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« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.
lundi 28 mai 2018
La liberté de manifestation selon le ministre de l'intérieur
dimanche 27 mai 2018
Le projet de loi de programmation pour la justice
Pour le reste, les réformes envisagées sont nombreuses et la lecture du projet laisse l'impression d'un foisonnement, mélange un peu hétéroclite de mesures ambitieuses et de points de détail. Le fil conducteur n'est pas indiqué dans un exposé des motifs qui se borne à un résumé de chaque article du projet. Sans prétendre à l'exhaustivité, il convient donc de chercher quels sont les axes principaux de ce texte.
Le règlement amiable des différends
Le procès sans audience
L'Open Data
Les juridictions pénales
La procédure pénale
Le même problème se pose pour l'usage de la géolocalisation au cours de l'enquête, pour lequel le seuil de gravité des infractions est à la fois réduit et uniformisé, concernant désormais toutes les infractions punies de plus de trois ans d'emprisonnement, alors qu'il est actuellement de trois ans pour les atteintes aux personnes, et de cinq ans pour les autres délits. La durée de l'autorisation est également rallongée de huit à quinze jours. Sur cette question, le Conseil constitutionnel avait aussi effectué un contrôle de proportionnalité, dans sa décision du 25 mars 2014.
Le Conseil constitutionnel acceptera-t-il ces allongements des autorisations et ces élargissements des infractions concernées ? Le risque d'une annulation existe. Il apparaît moins élevé cependant dans le cas de l'autorisation du recours aux "techniques spéciales d'enquêtes", notamment l'IMSI Catcher qui permet d'intercepter l'ensemble des communications dans un périmètre précis, et la sonorisation de certains locaux. Ces procédés sont désormais utilisables pour tous les crimes et non plus pour ceux relevant spécifiquement de la criminalité organisée. Dans sa décision du 4 décembre 2013, le Conseil constitutionnel avait déjà admis qu'ils soient utilisés pour la recherche de crimes, même non commis en bande organisée, dès lors que la situation l'exigeait.
Les procédures
Sur le plan des procédures, le projet de loi va dans le sens d'une simplification déjà largement pratiquée. C'est ainsi qu'il admet que le renouvellement d'une garde à vue, à l'issue d'une première période de 24 heures, soit effectué sans présentation physique de l'intéressé au procureur de la République. C'était déjà largement le cas, et l'essentiel demeure que la garde à vue reste soumise au contrôle direct de l'autorité judiciaire.
Les peines
Le régime des peines poursuit un but de désengorgement des prisons, avec une volonté d'étendre les peines alternatives, comme la détention à domicile sous surveillance électroniques, les travaux d'intérêt général, les stages de citoyenneté divers et variés auxquels est ajouté un indispensable stage de lutte contre le sexisme. En revanche, l'aménagement de principe des peines d'emprisonnement ne s'applique plus qu'aux peines comprises entre un mois et un de détention, et non plus deux.
D'autres dispositions pourraient être commentées, de la spécialisation des juridictions judiciaires aux mesures prises pour faciliter la construction d'établissements pénitentiaires. L'ensemble laisse entrevoir un chantier de longue haleine, et la justice de 2022 devrait être bien différente de celle de 2018. S'agit-il pour autant d'un progrès ? D'une modernisation certainement, avec la dématérialisation des recours, les audiences par vidéoconférence, les enquêtes assistées par Imsi-Catcher.. Tout cela était probablement indispensable. Mais la protection des requérants et des justiciables s'en trouve-t-elle accrue ? Il est bien difficile de répondre à cette question, car les auteurs du projet ne semblent pas s'être posés la question. Il repose en effet sur une théorie du ruissellement judiciaire : la simplification des procédures, les économies dans la gestion du service public de la justice entraînent automatiquement la satisfaction des usagers et l'élargissement de leurs droits. Tout va donc pour le mieux dans le meilleur des mondes judiciaires.
