« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


samedi 13 avril 2024

RIP : Pas de session de rattrapage après la loi Immigration.


Le référendum d'initiative partagée (RIP) sur le droit des étrangers n'a pas survécu à son passage devant le Conseil constitutionnel. Dans sa décision du 11 avril 2024, celui-ci déclare en effet que "la proposition de loi visant à réformer l’accès aux prestations sociales des étrangers ne satisfait pas aux conditions fixées par l’article 11 de la Constitution". La proposition, portée par les présidents des groupes parlementaires Les Républicains à l'Assemblée nationale et au Sénat est donc définitivement enterrée.

A l'origine de ce texte, la frustration des élus républicains après la décision rendue par le Conseil constitutionnel le 25 janvier 2024 censure une bonne partie des dispositions de la loi immigration. Ils étaient en effet tombés dans un piège soigneusement tendu par la majorité Renaissance. On se souvient qu'en décembre 2023, la commission mixte paritaire avait adopté pêle-mêle la plupart des amendements déposés par les élus républicains. Ils avaient été intégrés aux articles existants, sans aucune préoccupation de cohérence entre l'article et l'amendement. La loi ainsi adoptée avait ensuite été soumise au Conseil constitutionnel. Comme on pouvait s'y attendre, toutes les dispositions ajoutées dans de telles conditions, avaient été considérées comme des cavaliers législatifs par le Conseil constitutionnel qui les avaient donc annulées. 

La proposition de référendum visait ainsi à réintroduire dans le droit positif une partie de ces dispositions annulées. On y trouvait donc la subordination de certaines aides telles que les prestations familiales ou les aides au logement à une condition de résidence régulière en France depuis au moins cinq ans ou à une affiliation à la sécurité sociale depuis au moins trente mois. S'y ajoutait l'exclusion des étrangers en situation irrégulière du bénéfice de la réduction tarifaire dans les transports publics, l'exclusion des demandeurs d'asile déboutés du droit à l'hébergement d'urgence. Enfin, l'idée du remplacement de l'aide médicale d'État par l'aide médicale d'urgence était reprise dans la proposition.

Le Conseil constitutionnel se trouvait donc saisi de dispositions qu'il avait déjà examinées, mais uniquement pour sanctionner leur absence de rapport avec le texte qu'elles modifiaient. Dans sa décision du 11 avril 2024, le Conseil ne juge pas davantage de la conformité de ces dispositions à la constitution. Il se borne à examiner si elles entrent, ou non, dans le champ de l'article 11 de la Constitution. La situation peut sembler étrange, car ces dispositions ont ainsi été appréciées deux fois par le Conseil, mais jamais sur le fond. Il n'est cependant pas responsable de cette situation, née des dispositions de l'article 11 relatives au RIP.


 Danse macabre. La règle du jeu. Marcel Carné. 1939

 

Un "cérémonial chinois"

 

Rappelons les termes de l'alinéa 3 de l'article 11 de la Constitution  : "Un référendum portant sur un objet mentionné au premier alinéa peut être organisé à l'initiative d'un cinquième des membres du Parlement, soutenue par un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales. Cette initiative prend la forme d'une proposition de loi et ne peut avoir pour objet l'abrogation d'une disposition législative promulguée depuis moins d'un an". Ces dispositions ont ensuite été précisées par les textes chargés de leur mise en oeuvre, une loi organique et une loi ordinaire du 6 décembre 2013. On se souvient que si Nicolas Sarkozy avait présenté ce référendum comme un instrument de nature à "redonner la parole au peuple français", sa majorité a malencontreusement oublié de faire voter les textes d'application, finalement adoptés durant le quinquennat de François Hollande.

En l'espèce, la proposition de loi échoue au second obstacle. Le premier avait été pourtant été franchi. Le texte qui devait d'abord obtenir la signature de 185 parlementaires, a réuni 125 sénateurs et 65 députés LR, ainsi que quelques non-inscrits. La marge était étroite, mais enfin la recevabilité de la proposition était acquise.

Le second obstacle est bien plus difficile à franchir, et il est à l'origine de l'échec de la proposition de référendum sur les prestations sociales des étrangers. Dans le délai d'un mois à compter de la transmission de la proposition de loi, le Conseil doit s'assurer que son objet est conforme aux conditions posées par l'article 11 de la Constitution et rendre sur ce point une décision motivée. Ses dispositions précisent qu'un référendum ne peut porter que "sur l'organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent".  Précisément, pour le Conseil, la proposition de référendum déposée par les groupes LR n'entre pas dans le champ de l'article 11.

 

Le champ d'application du référendum

 

Les dispositions de la proposition doivent porter "sur des réformes relatives à la politique économique, social (...)".  Il ne fait aucun doute qu'un texte qui modifie les conditions d'accès à certaines prestations et aides sociales concerne la "politique sociale". Certes, la politique sociale n'est ici qu'un instrument pour limiter l'immigration, mais, en soi, cela ne change rien au fait que les dispositions en cause entrent dans le champ de la politique sociale. Le Conseil constitutionnel affirme donc clairement qu'elles portent "sur une réforme relative à la politique sociale de la nation".

