La Cour de justice de l'Union européenne a rendu sur question préjudicielle,
le 5 septembre 2012, une décision Joao Pedro Lopez da Silva Jorge, condamnant comme discriminatoire une partie du droit français transposant la procédure du mandat d'arrêt européen. Ce dernier, rappelons-le, se définit comme la demande de remise d'une personne formulée par l'autorité judiciaire d'un Etat membre à un autre Etat membre, afin de permettre l'exercice de poursuites pénales ou l'exécution d'une peine. Le principe posé par la
décision-cadre du 13 juin 2002, qui met en oeuvre le mandat d'arrêt européen, est que son exécution est obligatoire.
Une exception au caractère impératif du mandat d'arrêt européen
Dans certains cas exceptionnels, cependant, l'autorité judiciaire peut refuser de remettre la personne à l'Etat demandeur, notamment lorsque le mandat d'arrêt a été émis dans le but de faire exécuter une peine d'emprisonnement. Tel est le cas dans l'affaire Joao Pedro Lopez da Silva Jorge, l'intéressé, de nationalité portugaise, ayant été condamné en 2003 à cinq années de prison par le tribunal criminel de Lisbonne pour trafic de stupéfiants. Sans que l'on sache exactement s'il est venu en France pour échapper à l'exécution de sa peine ou s'il avait déjà des attaches dans notre pays, il s'est ensuite durablement installé en France, s'est marié à une Française et exercé la profession de chauffeur routier dans une entreprise française. Il demande donc à exécuter sa peine sur le territoire français, estimant que son renvoi dans une prison portugaise porterait atteinte à sa vie familiale, ainsi qu'à sa future réinsertion professionnelle. Ces deux éléments constituent les justificatifs essentiels de l'exception ainsi admise par le droit de l'Union européenne.
Or, les autorités françaises refusent au requérant de bénéficier d'une telle mesure, que le droit français, en l'occurrence l'
article 695-24 du code pénal, réserve à ses ressortissants. C'est précisément cette restriction qui a fait l'objet de la question préjudicielle posée à la Cour de Justice de l'Union européenne.
La Convention de 1983
Pour les autorités françaises, cette exception au seul profit des citoyens français repose sur la
Convention sur le transfèrement des personnes condamnées du 21 mars 1983, à laquelle la France est partie, et qui organise la coopération entre Etats, pour que les personnes condamnées puissent purger leur peine dans "
leur milieu social d'origine", c'est à dire dans leur pays d'origine. Aux termes de l'article 9 de ce texte, l'Etat auquel est adressé la demande de transfèrement a le choix entre deux voies de droit : soit il transfère la personne vers le pays demandeur, soit il convertit la condamnation, et applique au condamné la sanction applicable, dans son droit pénal, à l'infraction commise. A cette objection, la Cour de Justice répond cependant que les autorités françaises disposent certes de cette option, mais que rien ne permet d'affirmer que le critère de choix entre les deux procédures est lié à la nationalité de l'intéressé.
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Safe in Hell. William Wellman. 1931 |
Egalité de traitement entre les personnes extradées et celle qui font l'objet d'un mandat d'arrêt européen
De manière plus indirecte, on distingue dans la législation française une subsistance, dans le droit du mandat d'arrêt européen, du principe selon lequel la France n'extrade pas ses nationaux. Elle a ainsi pris soin de joindre à la
Convention du 27 septembre 1996 relative à l'extradition entre les Etats membres de l'Union européenne une déclaration dans laquelle elle maintien son refus d'extrader ses nationaux, dans le cas précis où l'objet de cette procédure est l'exécution d'une peine privative de liberté. L'article 695-24 du Code pénal, qui transpose la décision-cadre sur le mandat d'arrêt européen, a donc pour objet d'assurer l'égalité de traitement entre les personnes extradées et celles qui font l'objet d'un mandat d'arrêt européen.
Egalité entre les ressortissants européens
La Cour de Justice privilégie, quant à elle, un autre principe d'égalité, entre tous les ressortissants européens. Elle affirme ainsi que le choix du pays dans lequel l'intéressé purge sa peine doit essentiellement être guidé par une appréciation de ses chances de réinsertion, prenant en compte les possibilités de visites de sa famille durant son emprisonnement et ses chances de retrouver un emploi à sa sortie. Ces critères sont sans rapport avec la nationalité de la personne condamnée.
A travers la sanction du critère de la nationalité, c'est évidemment l'automaticité de la décision qui est sanctionnée. En effet, le droit français impose le transfèrement des personnes étrangères vers le pays de leur condamnation, alors que les Français peuvent purger leur peine en France. De fait, le critère fondé sur la réinsertion n'est plus pertinent. Si le droit en vigueur avait permis aux autorités françaises d'examiner la question, si elles avaient ensuite considéré comme préférable que le requérant exécute sa peine au Portugal, il est fort probable que la Cour aurait validé cette décision. Mais le droit français place les autorités dans une situation de compétence liée, puisqu'il est purement et simplement interdit d'accorder aux étrangers le droit d'exécuter leur peine en France.
On pourrait débattre longuement de cette décision. Est il préférable de privilégier l'égalité de traitement entre les personnes extradées et celles faisant l'objet d'un mandat d'arrêt européenne, ou entre les citoyens de l'Union européen, quelle que soit leur nationalité ? La Cour de Justice a choisi la seconde branche de l'alternative. Agissant ainsi, elle renforce le mouvement déjà engagé de dissociation entre le droit de l'extradition et celui du mandat d'arrêt.
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