Gilbert Thiel, Bernard Swysen, Marco Paulo. Le pouvoir de convaincre. 2012 |
Pages
« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.
dimanche 17 juin 2012
Statut pénal du Chef de l'Etat : la réforme devient urgente
mercredi 3 novembre 2021
Il faut sauver le soldat Sarkozy
Convoqué comme témoin devant la 32e Chambre du tribunal correctionnel de Paris au procès des sondages de l'Elysée, l'ancien Président de la République Nicolas Sarkozy a refusé de répondre aux trente-six questions qui lui ont été posées. A l'appui de son refus, il a invoqué "les constitutionnalistes", selon lui unanimes, pour affirmer que sa comparution viole la Constitution. En réalité, l'ancien Président a sans doute lu la tribune publiée dans Le Monde par le professeur Olivier Beaud et l'avocat Daniel Soulez-Larivière. En revanche, il n'a sans doute pas pris connaissance l'autre article figurant sur la même page, signé celui-là par le professeur Julien Jeanneney. D'autres constitutionnalistes se sont d'ailleurs exprimés dans d'autres journaux ou revues juridiques, prenant une position nettement plus nuancée que celle mise en avant par des auteurs toujours prompts à dénoncer l'intolérable intrusion des juges dans les activités des politiques.
C'est vrai que l'ancien Président de la République a été cité dans bon nombre d'affaires depuis 2012, date à laquelle s'est achevé son quinquennat. Mais c'est la première fois qu'il est convoqué pour témoigner dans une affaire qui s'est déroulée durant ses fonctions présidentielles et qui touche ses principaux collaborateurs de l'époque. Ces derniers ont sans doute apprécié à sa juste valeur un silence qui, à leurs yeux, ne saurait remplacer un témoignage qui aurait pu être à décharge.
A la place, l'ancien Président a infligé aux juges un cours de droit constitutionnel sommaire, et même très sommaire. Il repose sur une assimilation pure et simple entre irresponsabilité et inviolabilité.
Irresponsabilité, inviolabilité, immunité
L'article 67 de la Constitution affirme que "le Président de la République n'est pas responsable des actes accomplis en cette qualité". Les seules exceptions à ce principe sont l'éventuelle compétence de la Cour pénale internationale (art. 53-2) ou la tout aussi éventuelle destitution du président par la Haute Cour pour "manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat" (art. 68). De fait, durant son mandat, le Président ne peut "durant son mandat" et devant aucune juridiction être requis de témoigner, non plus que faire l'objet d'une action, d'un acte d'information, d'instruction ou de poursuite". Ce même article 67 ajoute que durant ce mandat "tout délai de prescription ou de forclusion est suspendu". Enfin, un dernier alinéa clôt l'article 67 en ces termes : "Les instances et procédures auxquelles il est ainsi fait obstacle peuvent être reprises ou engagées contre lui à l'expiration d'un délai d'un mois suivant la cessation des fonctions".
Le texte même de la Constitution affirme ainsi que le principe d'irresponsabilité a pour fonction de sanctuariser la fonction présidentielle durant la durée du mandat. Il s'accompagne logiquement d'une inviolabilité qui s'analyse comme un simple privilège de juridiction. En effet, le Président en exercice peut être mis en cause devant la Haute Cour s'il a commis un acte grave constituant un manquement aux devoirs de sa fonction. La rédaction de l'article 67 montre clairement que ce privilège de juridiction n'a qu'un temps, puisque le délai de prescription est simplement suspendu. En effet, si le Président bénéficiait d'une inviolabilité "à vie", la prescription serait purement et simplement supprimée. De même est-il précisé que les procédures auxquelles il est fait obstacle peuvent être engagées ou reprises un mois après la cessation de ses fonctions.
De toute évidence, la Constitution opère une distinction. Si l'irresponsabilité du Président s'étend à tous les actes commis durant ses fonctions, le privilège de juridiction prend fin avec la fin de celles-ci. Dans la mesure où Nicolas Sarkozy n'est pas lui-même poursuivi dans l'affaire des sondages, rien ne s'oppose donc à ce qu'il soit entendu comme témoin.
