En l'espèce, la violence dont il s'agit est communément appelée Revenge Porn.
Le Revenge Porn
Les faits sont toujours à peu près identiques : une jeune femme accepte de poser nue pour celui qui partage sa vie. Des photos dites de charme sont réalisées, avec son consentement. Quelques semaines, quelques mois ou quelques années plus tard, elle décide de rompre. Tout le problème est là : le couple disparaît mais les photos demeurent. Ces clichés peuvent alors devenir une arme redoutable pour un ancien compagnon animé par le désir de vengeance ou l'appât du gain, et dépourvu de toute élégance ou de tout scrupule. Il suffit en effet de les diffuser sur internet pour porter un préjudice considérable à l'intéressée.
En l'espèce, la requérante, M. S. D. était âgée de dix huit ans lors de la rupture, à l'issue d'une relation qui avait duré à peine quelques mois et qui s'est achevée à l'automne 2016. Son ex-compagnon, âgé de vingt ans, a alors envoyé des photos d'elle dénudée à sa famille, à des proches, sans oublier de les mettre sur des sites proposant des services d'escort. Il a même menacé d'accrocher les photos dans l'université qu'elle fréquentait.
Insuffisances du système roumain de protection
M. S. D. a évidemment porté plainte, mais le moins que l'on puisse dire est que les juges roumains n'ont guère fait preuve de célérité, ni de bonne volonté, pour instruire l'affaire. M. S. D. a d'abord été victime d'intimidations de la part de certains membres de la police pour la dissuader de faire appel à un avocat et la persuader de retirer sa plainte. Finalement, à la fin de l'année 2020, l'enquête pour atteinte à la vie privée fut abandonnée, au motifs que les éléments constitutifs de l'infraction n'étaient pas réunis. Pour le procureur, M. S. D. avait consenti à poser pour de telles photos, qui d'ailleurs révélaient, à ses yeux, une "sexualité exacerbée".
C'est donc la décision de classer l'affaire, bientôt suivie par une prescription, que M. S. D. conteste devant la CEDH, en se fondant sur l'atteinte au droit au respect de sa vie privée, garanti par l'article 8 de la Convention.
A l'évidence, le corps de la personne constitue l'un des aspects les plus intimes de sa vie privée et son image doit donc être protégées sur le fondement de l'article 8. Dans l'arrêt Buturuga c. Roumanie du 11 février 2020, la Cour rappelle ainsi que "le harcèlement en ligne est actuellement reconnu comme un aspect de la violence à l'égard des femmes (...) et peut prendre diverses, telles que (...) la prise, le partage et la manipulation d'informations et d'images, y compris intimes". De fait, les États ont une obligation positive de mettre en place un cadre juridique destiné à réprimer efficacement la cyberviolence, et d'enquêter efficacement sur ce type d'affaire.
Il est exact que la Cour de cassation roumaine, en 2021, a décidé que le motif tiré du consentement de la personne à la captation des photos dénudées ne pouvait être invoqué, en tant que tel, pour faire obstacle aux poursuites. Le code pénal a ensuite été modifié en ce sens en 2023. Mais l'arrêt est intervenu plus d'un an après, et la loi trois ans après que l'enquête concernant M. S. D. ait été abandonnée. Au moment des faits, il est donc clair que le droit roumain n'offrait pas à la requérante une protection adéquate de sa vie privée.
La Cour sanctionne également l'absence de diligence dans l'enquête pénale. La décision Volodina c. Russie du 2 juillet 2019 sanctionne ainsi les carences de l'enquête des autorités russes dans les cas de violences à l'égard des femmes. Dans le cas de M. S. D., les autorités roumaines se sont bornées à auditionner la plaignante et son ex-compagnon, sans aller plus loin, et notamment sans saisir l'ordinateur de ce dernier.