lundi 21 mai 2018
L'apologie d'acte de terrorisme devant le Conseil constitutionnel
Le requérant, ancien membre d'Action Directe a été condamné à perpétuité pour les meurtres de l'IGA René Audran et du PDG de Renault Georges Besse en 1985 et 1986. Il a bénéficié d'une libération conditionnelle en 2012. En février 2016, interrogé par un radio marseillaise, il déclare que les auteurs des attentats du 13 novembre 2015 "se sont battus courageusement". Il est condamné pour apologie d'acte de terrorisme à trois ans d'emprisonnement, dont dix-huit mois avec sursis. A l'occasion de son pourvoi en cassation, il conteste trois dispositions du code pénal, non seulement l'article 421-2-5 qui punit de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende l'apologie publique d'actes de terrorisme, mais encore les articles 422-3 et 422-6 qui prévoient les peines complémentaires susceptibles d'être prononcées. A ses yeux, ces dispositions portent atteinte aux principes de légalité des délits et des peines, de nécessité et de proportionnalité des peines, ainsi qu'à la liberté d'expression.
Le principe de légalité des délits et des peines
Le principe de légalité des délits et des peines, garanti par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, serait violé, dans la mesure où la loi ne préciserait pas clairement le champ d'application de ce délit. Dans sa décision QPC du 25 février 2010, le Conseil constitutionnel affirme en effet que la définition d'une infraction doit être formulée en termes "clairs et précis", exigence qui s'impose "non seulement pour exclure l'arbitraire dans le prononcé de la peine, mais encore pour éviter une rigueur non nécessaire lors de la recherche de ses auteurs".
En l'espèce, il ne voit aucun manque de précision dans la définition de l'apologie d'acte de terrorisme. D'une part, les actes de terrorisme visés sont ceux explicitement qualifiés comme tels par l'article 421-1 du code pénal, à l'exclusion de toute autre infraction. D'autre part, l'apologie est clairement définie comme l'action consistant à "justifier, excuser ou présenter sous un jour favorable un acte ou son auteur". Elle se distingue de la provocation, car elle n'appelle pas à la commission ou au renouvellement de l'acte. Cette définition est celle donnée par la Cour de cassation, dans un arrêt du 25 avril 2017, confirmant la condamnation d'un individu qui, lors d'une cérémonie d'hommage aux victimes des attentats du 13 novembre 2015, avait brandi une pancarte sur laquelle étaient inscrits d'un côté "Je suis Charlie" et de l'autre "Je suis Kouachi".
Le principe de proportionnalité des peines
La proportionnalité de la peine ne donne lieu qu'à un contrôle de la "disproportion manifeste", dès lors que cette appréciation relève d'abord du législateur (par exemple, décision QPC du 7 juin 2013). En l'espèce, la peine prévue est de cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende. Elle est susceptible d'être portée à sept ans et 100 000 euros lorsque l'infraction a été commise sur internet, l'idée étant de sanctionner plus sévèrement une action visant à l'endoctrinement de futurs terroristes.
En l'espèce, le Conseil observe que ces peines sont modulables "en fonction des circonstances de l'infraction et de la personnalité de son auteur", conformément au principe de droit commun d'individualisation de la peine. En revanche, il note que la peine complémentaire de confiscation des biens, qui est l'un des objets de la présente QPC et qui est prévue par l'article 422-6 du code pénal, ne saurait être prononcée en même temps qu'une peine pour apologie d'acte de terrorisme, car elle est prévue dans un chapitre du code pénal uniquement consacré aux actes de terrorisme, dans lequel l'apologie ne figure pas. Sous cette réserve, le délit d'apologie d'acte de terrorisme n'impose pas une peine disproportionnée.
La liberté d'expression
Pour apprécier si une disposition législative porte atteinte à la liberté d'expression, le Conseil constitutionnel s'assure d'abord qu'elle répond à une finalité conforme à la constitution. En l'espèce, le délit d'apologie d'acte de terrorisme poursuit "l'objectif de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l'ordre public et des infractions". Dans sa décision du 18 janvier 1995, le Conseil avait déjà affirmé que la prévention des atteintes à l'ordre public et notamment des atteintes à sécurité des personnes et des biens répondait à un objectif de valeur constitutionnelle.
Si elle s'insère dans une jurisprudence déjà ancienne, cette référence à un objectif de valeur constitutionnelle de prévention des infractions contribue, dans le cas présent, à brouiller la distinction entre l'apologie et l'incitation. En effet, la prévention des infractions vise, par définition, à empêcher la commission ou le renouvellement de l'acte, élément de définition de l'incitation, mais pas de l'apologie. Certes, le Conseil constitutionnel prend soin de n'utiliser ce fondement constitutionnel que pour justifier l'atteinte à la liberté d'expression, mais il n'en demeure pas moins que cet amalgame entre les deux notions est gênant.