Cette confusion entre irresponsabilité et inviolabilité est sans doute le fruit d'une pratique aussi constante qu'erronée, qui consiste à utiliser le terme très englobant d'"immunité" présidentielle. C'est d'ailleurs celui employé dans l'article du Monde, qui présente la comparution de Nicolas Sarkozy comme "une claire violation de l'immunité présidentielle". De la part de constitutionnalistes, l'emploi de ce terme peut sembler étrange, car il ne figure pas dans la Constitution de 1958. En réalité, cette prétendue immunité n'est rien d'autre qu'un privilège de juridiction.
Des précédents peu convaincants
Quant aux précédents invoqués par ceux qui veulent protéger Nicolas Sarkozy, ils ne sont guère convaincants. Ainsi affirment-ils, et ils ont raison, que des magistrats se sont vu interdire de perquisitionner à l'Elysée, en 2007, dans le cadre de l'instruction ouverte à la suite de l'assassinat du juge Borrel, en 1995, à Djibouti. Ils ont également raison lorsqu'ils affirment que le statut pénal du chef de l'État a été invoqué pour leur refuser l'entrée à l'Elysée.
En revanche, la suite de l'analyse laisse songeur. Pour nos auteurs, le fait que l'Elysée ait opposé le statut pénal du Président rend immédiatement la perquisition inconstitutionnelle. Doit-on leur rappeler que personne n'en a jugé ainsi, et qu'il demeure tout à fait possible que ce refus soit, lui aussi, inconstitutionnel ? En effet, les juges n'allaient pas perquisitionner dans le bureau du Président mais à la cellule "Afrique" de l'Elysée. Et depuis 2007, la Cour de cassation a été saisie de cette question, précisément à propos de l'affaire des sondages. Dans un arrêt du 19 décembre 2012, elle estime ainsi que "aucune disposition constitutionnelle, légale ou conventionnelle, ne prévoit l'immunité ou l'irresponsabilité pénale des membres du cabinet du Président de la République". Autant dire que le précédent de 2007 relève de l'histoire du droit.
De même est-il affirmé que François Hollande a violé la Constitution, comme d'ailleurs le juge qui l'a convoqué, lorsqu'il a été auditionné, en janvier 2019, dans l'enquête portant sur l'assassinat de deux journalistes au Mali. En s'efforçant de suivre l'analyse, on comprend que lorsque l'Elysée barricade sa porte contre une perquisition, il applique la constitution. En revanche, quand un Président respectueux de la justice répond à sa convocation, il viole la constitution. Bref, si on résume, la pratique de l'un est nécessairement constitutionnelle, alors que la pratique de l'autre est nécessairement inconstitutionnelle. Mais qui en a jugé ainsi ? Aucun juge, aucune décision du Conseil constitutionnel n'est intervenue en ce sens. Le raisonnement repose uniquement sur la conviction des auteurs.
Il faut sauver le soldat Sarkozy
On l'aura compris. Il faut sauver le soldat Sarkozy. Mais a-t-on oublié qu'il s'est porté partie civile, durant son mandat, notamment dans un affaire de piratage de son compte bancaire en 2008 ? A l'époque, le tribunal correctionnel de Nanterre avait déclaré recevable sa
constitution de partie civile, mais sursis à statuer sur la
demande de dommages et intérêts, renvoyant sa décision à l'issue du
mandat présidentiel. Dans un arrêt du 15 juin 2012, la Cour de cassation avait refusé cette analyse et confirmé la décision du juge d'appel qui avait accordé un euro de dommages et intérêts à Nicolas Sarkozy. Elle avait alors jugé que "en sa qualité de victime", le Président de la République était recevable à exercer les droits de la partie civile pendant la durée de son mandat. Qu'en pensent ses défenseurs d'aujourd'hui ? Le Président de la République jouirait donc d'une totale immunité lorsqu'il lui est demandé de témoigner et, à l'inverse, il redeviendrait un justiciable comme les autres lorsqu'il est accusateur ? Ne voient-ils pas l'atteinte au principe d'égalité devant la loi qu'entraine cette instrumentalisation de la justice au profit d'un ancien Président ?
