Les petits oiseaux : Errare humanum est, sed perseverare diabolicum


L'adage "Errare humanum est, sed perseverare diabolicum" est généralement attribué à Sénèque, sans que l'on en soit bien certain. En tout cas, il s'applique parfaitement aux actes pris par le gouvernement pour autoriser les chasses aux oiseaux dites "traditionnelles". L'ordonnance rendue par le juge des référés du Conseil d'État le 25 octobre 2021 sanctionne une persévérance inédite dans l'erreur juridique. En effet des autorisations de même nature, couvrant la période de 2018 à 2021, avaient été annulées par trois arrêts du 6 août 2021, il y a moins de trois mois. Les requérants étaient les mêmes, la Ligue pour la protection des oiseaux et l'association One Voice.


La directive "oiseaux"


Les malheureuses victimes de ces autorisations de chasse étaient les grives, merles noirs, vanneaux, pluviers dorés et alouettes des champs, toutes espèces qui avaient la malencontreuse idée de fréquenter les Ardennes et le sud-ouest de la France où leur chasse est considérée comme "traditionnelle". Elle est pratiquée tantôt avec des filets, tant avec des cages, techniques de capture massive qui s'exercent de manière indiscriminée, sans distinction d'espèce.

Précisément, la directive "oiseaux" du 30 novembre 2009, dans son article 8, interdit le recours « à tous moyens, installations ou méthodes de capture ou de mise à mort massive ou non sélective ou pouvant entraîner localement la disparition d'une espèce ». Le problème est que l'article 9, quant à lui, autorise des dérogations « s'il n'existe pas d'autre solution satisfaisante [...] pour permettre, dans des conditions strictement contrôlées et de manière sélective, la capture, la détention ou toute autre exploitation judicieuse de certains oiseaux en petites quantités ». 

 

 
 
Cendrillon. Walt Disney.  1950
 
 
 
 

Le précédent d'août 2021

 

Dans ses trois arrêts du 6 août 2021, le Conseil d'État s'était penché sur la légalité des arrêtés autorisant ces chasses de 2018 à 2021, arrêtés pris par Barbara Pompili, la ministre de la transition écologique. Reprenant exactement les arguments développés par le lobby des chasseurs, elle s'était fondée sur l'article 9 de la directive européenne, affirmant, sans davantage de précision, qu'il "n'existait pas d'autre solution satisfaisante". Mais d'autre solution pour parvenir à quel but ? Et la ministre chargée de l'écologie déclarait alors, avec une charmante simplicité, qu'il convenait de protéger les chasses traditionnelles. On arrivait ainsi à la conclusion que la directive "oiseaux" n'avait pas pour objet de protéger les oiseaux, mais plutôt les chasseurs.

Face à un raisonnement aussi confondant, il n'est pas surprenant que le Conseil ait annulé les arrêtés. Il y était incité par l'arrêt rendu le 17 mars 2021 par la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE). Celle-ci précise clairement que la seule mention de l'absence "d'autre solution satisfaisante"ne suffit pas à remplir l'obligation de motivation imposée par ce même article 9 de la directive. Au contraire, le texte dérogatoire doit reposer "sur les meilleures connaissances scientifiques pertinentes". En outre, la CJUE rappelle que les motifs de dérogation sont d'interprétation stricte et que "l'objectif de préserver les méthodes de chasse traditionnelles ne constitue pas un motif autonome de dérogation au sens de cet article".Les arguments dictés au ministre par le lobby des chasseurs ont donc été pulvérisés par la CJUE dès mars 2021.

Trois mois plus tard, dans trois arrêts rendus le 28 juin 2021, le Conseil d'État sanctionnait les arrêtés autorisant de manière dérogatoire la chasse à la glu pour le même motive de non-conformité à la directive "oiseaux" du 30 novembre 2009.

 

Une motivation toujours insuffisante

 

Mais tous ces revers n'ont pas empêché ce même gouvernement d'aller jusqu'au bout dans l'affaire qui a conduit aux trois décisions d'août 2021. Une fois l'annulation prévisible intervenue, cela ne l'a pas davantage empêché de reprendre des arrêtés identiques, ceux-là mêmes qui font l'objet d'une suspension prononcée par le juge de référés le 25 octobre 2021. Comme dans ses arrêtés antérieurs, la ministre avait affirmé un objectif de préservation des chasses traditionnelles, objectif qui ne figure pas dans la directive "oiseaux". Pour compléter le dispositif, elle avait fixé des quotas de prélèvement précis, estimant que cela suffisait à remplir les conditions posées par l'article 9. Hélas, le fait de fixer le nombre d'oiseaux susceptibles d'être capturés n'a pas pour conséquence de mettre fin au caractère indifférencié de leur capture, et c'est précisément ce qui rend ce type de chasse non conforme au droit européen.