Se référant à cet objectif de valeur constittuionnelle, le Conseil vérifie qu'il justifie une atteinte à la liberté d'expression, exerçant ainsi un nouveau contrôle de proportionnalité. Il fait observer que l'apologie d'un acte de terrorisme constitue, en soi, un trouble à l'ordre public qui justifie une sanction. Les faits incriminés sont suffisamment précis pour permettre à chacun d'apprécier les faits d'apologie s'analysant comme un comportement illicite. Enfin, le fait que les poursuites ne soient plus soumises à la procédure particulièrement protectrice des infractions de presse n'emporte aucune conséquence excessive pour la liberté d'expression, dès lors que "les actes de terrorisme dont l'apologie est réprimée sont des infractions d'une particulière gravité susceptibles de porter atteinte à la vie ou aux biens".Sur ce point, le Conseil reprend exactement sa jurisprudence relative au négationnisme issue de sa décision QPC du 8 janvier 2016. Il avait alors jugé que l'atteinte à la liberté d'expression était proportionnée dans le cas d'une infraction destinée à sanctionner la négation des crimes contre l'humanité, crimes dont la gravité justifiait un telle mesure.
Comme les crimes contre l'humanité, les actes de terrorisme justifient ainsi la construction d'un droit spécifique. Le Conseil constitutionnel l'admet depuis longtemps, et il reconnaît que ce droit impose des restrictions à des libertés particulièrement protégées, telles que la liberté d'expression. Son contrôle demeure modeste, et ce n'est pas illogique. En effet, il appartient au Parlement, et à lui seul, de choisir où il convient de placer le curseur entre la liberté et la sécurité.
Sur la nécessité de la peine et le terrorisme : Chapitre 4, section 1 § 1 A du manuel de libertés publiques : version e-book, version papier.
mardi 15 mai 2018
Le projet de loi constitutionnelle
La suppression de la Cour de justice de la République
Le Conseil supérieur de la magistrature
Le Conseil constitutionnel
La suppression des membres de droit du Conseil constitutionnel s'analyse également comme une réforme attendue. Alors que la création de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) a eu pour effet de faire participer le Conseil constitutionnel au contentieux de droit commun, soit devant le juge judiciaire, soit devant le juge administratif, la présence des anciens présidents de la République en son sein devenait de plus en plus indéfendable. L'absurde la situation a culminé avec Nicolas Sarkozy contestant le refus de valider son compte de campagne devant un Conseil constitutionnel dont il était membre de droit... On notera que la mesure ne s'appliquera pas aux membres de droit qui ont siégé au Conseil l'année précédant la délibération du conseil des ministres sur le projet de loi constitutionnelle. Cette formulation permet d'écarter tous les anciens présidents actuellement vivants, dès lors qu'aucun d'entre eux n'a siégé depuis mai 2017.
Le parlement
La maîtrise du gouvernement sur l'ordre du jour
L'article 11 écarté implicitement par le Conseil d'Etat
jeudi 10 mai 2018
Fake News : L'avis du Conseil d'Etat
Une terminologie fluctuante
Le Conseil d'Etat commence par observer une imprécision terminologique. Le titre de la proposition de loi vise "les fausses informations" mais son contenu se réfère tantôt aux "fausses informations", tantôt aux "fausses nouvelles". C'est ainsi que l'article 1er énonce que, durant la période électorale, le juge des référés pourra être saisi "lorsque des faits constituant de fausses informations de nature à altérer la sincérité du scrutin à venir sont diffusés artificiellement et de manière massive par le biais d'un service de communication au public en ligne (...)". De son côté l'article 4 permet au Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) de refuser une convention demandée par "une personne morale contrôlée par un Etat étranger ou sous l'influence de cet Etat", lorsque le service numérique est "susceptible de porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou de participer à une entreprise de déstabilisation des ses institutions, notamment par la diffusion de fausses nouvelles".
