Dans une décision du 19 septembre 2012,, la Chambre criminelle de la Cour de cassation persiste dans son refus : la communication à l'avocat de l'ensemble du dossier pénal de la personne placée en garde à vue n'est pas un élément du droit au procès équitable, tel qu'il est consacré par l'article 6 § 3 de la Convention européenne. En l'espèce, la juridiction suprême casse une décision de la Cour d'appel d'Agen intervenue le 24 octobre 2011, jurisprudence de combat qui considérait que l'assistance de l'avocat durant toute la durée la garde à vue ne pouvait être effective que si ce dernier avait accès à l'ensemble du dossier.
Bien entendu, la décision de la Cour de cassation fait déjà l'objet de vives critiques. Les avocats y voient une atteinte aux droits de la défense durant la garde à vue, droits finalement consacrés dans la loi du 14 avril 2011. Mis dans l'impossibilité d'accéder au dossier pénal de leur client avant les auditions et les confrontations, il considèrent que le principe d'égalité des armes n'est pas respecté durant la garde à vue.
L'équilibre entre les nécessités de l'enquête et les droits de la défense
L'équilibre entre les nécessités de l'enquête et les droits de la défense
Ces arguments ne doivent pas être négligés, loin de là, mais il convient aussi d'entendre ceux du juge. Ils reposent sur la recherche d'un équilibre entre les nécessités de l'enquête et celles du respect des droits de la défense. Dans notre procédure pénale, la garde à vue a pour finalité la recherche de l'auteur d'une infraction, dans le délai extrêmement bref de vingt-quatre heures, renouvelable une fois. Le débat contradictoire sur les éléments de preuve recueillis durant l'enquête ne se développe pas durant la garde à vue, mais intervient plupart devant le juge d'instruction, puis devant les juridictions de jugement. L'article 63-4-1 du code pénal, dans sa rédaction issue de la loi du 14 avril 2011, autorise donc l'avocat à consulter seulement le procès verbal de notification du placement en garde à vue, le certificat médical ainsi que les procès verbaux d'audition, une fois qu'elle a eu lieu. Pour la Cour de cassation, la communication de ces trois types de pièces suffit à garantir le respect des droits de la défense durant la garde à vue.
Dans un arrêt du 11 juillet 2012, la Cour de cassation avait déjà considéré que ces dispositions étaient conformes à l'article 6 § 3 de la Convention européenne des droits de l'homme, dans la mesure évidemment où l'avocat du gardé à vue avait effectivement pu consulter les pièces énumérées à l'article 63-4-1 du code pénal. Sur ce point, la jurisprudence de la Chambre criminelle s'appuie sur celle du Conseil constitutionnel. Dans sa décision du 18 novembre 2011 rendue sur QPC, ce dernier a en effet considéré que la conciliation entre la recherche des auteurs d'infraction et les droits de la défense constitutionnellement garantis était convenablement assurée dans la loi du 14 avril 2011.
Qu'il s'agisse du contrôle de conventionnalité par la Cour de cassation, ou de constitutionnalité par le Conseil constitutionnalité, la jurisprudence est identique. Les droits de la défense n'imposent pas une règle absolue de communication de l'ensemble des pièces du dossier, du moins durant la garde à vue.
Vers la saisine de la Cour européenne
Bien entendu, les avocats ne sont pas décidés à abandonner le combat. La décision de la Cour de cassation a pour intérêt, et c'est bien le seul de leur point de vue, de marquer l'épuisement des recours internes. La voie de la Cour européenne est donc ouverte, et il faut reconnaître qu'il n'est pas sans espoir. Dans l'arrêt Sapan c. Turquie du 20 septembre 2011, la Cour déclare en effet le droit turc non conforme à l'article 6 § 3, dans la mesure précisément où l'avocat du requérant n'est pas autorisé à avoir accès aux pièces du dossier. Dans le domaine de la garde à vue, depuis l'arrêt Salduz du 27 novembre 2008, il est vrai que les condamnations de la Turquie précèdent de peu les condamnations de la France.
Certes, mais à supposer qu'intervienne une condamnation du système français par la Cour européeenne, le problème serait-il résolu pour autant ? La hiérarchie des normes incite, en effet, à considérer que la législation française dans ce domaine peut être considérée comme verrouillée par la décision du Conseil constitutionnel. Une validation constitutionnelle n'a t elle pas une valeur supérieure à une invalidation conventionnelle ?
La femme à abattre. Raoul Walsh. 1951. Humphrey Bogard |
Dans un arrêt du 11 juillet 2012, la Cour de cassation avait déjà considéré que ces dispositions étaient conformes à l'article 6 § 3 de la Convention européenne des droits de l'homme, dans la mesure évidemment où l'avocat du gardé à vue avait effectivement pu consulter les pièces énumérées à l'article 63-4-1 du code pénal. Sur ce point, la jurisprudence de la Chambre criminelle s'appuie sur celle du Conseil constitutionnel. Dans sa décision du 18 novembre 2011 rendue sur QPC, ce dernier a en effet considéré que la conciliation entre la recherche des auteurs d'infraction et les droits de la défense constitutionnellement garantis était convenablement assurée dans la loi du 14 avril 2011.