Au-delà des carences avérées de l'enquête, la question du consentement constitue un obstacle réel aux poursuites, dès lors qu'il n'est pas contesté que la jeune femme a effectivement accepté de faire des photos. Le droit roumain a évolué pendant la procédure, supprimant cet obstacle.
La répression du Revenge Porn, en France
La question s'est posée dans les mêmes termes en France. La Cour de cassation, dans un arrêt du 16 mars 2016, avait estimé que le Revenge Porn ne pouvait être sanctionné sur le fondement de l'article 226-1 du code pénal. Celui-ci sanctionne en effet la captation, la conservation et/ou la diffusion de données personnelles sans le consentement de la personne. Or, dans le cas du Revenge Porn, le consentement est établi pour la captation et la conservation. De fait, la jurisprudence de 2016 considérait que le consentement était présumé en matière de diffusion.
Pour permettre de réprimer le Revenge Porn, la loi Lemaire du 7 octobre 2016 pour une République numérique vient combler cette lacune du droit. Elle ajoute au code pénal un nouvel article 226-2-1 qui punit d'une peine d'emprisonnement de deux ans et d'une amende de 60 000 € le fait de diffuser sur le net, sans le consentement de l'intéressé, des images "présentant un caractère sexuel". Le droit français est donc parfaitement conforme aux exigences de la CEDH.
Le droit s'est donc modernisé pour tenir compte de pratiques nouvelles faisant des images les plus intimes de la personne l'instrument d'une vengeance personnelle. Le plus navrant est le développement de ces pratiques perverses de Revenge Porn auxquelles le droit n'avait même pas songé.
La protection des données : chapitre 8, section 5, du manuel de libertés publiques sur Amazon
=== Bienvenue dans les délices du monde d'aujourd'hui ===.
RépondreSupprimerIl est bon que la Cour européenne des droits de l'homme ait jugé opportun de dire ce qu'était le minimum exigible dans le contenu des législations nationales des Etats membres du Conseil de l'Europe sur le Revenge Porn. Deux remarques peuvent être formulées à ce stade.
- Une remarque de caractère juridique. Compte tenu du développement exponentiel de cette pratique, il serait opportun que les Etats membres du Conseil de l'Europe négocient et adoptent une convention reprenant les principales demandes de la CEDH, mettant ainsi tout le monde au même niveau de contenu de la norme. Le problème serait résolu au mieux.
- Une remarque de caractère factuel. Il serait peut-être utile que les jeunes filles ou jeunes femmes réfléchissent à deux fois avant de donner leur consentement à la prise de photos intimes par leur bien-aimé du moment. Les informations essentielles sur les risques inhérents au Revenge Porn circulent sur la toile. C'est ce qui s'appelle la responsabilisation des citoyens. Au-delà, de ce pur aspect de responsabilisation, nous touchons à un fléau de notre époque, celui du narcissisme de la nouvelle génération qui passe son temps à se photographier ou à se filmer en tout lieu et en toute circonstance. Ainsi, se faire photographier dans le plus simple appareil lui semble banal, anodin, valorisant et sans risque. On connait la suite.
De la tyrannie de la transparence !
Ce commentaire illustre tristement une société qui a encore beaucoup à apprendre au sujet des violences sexistes et sexuelles subies par les femmes. Mettre la responsabilité sur les femmes (une fois de plus) est dangereux tant d'un point de vue de la protection des victimes (alimentant un sentiment de honte et une peur de dénoncer les faits) que de la responsabilisation - et donc la prévention de la récidive - des auteurs d'infractions.
RépondreSupprimerSans parler de cette remarque de réac / boomer de "narcissime de la nouvelle génération", très éloignée des réalités de notre jeunesse, et surtout de ce phénomène criminel : l'envoi de photos intimes et le reveng porn surviennent souvent dans un contexte de pression, d'insistance répétée, de manipulation, voire de menaces explicites exercées par l'auteur sur la victime. Il serait donc urgent de s'informer sérieusement sur ces questions avant de formuler des jugements simplistes et stigmatisants.