Par une
décision David P. du 10 février 2017 rendue sur question prioritaire de constitutionnalité (QPC), le Conseil constitutionnel déclare non conforme à la Constitution le délit figurant dans l'article 421-2-5-2 du code pénal. Il sanctionnait de deux ans de prison et 30 000 € d'amende "
le fait de consulter habituellement un service de communication au public en ligne mettant à disposition des messages, images ou représentations soit provoquant directement à la commission d'actes de terrorisme, soit faisant l'apologie de ces actes lorsque, à cette fin, ce service comporte des images ou des représentations montant la commission de tels actes consistant en des atteintes volontaires à la vie". Une telle décision n'a rien de surprenant si l'on considère, comme l'affirmait maître Claire Waquet dans sa plaidoirie, que ce délit "
n'était pas né sous les meilleurs auspices".
Un texte qui n'est pas "né sous les meilleurs auspices"
En 2012, alors que l'assaut donné à l'appartement de Mohamed Merah venait à peine de s'achever, le Président de la République de l'époque, Nicolas Sarkozy, annonçait déjà la création d'un nouveau délit pénal "
de consultation habituelle de sites faisant l'apologie du terrorisme ou qui appellent à la haine ou à la violence".
L'idée reposait sur une transposition au domaine du terrorisme des
dispositions de l'article 227-13 du code pénal, dans sa rédaction issue
de la loi du 5 mars 2007. Il punit d'une peine de deux ans
d'emprisonnement et 30 000 € d'amende toute personne qui "
consulte habituellement"
un service de communication au public en ligne mettant à disposition
des images de mineurs présentant un caractère pornographique. Et déjà en 2012,
ce délit avait suscité des réserves liées à l'incertitude dans le
contenu de la norme. Finalement, dans
un avis du 5 avril 2012 rendu à propos du projet de loi de prévention et lutte contre le terrorisme, le Conseil d'Etat avait considéré que de "
telles dispositions portaient à la liberté de communication (...) une atteinte qui ne pouvait être regardée comme nécessaire, proportionnée et adaptée à l'objectif de lutte contre le terrorisme". Elles avaient alors été retirées du texte qui allait devenir l
a loi du 21 décembre 2012.
Une seconde tentative a échoué en décembre 2015, avec une
proposition de loi "tendant à renforcer l'efficacité de la lutte antiterroriste", proposition qui n'a jamais été inscrite à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale. Cet abandon est lié à l'intervention d'un troisième texte, cette fois un projet de loi émanant du gouvernement de Manuel Valls, projet qui allait devenir la
loi du 3 juin 2016, dans laquelle figure le délit sanctionné dans la présente QPC. Observons toutefois que ce délit a été introduit par un amendement sénatorial, alors même que le gouvernement, et en particulier le Garde des Sceaux Jean-Jacques Urvoas, s'y étaient opposés. Finalement, le délit a passé le cap de la commission mixte paritaire, mais le rapporteur à l'Assemblée nationale affirmait alors qu'il continuait "
d'émettre des réserves sur sa constitutionnalité" (...) "La jurisprudence tranchera sans doute rapidement sur ce point". Hélas, la loi n'a pas été déférée au Conseil constitutionnel avant promulgation, et on a dû attendre une QPC pour que le délit de consultation habituelle des sites terroristes soit finalement déclaré inconstitutionnel. Le temps tout de même de condamner une vingtaine de personnes sur son fondement.
Cette situation explique sans doute les particularités de l'audience tenue devant le Conseil constitutionnel. Alors que les avocats étaient parfaitement à l'aise, le représentant du gouvernement semblait plutôt gêné, contraint de défendre un texte auquel le gouvernement s'était opposé.
Sur le fond, le Conseil constitutionnel s'appuie sur
l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Il reprend une jurisprudence classique qui définit la liberté de communication comme celle de diffuser et de recevoir des idées. Dans sa
décision du 10 juin 2009 rendue à propos de la loi Hadopi, il subordonne la conformité à la Constitution des atteintes portées à la liberté à une triple condition de nécessité, d'adaptation et de proportionnalité à l'objectif poursuivi, objectif qui doit lui-même avoir valeur constitutionnelle.
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Le Chat. Geluck. 2014 |
Le principe de nécessité
Le motif essentiel de l'annulation prononcée par le Conseil constitutionnel repose sur l'absence de nécessité de créer un délit spécifique. Il dresse ainsi la liste des dispositions du code pénal permettant de prévenir la commission d'actes de terrorisme. Elles sont fort nombreuses et, parmi elles, figure l'article 421-2-6 du code pénal qui réprime la préparation d'un acte de terrorisme, cette infraction étant caractérisée lorsque l'intéressé s'est rendu sur des sites internet évoquant directement la commission de tels actes ou en faisant l'apologie. Autant dire que la sanction de consultation des sites terroristes existe déjà et qu'il n'est pas absolument nécessaire de créer une nouvelle incrimination.
