« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


mercredi 30 juin 2021

Les Invités de LLC : Jean-Jacques Rousseau, Lettres écrites de la montagne

A l'occasion des vacances, Liberté Libertés Chéries invite ses lecteurs à retrouver les Pères Fondateurs des libertés publiques. Pour comprendre le droit d'aujourd'hui, pour éclairer ses principes fondamentaux et les crises qu'il traverse, il est en effet nécessaire de lire ou de relire ceux qui en ont construit le socle historique et philosophique. Les courts extraits qui seront proposés n'ont pas d'autre objet que de susciter une réflexion un peu détachée des contingences de l'actualité, et de donner envie de lire la suite. 

Les choix des textes ou citations seront purement subjectifs, détachés de toute approche chronologique. Bien entendu, les lecteurs de Liberté Libertés Chéries sont invités à participer à cette opération de diffusion de la pensée, en faisant leurs propres suggestions de publication. Qu'ils en soient, à l'avance, remerciés.


Huitième lettre de la montagne

Jean-Jacques Rousseau. 1764



Portrait de Jean-Jacques Rousseau

Maurice Quentin de la Tour


" On a beau vouloir confondre l’indépendance et la liberté, ces deux choses sont si différentes que même elles s’excluent mutuellement. Quand chacun fait ce qu’il lui plaît, on fait souvent ce qui déplaît à d’autres, et cela ne s’appelle pas un état libre. La liberté consiste moins à faire sa volonté qu’à n’être pas soumis à celle d’autrui ; elle consiste encore à ne pas soumettre la volonté d’autrui à la nôtre. Quiconque est maître ne peut être libre, et régner, c’est obéir. Vos Magistrats savent cela mieux que personne, eux qui comme Othon n'omettent rien de servile pour commander. Je ne connois de volonté vraiment libre que celle à laquelle nul n'a le droit d'opposer de la résistance ; dans la liberté commune nul n'a droit de faire ce que la liberté d'un autre lui interdit, et la vraie liberté n'est jamais destructive d'elle-même. Ainsi la liberté sans la justice est une véritable contradiction ; car comme qu'on s'y prenne tout gêne dans l'exécution d'une volonté désordonnée.


 Il n’y a donc point de liberté sans Loix, ni où quelqu’un est au dessus des Loix : dans l’état même de nature, l’homme n’est libre qu’à la faveur de la loi naturelle qui commande à tous. Un peuple libre obéit, mais il ne sert pas ; il a des chefs et non pas des maîtres ; il obéit aux Loix, mais il n’obéit qu’aux Loix, et c’est par la force des lois qu’il n’obéit pas aux hommes. Toutes les barrières qu’on donne dans les Républiques au pouvoir des Magistrats ne sont établies que pour garantir de leurs atteintes l’enceinte sacrée des Loix : ils en sont les Ministres, non les arbitres, ils doivent les garder, non les enfreindre. Un peuple est libre, quelque forme qu’ait son Gouvernement, quand dans celui qui le gouverne il ne voit point l’homme, mais l’organe de la Loi. En un mot, la liberté suit toujours le sort des Lois, elle règne ou périt avec elles ; je ne sache rien de plus certain.» 

 

Rousseau  Lettres écrites de la montagne (1764) Huitième Lettre, in Oeuvres Complètes, t. III, Gallimard, La Pléiade, p. 841.

 

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