dimanche 26 mai 2013
Le statut de témoin assisté, un état précaire qui ne présage rien de bon
Les bonnes causes. Christian-Jaque 1963 Marina Vlady le témoin, André Bourvil le juge d'instruction, Pierre Brasseur l'avocat |
La mise d'une personne sous statut de témoin assisté est conditionnée par l'existence d"'indices laissant penser" qu'elle a pu participer à la commission d'une infraction, comme auteur ou complice. La différence est finalement assez ténue, sur ce plan, avec la mise en examen qui s'appuie sur l'existence d'"indices graves, précis et concordants", rendant vraisemblable la participation de l'intéressé aux infractions constatées (art. 80 al. 1 cpp.). Entre les "indices rendant vraisemblable" et les "indices graves précis et concordants", le choix entre le statut de témoin assisté et la mise en examen repose finalement sur le pouvoir discrétionnaire du juge chargé de l'instruction. La plupart des commentateurs de la loi de 2000 observent d'ailleurs que le statut de témoin assisté peut parfaitement être accordé à quelqu'un contre lequel il existe des indices, et même des indices graves et concordants. Les critères du choix demeurent à la discrétion du juge, et, parmi ces critères, rien ne lui interdit de tenir compte de la notoriété de la personne concernée, tant il est vrai que la présomption d'innocence est beaucoup plus difficile à protéger lorsque l'intéressé est placé sous les yeux des médias.
Un statut changeant
Ce pouvoir d'appréciation est parfaitement conforme au droit pénal qui fait reposer l'instruction sur l'intime conviction du juge qui en est chargé. C'est si vrai qu'il peut décider le passage du statut de témoin assisté à celui de mis en examen, sous la seule condition d'informer l'intéressé de son intention et de le mettre en mesure de présenter ses observations. La Cour de cassation, dans une décision du 29 mars 2006 a d'ailleurs précisé que, pour procéder à ce changement de statut, le juge n'a pas besoin de réunir des éléments nouveaux. Cette mise en examen d'un témoin assisté peut intervenir à tout moment de l'instruction, la seule condition étant qu'il existe effectivement des "indices graves, précis et concordants" de participation à la commission de l'infraction. Peu importe même qu'aucun acte d'instruction n'ait été réalisé entre l'audition de l'intéressé en sa qualité de témoin assisté et sa mise en examen (Crim. 13 septembre 2011). Rien n'interdit au juge de procéder en deux temps pour les personnes ayant une notoriété particulière, dans le seul but d'atténuer quelque peu l'acharnement des médias.
|
Après la mésaventure de M. Sarkozy, les amis de Christine Lagarde devraient sans doute faire preuve d'un peu de prudence. Car le statut de témoin assisté est, comme la santé pour le professeur Louis-Hubert Farabeuf, un "état précaire qui ne présage rien de bon".
mardi 11 décembre 2012
L'Elysée et la séparation des pouvoirs : Plus c'est gros, plus ça passe !
mercredi 16 août 2017
Emmanuel Macron et les paparazzi
Le droit de porter plainte
L'inviolabilité du domicile
Le lieu privé
Le consentement de la personne
Le débat d'intérêt général
mardi 21 janvier 2014
Le Président de la République a t il une vie privée ?
Action pénale du Président et séparation des pouvoirs
Ce dernier propos mérite quelques éclaircissements. Aux termes de l'article 67 de la Constitution, le Président "n'est pas responsable des actes accomplis en cette qualité". Jusqu'à la fin de son mandat, il est donc soustrait à tout acte de procédure. François Hollande considère que ce privilège lui interdit d'engager des actions pénale contre des tiers. Derrière cette interprétation personnelle de l'article 67, se cache sans doute la volonté d'éviter une situation mettant le Président en porte-à-faux à l'égard du principe de séparation des pouvoirs.