A l'évidence, l'intérêt principal de l'ordonnance de référé du 25 octobre 2021 est de montrer la volonté du Conseil d'État d'assurer à la fois la protection des oiseaux et le respect de l'État de droit. On peut ainsi constater qu'il se montre plus écologiste que la ministre de l'Écologie, pourtant issue d'un parti politique écologiste. 

 

Quatre revers successifs

 

Cette constatation en impose toutefois une seconde. Dans ces contentieux liés aux chasses traditionnelles, le gouvernement a subi quatre revers successifs, un devant la CJUE le 17 mars, un devant le Conseil d'Etat le 28 juin sur la chasse à la glu, un le 6 août sur les chasses traditionnelles, et enfin un le 25 octobre sur le même sujet. Cela signifie que les autorités n'hésitent pas à violer les règles de l'État de droit de manière réitérée dans le seul but de donner satisfaction à un lobby. Doit-on en déduire que le gouvernement est dans la main des lobbys et qu'il fait prévaloir une démarche électoraliste au détriment de l'intérêt général ? Aux électeurs de se faire une opinion.


 


mardi 26 octobre 2021

Secret professionnel : le rêve perdu des avocats


Le débat sur le projet de loi pour la confiance dans l'institution judiciaire s'achève dans une certaine confusion. Les avocats, confiants dans les effets positifs de la désignation de l'un d'entre eux comme Garde des Sceaux, pensaient avoir obtenu une définition absolutiste du secret professionnel. Les dispositions initiales du projet avaient même été modifiées durant le débat à l'Assemblée nationale, dans le sens d'un renforcement du secret. Mieux protégé que le secret médical, mieux protégé que les secret des affaires, et à peine moins que le secret de la défense nationale, le secret professionnel de l'avocat devenait un obstacle presque absolu aux investigations des juges. 

Hélas, cette belle construction s'est effondrée en commission mixte paritaire, victime du Sénat mais aussi, peut-être, de l’hubris de ses promoteurs. 

 

Le secret professionnel

 

Jusqu'à aujourd'hui, le secret professionnel était régi par la loi du 31 décembre 1971. A l'origine, il n'a pas pour fonction de protéger l'avocat, mais de protéger son client. Il s'agit en effet d'empêcher les divulgations par l'avocat des informations qui lui ont été confiées, devoir sanctionné pénalement par l'article 226-13 du code pénal. Protégeant le client, il est alors logique que le secret ne protège pas l'avocat lui-même, lorsqu'il est mis en cause pour avoir  commis une infraction. C'est ce qu'affirme la Cour de cassation, dans un arrêt du 14 janvier 2003. Le Conseil constitutionnel, quant à lui, rattache certes le secret professionnel aux droits de la défense, mais précise, dans sa décision QPC du 24 juillet 2015 que "aucune disposition constitutionnelle ne consacre spécifiquement un droit au secret des échanges et correspondances des avocats".


Le "secret professionnel de la défense"

 

Le projet de loi pour la confiance dans l'institution judiciaire donne satisfaction aux avocats et permet d'écarter une jurisprudence qui leur semblait défavorable. Le secret professionnel est désormais officiellement perçu comme un instrument de protection au bénéfice non seulement du client, mais aussi de l'avocat. L'article 3 du projet initial ajoutait dans l'article préliminaire du code de procédure pénale un alinéa ainsi rédigé : "Le respect du secret professionnel de la défense est garanti au cours de la procédure dans les conditions prévues par le présent code". Cette notion de "secret professionnel de la défense" est une nouveauté, dont le Conseil d'État a pris acte, dans son avis sur le projet de loi.

Mais le Conseil d'État, dans son avis, entendait bien limiter ce "secret professionnel de la défense" dans le cadre strict de la procédure pénale. Il s'appuyait sur la position de la chambre criminelle, dans un arrêt du 22 mars 2016. Elle a alors affirmé qu'aucune disposition légale ou conventionnelle ne fait obstacle à la captation, l'enregistrement et la captation des propos tenus par un avocat sur la ligne téléphonique d'un tiers placé sur écoute, dès lors que "cet avocat n'assure pas la défense de la personne placée sous surveillance". Il en est de même lorsque les propos, pourtant échangés avec un client habituel, "révèlent des indices de sa participation à la des faits susceptibles de qualification pénale". 

