« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


mercredi 16 février 2022

Entre-soi et connivence au Conseil constitutionnel

 


Les propositions de nomination au Conseil constitutionnel se suivent et se ressemblent. Il y a trois ans, en 2017, on observait déjà une forte politisation de l'institution, politisation qui marque de nouveau les propositions intervenues le 16 février 2022. Les trois nouveaux membres proposés ont une caractéristique commune : ils ont fait une carrière proche des personnalités politiques qui les ont désignées.
 
 

Jacqueline Gourault

 

 
En 2017, le Président de la République proposait Jacques Mézard, ancien sénateur et ministre de la cohésion des territoires. Aujourd'hui, il propose Jacqueline Gourault, également ministre de la cohésion des territoires. Faut-il nécessairement détenir ce portefeuille pour être désigné au Conseil constitutionnel ? On serait tenté de le penser. 
 
Les deux profils diffèrent à peine. M. Mézard s'était rallié à LaRem alors qu'il était sénateur, ancien membre du Parti radical de gauche. Avocat d'origine, même si ses fonctions parlementaires l'avaient éloigné des prétoires, il conservait sans doute quelques compétences juridiques. Mme Gourault, également sénatrice, s'était ralliée à LaRem en venant de l'UDF, puis du Modem. L'un venait de la gauche en 2017, l'autre vient de la droite en 2022, évolution qui va finalement dans le sens de l'histoire ou plutôt dans celui du quinquennat. Quant à ses compétences, Mme Gourault est professeur d'histoire-géographie dans un lycée religieux. Sa familiarité avec les subtilités de la jurisprudence du Conseil constitutionnel la désigne donc tout naturellement pour être membre d'une juridiction suprême.

La différence la plus sensible entre ces deux désignations se trouve dans le fait que M. Mézard avait quitté ses fonctions ministérielles en octobre 2018, trois mois avant sa nomination au Conseil constitutionnel, où il avait succédé à Lionel Jospin. Madame Gourault, quant à elle, est proposée pour une nomination au Conseil, alors même qu'elle exerce toujours sa mission ministérielle. Un membre de l'Exécutif, ministre en exercice, peut donc être proposé comme membre d'une autorité qui se présente comme une juridiction suprême et une autorité supra-législative. Inutile d'attendre sa démission, et tant pis pour la séparation des pouvoirs.
 
 

François Seners

 

 
Le Président du Sénat, quant à lui, propose le conseiller d'État François Seners. Il faut toujours un conseiller d'État dans toutes les institutions où il y a des postes à pourvoir. Celui-là ne manque certainement pas de compétences, notamment dans le droit de l'outre-mer. Il n'en demeure pas moins qu'il fut directeur du cabinet de Rachida Dati, conseiller auprès du Premier ministre François Fillon, avant d'être directeur du cabinet de Gérard Larcher, président du Sénat, de 2014 à 2017. 
 
La précédente nomination décidée par le ce même président du Sénat, était celle de François Pillet, sénateur du Cher et vice-président de la Commission des lois. Autant dire que pour être proposé à la nomination par le Président du Sénat, il est plutôt souhaitable d'appartenir au sérail sénatorial. On ne recrute bien qu'au sein de sa famille.
 

Véronique Malbec


 
Le Président de l'Assemblée nationale, Richard Ferrand, serait-il le seul à avoir désigné une magistrate de l'ordre judiciaire, technicienne du droit et donc recrutée sur ses compétences ? Madame Véronique Malbec est certes un éminent membre du parquet et elle fut procureure générale près la Cour d'appel de Rennes avant d'être mutée à Versailles. 
 
A l'annonce de cette proposition, des bruits quelque peu venimeux ont pourtant circulé sur les réseaux sociaux. On a fait observer que le procureur de la République de Brest qui avait classé l'affaire des Mutuelles de Bretagne dans laquelle M. Ferrand avait été poursuivi, était précisément placé sous l'autorité hiérarchique de la procureure générale de Nantes. L'intéressé, saisi d'une légitime indignation face à un tel soupçon, a immédiatement publié un communiqué rappelant qu'un procureur de la République ne reçoit aucune instruction individuelle du procureur général sur tel ou tel dossier. 
 