De même, les enquêteurs et les magistrats compétents disposent de tous les moyens indispensables pour rechercher les faits à l'origine de ces infractions. Ils peuvent intercepter des courriels, recueillir les données de connexion, capter toutes les images ou vidéos dont ils ont besoin. Ces compétences sont également détenues
par les services de renseignement, étroitement associés à la prévention du terrorisme.
De tous ces éléments, le Conseil constitutionnel déduit, comme l'avait fait le Conseil d'Etat en 2012, que ce délit ne donne aux policiers et aux juges aucun moyen nouveau de nature à prévenir efficacement les actes de terrorisme. Il est redondant et donc pas nécessaire.
Adaptation et proportionnalité
Le délit de consultation habituelle de sites terroristes n'est pas seulement inutile. Il est aussi inadapté et disproportionné par rapport aux objectifs poursuivis.
Peut-être par courtoisie à l'égard du parlement, le Conseil constitutionnel n'insiste pas sur le fait que le texte est très mal écrit et, sur certains points, peu cohérent. C'est ainsi qu'il ne vise que les "services de communication au public en ligne", excluant de fait les réseaux privés comme Facebook, WhatsApp ou Telegram, ce dernier étant connu pour être très utilisé dans la mouvance du terrorisme islamiste. La loi interdit ainsi de consulter des sites montrant une décapitation mais ne pouvait pas sanctionner l'échange de vidéos sur des réseaux sociaux. Précisément, et c'est le second élément à relever, le délit n'est constitué que si la provocation ou l'apologie du terrorisme s'accompagne "d'images consistant en des atteintes volontaires à la vie". Là encore, on peut sanctionner celui qui regarde un assassinat, mais pas celui qui regarde un acte de barbarie ou, d'une manière plus générale, un traitement inhumain et dégradant. Ces différences de traitements sont-elles justifiées ?
Le Conseil constitutionnel s'intéresse surtout au caractère apparemment objectif du délit, en quelque sorte dépourvu d'élément moral. Peu importe que l'auteur de l'infraction ait ou non l'intention de commettre un acte de terrorisme, il suffit qu'il ait consulté de manière habituelle un site terroriste. On ignore d'ailleurs à partir de combien de consultations la pratique devient habituelle, le gouvernement se bornant à mentionner sans conviction que deux consultations ne suffisent pas à constituer une habitude.
Certes, le texte prévoit une dérogation et, dans un second alinéa de l'article 421-2-5-2, le code pénal écarte les poursuites lorsque la consultation habituelle de sites terroristes est faite "de bonne foi, résulte de l'exercice normal
d'une profession ayant pour objet d'informer le public, intervient
dans le cadre de recherches scientifiques ou est réalisée afin de
servir de preuve en justice". Là encore, la disposition est mal rédigée, et l'on ignore si les trois hypothèses citées sont des éléments de cette bonne foi, si la liste est exhaustive ou non, tous éléments manifestement abandonnés à la clairvoyance des juges. Surtout, et sans que le terme soit réellement prononcé, on sent que le Conseil constitutionnel est réticent à l'égard d'une infraction qui repose sur une présomption de mauvaise foi.
Dans ces conditions, il n'est pas surprenant que le Conseil constitutionnel affirme que l'atteinte à la liberté de communication est disproportionnée, conclusion d'autant plus attendue qu'il a déjà démontré l'inutilité de ce délit. Cela ne signifie pas qu'une personne consultant un site djihadiste ne
puisse plus être poursuivie, mais cette consultation ne sera qu'un élément
destiné à prouver sa participation à un réseau, à une association de
malfaiteurs en vue de la commission d'un acte terroriste. Le Conseil constitutionnel donne ainsi un
avertissement au législateur. La lutte contre le terrorisme ne consiste
pas à chercher ses clés sous le réverbère, c'est-à-dire à sanctionner
les lecteurs de sites terroristes, parce que l'on ne parvient à atteindre leurs responsables, les sites étant
inaccessibles, cachés dans des pays lointains ou changeant d'adresse en
permanence.
Derrière cette analyse, on voit se dessiner le refus d'un texte qui va directement à l'encontre des principes gouvernant la liberté de circulation des idées sur internet. Depuis sa
décision du 10 juin 2009, le Conseil constitutionnel confère une certaine autonomie à la liberté d'expression sur internet. Il en est de même de la Cour européenne des droits de l'homme qui estime que l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme protège la liberté d'expression sur internet, par exemple dans son arrêt
Cengiz et autres c. Turquie du 1er décembre 2015. Le principe selon lequel internet est, avant tout, un espace de libre circulation des idées, ne peut donc que très difficilement être remis en cause. Et selon les règles du régime répressif qui organisent la liberté d'expression, les infractions ne peuvent viser que les responsables des sites et les auteurs des propos qui y sont tenus, des images qui y sont diffusées, pas les lecteurs qui sont des consommateurs passifs d'informations.