Les débats devant l'Assemblée ont permis de renforcer le secret professionnel dans la procédure pénale. Un mécanisme de protection a été prévu dans le cas où des documents couverts par le secret professionnel de l'avocat seraient saisis lors d'une perquisition chez un tiers, et la présence de l'avocat durant les perquisitions a été garanti. 

Mais, précisément, les avocats n'étaient pas satisfaits d'un droit positif qui allégeait la protection lorsqu'ils interviennent comme conseils.

 


 Ce n'est qu'un rêve

La Belle Hélène. Offenbach

Dame Felicity Lott et Yann Beuron

Direction : Marc Minkovski. Mise en scène : Laurent Pelly. 2001

 

L'activité de conseil


Les avocats spécialisés en droit des affaires se sont rapidement fait entendre, et les débats devant l'Assemblée nationale ont permis de leur donner satisfaction. Il s'agissait cette fois de passer outre la décision du Conseil constitutionnel du 24 juillet 2015 et d'obtenir une garantie de confidentialité de l'ensemble des communications de l'avocat, y compris en matière fiscale. Bien entendu, le ministre ne s'est pas opposé à une telle évolution.

C'était compter sans le Sénat qui était opposé à cette évolution. Si l'arbitrage issu de la Commission mixte paritaire ne remet pas en cause l'applicabilité du secret professionnel à l'activité de conseil, il affirme néanmoins deux séries d'exceptions.

Les premières sont liées aux enquêtes ou informations judiciaires ouvertes pour fraude fiscale, corruption, trafic d'influence, et blanchiment de ces infractions. Encore faut-il que les pièces détenues par l'avocat ou les communications "établissent la preuve de leur utilisation aux fins de commettre ou de faciliter la commission de ces infractions". Cette exception apparaît comme une évidence, dès lors que le secret absolu obtenu par les avocats conduisait à priver les acteurs de la lutte contre la corruption, et évidemment le Parquet national financier, de moyens d'action particulièrement précieux. 

La seconde exception au principe du secret de l'activité de conseil est prévue "lorsque l'avocat a fait l'objet de manoeuvres ou actions aux fins de permettre, de façon non intentionnelle, la commission, la poursuite ou la dissimulation d'une infraction". C'est évidemment l'hypothèse dans laquelle un escroc ou un fraudeur fiscal utiliserait le cabinet de son avocat comme un sanctuaire, parfaitement assuré de la confidentialité des documents qui y sont entreposés. Son dossier, aussi illégal soit-il, serait ainsi parfaitement à l'abri d'une saisie.

Les avocats sont vent debout contre ces deux exceptions issues de la CMP. Ils accusent évidemment les services fiscaux et les magistrats d'avoir obtenu ce résultat par un lobbying actif. La critique fait sourire si l'on considère précisément le lobbying qui a été effectué pour promouvoir un secret absolu des avocats, avec le soutien actif du Garde des Sceaux. Surtout, on éprouve quelques difficultés à comprendre les motifs d'une telle levée de boucliers. On imagine mal que les avocats conservent dans leur cabinet des pièces établissant la preuve de leur utilisation à des fins délictuelles. On imagine encore plus mal qu'ils se prêtent à une instrumentalisation du secret de leur cabinet par des escrocs divers et variés. Ce type de pratiques est évidemment exclue d'avocats qui sont des auxiliaires de justice et se font, nécessairement, une haute idée de leur mission.


 


vendredi 22 octobre 2021

Les Invités de LLC. Bruno Mathis : Du mythe de la justice prédictive au contrôle de réutilisation des décisions de justice

 Bruno Mathis est chercheur associé au Centre de droit et d'économie de l'ESSEC


 Du mythe de la justice prédictive 

au contrôle de réutilisation des décisions de justice

 


La petite musique courait depuis quelque temps. La Cour de cassation a confirmé le 30 septembre, à l’occasion du colloque « Numérique et Justice », qu’une initiative l’associant au ministère de la justice et au Conseil d’État visait à définir le modèle de réglementation adéquat des réutilisations des décisions de justice. Une consultation en ligne est d’ailleurs accessible au public jusqu’au 30 novembre. Quatre options sont examinées en particulier : charte éthique, certification, création d’une autorité indépendante et auto-régulation. Si la Cour prend soin de préciser qu’elle n’a pas arrêté sa propre position, la démarche a de quoi surprendre. 