C'est vrai, et ce n'est pas comme si les procureurs généraux ne demandaient jamais de remontées d'information aux procureurs de la République. On raconte, sans doute une "Fake News", qu'une ancienne procureure générale serait même l'objet d'une plainte déposée par l'Assemblée nationale pour parjure. Elle aurait déclaré sous serment n'avoir pas été informée de l'enquête du PNF dans l'affaire dite "des fadettes", alors que d'autres témoignages évoquaient d'incessantes remontées d'informations. Quoi qu'il en soit, tout cela relève du mauvais procès. Madame Malbec n'a aucun lien avec le monde politique, même si elle était, depuis 2020, directrice du cabinet du ministre de la justice. 

On rappellera que la précédente nomination effectuée par Richard Ferrand en 2017 fut celle d'Alain Juppé, ancien premier ministre. Il est vrai qu'à l'époque, certains observateurs avaient suggéré que ce choix très politique avait été soufflé par l'Elysée au président de l'Assemblée nationale.

Les choix de 2022 sont donc très semblables à ceux de 2017, marqués par une très forte politisation. L'origine de ce phénomène est bien antérieure. On se souvient que Nicolas Sarkozy avait nommé Michel Charasse en 2010, et en 2014 Claude Bartolone avait désigné Lionel Jospin. Deux exemples, parmi tant d'autres, qui montrent que le Conseil constitutionnel de Marcel Waline, François Luchaire ou Georges Vedel a bel et bien disparu. Pour être membre du Conseil constitutionnel, il est désormais souhaitable de tout ignorer du contentieux constitutionnel.

La question qui se pose alors est celle des instruments juridiques permettant de mettre fin à une telle dérive. Inutile en effet de compter sur les trois autorités de nomination, qui considèrent tout simplement, que le Conseil constitutionnel est une récompense que l'on offre à des amis politiques, en espérant qu'ils resteront parfaitement loyaux à l'autorité de nomination. 
 

With a litlle help from my friends. Beatles. 1967


La procédure de confirmation

 

La Constitution, dans son article 56, prévoit un contre-pouvoir de faible intensité.  Il précise que les propositions doivent être soumises à la Commission des lois de chaque assemblée, celle de l'Assemblée nationale se prononçant seule sur la proposition faite par son président, comme celle du Sénat se prononce seule sur la proposition faite par son président. Il est précisé que "Le Président de la République ne peut procéder à une nomination lorsque l'addition des votes négatifs dans chaque commission représente au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés au sein des deux commissions". Cette procédure ne peut en aucun cas être considérée comme une soupape de sûreté permettant d'éviter des désignations politiques. Une telle majorité qualifiée est pratiquement impossible à réunir, d'autant que l'on imagine mal que les membres d'une commission parlementaire aillent à l'encontre du choix fait par leur Président. Cette procédure de confirmation apparaît donc largement cosmétique. 

En témoigne le cas de Michel Mercier, dont le nom avait d'abord été proposé par Gérard Larcher en 2017.  Ancien ministre de la justice, et surtout ancien sénateur centriste, tout le désignait pour entrer au Conseil constitutionnel. Hélas, sitôt la proposition de nomination formulée, la presse a révélé que l'intéressé employait sa fille comme collaboratrice parlementaire, situation qui a conduit le Parquet national financier à ouvrir une enquête préliminaire sur d'éventuels détournements de fonds public.  Rien que de très banal après le PenelopeGate et l'emploi des filles de Bruno Le Roux.

C'est dans cette pénible situation que Michel Mercier affronte l'audition devant la Commission des lois du Sénat. Mais que l'on se rassure. Il n'y a pas eu le moindre éclat. L'intéressé s'est borné, en propos liminaire, à annoncer qu'il produirait des pièces justifiant le travail de sa fille. Personne n'a suggéré non plus de suspendre le vote jusqu'à la production de ces pièces. On a parlé d'autre chose et la nomination de l'intéressé a été confirmée par 22 voix contre 7. Il est vrai que la situation n'était pas vraiment compliquée puisque Michel Mercier était lui-même membre de la Commission des lois, le Président Larcher ayant sans doute décidé, une bonne fois pour toutes, qu'il ne pouvait trouver des membres du Conseil constitutionnel ailleurs qu'au Palais du Luxembourg. La procédure de confirmation s'est donc déroulée entre soi, à la satisfaction générale et dans une parfaite connivence.

 

La démission d'office

 

Il reste évidemment un contre-pouvoir, sorte d'arme de destruction massive que le Conseil constitutionnel est seul à détenir. Sorte de dissuasion juridique, arme de non-emploi, il n'a pas besoin d'être formellement utilisé pour être efficace.

