Il y a dix ans, le 17 février 2012, la question des parrainages nécessaires pour se porter candidat à l'élection présidentielle se posait déjà avec acuité. Marine Le Pen introduisait alors, sans succès, une QPC pour contester une procédure qui, à l'époque, reposait sur le caractère secret des signatures et l'opacité de la procédure. Depuis cette date, la loi du 25 avril 2016 est venue imposer la transparence des parrainages. Mais rien n'a changé et la recherche des signatures demeure extrêmement difficile pour certains candidats. De fait, la suggestion que faisait le professeur Serge Sur sur LLC le 17 février 2012 demeure d'une brûlante actualité.
ÉLECTIONS PRÉSIDENTIELLES : COMMENT OBTENIR LES 500 SIGNATURES
Serge Sur, professeur à l'Université Panthéon-Assas
La campagne présidentielle entre
dans une phase active, dans la mesure où les principaux candidats sont
désormais déclarés et assurés de participer à l’élection – tous sauf Madame Le
Pen, qui semble toujours courir derrière les cinq cents signatures de maires
nécessaires à la validation de sa candidature. Elle s’en plaint beaucoup,
incrimine les forces politiques dominantes, UMP et PS, en les accusant de
bloquer les parrainages indispensables. Ils ne le contestent au demeurant que
mollement et refusent d’inciter leurs élus militants ou sympathisants à
compenser la prudente abstention des maires, sollicités au nom du pluralisme
légitime de l’expression démocratique. Ils ne craignent pas, parallèlement et
presque dans le même souffle, de souhaiter que Madame Le Pen puisse être
candidate au nom du même pluralisme.
Ce qui fait apparemment obstacle
est la publication du nom des maires qui parrainent une candidature. La plupart
d’entre eux redoutent de s’exposer à la vindicte de leurs électeurs s’ils
semblaient soutenir une candidate qui, en dépit de ses efforts pour
dédiaboliser le Front National, sent toujours le souffre. En vain souligne-t-on
à l’envi que parrainer n’est pas approuver, mais simplement considérer qu’un
courant politique enraciné mérite de se présenter au suffrage de l’élection
politique majeure. Le sentiment général est en faveur de sa candidature, mais
personne ne se précipite pour en accepter la responsabilité.
La saisine du Conseil
constitutionnel qui tend à remettre en cause la publicité des parrainages
pourra-t-elle remédier à la difficulté ? Le Conseil pourrait-il écarter la
publicité des signatures avec effet immédiat ? Madame Le Pen n’est pas
seule en cause, puisque d’autres candidats – candidates – la rejoignent à
l’appui de sa requête, Madame Christine Boutin et Madame Corinne Lepage. Le
retrait de la première ne change pas la question de principe, qui est d’une
portée plus générale que le sort d’une candidate virtuelle dans une élection
particulière. La question a déjà été évoquée ici sous l’angle juridique, et
l’on n’y reviendra pas.
|
Mr Smith au Sénat. Frank Capra. 1939 James Stewart |
Il est en revanche une solution
simple, facile à mettre en œuvre, et qui peut s’appliquer dès demain matin,
sans aucun changement du droit en vigueur. Elle permettrait aux maires d’exercer
leur rôle, sans conduire à un blocage démocratiquement difficile à justifier. Elle
pourrait par exemple être initiée par l’Association des maires de France. Il
suffirait que soit constitué entre eux un pool de maires qui acceptent de
parrainer les candidats des partis légalement constitués, sans manifester de
préférence pour un candidat particulier. Ils le feraient simplement au nom du
pluralisme politique et de la libre expression des suffrages, qui sont des
principes républicains.
Ces maires s’engageraient à
accorder leur parrainage aux candidats répondant à ces critères, et un tirage
au sort entre eux déterminerait le candidat qu’ils présentent. On s’assurerait
que tous obtiennent le nombre de parrainages nécessaires. Ainsi aucun des
maires participants ne pourrait se voir reprocher d’avoir soutenu un candidat
particulier, puisqu’ils ne l’auraient pas eux-mêmes choisi. Le tirage au sort
est une formule démocratique, utilisée dans d’autres situations, et personne ne
la conteste. Y aurait-il multiplication indue des candidatures ? Sans
doute pas si l’on se limitait aux formations politiques constituées et qui,
lors d’élections précédentes, même récentes, ont obtenu un nombre minimal de
voix.
Pour les autres, le jeu ne serait pas fermé, puisque cette
formule du tirage au sort ne serait pas exclusive. Rien n’empêcherait les
autres candidats de tenter parallèlement leur chance auprès de leurs
sympathisants, et rien ne leur interdirait de récuser la formule, de se
soustraire au tirage au sort voire de récuser les parrainages qui en
résulteraient. La formule de tirage au sort des parrainages serait une soupape
de sécurité démocratique, interdisant à de grandes formations de bloquer
indûment la compétition électorale et de s’en réserver le monopole. Pour les
maires, parrainer n’est pas un privilège mais une fonction qui les fait
participer à la libre expression du suffrage. Une fonction, c’est un devoir.
Qu’ils l’assument !
Serge Sur
17 février 2012
Quelle morale pourrait-on tirer de cette excellente analyse présentée, il y a déjà dix ans, par ce éminent professeur agrégé de droit public ?
RépondreSupprimer- La première est que tout change pour que rien ne change. Le fait que le problème se pose, à nouveau avec acuité aujourd'hui, démontre que nos dirigeants pratiquent avec une constance qui force le respect, la fameuse politique du chien crevé au fil de l'eau. Elle rappelle la célèbre formule d'Henri Queuille : "Il n'est pas de problème dont une absence de solution ne finisse par venir à bout".
- La deuxième est que cet universitaire, aux talents encore trop méconnus, est le pur produit de la méritocratie à la française. Un enseignement supérieur qui cultivait l'excellence et qui ne perdait pas son temps à défendre parité, quotas, discrimination positive, cancel culture et autres sornettes qui discréditent l'université tant dans sa dimension enseignement que dans sa vocation de recherche.
- La troisième est que la nature fait bien les choses. L'élection récente du professeur Serge Sur à l'Académie des sciences morales et politiques constitue le couronnement d'une carrière riche, variée, tendue uniquement vers le service public, le bien public et non la défense d'intérêts personnels.
Le seul souhait que nous puissions former, à ce stade, est qu'il continue longtemps à éclairer de ses lumières les problématiques de droit constitutionnel, de droit international public et de relations internationales, pour notre plus grand bien.