 

Le législateur et l'Open Data

 

Passons sur le fait qu’une charte éthique soit proposée par des hautes juridictions et que l’auto-régulation ne soit pas une option très prisée, en général, par les pouvoirs publics français. Ces quatre options correspondent à des niveaux de risque très différenciés. Mais les risques auxquels ces mesures de précaution sont censées répondre ne sont pas identifiés et évalués.

Si on en est là cinq ans après la Loi Lemaire, qui avait institué l’open data des décisions de justice, si l’idée même d’une autorité indépendante est une option pertinente, alors il faut que le législateur - et non le pouvoir réglementaire - s’en saisisse. Le législateur a déjà rendu le ré-utilisateur passible d’une peine de prison en cas de ré-utilisation tierce aboutissant à l’identification des pratiques professionnelles des magistrats. Il a décidé d’une certification facultative (labellisation) des plateformes d’arbitrage. Il ne peut donc pas faire moins que décider du niveau adéquat de contrôle des réutilisations. Il pourrait alors aussi mesurer les conséquences d’un open data assorti d’une autorité de contrôle, sans doute une première mondiale. Il pourrait préférer attendre les débats du parlement européen sur la proposition de règlement sur l’intelligence artificielle déjà sur la table. Ou encore, si cette initiative le convainc que les inconvénients l’emportent finalement sur les avantages, arrêter le projet, en abrogeant les articles L111-13 du code de l’organisation judiciaire et L10 du code de justice administrative.

 


 

 

Un échafaudage intellectuel sur du sable

 

La démarche surprend également en ce qu’elle pose un échafaudage intellectuel sur du sable. Il ne suffit pas de dire que le risque final pour le justiciable, voire pour le juge, consiste en une atteinte de ses droits fondamentaux. Encore faut-il que le contexte dans lequel celle-ci se produirait soit plausible. Or cette démarche part d’un postulat implicite : les applications de justice prédictive, et au-delà de jurimétrie, puisque c’est de ce type de réutilisation qu’il s’agit, sont déjà là et donnent de la matérialité à ce risque.

Il n’y a pas de justice prédictive. On trouve des solutions commerciales d’aide à la décision des avocats, vendues par des éditeurs utilisant le cas échéant les termes d’intelligence artificielle dans leurs éléments de langage, et dont le code applicatif est couvert par le secret des affaires. On trouve aussi des systèmes qui savent apprendre un stock de contrats pour faire gagner en productivité les juristes d’entreprise.  Mais il n’y a pas - pas encore - de système qui sache apprendre des décisions de justice passées pour en prédire d’autres à venir.

La première étude scientifique sur l’intelligence artificielle appliquée à la justice prédictive remonte à 2016 – autant dire hier. La décision du juge n’était correctement reproduite que dans 80% des cas, et il ne s’agissait ni de décisions du fond ni de décisions écrites en français. Pourtant, deux cours d’appels françaises ont cru pouvoir tester une application dite de justice prédictive dès 2017.

Encore en 2021, la machine sait à peine « dire » ce qu’il y a dans une décision passée, et moins encore en « prédire » une future.  Il n’existe toujours pas d’application d’intelligence artificielle – pour être précis, d’apprentissage automatique – pour une raison très simple : il n’y a pas assez de décisions passées disponibles pour les donner à apprendre à la machine d’un ré-utilisateur. Certes, la livraison du premier lot de l’open data des décisions de justice a permis d’ajouter aux décisions déjà publiées les arrêts non motivés de la Cour de cassation, ainsi que le stock historique numérisé, cerise sur le gâteau puisque la Cour n’y était pas tenue. Mais en flux, cela ne représente toujours que 1 à 2% de la production, pas forcément statistiquement représentatifs de toutes les matières de droit. De plus, les décisions aujourd’hui disponibles sont essentiellement des arrêts en matière civile, qui ne sont pas les plus faciles à interpréter par une machine, puisque, par définition, ils reflètent des divergences d’interprétation entre des humains, les parties, et qu’ils renvoient souvent à des écritures elles-mêmes indisponibles. Quant au pénal, on trouve quelques premiers travaux de justice prédictive… en Chine, sur des décisions chinoises évidemment, et aucun, en tout cas, qui soit transposable à la justice pénale en France.

