A l'occasion des vacances, Liberté Libertés Chéries invite ses lecteurs à retrouver les Pères Fondateurs des libertés publiques. Pour comprendre le droit d'aujourd'hui, pour éclairer ses principes fondamentaux et les crises qu'il traverse, il est en effet nécessaire de lire ou de relire ceux qui en ont construit le socle historique et philosophique. Les courts extraits qui seront proposés n'ont pas d'autre objet que de susciter une réflexion un peu détachée des contingences de l'actualité, et de donner envie de lire la suite.
Les choix des textes ou citations seront purement subjectifs, détachés de toute approche chronologique. Bien entendu, les lecteurs de Liberté Libertés Chéries sont invités à participer à cette opération de diffusion de la pensée, en faisant leurs propres suggestions de publication. Qu'ils en soient, à l'avance, remerciés.
Huitième lettre de la montagne
Jean-Jacques Rousseau. 1764
Portrait de Jean-Jacques Rousseau
Maurice Quentin de la Tour
" On a beau vouloir confondre l’indépendance et la liberté, ces deux choses sont si différentes que même elles s’excluent mutuellement. Quand chacun fait ce qu’il lui plaît, on fait souvent ce qui déplaît à d’autres, et cela ne s’appelle pas un état libre. La liberté consiste moins à faire sa volonté qu’à n’être pas soumis à celle d’autrui ; elle consiste encore à ne pas soumettre la volonté d’autrui à la nôtre. Quiconque est maître ne peut être libre, et régner, c’est obéir. Vos Magistrats savent cela mieux que personne, eux qui comme Othon n'omettent rien de servile pour commander. Je ne connois de volonté vraiment libre que celle à laquelle nul n'a le droit d'opposer de la résistance ; dans la liberté commune nul n'a droit de faire ce que la liberté d'un autre lui interdit, et la vraie liberté n'est jamais destructive d'elle-même. Ainsi la liberté sans la justice est une véritable contradiction ; car comme qu'on s'y prenne tout gêne dans l'exécution d'une volonté désordonnée.
Il n’y a donc point de liberté sans Loix, ni où quelqu’un est au dessus
des Loix : dans l’état même de nature, l’homme n’est libre qu’à la
faveur de la loi naturelle qui commande à tous. Un peuple libre obéit, mais il ne sert pas ; il a des chefs et non pas
des maîtres ; il obéit aux Loix, mais il n’obéit qu’aux Loix, et c’est
par la force des lois qu’il n’obéit pas aux hommes. Toutes les barrières
qu’on donne dans les Républiques au pouvoir des Magistrats ne sont
établies que pour garantir de leurs atteintes l’enceinte sacrée des
Loix : ils en sont les Ministres, non les arbitres, ils doivent les
garder, non les enfreindre. Un peuple est libre, quelque forme qu’ait
son Gouvernement, quand dans celui qui le gouverne il ne voit point
l’homme, mais l’organe de la Loi. En un mot, la liberté suit toujours le sort des Lois, elle règne ou périt avec elles ; je ne sache rien de plus certain.»
Rousseau Lettres écrites de la montagne (1764) Huitième Lettre, in Oeuvres Complètes, t. III, Gallimard, La Pléiade, p. 841.
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