Comment définir une activité éducative ? A l'heure où les officines privées d'enseignement, uniquement tournées vers la recherche du profit ou la diffusion d'une idéologie, connaissent une énorme croissance, au détriment le plus souvent des élèves et étudiants qu'elles accueillent, apporter une réponse à cette question est une nécessité.
Un contentieux fiscal
Le tribunal administratif de Paris, par un jugement du 19 mai 2025, estime ainsi que l'association Acadomia Christiana ne présente pas le caractère d'un organisme d'intérêt général à caractère éducatif et culturel. En l'espèce, le contentieux est purement fiscal, l'association ayant fait une demande en juillet 2018 en vue de se voir reconnaître le caractère d'organisme d'intérêt général à caractère éducatif et culturel. Cette reconnaissance lui offrait, sur le fondement de l'article 200 du Livre des procédures fiscales (LPF) la possibilité de délivrer à ses donateurs des reçus fiscaux ouvrant droit à une réduction d'impôt sur le revenu égale à 66 % du montant versé. Dans un premier temps, l'association avait obtenu une décision implicite d'acception du ministre des Finances de l'époque, Bruno Le Maire. Mais, le 22 décembre 2022, ce même ministre remettait en cause cette décision, au motif que l'association ne revêtait pas de caractère éducatif. Il est vrai qu'à l'époque, le ministre de l'Intérieur envisageait la dissolution administrative du groupement.
Le tribunal administratif affirme la légalité de cette décision de refus, estimant qu'Acadomia Christiana n'a pas grand-chose à voir avec une activité éducative.
Dès 1937, dans son arrêt du 18 juin Ligue française pour la protection du cheval, le Conseil d'État estimait qu'un avantage fiscal fondé sur la loi du 14 janvier 1933 relative à la surveillance des établissements de bienfaisance privée, ne pouvait être accordé qu'aux associations "qui se proposent un but philanthropique et social". Aujourd'hui, le droit positif figurant dans l'article 200 LPF élargit le bénéfice de cet avantage aux "activités à caractère éducatif". Mais rien n'est changé sur le plan du contrôle du juge, qui exerce en l'occurrence un contrôle normal, c'est-à-dire un contrôle des motifs de la décision.
Elle préfère Bruno Le Maire. Les Goguettes. 2016
Le caractère militant du groupement
Ce contrôle revient, en l'espèce, à se demander si le caractère très militant de l'engagement de l'association fait obstacle à la mise en oeuvre de ce régime fiscal très favorable. Dans son arrêt du 17 juin 2015, Association Villages du Monde pour Enfants, le Conseil d'État exerce son contrôle à la fois sur l'objet social de l'association, en l'occurrence un groupement philanthropique pour améliorer les conditions de vie de personnes en situations précaires, et sur la manière dont cette mission est exercée. Autrement dit, si l'essentiel de l'activité est philanthropique, il est possible que l'association exerce aussi des activités annexes d'information ou de sensibilisation. Pour apprécier cet équilibre, le juge prend en considération la part des ressources affectées aux activités purement altruistes et celle qui relève des missions annexes.
Dès l'année suivante la cour administrative d'appel de Versailles, le 21 juin 2016, a appliqué cette jurisprudence non plus au cas des activités philanthropiques mais dans celui des activités culturelles. Elle observe que l'association Action-Critique-Médias (ACRIMED) s'inscrit dans une démarche militante assumée, visant à constituer un observatoire critique des médias, réunissant les acteurs du secteur, des journalistes aux chercheurs en passant par les syndicalistes et les lecteurs ou auditeurs. Mais la fonction essentielle de l'association consiste à sensibiliser les jeunes à la lecture critique de la presse, en fournissant des dossiers pédagogiques, en faisant des conférences etc. Pour la cour, l'essentiel de l'activité de l'association, et de ses moyens, est consacrée à une activité qu'il est donc possible de qualifier de culturelle.
Les activités d'Acadomia Christiana
Dans le cas de Acadomia Christiana, le tribunal administratif constate, à l'inverse, que l'activité militante constitue le coeur des actions de l'association. Le jugement est longuement motivé, et le juge commence par examiner les statuts de l'association qui a pour objet "l'organisation de loisirs, d'activités culturelles et éducatifs, d'universités d'été ou de toute action visant à promouvoir les valeurs chrétiennes au service notamment de la jeunesse catholique dans l'esprit traditionnel de l'Église catholique et romaine". Sont ensuite envisagées les activités concrètes de l'association, notamment une "université d'été" qui se tient chaque année à Sées (Orne), destinée aux jeunes de 18 à 30 ans. On y écoute des conférences, on participe à des activités sportives, à des services religieux, avec messe en latin.