On se souvient que la Cour de cassation, le 15 juin 2012, avait admis la constitution de partie civile du Président de la République, à l'époque Nicolas Sarkozy, victime d'une fraude sur sa carte de crédit. L'ordonnance de renvoi signée par le juge d'instruction reprenait alors, mot à mot, les réquisitions du parquet. Et le parquet de l'époque, c'était le procureur Courroye, ami personnel de Nicolas Sarkozy et institutionnellement placé dans une position de subordination à l'égard de l'exécutif. A cause de ce lien qui n'a pas disparu entre le parquet et l'Exécutif, toute action contentieuse du Chef de l'Etat apparaît potentiellement porteuse d'une atteinte à la séparation des pouvoirs. C'est précisément ce reproche que veut éviter le Chef de l'Etat.
Il n'en demeure pas moins que le droit positif reconnaît que le chef de l'Etat a une vie privée, et que celle-ci mérite une protection. Elle n'est cependant pas protégée avec la même intensité que celle des "simples quidams".
Droit à l'image et droit au respect de la vie privée
L'affaire Closer porte sur l'image de la personne, puisque le Président de la République a été photographié dans sa vie privée. Dans son approche juridique, ce n'est pas l'image en tant que telle qui est protégée, mais sa captation dans la mesure où elle est faite à l'insu de l'intéressé, et où sa divulgation peut porter atteinte à sa vie privée, à sa dignité ou à son honneur. Ce droit à l'image fait l'objet d'une double protection, pénale car l'atteinte à la vie privée est un délit (art. 226-1 c. pén.), civile car elle ouvre droit à réparation.
Pour apprécier l'atteinte au droit à l'image, le juge française utilise deux critères traditionnels, d'une part le lieu de la captation de l'image, d'autre part l'existence ou non d'un consentement de l'intéressé.
Lieu public / Lieu privé
- L'article 226-1 du code pénal sanctionne la captation de l'image d'une personne se trouvant dans un "lieu privé". La définition de ce "lieu privé" a suscité une jurisprudence souple, tenant particulièrement compte des circonstances du cliché contesté. Le "lieu privé", c'est d'abord le domicile, c'est à dire l'espace ouvert à personne sans l'autorisation de celui qui l'occupe. Il en a été jugé ainsi pour la chambre mortuaire d'un ancien Président de la République, ou pour la voiture dans laquelle la princesse Diana a été victime d'un accident mortel : "Ni l'intervention des services de secours, ni l'exposition involontaire aux regards d'autrui d'une victime gravement atteinte lors d'un accident ne font perdre au véhicule la transportant son caractère de lieu privé". Peut on déduire de cette jurisprudence qu'un scooter peut être considéré comme un lieu privé ? Peut-être, mais, à dire vrai, la réponse à cette question n'est pas vraiment nécessaire pour considérer que la photo du Président de la République porte atteinte à sa vie privée.
La jurisprudence estime en effet que le lieu privé est l'espace dans lequel une personne peut s'estimer à l'abri des regards indiscrets. Tel est le cas d'un bateau "ne se trouvant plus à proximité d'une plage ou d'un port, mais au large", de sorte que "toute personne se trouvant à bord est fondée à se croire à l'abri des regards d'autrui" (Civ. 2è 16 juillet 1982). Le juge entre donc dans la subjectivité de la victime pour apprécier l'atteinte à la vie privée. En l'espèce, il ne fait guère de doute que le Président de la République, rendu anonyme par l'usage du scooter et le port d'un casque, pouvait se considérer à l'abri des paparazzi, d'autant qu'il était fondé à croire que les personnes chargées de sa protection sauraient les débusquer et, le cas échéant, les écarter de son passage.
Meg Steinhell. Photo de 1899. |
Consentement de la personne
Le second critère de l'atteinte à la vie privée est l'absence de consentement de la personne. Il ne fait aucun doute que le Président de la République n'a pas consenti à la captation d'une image réalisée à son insu. Dans son cas particulier cependant, il faut évoquer la distinction opérée par le juge entre les personnes célèbres, et celles qui ne le sont pas. Pour le simple quidam, la captation de l'image comme sa diffusion constituent une violation de la privée, dès que le consentement de la victime n'a pas été expressément obtenu. Pour la personne célèbre, et donc pour le Président de la République, le consentement peut être implicite, à la condition toutefois que le cliché ait été pris "lors de l'exercice public de son activité". Inutile de dire que le Président de la République n'est pas dans son activité publique lorsqu'il se rend à un rendez vous discret avec une jeune femme.
