Le juge des référés du Conseil d'État a écarté, par une ordonnance du 7 novembre 2020, une demande de suspension de l'article 47 du décret du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de Covid-19 dans le cadre du nouvel état d'urgence sanitaire décidé par le décret du 14 octobre 2020. Ces dispositions autorisent les lieux de culte à rester ouverts, en précisant toutefois que "tout rassemblement ou réunion en leur est interdit, à l'exception des cérémonies funéraires dans la limite de trente personnes".
On peut donc entrer afin de prier, à la condition de se plier aux contraintes qui sont celles existant dans tout lieu public, mais il est interdit de participer à un office religieux. Le ministre du culte peut toutefois en organiser un, à la condition qu'il reste seul, ce qui n'interdit pas la retransmission par vidéo. De même est-il possible de célébrer un mariage, dans le respect des règles posées par l'article 3 de ce même décret du 29 octobre 2020, c'est-à-dire en limitant l'assistance à six personnes.
Ces dispositions se fondent sur l'état d'urgence, introduit dans le code de la santé publique par la loi du 23 mars 2020.
Au moment où intervient l'ordonnance de référé, il vient d'être déclaré
par un décret du 14 octobre 2020, en attendant d'être prorogé par la loi qui vient d'être votée au parlement, mais qui n'est pas encore entrée en vigueur, car elle fait l'objet d'un recours devant le Conseil constitutionnel. Cette situation ne modifie évidemment en rien le contrôle du juge des référés.
Le nombre des requérants
Le nombre des requérants est sans doute l'élément le plus remarquable de la décision. Sans qu'il soit possible de les compter avec précision, on constate qu'il approche les trois cents pour seize requêtes. On y trouve l'association des évêques de France, un grand nombre d'associations catholiques, ainsi qu'une large quantité de membres du clergé et sans doute des fidèles particulièrement motivés. Hélas pour eux, le juge des référés apprécie de la même manière une demande émanant d'une seule personne ou de plusieurs centaines.
Le contrôle du juge
Le juge des référés ne conteste pas que la liberté de culte soit une liberté fondamentale, susceptible d'une action en référé-liberté, et qu'elle implique le droit d'assister à des offices. L'article 10 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 n'affirmait-il pas déjà que "nul ne peut être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi". La liberté de culte s'exerce donc dans le cadre des lois qui l'organisent, comme toutes les libertés publiques. Dans une décision du 29 mars 2018 Rouchdi B. et autres, le Conseil constitutionnel a logiquement considéré que la fermeture des lieux de culte peut et doit faire l'objet d'un contrôle approfondi par le juge administratif. Celui-ci examine donc avec minutie les circonstances qui ont justifié l'atteinte à la liberté de culte.
Le précédent de mai 2020
Sans doute les requérants espéraient-ils une issue favorable en se fondant sur quatre ordonnances du 18 mai 2020, par lesquelles le juge des référé du Conseil d'Etat avait suspendu l'article 10 du décret du 11 mai 2020.
Celui-ci interdisait tout rassemblement ou réunion au sein des
établissements de culte, à l’exception des cérémonies funéraires, alors
limitées à
vingt personnes. A l'époque, le juge avait estimé disproportionnée cette
interdiction générale et absolue. Mais une décision de référé ne fait pas jurisprudence.
La décision du 29 octobre 2020 est radicalement opposée à celle du 18 mai. Après avoir rappelé la situation sanitaire, comme il le fait toujours dans ses décisions "Covid", le juge note que le confinement de l'automne est moins sévère que celui du mois de mars 2020. Mais, s'il a été décidé la poursuite des activités scolaires et, au moins pour une partie, professionnelles, cet allègement implique une rigueur plus grande pour les autres formes de rassemblements, y compris les rassemblements religieux. On trouve ici un rappel implicite de la distinction entre activités essentielles et non essentielles. Aux yeux du juge, l'assistance physique à un office religieux n'est pas essentielle, dès lors que peut lui être substituée l'assistance à un culte virtuel, sur internet.
Le juge fait également référence au danger que représente ce type de rassemblement au regard de la propagation du virus. Une note du conseil scientifique indique en effet que les lieux de culte peuvent sont clos et que le public ne porte pas toujours le masque. Sur ce point, le juge mentionne que les évêques, qui comptent parmi les requérants, ont largement omis d'actualiser les protocoles sanitaires contractualisés élaborés au printemps dernier, et que ces derniers n'ont pas été appliqués avec une grande rigueur. Enfin, le juge observe que la parole et le chant favorisent "un niveau élevé d'émission de gouttelettes" et qu'un "public âgé et donc fragile" participe aux offices. Au stade actuel de la pandémie, le juge considère donc que la mesure d'interdiction des cultes est parfaitement proportionnée à la menace pour la santé publique.
Le référé d'octobre 2020 aboutit donc à une solution opposée à celle du référé de mai 2020. Mais en réalité, cette différence n'a rien de surprenant. Le 18 mai 2020, la décision d'interdiction des cultes reposait certes sur l'état d'urgence sanitaire, mais le confinement était levé, de manière différenciée et progressive, depuis le 11 mai. En cette période d'assouplissement, le décret du 11 mai 2020 ordonnant une interdiction générale et absolue de l'exercice des cultes avait alors semblé trop sévère, d'autant que le Premier ministre appuyait se décision sur le rassemblement évangélique qui avait été à l'origine du démarrage particulièrement violent de la pandémie dans l'est du pays. Certes, mais c'était à la mi-février, c'est-à-dire trois mois plus tôt.
Sans doute doit-on aussi considérer la position du Conseil d'Etat. En mai 2020, il avait absolument besoin de prendre quelques décisions favorables aux libertés, après avoir rejeté tous les recours pendant trois mois. En octobre 2020, la situation a changé car la pandémie reprend avec une vigueur inattendue. De fait, la fermeture des lieux de culte apparaît comme un moindre mal, mesure que l'opinion d'un pays largement déchristianisé peut facilement accepter. Et le juge fait observer qu'il pourra, le cas échéant, changer de position, si la pandémie évolue dans un sens favorable. Les voies du Conseil d'Etat sont impénétrables.
Parfaite analyse du droit positif actuel et des évolutions jurisprudentielles dans le cas d'espèce de la liberté du culte.
RépondreSupprimerUne fois de plus, le Conseil d'Etat avance masqué au sens propre et figuré du terme. Seuls quelques juristes naïfs croient encore que les membres du Palais-Royal "jugent" (si le terme est approprié pour ces Dames et ces Messieurs du Conseil de l'Etat) en droit. Ils "décident" en opportunité politique. Une telle constance dans la servilité et la soumission mérite le respect.