Le mythe du "dialogue des juges"
De ces deux dispositions, on doit déduire que la Convention s'applique en droit français sur le fondement de l'article 55 de la Constitution, qui constitue, en quelque sorte, le vecteur de l'intégration des traités dans le droit interne. Une décision de la Cour européenne a une valeur conventionnelle et s'impose aux juridictions suprêmes que sont la Cour de cassation et le Conseil d'Etat. De son côté, le Conseil constitutionnel n'apprécie jamais la conformité d'une loi à un traité, fût-ce la Convention européenne des droits de l'homme, et ce principe inauguré dans la jurisprudence IVG de 1975 n'a pas été remis en cause en matière de QPC (décision QPC du 22 juillet 2010).
L'épuisement des recours internes
L'impatience est cependant un vilain défaut, du moins dans le contentieux européen. Il est très probable que la Cour considère que les élus n'ont pas épuisé les voies de recours internes, puisqu'ils n'ont pas attendu la décision du Conseil d'Etat, seule "juridiction suprême" dont la décision est susceptible de clore le contentieux au plan interne.
Qui sont les requérants ?
Les quatorze maires qui déclarent vouloir saisir la Cour européenne étaient-ils les requérants de la QPC contestée ? Certainement pas, puisque l'on sait que ces derniers étaient sept, désignés par leurs initiales dans la décision du Conseil. Il est vrai qu'un certain nombre d'élus avaient fait une "demande d'intervention" dans la procédure, mais le juge constitutionnel a estimé que "le seul fait qu'ils sont appelés en leur qualité à appliquer les dispositions contestées ne justifie pas que chacun d'eux soit admis à intervenir". Leur demande d'intervention a donc été refusée et ils ne sont donc pas "partie" à la QPC. De cette situation, on doit déduire que la moitié au moins des requérants devant la Cour européenne n'étaient même pas partie à la QPC. Leur recours devant la Cour ne saurait donc être considéré comme recevable. Comment pourraient-ils avoir épuisé des recours internes auxquels ils n'étaient pas partie ?
Ajoutons que les maires, qu'ils aient ou non été parties à la QPC, peuvent difficilement se prévaloir la qualité de victime devant la Cour européenne, qualité qui constitue une condition de recevabilité de leur recours. Selon une jurisprudence constante de la Cour, (CEDH, 25 juin 1996, Amuur c. France), l'acte ou l'omission de l'Etat défendeur doit affecter de manière directe le requérant. En l'espèce, les élus ne sont pas directement affectés par la loi qui leur refuse la clause de conscience en matière de mariage pour tous. Aucun d'entre eux n'est actuellement poursuivi pour avoir refusé la célébration d'une union, et la loi ne les contraint pas à un changement de comportement immédiat (CEDH, 26 octobre 1988, Norris c. Irlande).
Certes, la Cour européenne admet quelquefois la qualité de victime "potentielle", lorsque le requérant ne peut pas se plaindre d'une atteinte directe à ses droits, mais appartient à une catégorie de personnes risquant de subir directement les effets de la législation (CEDH, 29 avril 2008, Burden c. Royaume-Uni). En l'espèce, il risque d'être difficile d'invoquer une telle situation, puisqu'un élu qui ne veut pas marier un couple homosexuel peut toujours demander à un adjoint de célébrer une telle union.
Aucune chance au fond
Les obstacles de procédure apparaissent donc immenses, et il semble que les maires requérants aient bien peu de chances de les franchir. Pour les consoler quelque peu, on peut toujours leur apprendre qu'ils n'ont pratiquement aucune chance de succès sur le fond.
Dans une affaire récente du 15 janvier 2013, Lilian Ladele et Gary Mac Farlane c. Royaume Uni, la Cour était précisément saisie d'un recours contre les autorités britanniques qui avaient engagé des poursuites disciplinaires à l'encontre d'un agent ayant refusé d'enregistrer des unions civiles. Cet agent appuyait son refus sur des motifs religieux et se plaignait de l'absence d'une clause de conscience en droit britannique. La Cour rejette ces arguments et rappelle qu'elle "laisse en principe aux autorités nationales une marge d'appréciation étendue lorsqu'il s'agit de ménager un équilibre entre des droits concurrents tirés de la Convention". La loi interne peut donc porter une atteinte, au demeurant très minime, aux convictions religieuses d'une personne, dans le but de garantir l'égalité des droits.
On le constate, le recours n'a pratiquement aucune chance de prospérer. L'irrecevabilité est évidente, et les moyens de fond font cruellement défaut.
Reste évidemment un dernier cas d'irrecevabilité, sur lequel la Cour pourrait s'appuyer. C'est celui qui figure dans l'article 35 § 3 a) : "La Cour déclare irrecevable toute requête individuelle (...) lorsqu'elle estime qu'elle est abusive". Dans un arrêt Bock c. Allemagne du 19 janvier 2010, la Cour déclare ainsi irrecevable une requête "sans enjeu réel", le plaignant contestant la durée excessive d'une procédure civile diligentée pour se faire rembourser une dette de 7,90 €. En l'espèce, les requérants vont devant la Cour pour demander une clause de conscience qui ne sert à rien, puisqu'ils ne sont pas personnellement tenus de célébrer une union homosexuelle. De fait, la requête est motivée par un désir de propagande politique, davantage que par une volonté de protéger une liberté menacée. La Cour pourrait donc sanctionner un tel comportement, et déclarer le recours abusif. D'abord inutile, la requête des élus deviendrait alors ridicule.
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