Cette jurisprudence doit cependant être nuancée au regard de celle de la Cour européenne des droits de l'homme qui introduit dans l'atteinte à la vie privée un nouveau critère, celui de l'intérêt que présente la divulgation relative à la vie privée de la personne pour un "débat d'intérêt général".
Le "débat d'intérêt général"
Le jour même de la conférence de presse du Président de la République, le 14 janvier 2014, la Cour européenne a rendu deux arrêts peu remarqués, Ojala et Etukeno Oy c. Finlande et Ruusunen c. Finlande. Ces deux arrêts concernent en réalité une même affaire. M. Ojala est en effet l'éditeur d'un ouvrage autobiographique écrit par Mme Ruusunen. Elle y raconte sa relation avec l'ex-Premier ministre finlandais pendant neuf mois, à l'époque où celui-ci était aux affaires, le livre étant d'ailleurs paru avant la fin de son mandat. L'ex Premier ministre ne s'est associé qu'aux poursuites diligentées contre l'éditeur, mais celui-ci et l'auteur ont finalement été condamnés par les tribunaux finlandais pour atteinte à la vie privée de l'ancien Premier ministre. Les juges ont cependant refusé la saisie globale de l'ouvrage et ont seulement interdit les passages insistant sur la vie sexuelle ou intime du couple. En revanche, ils n'ont pas sanctionné les chapitres d'ordre plus général, estimant qu'ils contribuaient à un débat d'intérêt général.
La Cour a considéré que les juges finlandais se sont livrés à une analyse conforme à la Convention européenne, et que leur décision n'emporte donc aucune violation de l'article 10 qui garantit la liberté d'expression. Reste que cette notion de "débat d'intérêt général" a pu susciter des interprétations très larges, peut être trop. Dans la décision von Hannover II, de février 2012, la Cour considérait ainsi que les photos de la famille princière de Monaco aux sports d'hiver, en compagnie d'un prince âgé et très affaibli, constituaient une "contribution à un débat d'intérêt général", dès lors que les lecteurs se posaient des questions sur l'état de santé du prince. Cette décision avait alors alors été vivement critiquée, car il suffisait désormais d'invoquer l'intérêt général pour pouvoir étaler dans les journaux des informations sur l'état de santé d'une personne. La vie privée disparassait, éclipsée par le droit d'être informé.
Sur ce point, les deux décisions du 14 janvier 2014 présentent l'intérêt de nuancer un peu cette conception très extensive de la notion de "débat d'intérêt général", en considérant que la vie la plus intime d'une personne célèbre ne saurait être analysée comme suscitant un tel débat. Le Président de la République pourrait évidemment s'appuyer sur cette jurisprudence pour considérer que sa relation avec une jeune femme est sans influence sur son activité publique et ne saurait donc relever du "débat d'intérêt général".
La vie privée du Chef de l'Etat mérite donc protection, mais on constate une certaine évanescence du droit à son propos. Les tribunaux internes ont construit une jurisprudence impressionniste sur la protection des personnes célèbres, donnant parfois le sentiment que leur vie privée ne mérite pas une véritable protection. De manière implicite, cette jurisprudence repose sur l'idée que certaines personnes célèbres considèrent leur vie privée comme un bien dont ils n'hésitent pas à tirer profit et qu'elles ont donc, en quelque sorte, renoncé à se prévaloir d'un droit à l'intimité. Quant à la Cour européenne, elle a, semble-t-il, bien des difficultés à élaborer un standard européen dans ce domaine. Au nom de la liberté d'expression, certains systèmes juridiques laissent proliférer des journaux qui étalent la vie privée du chef de l'Etat et de sa famille. Dans d'autres, le Chef de l'Etat est un citoyen comme un autre, et la presse doit respecter son intimité. Quant à la notion de "débat d'intérêt général", il n'offre pas un critère précis pour distinguer les informations indispensables au débat démocratique et celles qui relèvent du simple voyeurisme. Où est la solution ? Sans doute dans une réflexion nouvelle sur la vie privée, qui permettrait au moins de dégager un consensus dans ce domaine, et de définir quelques règles de conduite, de nature juridique ou déontologique.
