Le droit d'être ensemble
"Pour un parent et son enfant, être ensemble représente un élément fondamental de la vie familiale au sens de l'article 8 de la Convention européenne". Cette formule est reprise dans bon nombre d'arrêts de la CEDH, en particulier la décision Monory c. Roumanie et Hongrie du 5 avril 2005. Ce principe emporte deux conséquences essentielles. D'une part, le parent qui se voit privé de l'exercice de ce droit a toujours intérêt à agir devant la Cour. C'est évidemment le cas de la mère biologique, qui agit non seulement en son nom propre mais aussi au nom de son enfant, afin de protéger ses intérêts (CEDH, 17 juillet 2012, M. D. et autres c. Malte). D'autre part, la CEDH exerce un contrôle de proportionnalité particulièrement étendu dans ce domaine, contrôle qui intègre à la fois l'intérêt supérieur de l'enfant et la question de savoir si l'ingérence dans ce droit est "nécessaire dans une société démocratique". Sur de tels sujets, la Cour affirme, dans sa décision Penchevi c. Bulgarie du 10 février 2015, qu'il convient d'éviter une approche trop formaliste et automatique.
L'écoute de la mère
Dans ses deux décisions, la Cour s'appuie sur sa jurisprudence Strand Lobben et autres c. Norvège du 30 novembre 2017 qui affirme que ces mesures de placement en famille d'accueil ont d'abord pour but de rétablir, à terme, les liens familiaux. S'il est démontré que c'est impossible, l'adoption pourra alors être envisagée. Dans cette affaire, les juges s'étaient penchés sur la procédure suivie, et notamment sur l'écoute des arguments de la mère. Précisément, dans les deux décisions du 17 décembre 2019, les autorités norvégiennes, administratives comme judiciaires, ont fait preuve sur ce point d'une légèreté fautive.
Dans l'affaire A.S. c. Norvège, la Cour observe que la situation a été figée dès l'origine, car les juges du fond ont précisé, dès le premier recours déposé par la mère, que le placement de l'enfant serait "de longue durée", les visites étant extrêmement limitées. Le jugement de 2015 s'appuyait des expertises réalisés en 2012, et les rapports pris en compte sur le développement de l'enfant étaient ceux remis par la famille d'accueil. Cette même famille a invoqué les réactions négatives de l'enfant lors des visites de la mère, sans que ce point ait été sérieusement vérifié. La CEDH déduit donc que la mère n'a pas été entendue et que ses intérêts n'ont pas été sérieusement pris en considération.
Dans l'arrêt Abdi Ibrahim c. Norvège, la requérante ne demandait pas le retour de son fils près d'elle, mais refusait son adoption et la déchéance des droits parentaux qu'elle entrainait. En l'espèce, la Cour constate une violation de la jurisprudence Strand Lobben, car les autorités n'ont rien fait pour assurer le maintien du lien familial. Alors que la mère avait demandé le placement chez des cousins à elle, ou bien dans une famille somalienne, l'enfant a été placé dans une famille chrétienne norvégienne et le droit de visite de la mère a été réduit au minimum. Lorsque celle-ci a fait un recours pour s'opposer à la déchéance de ses droits, les juges n'ont pas eu de difficulté pour constater la rupture des relations familiales, situation qui avait été créée par l'administration norvégienne elle-même. Les parents d'adoption avaient d'ailleurs refusé une "adoption ouverte" permettant le maintien des liens avec la mère biologique. La Cour constate donc une violation de l'article 8 de la Convention puisque la requérante comme son fils ont été privés de leur droit de mener une vie familiale normale.
Ces deux décisions ne sont finalement surprenantes que par leur existence même. On découvre en effet que la Norvège, pays présenté comme un modèle social et comme un exemple dans le domaine des droits des femmes, n'hésite pas à arracher des enfants à leur mère, sans trop se préoccuper des droits de la défense. L'enfant est perçu comme l'objet d'une politique publique autoritaire, politique qui justifie la rupture du lien familial, surtout lorsque la mère est polonaise ou somalienne. Nous voilà bien loin du "modèle" norvégien.
Sur la vie familiale : Chapitre 8 , Section 2 du manuel de Libertés publiques sur internet.
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