 

La nécessaire étude d'impact

 

Pour qu’un contrôle de la réutilisation des décisions de justice soit justifié, il faut que celle-ci ait des impacts négatifs. Ces impacts peuvent porter, notamment, sur l’office du juge. Pour que celui-ci soit mis en question, il faudrait par exemple que les plateformes d’arbitrage voient augmenter significativement leur volume d’activité aujourd’hui confidentiel ou que le juge se rende compte dans sa relation avec l’avocat que celui-ci est bien (ou mal) conseillé par son système d’aide à la décision. Pour que l’avocat se dote d’un tel outil, il faudrait que l’éditeur soit suffisamment confiant en son modèle d’apprentissage pour engager sa réputation en le commercialisant et que le prix d’acquisition en soit abordable. Il faudrait aussi que les algorithmes sous-jacents se perfectionnent.

Tout ceci renvoie à un problème ancien : il n’y a pas eu d’étude d’impact de l’open data des décisions dans le cadre de la loi Lemaire, ni pendant les cinq ans qui ont suivi. La Cour de cassation n’a pas non plus rendu publique l’analyse d’impact sur la vie privée que l’article 35 du RGPD lui commande de produire.

Il est vrai que l’intelligence artificielle suscite des craintes parmi les professions juridiques. Mais il est douteux qu’une initiative sans mandat du législateur ni analyse préalable contribue à les dissiper.

mardi 19 octobre 2021

Les États Généraux de la Justice, sans la Justice


Le Président de la République ouvre, le 18 octobre 2021, les "États généraux de la Justice". Organisés au Futuroscope de Poitiers, ils devraient durer quatre mois, jusqu'en février 2022. Emmanuel Macron annonce qu'il s'agit de mettre sur la table "tout l'écosystème juridique", et de mener à bien des "États généraux indépendants et transpartisans".

L'intention est sans doute louable, mais le moment choisi laisse perplexe. D'une part, on se demande à quoi servira concrètement une procédure qui s'achèvera à moins de trois mois des élections présidentielles. Le Président affirme, quant à lui, que ces travaux seront toujours utiles, même après l'échéance électorale. Les reprendra-t-il s'il est réélu ? Et s'il n'est pas réélu, on peut sérieusement penser que son successeur considérera ces "Etats généraux" comme une simple opération électorale d'un prédécesseur désavoué.

 

La réflexion, après la loi

 

Depuis 2017, le Président de la République a eu de multiples occasions de s'intéresser à la Justice, et personne n'a oublié qu'en 2018, un premier projet de révision constitutionnelle prévoyait une réforme du Parquet, dont les membres seraient nommés sur avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature et non plus sur avis simple. De même, la suppression de la Cour de justice de la République (CJR) était envisagée, les poursuites contre les ministres devant être engagées dans les conditions du droit commun, devant la Cour d'appel de Paris. Ce projet a été discrètement retiré durant l'été 2019, remplacé par un second projet "pour un renouveau de la vie démocratique" qui n'a même pas été discuté. Éric Dupond-Moretti, actuel Garde des sceaux, regrette certainement que la réforme de la CJR n'ait pas prospéré.

Si les révisions constitutionnelles n'ont pas abouti, les modifications législatives n'ont pas manqué. La loi de programmation pour la justice du 23 mars 2019, portée par Nicole Belloubet se voulait plurianuelle et porteuse d'une projet ambitieux. Il aurait sans doute été préférable qu'elle soit précédée d'une vrai réflexion, ce qui aurait peut-être évité une censure assez large par le Conseil constitutionel de son volet pénal. Plus proche de nous, le projet de loi Dupond-Moretti "pour la confiance dans l'institution judiciaire", actuellement devant la Commission mixte paritaire, propose de généraliser la réforme introduite par la loi Belloubet. Il s'agit de confier à une cour d'assises composée de cinq magistrats tous les crimes passibles d'une peine de quinze à vingt ans de prison. Le peuple n'est plus jugé digne de rendre la justice, alors même qu'elle est rendue en son nom.

Les "États généraux de la justice" interviennent donc à l'issue du travail législatif, à un moment où ils sont largement inutiles. 