dimanche 22 janvier 2017
Tarnac et la définition du terrorisme
Les deux principaux protagonistes, Julien Coupat et Yildune Lévy, ont donc été poursuivis pour association de malfaiteurs et dégradations en réunion, les autres membres du groupe pour falsification de documents administratifs, recel de faux documents, ou encore pour avoir refusé de se prêter à un prélèvement d'ADN. L'ordonnance de renvoi a été confirmée par la Chambre de l'instruction de la cour d'appel de paris le 28 juin 2016. La Chambre criminelle se prononce donc, le 10 janvier 2017, sur un pourvoi du procureur général et de la SNCF, partie civile. Le pourvoi est rejeté, ce qui n'est pas, en soi, une surprise.
L'absence de charges suffisantes
La Chambre criminelle affirme qu'"Il n’existe pas de charges suffisantes permettant de retenir que les infractions […] auraient été commises en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur».
Cette affirmation repose sur les éléments du dossier. On se souvient que les avocats des prévenus avaient habilement contesté les éléments de preuve apportés par des balises de géolocalisation placées sous leur véhicule. Elles avaient révélé un premier arrêt à côté de la voie du TGV, puis un second près d'une rivière dans le lit de laquelle on retrouva ensuite plusieurs objets susceptibles d'être utilisés pour saboter une caténaire. Mais à l'époque, la police utilisait ces balises sans aucun fondement juridique, cette technique n'ayant été autorisée en matière judiciaire qu'avec la loi du 28 mars 2014. La preuve était donc fragilisée par l'illégalité de la manière dont elle a été recueillie.
On se souvient aussi qu'à l'époque, Alain Bauer, aussi bien en cour sous Nicolas Sarkozy que sous Manuel Valls, avait distribué aux plus hauts responsables de la sécurité quarante exemplaires du livre "L'insurrection qui vient", ouvrage rédigé par un mystérieux "comité secret" dont Julien Coupat était peut être membre. Aux yeux du Grand Criminologue, le contenu de l'ouvrage suffisait à démontrer le caractère terroriste de l'infraction. A l'époque, il n'était pas question de contester les dires du Grand Augure, qui distribuait le livre avec autant de générosité que les guides Champerard à Aéroport de Paris.
Une substitution de motifs
Ces errements ont été écartés par les juges, du juge d'instruction à la décision de la Chambre criminelle du 10 janvier 2017. Cette décision ne se borne pas cependant à confirmer la décision de la Chambre de l'instruction. Elle opère une véritable substitution de motifs à partir de l'interprétation de l'article 421-1 du code pénal. Pour celui-ci, une infraction pénale peut constituer un acte de terrorisme "lorsqu'elle est intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur". Ces dispositions issues de la loi du 9 septembre 1986, ont été déclarées conformes à la constitution par le Conseil constitutionnel qui a estimé qu'elles étaient d'une "précision suffisante" et ne méconnaissaient pas le principe de légalité des délits et des peines.
Pour la Chambre de l'instruction, les actes commis par le groupe de Tarnac n'avaient pas de caractère terroriste. A ses yeux, le livre "L'insurrection qui vient" ne permettait pas de prouver l'"intention" terroriste de ses membres. De même, l'intimidation ou la terreur ne pouvait être provoquée par des sabotages, certes très désagréables dans la mesure où ils provoquaient des graves dysfonctionnements dans le trafic ferroviaire, mais qui ne risquaient en aucun de provoquer des déraillements ou, d'une manière générale, des dommages très graves.
Lucky Luke contre Joss Jamon. Morris. 1958 |
Tout cela est peut-être juste, mais la Cour de cassation observe que la Chambre d'accusation raisonne à l'envers. Pour la chambre criminelle, l'absence d'intention terroriste ne saurait être exclusivement déduite des faits. L'article 421-1 du code pénal définit en effet le terrorisme par deux éléments cumulatifs.