Le contenu des activités est très fortement orienté. Un colloque de novembre 2022 avait ainsi pour thème "Sécession ou reconquêtes", les interventions ayant notamment pour sujets "Des héros et des saints : bâtir la chrétienté du XXIe siècle", "Après l'échec de Zemmour aux Présidentielles, la sécession comme seule option" et "Reconquérir les âmes et le territoire par la sécession". Pour les juges, ces activités ne sont pas de nature à favoriser le développement personnel et les aptitudes intellectuelles des individus. Elles visent uniquement à diffuser "une vision du monde caractérisés par une appréhension particulièrement orientée de sujets sociétaux, ou à aborder des thématiques spirituelles et religieuses dont la dimension pédagogique n'est pas établie".
Rien de tout cela n'est interdit par la loi, bien entendu. Mais le financement de ces activités relève des participants et des donateurs, pas du budget de l'État. L'avantage fiscal se trouve donc logiquement exclu.
Sur ce point, le tribunal se situe dans la ligne d'une décision qui, en son temps, avait suscité un certain émoi dans l'opinion. Le 29 juin 2012, la cour administrative d'appel de Paris avait déjà refusé un avantage fiscal identique à l'Association pour défendre la mémoire du maréchal Pétain. Ses statuts étaient parfaitement clairs, "poursuivre (...) l’étude objective de la vie et de l’œuvre du maréchal Pétain, d’exercer toutes activités en vue de défendre sa mémoire et de remettre en honneur les valeurs intellectuelles, morales et spirituelles qu’il a rappelées » et qui poursuivait comme objectifs de « promouvoir (...) toute action tendant à sa réhabilitation dans l’esprit des français, en luttant pour le rétablissement de la vérité historique, systématiquement déformée, en mettant en lumière les idées, les paroles et les actes du maréchal à travers le rôle qu’il a véritablement joué dans notre histoire et obtenir la translation de la dépouille du maréchal à Douaumont ». La cour n'est pas allée jusqu'à regarder les activités réelles de l'association. Elle a déclaré simplement que le caractère culturel de l'activité faisant défaut, observant au passage le faible nombre des adhérents. Le plus surprenant est sans doute que l'association ait osé demandé un avantage fiscal pour exercer une telle activité. Là encore, tout le monde a le droit d'être pétainiste, mais pas aux frais du contribuable.
Le jugement rendu le 19 mai 2025 par le tribunal administratif de Paris n'apporte pas de modification majeure de la jurisprudence mais il présente l'intérêt de concerner les activités culturelles, alors que l'essentiel des décisions concernent les oeuvres philanthropiques.
On doit évidemment s'interroger sur les suites de ce jugement. Sur le plan contentieux, il y aura sans doute un appel, mais rien, à ce stade, ne permet d'envisager une modification de la jurisprudence. En revanche, une nouvelle décision administrative accordant l'avantage fiscal n'est pas totalement exclue. Fin 2023, le ministre de l'Intérieur de l'époque, Gérald Darmanin, avait annoncé son intention de dissoudre Acadomia Christiania, mouvement considéré comme identitaire, participant aux activités de groupements de la droite extrême. Mais les ministres changent, et il n'est plus question de dissolution depuis que Bruno Retailleau est ministre de l'Intérieur, en charge des cultes. Le ministre des finances, lui aussi, a changé...
Ce jugement paraît frappé au coin du bon sens tant il ne prête pas à confusion. Ceci étant dit, il interpelle à plusieurs titres.
RépondreSupprimer- D'abord, nous évoluons actuellement dans un contexte peu favorable à l'enseignement privé catholique à la suite des affaires de Betharram et du collège Stanislas. Le bouc émissaire est vite trouvé. Soulignons, pour ce qui nous concerne et pour éviter tout malentendu, que nous avons poursuivi tous nos cursus primaire, secondaire et supérieur dans l'enseignement public en un temps où y était délivré un enseignement de qualité fondé sur la méritocratie républicaine.
- Ensuite, si de nombreuses familles optent pour l'enseignement privé, c'est bien qu'il existe une raison valable. Elles estiment que le niveau dans l'enseignement public est en chute libre et qu'il n'y règne pas toujours un climat de sécurité propice à une bonne éducation de nos chères têtes blondes.
- Enfin, nous apprécierions que la justice - administrative en particulier - se montre aussi sévère à l'encontre de certains établissements sous contrat dispensant une idéologie salafiste ou frèriste se situant à l'opposé des valeurs de la République qu'elle ne l'est avec les précédents. Et cela au titre de l'égalité de traitement entre les uns et les autres.
En conclusion, apprenons à rechercher les causes d'un phénomène structurel avant de s'attaquer à ses conséquences ! Ainsi, l'enseignement public retrouvera son excellence et le privé sera délaissé.