La fausse nouvelle est déjà connue du droit positif. L'article 27 de la loi du 29 juillet 1881 la réprime lorsque "faite de mauvaise foi, elle aura troublé la paix publique ou aura été susceptible de la troubler". Mais ces dispositions ne s'appliquent qu'au droit de la presse et précisément ce ne sont pas les journalistes qui, en général, sont à l'origine de ce que l'on appelle souvent les Fake News, car leur déontologie leur impose de vérifier leurs informations. Ces Fake News sont plutôt initiées par des militants, voire par des officines plus moins opaques qui les répandent sur le net comme une trainée de poudre, avant qu'elles aient pu être vérifiées. De son côté, l'article 97 du code électoral punit ceux qui "à l'aide de fausses nouvelles, bruits calomnieux ou autres manoeuvres frauduleuses, auront surpris ou détourné des suffrages (...)". Mais ces dispositions sont d'ordre uniquement pénal, et elles en sont guère utilisées que par personnes mises en cause par les médias et qui portent plainte pour affirmer leur innocence devant les médias. C'est ainsi que la plainte de Nicolas Sarkozy contre Médiapart après les révélations sur le financement de sa campagne s'est terminée par un non-lieu et que celle de François Fillon contre le Canard enchaîné a été classée sans suite.
La fausse information permet donc de sortir du champ pénal, puisque l'objet de la proposition de loi est de créer un recours spécifique devant le juge des référés civil, afin qu'il ordonne toute mesure de nature à faire cesser la diffusion. Dans son champ d'application, elle est également plus large, puisqu'elle supprime la condition de divulgation préalable de l'information contestée, critère pratiquement impossible à utiliser dans le cas d'une information virale diffusée de manière simultanée sur les réseaux sociaux et dans les médias. Aux yeux du Conseil d'Etat, la notion de fausse information est, en l'espèce, plus opératoire que celle de fausse nouvelle. Il suggère, "par souci de cohérence et d'intelligibilité du texte, (...) d'harmoniser les différentes dispositions" de ne retenir qu'elle.
Le champ d'application dans le temps
Il convient de rappeler que la proposition de loi a pour unique objet de sanctionner les fausses informations diffusées pendant la période électorale, c'est à dire pendant celle qui s'étend entre le décret de convocation des électeurs et la fin des opérations de vote. Le problème est qu'aucun texte ne fixe de délai impératif entre le décret et l'élection, à l'exception de la loi du 7 juillet 1977 qui, dans le cas particulier des élections au parlement européen, prévoit que le décret intervient "cinq semaines au moins" avant le scrutin. Avouons que ce n'est guère plus précis. Le Conseil d'Etat suggère donc de fixer un délai impératif de trois mois avant l'élection, délai durant lequel la diffusion de fausses informations pourra susciter la saisine du juge des référés.
Nungesser et Coli ont réussi. La Presse. 10 mai 1927 |
Le nouveau référé
Précisément, le Conseil d'Etat manque beaucoup d'enthousiasme vis-à-vis de ce nouveau recours. Il s'agit de permettre la saisine du juge des référés, afin qu'il prescrive aux hébergeurs ou aux fournisseurs d'accès toutes mesures nécessaires pour "faire cesser la diffusion artificielle et massive, par le biais d’un service de communication au public en ligne, de faits constituant des fausses informations". A une époque marquée par l'extrême rapidité de la diffusion de l'information, la réponse du juge, même dans un délai de 48 heures, "risque d'intervenir trop tard", et le Conseil d'Etat s'interroge sur "l'efficacité incertaine" du dispositif. Il note cependant que cette nouvelle voie de référé permettra aux candidats victimes de fausses informations de se prévaloir d'une décision de justice devant l'opinion, acceptant ainsi la création d'une procédure juridictionnelle uniquement destinée à jouer un rôle de communication politique. On peut se demander si le Conseil d'Etat ne s'écarte pas quelque peu de son rôle de conseiller juridique...
Les services "sous l'influence d'un Etat étranger"
Une observation identique peut être faite si l'on étudie les observations du Conseil d'Etat sur l'article 4 de la proposition de loi. Son objet est de modifier la loi du 30 septembre 1986 qui organise l'édition de services de communication audiovisuelle distribués par les réseaux n'utilisant pas les fréquences assignées par le CSA. Dans ce cas, la loi prévoit une convention avec le CSA précisant les obligations spécifiques du service. Les auteurs de l'actuelle proposition suggèrent d'autoriser le CSA à refuser une convention sollicitée par "une personne morale contrôlée par un Etat étranger ou sous l'influence de cet Etat", lorsque le service est "susceptible de porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou de participer à une entreprise de déstabilisation de ses institutions, notamment par la diffusion de fausses nouvelles". La substitution de notion de fausse information à celle de fausse nouvelle, suggérée par le Conseil d'Etat, ne suffit pas à lever toutes les incertitudes sur cette disposition.