D'une part, l'existence d'une finalité de "trouble grave de l'ordre par l'intimidation ou la terreur". C'est donc l'intention des auteurs qui doit être appréciée, leur stratégie d'origine, quel que soit le résultat de leur entreprise. En termes simples, un attentat raté demeure un acte terroriste, et doit être sanctionné comme tel. Surtout, l'objectif d'intimidation est totalement indépendant du danger pour la population. Peut ainsi être qualifiée de terroriste une action qui aurait pour conséquence de désorganiser complètement un service public, qu'il s'agisse d'une cyber-attaque ou d'une destruction systématique des caténaires du réseau ferré. Dans le cas du groupe de Tarnac, l'intention était loin d'être aussi claire. Il n'est pas établi qu'ils avaient pour intention de semer la terreur, dans la mesure où ils savaient que les conséquences de leur acte ne pouvaient être réellement dangereuses pour la sécurité des personnes. La finalité d'intimidation n'était pas plus évidente, dès lors que rien ne montre qu'ils avaient pour projet de multiplier ce type de sabotage, au point de désorganiser durablement le réseau.
D'autre part, la qualification de terrorisme n'est acquise que si une infraction figurant dans la liste de l'article 421-1 c. pén. en est le support. Ces infractions ne sont pas nécessairement d'une extrême gravité et il suffit, pour qu'elles soient qualifiées de terroristes, qu'elles aient été commises en lien avec un acte terroriste. Dans un arrêt du 4 juin 2014, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a ainsi admis la qualification de terrorisme pour un recel d'armes destinées à être utilisées par des tiers pour attaquer une gendarmerie en Corse. L'aide logistique au terrorisme relève donc de l'article 421-1 du code pénal. Dans le cas de Tarnac, cette seconde est remplie, et les infractions commises auraient pu être qualifiées de terroriste, si l'élément intentionnel n'avait pas fait défaut.
La décision du 10 janvier 2017 rappelle donc que l'intention terroriste se déduit de l'intention des auteurs de l'acte, de leur stratégie d'origine, quel que soit le résultat de leur entreprise. Certains ont déduit de cette décision que la Cour de cassation avait, en quelque sorte, raté le coche, et aurait pu profiter de l'occasion pour donner une définition plus précise du terrorisme. Ce n'est pourtant pas son rôle, et le législateur s'est montré plein de sagesse en faisant de l'article 421-1 c. pén. une sorte de boîte à outils permettant de poursuivre tous les actes liés au terrorisme, y compris ceux qui visent seulement à lui assurer un soutien logistique. Ce n'est donc pas le terrorisme qui doit être défini avec une grande précision mais les infractions pénales qui s'inscrivent dans son cadre. C'est exactement ce que fait la Cour de cassation.
mercredi 26 février 2014
La "clause de conscience" des maires devant la Cour européenne, une voie sans issue
Le mythe du "dialogue des juges"
De ces deux dispositions, on doit déduire que la Convention s'applique en droit français sur le fondement de l'article 55 de la Constitution, qui constitue, en quelque sorte, le vecteur de l'intégration des traités dans le droit interne. Une décision de la Cour européenne a une valeur conventionnelle et s'impose aux juridictions suprêmes que sont la Cour de cassation et le Conseil d'Etat. De son côté, le Conseil constitutionnel n'apprécie jamais la conformité d'une loi à un traité, fût-ce la Convention européenne des droits de l'homme, et ce principe inauguré dans la jurisprudence IVG de 1975 n'a pas été remis en cause en matière de QPC (décision QPC du 22 juillet 2010).
L'épuisement des recours internes
L'impatience est cependant un vilain défaut, du moins dans le contentieux européen. Il est très probable que la Cour considère que les élus n'ont pas épuisé les voies de recours internes, puisqu'ils n'ont pas attendu la décision du Conseil d'Etat, seule "juridiction suprême" dont la décision est susceptible de clore le contentieux au plan interne.
Qui sont les requérants ?
