L'équilibre entre les nécessités de l'enquête et les droits de la défense
La femme à abattre. Raoul Walsh. 1951. Humphrey Bogard |
Dans un arrêt du 11 juillet 2012, la Cour de cassation avait déjà considéré que ces dispositions étaient conformes à l'article 6 § 3 de la Convention européenne des droits de l'homme, dans la mesure évidemment où l'avocat du gardé à vue avait effectivement pu consulter les pièces énumérées à l'article 63-4-1 du code pénal. Sur ce point, la jurisprudence de la Chambre criminelle s'appuie sur celle du Conseil constitutionnel. Dans sa décision du 18 novembre 2011 rendue sur QPC, ce dernier a en effet considéré que la conciliation entre la recherche des auteurs d'infraction et les droits de la défense constitutionnellement garantis était convenablement assurée dans la loi du 14 avril 2011.
Qu'il s'agisse du contrôle de conventionnalité par la Cour de cassation, ou de constitutionnalité par le Conseil constitutionnalité, la jurisprudence est identique. Les droits de la défense n'imposent pas une règle absolue de communication de l'ensemble des pièces du dossier, du moins durant la garde à vue.
Vers la saisine de la Cour européenne
Bien entendu, les avocats ne sont pas décidés à abandonner le combat. La décision de la Cour de cassation a pour intérêt, et c'est bien le seul de leur point de vue, de marquer l'épuisement des recours internes. La voie de la Cour européenne est donc ouverte, et il faut reconnaître qu'il n'est pas sans espoir. Dans l'arrêt Sapan c. Turquie du 20 septembre 2011, la Cour déclare en effet le droit turc non conforme à l'article 6 § 3, dans la mesure précisément où l'avocat du requérant n'est pas autorisé à avoir accès aux pièces du dossier. Dans le domaine de la garde à vue, depuis l'arrêt Salduz du 27 novembre 2008, il est vrai que les condamnations de la Turquie précèdent de peu les condamnations de la France.
Certes, mais à supposer qu'intervienne une condamnation du système français par la Cour européeenne, le problème serait-il résolu pour autant ? La hiérarchie des normes incite, en effet, à considérer que la législation française dans ce domaine peut être considérée comme verrouillée par la décision du Conseil constitutionnel. Une validation constitutionnelle n'a t elle pas une valeur supérieure à une invalidation conventionnelle ?
Bonjour,
RépondreSupprimerJe me permets d'ajouter, même si cela peut être considéré comme "hors sujet" (du fait que votre billet vise explicitement le droit européen), que le droit de l'Union Européenne a opéré une avance notable dans ce domaine.
La directive du 22 mai 2012 relative au droit à l'information dans le cadre des procédures pénales consacre le droit d'accès aux pièces du dossier dans son article 7. Les Etats membres ont jusqu'au 2 juin 2014 pour la transposer en droit interne.
L'article 7 dispose que les Etats membres doivent mettre à disposition aux personnes arrêtées et détenues "les documents relatifs à l’affaire en question détenus par les autorités compétentes qui sont essentiels pour contester de manière effective conformément au droit national la légalité de l’arrestation ou de la détention" (1er alinéa) et aux suspects et personnes poursuivies "les preuves matérielles à charge ou à décharge" (2ème alinéa) et ceci en "temps utile" (3ème alinéa).
Ce droit n'est pas absolu : "l’accès à certaines pièces peut être refusé lorsque cet accès peut constituer une menace grave pour la vie ou les droits fondamentaux d’un tiers, ou lorsque le refus d’accès est strictement nécessaire en vue de préserver un intérêt public important, comme dans les cas où cet accès risque de compromettre une enquête en cours ou de porter gravement atteinte à la sécurité nationale de l’État" (4ème alinéa). La décision de refus doit pouvoir être soumise à un recours juridictionnel.
Bien à vous.
Bonjour,
RépondreSupprimerComme vous l'indiquez, l'arrêt du 19 septembre ne pose pas une solution nouvelle puisque la Cour de cassation avait déjà affirmé, dans un arrêt du 11 juillet 2012, qu'est conforme à l'article 6 de la Convention la garde à vue au cours de laquelle l’audition du suspect a débuté hors la présence de l’avocat désigné et sans que ce dernier ait pu avoir accès à l'ensemble des pièces du dossier (voir, sur cet arrêt : Gazette du Palais 16-18 septembre 2012, nos 260 à 262, pp. 19-23).
En revanche, je ne partage pas votre interrogation finale sur la portée de l'éventuel constat de violation prononcé à Strasbourg. Dans ses arrêts du 15 avril 2011, l'assemblée plénière de la Cour de cassation n'a-t-elle pas, en effet, annulé des décisions de juridictions du fond ayant déclaré des gardes à vue "ancien régime" régulières alors que le Conseil constitutionnel les avaient "validées" jusq'au 1er juillet 2011 ? Par ailleurs, le Conseil n'affirme-t-il pas que "l'autorité qui s'attache aux décisions du Conseil constitutionnel en vertu de l'article 62 de la Constitution ne limite pas la compétence des juridictions administratives et judiciaires pour faire prévaloir [les engagements internationaux ou européens de la France] sur une disposition législative incompatible avec eux, même lorsque cette dernière a été déclarée conforme à la Constitution" (Cons. const., déc. n° 2010-605 DC du 12 mai 2010) ?
Bien à vous,