Le recours en référé, fondé sur le premier alinéa de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, énonce que le juge peut suspendre la décision, ou certains de ses effet, "lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ».
L'urgence
La condition d'urgence est remplie, et le juge des référés observe que "l'enregistrement des candidatures aux élections municipales débute d'ici quelques jours". La lecture de la décision laisse penser que le ministre de l'intérieur a osé invoquer l'inopposabilité aux tiers de la circulaire, dans la mesure où elle n'avait pas été publiée. Le juge des référés rappelle, quant à lui, que l'urgence s'apprécier in concreto, par rapport aux circonstances de l'espèce et il considère donc que le texte devait, en tout état de cause, être publié. Une manière élégante de dire que le ministre de l'intérieur ne pouvait tout de même pas invoquer l'irrégularité qu'il avait lui-même commise en ne publiant pas le texte immédiatement. Nemo auditur ejus propriam turpitudinem allegans.
Dans le cas présent, le doute sérieux porte sur trois éléments essentiels qui constituent autant d'erreurs manifestes d'appréciation.
Le seuil de 9000 habitants
Le juge des référés commence par sanctionner ce seuil de 9000 habitants, en deçà duquel aucune nuance n'est accordée aux listes candidates. Il s'appuie sur le termes du décret du 9 décembre 2014 relatif à la mise en oeuvre des fichiers "Application élection" et "Répertoire national des élus". Il rappelle que son article 5 interdit d'appliquer des nuances politiques aux candidats aux élections municipales dans les communes de moins de 1000 habitants. Aux yeux du ministre, cette prohibition n'empêche pas d'élargir ce seuil jusqu'à 9000 habitants.
Le juge des référés estime pourtant que ce raisonnement, digne des meilleurs jésuites, n'est pas compatible avec la finalité même du fichier qui est de permettre "aux pouvoirs publics et aux citoyens de disposer de résultats électoraux faisant apparaître les tendances politiques locales et nationales et de suivre ces tendances dans le temps". Cette finalité est d'ailleurs précisée dans la délibération du 19 décembre 2013 rendue par la CNIL à propos de ces mêmes traitements automatisés.
En l'espèce, l'élargissement du seuil à 9000 habitants conduit à ne pas attribuer de nuance politique aux candidats dans plus de 95 % des communes, et à ne pas prendre en compte les suffrages exprimés par près de la moitié des électeurs. Le juge fait d'ailleurs observer que, lors des élections municipales de 2014, il avait été possible d'attribuer une nuance "divers droite" ou "divers gauche" à 80 % des candidats dans les communes de moins de 9000 habitants.
Le juge des référés invoque ainsi, implicitement, une erreur manifeste d'appréciation constituée par ce considérable élargissement du seuil d'attribution des nuances.
L'égalité entre les partis
Le juge des référés sanctionne également la nuance "Listes divers centre". La circulaire Castaner précisait ainsi que cette nuance serait attribuée aux listes qui auront obtenu l'investiture de LaRem ou du Modem. Une liste se déclarant "Les Républicains" pouvait donc être catapultée dans le "divers centre" si elle était soutenue par LaRem. Là encore l'opération était relativement transparente : faire apparaitre comme un succès électoral de LaRem la victoire d'une liste ayant l'étiquette "LR".
Cette logique du "en même temps", n'a pourtant pas séduit le juge des référés qui y a vu une atteinte au principe d'égalité entre les partis. Il fait observer en effet que le soutien du PS ou de LR à une liste ne permettait pas de la qualifier "divers gauche" et "divers droite", les deux partis intéressés ne tirant donc aucun bénéfice de ce soutien, dans la présentation des résultats. Cette rupture d'égalité fait naître évidemment un "doute sérieux" sur la légalité de la circulaire.
Le cas de "Debout la France"
Enfin, la dernière illégalité mentionnée par le juge des référés réside dans la nuance "extrême-droite" des listes "Debout la France". En 2014, le parti de M. Dupont-Aignan, était classé comme "divers droite". Et s'il a été qualifié d'"extrême-droite" aux législatives de 2017, c'est exclusivement parce que son président avait ouvertement rallié Marine Le Pen aux présidentielles. Mais, par la suite, Debout la France n'a plus passé aucun accord électoral avec le Rassemblement national et ses représentants au parlement européen siègent dans un autre groupe. Le requalifier aujourd'hui en "extrême-droite" constitue donc une erreur manifeste d'appréciation.
Votre exposé est comme toujours lumineux et bienvenu pour rappeler l'état du droit positif et les libertés prises par le ministre de l'Intérieur avec les grands principes du droit.
RépondreSupprimerUne petite précision n'est pas inutile dans le contexte actuel. L'affaire a vraisemblablement dû être instruite, si ce n'est traitée, par la Direction des libertés publiques et des affaires juridiques (DLPAJ) du ministère de l'Intérieur. Elle est traditionnellement confiée à un éminent membre du Conseil d'Etat. Ce poste faut occupé en son temps par le dernier vice-président de la plus haute juridiction administrative, Jean-Marc Sauvé. Aujourd'hui, ce privilège revient à un autre conseiller d'Etat, Thomas Campeaux (www.interieur.gouv.fr). Il est difficile de croire que ce haut fonctionnaire n'ait rien vu venir sauf à se poser de sérieuses questions sur ses compétences juridiques.
Une bonne nouvelle pour le Conseil d'Etat. Il vient de retrouver le poste de juge à la Cour européenne des droits de l'homme qu'il avait laissé filer entre les mains d'un membre de la Cour de Cassation, André Potocki. Toutes nos félicitations au nouvel élu, Mattias Guyomar (https://conseil-europe.delegfrance.org/).