La question de la fiabilité
Un faisceau d'indices
Tout cela est vrai mais totalement dépourvu d'effet juridique, car l'article 388 du code civil n'établit aucun lien d'automaticité entre le résultat du test et la décision qui est prise. Aucune "vérité scientifique" n'est imposée et le code civil contraint au contraire le médecin qui a procédé à l'examen à mentionner sa marge d'erreur. Les autorités doivent ainsi se prononcer au regard d'un faisceau d'indices, le test osseux étant considéré comme un indice parmi d'autres. Cette analyse est exactement celle des juges du fond.
Dans un arrêt du 23 janvier 2008, la Cour de cassation a ainsi fait prévaloir un acte de naissance établi "en conformité avec les formes requises par la loi" de la République démocratique du Congo sur un examen radiologique "ne pouvant être retenu en raison de son imprécision". L'importance de la marge d'erreur peut ainsi conduire à relativiser, voire à écarter purement simplement le test. Il est vrai que dans ce cas, l'enfant détenait un document démontrant sa minorité, alors que la plupart des tests osseux sont effectués sur des enfants qui ne produisent aucun document.
Mais précisément l'article 388 du code civil prend soin d'affirmer que "le doute profite à l'intéressé". Cela signifie que lorsque le médecin énonce une marge d'erreur incluant la minorité, par exemple situant l'âge de l'intéressé entre dix-sept et dix-huit ans, le résultat sera obligatoirement interprété comme concluant à sa minorité. La Cour de cassation, dans une décision du 3 octobre 2018, précise que la Cour d'appel qui "constate que deux des examens pratiqués par l'expert n'excluent pas que l'intéressée ait moins de 18 ans" ne peut fonder sur cet élément une décision concluant à la majorité de l'intéressé, sans violer le principe selon lequel le doute profite à l'intéressé. En revanche, rien ne lui interdit de faire reposer cette décision sur un autre motif, des pièces administratives faisant apparaître que sa mère aurait eu 52 ans à sa naissance.
Le Conseil constitutionnel s'est donc fondé sur les garanties apportées par l'article 388 du code civil pour écarter la QPC. Cela ne signifie pas que la décision soit sans intérêt, car il profite de l'opportunité qui lui est offerte pour affirmer "une exigence constitutionnelle de protection des intérêts de l'enfant".
L'exigence constitutionnelle de protection de l'intérêt supérieur de l'enfant
Dans sa décision du 21 mars 2019, le Conseil constitutionnel se fonde sur les dixième et onzième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946 pour formuler une "exigence constitutionnelle de l'intérêt supérieur de l'enfant". Celle-ci impose que les mineurs présents sur le territoire national bénéficient de la protection légale qui est celle des enfants.
Dans un premier temps, notamment dans sa décision du 13 août 1993, le Conseil se référait seulement à "l'intérêt des enfants" pour justifier la mise en oeuvre du regroupement familial. A propos du PACS, dans sa décision du 9 novembre 1999, il constatait l'existence de dispositions assurant la "protection des droits de l'enfant", se fondant cette fois clairement sur le Préambule de 1946.
L'enfant est une personne
Ces décisions multiples, et nous n'en a avons cité que quelques exemples, portent toutefois sur l'intérêt de l'enfant "situé", au sens où l'entendait Georges Burdeau, en l'espèce situé au sein de sa famille. Le Conseil était d'ailleurs incité à cette interprétation par les dispositions même du Préambule de 1946 invoquant "l'individu et la famille" dans son alinéa 10 et "l'enfant, la mère et les vieux travailleurs" dans son alinéa 11.
Aujourd'hui, le Conseil se détache de cette analyse ancienne pour envisager l'enfant en tant que tel, et l'on passe en quelque sorte de Burdeau à François Dolto. L'enfant est une personne et non pas seulement un élément de la famille. Ne pouvant s'appuyer directement sur la Convention de 1989 sur les droits de l'enfant qui impose que chaque décision le concernant soit prise à la lumière de son intérêt supérieur, le Conseil constitutionnel modernise le Préambule de 1946 et lui donne un sens identique à celui développé dans la Convention. Considérée sous cet angle, la décision sur les tests osseux, qui ne présentait qu'un intérêt juridique bien modeste, offrait une occasion parfaite pour faire évoluer le droit sans bouleversement immédiat.
"la plupart des tests osseux sont effectués sur des enfants qui ne produisent aucun document". Je ne suis pas sûr que c'est vrai. Au moins à Paris, le test est très fréquent pour les mineurs et quasi automatique pour les guinéens.
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