On a souvent tendance à considérer que la Cour européenne laisse aux Etats une très grande autonomie pour définir les droits et libertés en matière de bioéthique. L'arrêt Pavan c. Italie rendu par la Cour le 28 août 2012 vient pourtant quelque peu tempérer cette idée.
Le diagnostic pré-natal (DPN), celui auquel le couple requérant a déjà eu recours, de manière tout à fait licite, regroupe "l'ensemble des pratiques médicales (...) ayant pour but de détecter in utero chez l'embryon ou le foetus une affection d'une particulière gravité" (art. 20). Cette technique permet notamment de déceler plus de 90 % des cas de trisomie, et de proposer alors une IVG pour motif médical.
Le diagnostic pré-implantatoire (DPI), celui que le couple sollicite, consiste à réaliser "un diagnostic biologique (...) à partir de cellules prélevées sur l'embryon in vitro". L'examen permet de s'assurer que l'embryon, qui est biologiquement celui du couple, n'est pas atteint d'une affection génétique, éventuellement de la traiter, avant qu'il soit réimplanté dans l'utérus de sa mère.
Le droit français autorise même, désormais, le recours à ce que certains ont appelé le "bébé du double espoir". Cette technique consiste à utiliser le DPI pour faire naître un enfant dépourvu de toute anomalie génétique, dont les cellules seront ensuite utilisées pour soigner son aîné atteint d'une maladie incurable. Encore faut-il, bien entendu, qu'il n'y ait pas d'autre moyen de soigner l'enfant malade.
2001, l'Odyssée de l'espace. Stanley Kubrick, 1968 |
La cohérence du droit
Le droit français apparaît ainsi comme un droit cohérent. Il autorise les diagnostics génétiques et en tire les conséquences. Cela signifie que le couple qui a bénéficié d'un DPN se verra proposer une IVG thérapeutique. Celui qui a bénéficié d'un DPI renoncera tout simplement à la réimplantation de l'embryon, s'il n'a pas été possible de remédier à l'anomalie génétique.
Le couple italien requérant se trouve dans une situation beaucoup plus étrange. Le droit italien en effet interdit le DPI in vitro, et n'autorise que le DPN in utero. Autrement dit, le couple requérant n'a pas d'autre solution que de commencer une grossesse, puis, éventuellement, de pratiquer une IVG si les analyses effectuées sur l'embryon in utero révèlent qu'il est porteur de mucoviscidose. Rien n'interdit de pratiquer une IVG sur le foetus à un stade de développement déjà avancé, mais il est interdit de choisir la non réimplantation d'un embryon d'à peine quelques jours. On peut avorter en cas de maladie génétique, mais on ne peut pas tenter de la traiter.
La Cour européenne sanctionne l'incohérence du droit italien car, à ses yeux, il impose une ingérence excessive dans le droit au respect de la vie privée et familiale d'un couple qui se voit privé d'une chance d'avoir un enfant indemne de toute maladie génétique. Cette solution s'inscrit, sur ce point, dans la droite ligne de la sa jurisprudence, qui considère, notamment depuis une décision du 3 novembre 2011 S.H et a. c. Autriche, que l'accès à la procréation médicalement assistée, y compris hétérologue c'est à dire effectuée à partir d'un don de gamètes, constitue un choix qui relève du droit au respect de la vie privée et familiale.
Ce principe de cohérence du droit est nettement mis en évidence par la Cour, et on peut évidemment s'interroger à son propos. S'agit il du fondement conjoncturel d'une décision d'espèce ou d'un nouveau principe général susceptible de fonder une jurisprudence ? L'avenir le dira sans doute.
Le faux débat de la dérive eugénique
La Cour sanctionne également une seconde incohérence qui réside dans l'argument des autorités italiennes. Ces dernières justifient en effet l'interdiction du DPI par le risque de dérive eugénique. Celle ci consiste, on le sait, à "trier" les embryons, à rejeter celui qui ne correspond pas tout à fait au désir des parents, lorsqu'il a une anomalie génétique, mais aussi, peut être, lorsqu'il n'a pas le sexe espéré ou la couleur des yeux attendue.
Dans la domaine de la bioéthique, la Cour adopte une jurisprudence toute en nuance. Il est vrai qu'elle reconnaît à l'Etat une large autonomie pour définir s'il accepte ou non le recours à la fécondation in vitro avec donneur. Il s'agit, dans ce cas, d'offrir aux couples le moyen de concrétiser leur désir d'enfant. Si le système juridique ne l'autorise pas, rien ne leur interdit d'utiliser la voie de l'adoption, ou d'aller tout simplement bénéficier de cette technique dans un pays plus tolérant. En revanche, l'accès au DPI a une finalité purement thérapeutique qui est de réaliser un diagnostic génétique et, le cas échéant, un traitement, qui permettra la naissance d'un enfant parfaitement sain. Toutes les possibilités de guérison doivent alors être offertes, et c'est précisément ce que juge la Cour.