Les quatorze maires qui déclarent vouloir saisir la Cour européenne étaient-ils les requérants de la QPC contestée ? Certainement pas, puisque l'on sait que ces derniers étaient sept, désignés par leurs initiales dans la décision du Conseil. Il est vrai qu'un certain nombre d'élus avaient fait une "demande d'intervention" dans la procédure, mais le juge constitutionnel a estimé que "le seul fait qu'ils sont appelés en leur qualité à appliquer les dispositions contestées ne justifie pas que chacun d'eux soit admis à intervenir". Leur demande d'intervention a donc été refusée et ils ne sont donc pas "partie" à la QPC. De cette situation, on doit déduire que la moitié au moins des requérants devant la Cour européenne n'étaient même pas partie à la QPC. Leur recours devant la Cour ne saurait donc être considéré comme recevable. Comment pourraient-ils avoir épuisé des recours internes auxquels ils n'étaient pas partie ?
Ajoutons que les maires, qu'ils aient ou non été parties à la QPC, peuvent difficilement se prévaloir la qualité de victime devant la Cour européenne, qualité qui constitue une condition de recevabilité de leur recours. Selon une jurisprudence constante de la Cour, (CEDH, 25 juin 1996, Amuur c. France), l'acte ou l'omission de l'Etat défendeur doit affecter de manière directe le requérant. En l'espèce, les élus ne sont pas directement affectés par la loi qui leur refuse la clause de conscience en matière de mariage pour tous. Aucun d'entre eux n'est actuellement poursuivi pour avoir refusé la célébration d'une union, et la loi ne les contraint pas à un changement de comportement immédiat (CEDH, 26 octobre 1988, Norris c. Irlande).
Certes, la Cour européenne admet quelquefois la qualité de victime "potentielle", lorsque le requérant ne peut pas se plaindre d'une atteinte directe à ses droits, mais appartient à une catégorie de personnes risquant de subir directement les effets de la législation (CEDH, 29 avril 2008, Burden c. Royaume-Uni). En l'espèce, il risque d'être difficile d'invoquer une telle situation, puisqu'un élu qui ne veut pas marier un couple homosexuel peut toujours demander à un adjoint de célébrer une telle union.
Aucune chance au fond
Les obstacles de procédure apparaissent donc immenses, et il semble que les maires requérants aient bien peu de chances de les franchir. Pour les consoler quelque peu, on peut toujours leur apprendre qu'ils n'ont pratiquement aucune chance de succès sur le fond.
Dans une affaire récente du 15 janvier 2013, Lilian Ladele et Gary Mac Farlane c. Royaume Uni, la Cour était précisément saisie d'un recours contre les autorités britanniques qui avaient engagé des poursuites disciplinaires à l'encontre d'un agent ayant refusé d'enregistrer des unions civiles. Cet agent appuyait son refus sur des motifs religieux et se plaignait de l'absence d'une clause de conscience en droit britannique. La Cour rejette ces arguments et rappelle qu'elle "laisse en principe aux autorités nationales une marge d'appréciation étendue lorsqu'il s'agit de ménager un équilibre entre des droits concurrents tirés de la Convention". La loi interne peut donc porter une atteinte, au demeurant très minime, aux convictions religieuses d'une personne, dans le but de garantir l'égalité des droits.
On le constate, le recours n'a pratiquement aucune chance de prospérer. L'irrecevabilité est évidente, et les moyens de fond font cruellement défaut.
Reste évidemment un dernier cas d'irrecevabilité, sur lequel la Cour pourrait s'appuyer. C'est celui qui figure dans l'article 35 § 3 a) : "La Cour déclare irrecevable toute requête individuelle (...) lorsqu'elle estime qu'elle est abusive". Dans un arrêt Bock c. Allemagne du 19 janvier 2010, la Cour déclare ainsi irrecevable une requête "sans enjeu réel", le plaignant contestant la durée excessive d'une procédure civile diligentée pour se faire rembourser une dette de 7,90 €. En l'espèce, les requérants vont devant la Cour pour demander une clause de conscience qui ne sert à rien, puisqu'ils ne sont pas personnellement tenus de célébrer une union homosexuelle. De fait, la requête est motivée par un désir de propagande politique, davantage que par une volonté de protéger une liberté menacée. La Cour pourrait donc sanctionner un tel comportement, et déclarer le recours abusif. D'abord inutile, la requête des élus deviendrait alors ridicule.