Qu'il s'agisse du contrôle de conventionnalité par la Cour de cassation, ou de constitutionnalité par le Conseil constitutionnalité, la jurisprudence est identique. Les droits de la défense n'imposent pas une règle absolue de communication de l'ensemble des pièces du dossier, du moins durant la garde à vue.
Vers la saisine de la Cour européenne
Bien entendu, les avocats ne sont pas décidés à abandonner le combat. La décision de la Cour de cassation a pour intérêt, et c'est bien le seul de leur point de vue, de marquer l'épuisement des recours internes. La voie de la Cour européenne est donc ouverte, et il faut reconnaître qu'il n'est pas sans espoir. Dans l'arrêt Sapan c. Turquie du 20 septembre 2011, la Cour déclare en effet le droit turc non conforme à l'article 6 § 3, dans la mesure précisément où l'avocat du requérant n'est pas autorisé à avoir accès aux pièces du dossier. Dans le domaine de la garde à vue, depuis l'arrêt Salduz du 27 novembre 2008, il est vrai que les condamnations de la Turquie précèdent de peu les condamnations de la France.
Certes, mais à supposer qu'intervienne une condamnation du système français par la Cour européeenne, le problème serait-il résolu pour autant ? La hiérarchie des normes incite, en effet, à considérer que la législation française dans ce domaine peut être considérée comme verrouillée par la décision du Conseil constitutionnel. Une validation constitutionnelle n'a t elle pas une valeur supérieure à une invalidation conventionnelle ?
Bonjour,
RépondreSupprimerJe me permets d'ajouter, même si cela peut être considéré comme "hors sujet" (du fait que votre billet vise explicitement le droit européen), que le droit de l'Union Européenne a opéré une avance notable dans ce domaine.
La directive du 22 mai 2012 relative au droit à l'information dans le cadre des procédures pénales consacre le droit d'accès aux pièces du dossier dans son article 7. Les Etats membres ont jusqu'au 2 juin 2014 pour la transposer en droit interne.
L'article 7 dispose que les Etats membres doivent mettre à disposition aux personnes arrêtées et détenues "les documents relatifs à l’affaire en question détenus par les autorités compétentes qui sont essentiels pour contester de manière effective conformément au droit national la légalité de l’arrestation ou de la détention" (1er alinéa) et aux suspects et personnes poursuivies "les preuves matérielles à charge ou à décharge" (2ème alinéa) et ceci en "temps utile" (3ème alinéa).
Ce droit n'est pas absolu : "l’accès à certaines pièces peut être refusé lorsque cet accès peut constituer une menace grave pour la vie ou les droits fondamentaux d’un tiers, ou lorsque le refus d’accès est strictement nécessaire en vue de préserver un intérêt public important, comme dans les cas où cet accès risque de compromettre une enquête en cours ou de porter gravement atteinte à la sécurité nationale de l’État" (4ème alinéa). La décision de refus doit pouvoir être soumise à un recours juridictionnel.
Bien à vous.
Bonjour,
RépondreSupprimerComme vous l'indiquez, l'arrêt du 19 septembre ne pose pas une solution nouvelle puisque la Cour de cassation avait déjà affirmé, dans un arrêt du 11 juillet 2012, qu'est conforme à l'article 6 de la Convention la garde à vue au cours de laquelle l’audition du suspect a débuté hors la présence de l’avocat désigné et sans que ce dernier ait pu avoir accès à l'ensemble des pièces du dossier (voir, sur cet arrêt : Gazette du Palais 16-18 septembre 2012, nos 260 à 262, pp. 19-23).
En revanche, je ne partage pas votre interrogation finale sur la portée de l'éventuel constat de violation prononcé à Strasbourg. Dans ses arrêts du 15 avril 2011, l'assemblée plénière de la Cour de cassation n'a-t-elle pas, en effet, annulé des décisions de juridictions du fond ayant déclaré des gardes à vue "ancien régime" régulières alors que le Conseil constitutionnel les avaient "validées" jusq'au 1er juillet 2011 ? Par ailleurs, le Conseil n'affirme-t-il pas que "l'autorité qui s'attache aux décisions du Conseil constitutionnel en vertu de l'article 62 de la Constitution ne limite pas la compétence des juridictions administratives et judiciaires pour faire prévaloir [les engagements internationaux ou européens de la France] sur une disposition législative incompatible avec eux, même lorsque cette dernière a été déclarée conforme à la Constitution" (Cons. const., déc. n° 2010-605 DC du 12 mai 2010) ?
Bien à vous,