Un décret du 13 novembre 1959 énonce que ses membres doivent "s'abstenir de tout ce qui pourrait compromettre l'indépendance et la dignité de leurs fonctions". Si un des membres a manqué à cette obligation, le Conseil peut constater sa démission d'office. La mise en examen constitue, à l'évidence, un évènement de ce type. Il n'a pas été nécessaire de mener à terme cette procédure pour pousser Roland Dumas à la démission en février 2000, à l'époque où il était mis en examen dans l'affaire Elf. La menace seule a été suffisante. Dans le cas de Michel Mercier, le Conseil s'est borné à publier un communiqué extrêmement concis et ne mentionnant jamais le nom de l'intéressé. Il se bornait, en fait, à rappeler l'existence de ces dispositions. L'ancien Garde des Sceaux a compris le message et il a immédiatement renoncé à sa nomination au Conseil constitutionnel, immédiatement remplacé par François Pillet, un autre sénateur.

Cette procédure reste cependant extrêmement rare et ne peut guère s'appliquer qu'à une personne mise en examen. Elle ne saurait être mise en oeuvre à l'égard d'un membre désigné qui avait été condamné auparavant et qui a purgé sa peine au moment de la proposition. Tel fut le cas d'Alain Juppé qui a trouvé au Conseil constitutionnel un cadre propice à sa réinsertion. 

Il reste à s'interroger sur l'avenir de l'institution. La question de son impartialité objective est évidemment posée. Rappelons que, aux yeux de la Cour européenne, le procès équitable suppose une institution qui paraît impartiale et qui, à ce titre, inspire confiance au justiciable. Or, depuis la mise en oeuvre de la question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel intervient directement dans les procédures contentieuses, à la fois de l'ordre judiciaire et de l'ordre administratif. Imaginons un instant que la Cour européenne des droits de l'homme, saisie d'un contentieux quelconque, soit conduite à se prononcer sur la conformité d'une QPC au droit au procès équitable. On ne doute pas qu'elle serait fondée à s'interroger sur l'impartialité objective du Conseil constitutionnel, composé d'amis politiques bien souvent dépourvus de titre leur permettant de prétendre exercer des fonctions juridictionnelles. 

Imaginons aussi qu'Emmanuel Macron soit battu aux prochaines élections présidentielles. Comme ancien président, il pourra alors siéger au Conseil comme membre de droit. Au moins, il y retrouverait quelques amis.


Sur le Conseil constitutionnel : Chapitre 3 section 2 § 1 du Manuel



1 commentaire:

  1. === DES DERNIERS AVATARS DU CONSEIL INCONSTITUTIONNEL ===

    Une fois encore, comme vous le mettez régulièrement en exergue dans le traitement de ce sujet, les masques sont tombés. À L'unisson, tous les médias poussent des cris d'orfraie après cet oukase jupitérien. Pour la commodité de l'exposé, nous nous en tiendrons à quatre remarques.

    1. Le Conseil constitutionnel n'a rien d'une cour suprême digne d'un authentique état de droit. Il n'est rien d'autre qu'une cénacle politique, une sorte d'Ephad pour retraités (Cf. la formule de l'humoriste Laurent Gerra). Il caractérise une République bananière.

    2. Ses membres ne sont ni indépendants, ni impartiaux comme cela devrait être le cas pour des personnalités appelées à juger d'importantes questions de droit. Quand la CEDH s'en inquiètera-t-elle dans le cadre de son dialogue des juges ou d'un arrêt pilote condamnant la patrie des droits de l'homme et des farces et attrapes?

    3. Une fois de plus, nous retrouvons le Conseil d'état au sein du dispositif avec un membre du Conseil constitutionnel en son sein et au poste stratégique de secrétaire général de ce bidule.

    4. Curieusement, les antivax qui défilent tous les samedi au cri de "Liberté" sont aux abonnés absents alors que la question posée ici est autrement plus grave à maints égards.

    Cette fin de quinquennat s'achève par une démocratie abîmée, un état de droit confisqué et des libertés publiques bafouées. Ce qui ne nous empêche pas de stigmatiser Hongrois et Polonais, comme bafouant les valeurs de l'Union européenne, alors que ces deux Etats ont le mérite d'afficher la couleur !

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