L'Open Data par défaut
Le premier exemple réside dans une articulation particulièrement étrange entre la loi du 17 juillet 1978 et la loi pour une République numérique du 7 octobre 2016. Celle-ci introduit dans le code des relations avec le public un article L 312-1-1 qui prévoit l'"Open Data par défaut". L'idée en est fort simple : un document déjà communiqué à un administré sur le fondement de la loi sur la transparence administrative doit ensuite être mis en ligne, afin qu'il soit accessible à toute personne intéressée.
Précisément, X. Berne, responsable de NextInpact a obtenu communication en avril 2017, sur le fondement de la loi du 17 juillet 1978, d'un rapport d'évaluation de l'usage des caméras-piéton portées par certains policiers. Le chef d'entreprise, très investi en faveur de l'Open Data par défaut, a ensuite demandé au ministre de l'intérieur la publication en ligne de ce document, conformément à l'article L 312-1-1 du code des relations avec le public. En l'absence de réponse du ministre, une décision implicite de rejet est née, que X. Berne a contestée devant le tribunal administratif de Paris.
Sa requête a toutefois été déclarée irrecevable, alors qu'il ne demandait que l'application de la loi. L'article 13 de cette même loi pour une République numérique offre en effet la possibilité "de saisir la CADA pour avis en cas de refus de publication d'un document administratif". Le tribunal administratif en déduit donc que toute demande de publication doit être précédée d'un nouveau recours à la CADA. Cela signifie que le malheureux demandeur devrait saisir une seconde fois la CADA pour obtenir la simple application de la loi. A cela s'ajoute le fait qu'il n'a plus intérêt à agir puisque, par hypothèse, il a déjà obtenu communication, à titre personnel, du document dont il demande la mise en ligne. La décision de rejet fait ainsi prévaloir une loi de procédure (les dispositions qui imposent la saisine préalable de la CADA) sur la loi numérique qui pose un principe général de transparence. Et le problème est que la procédure imposée à l'administré vide de son contenu le devoir imposé à l'administration.
S'agit-il d'une atteinte volontaire au principe de transparence administrative ? Peut-être pas, et il est possible que le législateur n'ait pas vu cette difficulté d'application des textes. Il n'empêche que ni la CADA ni le tribunal administratif n'ont observé que cette saisine préalable de la CADA imposait à l'administré une procédure préalable à l'application d'une loi qui entendait imposer un devoir de publication à l'administration, en l'absence de toute demande.
La directive secret des affaires
La seconde restriction à la transparence réside dans la mise en oeuvre de la directive secret des affaires du 8 juin 2016 par la loi du 30 juillet 2018. Dans le cadre de l'enquête sur l'affaire Implant Files menée par un consortium de journalistes et portant sur d'éventuelles lacunes dans le contrôle des implants médicaux, Le Monde s'est adressé à la filiale médicale du Laboratoire national de métrologie et d'essais (LNE), établissement public industriel et commercial placé auprès du ministère de l'industrie et organisme certificateur, y compris en matière médicale. Le journal voulait obtenir la communication de la liste des dispositifs ayant obtenu une certification ainsi que celle des dispositifs ne l'ayant pas obtenu. Ces éléments étaient à l'évidence précieux dans le cadre d'une enquête sur la certification des implants. Le LNE refuse pourtant cette communication, au nom du secret des affaires.
Le Monde se tourne donc vers la CADA qui, le 25 octobre 2018, rend un avis défavorable. Certes, elles reconnaît que l'organisme de certification, le LNE, remplit une mission de service public. Même si, en l'occurrence, la certification est effectuée par une filiale qui a le statut d'entreprise, l'intégralité de ses actions est détenue par LNE. De ces éléments, la CADA déduit que les documents demandés ont bien un caractère administratif.
Mais la directive secret des affaires réduit considérablement le champ des informations communicables. Dans sa rédaction issue de la loi du 30 juillet 2018, l'article L 311-6 du code des relations avec le public affirme que "ne sont communicables qu'à l'intéressé les documents dont la communication porterait atteinte au secret des affaires, lequel comprend le secret des procédés, des informations économiques et financières et des stratégies commerciales ou industrielles". L'accès des tiers, et donc de la presse, est donc désormais impossible, car la CADA estime que les informations demandées font apparaître "le nom des fabricants de ces dispositifs". Observons ainsi qu'il ne s'agit pas de protéger les savoir-faire et en particulier les brevets, mais simplement de garantir l'anonymat des entreprises qui fabriquent les implants. Un tel avis développe une conception extrêmement large du secret des affaires et empêche purement et simplement l'activité des journalistes d'investigation.
Le Monde annonce un recours contentieux devant le juge administratif pour contester ce refus de communication. Mais force est de constater que le droit positif ne lui est pas nécessairement favorable. Certes, l'article L 151-8 du code de commerce prévoit que "à l'occasion d'une instance relative à une atteinte au secret des affaires, le secret n'est pas opposable lorsque son obtention, son utilisation ou sa divulgation est intervenue (...) pour exercer le droit à la liberté d'expression et de communication, y compris le respect de la liberté de la presse". Cette même disposition élargit la protection aux lanceurs d'alerte. Certes, mais en l'espèce, Le Monde n'est pas poursuivi pour avoir diffusé une information couverte par le secret des affaires. Il se voit seulement opposer un refus de communication, en l'absence de toute diffusion. Le résultat est, une fois encore, digne de Kafka, car la liberté de presse serait mieux traitée si le journal avait obtenu l'information par une source anonyme. Il pourrait alors invoquer à la fois l'article 151-8 du code de commerce et le secret des sources.
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