Pour déclarer l'inconstitutionnalité de ces dispositions, le Conseil exerce son contrôle de proportionnalité, dans des conditions absolument identiques à celui qu'il assure dans l'examen de la conformité à la constitution des lois ordinaires. Et précisément, il ne justifie pas ce choix d'unifier deux contentieux pourtant très différents.

 

Le contrôle de proportionnalité

 

La non-conformité à la Constitution repose sur les  alinéas 10 et 11 du Préambule de la Constitution de 1946. L'alinéa 10 énonce que "la Nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement". L'article 11, ajoute que "elle garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l'incapacité de travailler a le droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence". De ces dispositions, le Conseil déduit la nécessité "d’une politique de solidarité nationale en faveur des personnes défavorisées ».

En l'espèce, le Conseil se borne à affirmer l'inconstitutionnalité de l'article premier de la proposition de loi. Elle suffit en effet à écarter la proposition de référendum, sans qu'il soit utile d'étudier les autres dispositions. Examinant donc les conditions de résidence que le groupe LR veut imposer aux étrangers pour l'obtention de certaines prestations sociales, le Conseil estime qu'elles sont disproportionnées. En un mot, les durées de résidence (cinq ans dans un cas, trente mois dans l'autre) sont trop longues et conduisent à priver l'intéressé des droits constitutionnels figurant dans le Préambule.

La lecture de la décision, quel que soit le jugement personnel que chacun porte sur la proposition LR, suscite une certaine insatisfaction juridique. 

Au premier abord, on ne voit pas exactement pourquoi un délai de cinq ans est trop long en matière de prestations familiales, mais en revanche tout-à-fait acceptable dans le cas du Revenu de solidarité active (RSA). C'est ce qu'avait décidé le Conseil dans une décision rendue sur question prioritaire de constitutionnalité (QPC) M. Zeljko S., du 17 juin 2011. Certes, le Conseil est libre de faire évoluer sa jurisprudence, mais on apprécierait qu'il explique les motifs de cette évolution. Disons-le franchement, le contrôle de proportionnalité devient un outil permettant au Conseil d'exercice une sorte de censure discrétionnaire sur les textes qui lui sont soumis. Cette pratique est dangereuse, ne serait-ce que parce qu'elle renforce la position de ceux qui critiquent le principe même d'un contrôle de constitutionnalité.

Plus largement, l'exercice du contrôle de proportionnalité dans le cas d'une proposition de référendum d'initiative partagée n'est évidemment pas satisfaisant. N'oublions pas en effet que le Conseil est une autorité non élue composée de membres nommés largement en fonction de leur proximité politique avec l'autorité de nomination. Le fait qu'il s'oppose à la consultation du peuple souverain par le seul exercice d'un contrôle de proportionnalité qui pourrait parfaitement conduire à une solution inverse n'est pas satisfaisant. Cette fois, c'est le principe démocratique qui est en cause. Pourquoi ne pas envisager un contrôle centré sur le respect du champ d'application de l'article 11 ? La décision du Conseil susciterait moins de critiques. N'oublions pas que, si le Conseil avait rendu une décision favorable, les parlementaires LR se seraient trouvés dans l'obligation de réunir 4 700 000 signatures de citoyens dans les six mois, objectif pratiquement impossible à atteindre. Mais dans ce cas, la responsabilité de l'échec incombait aux auteurs de la proposition, pas au Conseil.

 


Le droit des étrangers : Chapitre 5 Section 2  du manuel sur internet   

3 commentaires:

  1. Tout ceci est navrant comme vous l'expliquez parfaitement dans la fin de votre exégèse de la décision du Conseil constitutionnel.

    Comme leurs homologues du Conseil d'Etat, les "prétendus" Sages donnent l'impression - vraie ou fausse - au citoyen que sa voix ne compte pas dans un pays qui est censée être une démocratie et un état de droit. Ils manient avec dextérité tous les arguties juridiques - souvent avec une mauvaise fois criante - pour écarter, en opportunité, ce qui ne convient pas au Prince. La crise de confiance, que nous traversons actuellement, trouve en partie son origine dans cette situation de déni permanent de démocratie. Pour mémoire, rappelons que le peuple rejette le projet de traité constitutionnel européen (sous Jacques Chirac), on le contourne par la voie du Congrès (sous Nicolas Sarkozy). Il s'en souvient encore.

    Deux remarques peuvent être faites à ce stade. La première est que le contrôle de proportionnalité est une vaste blague tant il s'agit d'une notion subjective. La seconde est qu'une réforme de la composition du Conseil constitutionnel s'impose pour en faire une Cour suprême "indépendante et impartiale". Ce qui n'est pas le cas de nos jours.

    Telle est l'invraisemblable vérité. "Penser, c'est dire non" (Alain).

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  2. Le Conseil Constitutionnel, dirigé par un sénile, peuplé d'incapables ou de condamnés, est à la main du Conseil d'Etat immigrationiste, ce qui explique ses décisions.

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  3. Le Conseil constitutionnel se prononce bien sur le fond dans cette décision du 11 avril. Donc écrire que "La situation peut sembler étrange, car ces dispositions ont ainsi été appréciées deux fois par le Conseil, mais jamais sur le fond" est inexact, puisque dans la seconde décision le CC valide l'objet de la PPL au regard de l'article 11 et se prononce précisément sur le fond.

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