Le Conseil d'Etat dans tous ses états
Il commence par relever des incertitudes terminologiques. Si le contrôle par un Etat étranger est une notion claire, qui renvoie aux droits de vote détenues dans le conseil d'administration du service en question, la simple influence exercée sur ce dernier constitue un critère "inédit et plus incertain dans ses contours". Pour autant, le Conseil d'Etat n'envisage pas sa suppression. Il précise seulement qu'il appartiendra au juge de l'excès de pouvoir, c'est-à-dire à lui-même de trouver des "éléments concrets et convergents" prouvant que la personne morale est sous l'influence d'un Etat étranger. L'incertitude du texte n'est donc pas mise en cause par le Conseil d'Etat dans sa fonction administrative, puisque le Conseil d'Etat, cette fois dans sa formation contentieuse et dans sa grande sagesse, y remédiera.
En revanche, le Conseil d'Etat propose la suppression pure et simple de la référence à la "déstabilisation de ses institutions", dont il fait observer qu'elle n'a pas de contenu juridique et qu'elle renvoie finalement aux "intérêts fondamentaux de la Nation". Cette redondance est donc inutile, d'autant que ces derniers sont définis à l'article 410-1 du code pénal et que le conseil constitutionnel leur a accordé une valeur constitutionnelle dans une décision QPC du 21 octobre 2016.
Pour autant, le Conseil d'Etat ne met pas en question la procédure en tant que telle, rappelant toutefois qu'elle doit être contradictoire et que la décision doit être motivée. Rien ne le choque dans une disposition qui conduit à conférer au CSA, et non pas à un juge, une compétence qui risque de le conduire à des décisions susceptibles de porter atteinte au principe de libre circulation de l'information, "sans considération de frontières", garanti par plusieurs conventions internationales, décisions d'ailleurs de nature à provoquer quelques remous dans la politique extérieure de la France. Il suggère seulement que le CSA reprenne les critères définis par le Conseil d'Etat lorsqu'il est appelé à juger d'un refus de conventionnement ou d'une résiliation unilatérale de convention, critères reposant sur les sanctions infligées à la société requérante dans d'autres pays ou aux propos tenus sur la chaîne en cause (CE, 6 janvier 2006 Société Lebanese Communication Group). Cette fois, le Conseil d'Etat statuant au contentieux doit servir de guide à l'autorité indépendante, heureusement et par un heureux hasard, présidée par un membre du Conseil d'Etat.
Il n'est évidemment dit nulle part que cette disposition a surtout pour fonction de permettre de sanctionner un site comme Sputnik ou une agence comme Russia Today, également accusés par le Président de la République d'avoir répandu de fausses informations à son égard durant la campagne de 2017. Derrière la proposition, on voit ainsi apparaître une sorte d'abaissement de l'élection, comme si les électeurs n'avaient pas assez de maturité pour juger, par eux-mêmes, de ces tentatives de manipulation. Si l'on se souvient précisément des présidentielles de 2017, il est parfaitement vrai que le candidat Emmanuel Macron a été l'objet de nombreuses fausses informations, de sa prétendue homosexualité aux allégations sur son compte bancaire aux Bahamas... C'est vrai, mais il a finalement été largement élu. Au-delà des imperfections techniques du texte, le groupe parlementaire LREM, à l'origine de la proposition de loi, devrait peut-être méditer l'adage selon lequel « Il ne serait décent et à honneur à un roi de France de venger les querelles, indignations et inimitiés d’un duc d’Orléans. »
Sur la liberté d'expression sur internet : Chapitre 9, section 2 du manuel de libertés publiques : version e-book, version papier.
dimanche 6 mai 2018
La QPC Berton victime d'un effet boomerang
Les droits de la défense
Plaidoire de Maître Noguères au procès Stavisky. Pierre de Belay. 1936 |