 


 La Révolution française. Les Années lumière. Robert Enrico 1989


L'absence du Tiers Etat


Mais le peuple, celui au nom duquel la justice est rendue, ferait-il sa réapparition dans les "États généraux" ? Observons qu'il n'est pas prévu de cahiers de doléances, mais seulement l'ouverture d'un site sur lequel tout le monde pourra s'exprimer. S'exprimer certes, mais sans peser sur les décisions. C'est une conception toute monarchique du pouvoir, et les professionnels du droit comme les justiciables, sont simplement invités à publier de respectueuses observations sur internet.

Quant aux participants, il n'est pas question de vote par ordre ou de vote par tête, tout simplement parce qu'il n'y a pas de vote du tout. Les "États généraux" ont lieu sur invitation. On nous dit qu'ils se dérouleront "en toute indépendance", mais peut-il être question d'indépendance quand il n'est pas question de pluralisme ? Le pilotage de l'opération est confié à une commission pilotée par Jean-Marc Sauvé. Sa composition mérite d'être citée :

Chantal Arens, magistrate, premier président de la Cour de cassation, François Molins, procureur général près la Cour de cassation, Philippe Bas, président de la commission des lois du Sénat, Yaëlle Braun-Pivet, présidente de la commission des lois de l’Assemblée nationale, Linos-Alexandre Sicilianos, ancien président de la Cour européenne des droits de l’homme, Jérôme Gavaudan, président du Conseil national des barreaux, Henri Leclerc, avocat, Christian Vigouroux, membre du Conseil d’État, Bénédicte Fauvarque-Cosson, membre du Conseil d’État,  Christophe Jamin, professeur des universités, Yves Saint-Geours, membre du Conseil supérieur de la magistrature.

On conviendra que la perspective est davantage "Top Down" que "Bottom Up", ce qui, en langue française,  signifie que la réforme doit être imposée par le haut, les soutiers de la justice n'étant pas sérieusement associés à la réflexion. Il est vrai qu'ils peuvent toujours s'exprimer sur internet. On se réjouira de constater qu'un professeur de droit figure dans la liste des invités, même si les organisateurs ont préféré le choisir à Sciences Po, établissement plus proche de leurs traditions que la pauvre et démocratique Université.

Sous l'égide de cette commission de pilotage seront créées d'autres commissions. Leurs missions sont définies par des thèmes très larges : justice civile, pénale, économique et sociale, de protection, pénitentiaire et de réinsertion. On constate l'absence totale de démarche englobante ou transverse, à l'exception d'un thème sur l'organisation budgétaire qui peut inquiéter, dans la mesure où lorsque l'on ne peut contrôler une institution indépendante, on peut essayer de le faire par son budget.

Aucun thème n'est consacré à l'indépendance de la justice ou aux droits des justiciables et des victimes. On constate aussi, mais est-il nécessaire de le souligner, que la justice administrative est absente, tout comme le Conseil constitutionnel pourtant désormais partie intégrante de la procédure juridictionnelle avec la question prioritaire de constitutionnalité. Mais que l'on se rassure : il y a tout de même quatre conseillers d'État dans le comité de pilotage, dont son président. On peut d'ailleurs en ajouter un cinquième qui présidera la commission "justice économique et sociale".

On l'a compris, les États Généraux sont donc convoqués, sans Tiers État.

Il est assez probable qu'ils n'aboutiront à rien de concret avant les élections. L'objet n'est d'ailleurs sans doute de mettre en ouvre des réformes, mais bien davantage de déminer un terrain dangereux, les relations entre l'Exécutif, et plus précisément entre le ministre et le monde de la justice étant largement détériorées. Les avocats, s'ils ont obtenu satisfaction sur le renforcement du secret professionnel, s'aperçoivent que rien n'est gratuit. Le ministre leur demande aujourd'hui d'accepter le principe de l'avocat en entreprise, en contrepartie d'une hausse du montant de l'aide judiciaire. Les magistrats, quant à eux, souffrent des manoeuvres hostiles d'un ministre de la justice qui n'hésite pas à poursuivre disciplinairement ceux auxquels il s'est heurté lorsqu'il était avocat. Les États généraux auraient-ils pour objet d'occuper le terrain et d'amuser les professionnels de droit, pendant que la loi Dupond-Moretti achève tranquillement son parcours législatif ?


Sur l'indépendance des juges : Manuel de Libertés publiques version E-Book et version papier, chapitre 4 section 1