Démocratie représentative et démocratie directe
Cette remise en cause radicale de l'effectivité de l'article 6, même si elle est dépourvue de tout fondement juridique, constitue tout de même un témoignage intéressant de la crise que traverse notre système démocratique. Certes des élections ont lieu, élections disputées et pluralistes, et ceux qui sont élus ne sont aucunement dépourvus de légitimité. Mais la loi elle-même est mise en cause. Pervertie par les lobbies, dénaturée par un Exécutif qui a tendance à l'utiliser à des fins de communication, la loi n'est plus perçue comme l'expression de la volonté générale. Le référendum d'initiative populaire apparaît alors comme une solution.
La nostalgie de 1793
Contrairement à ce qu'affirment certains de ses promoteurs, l'idée est loin d'être nouvelle. La Constitution montagnarde de l'an I comportait un article 59 qui énonçait que les lois votées par le Corps législatif n'entreraient en vigueur qu'à l'issue d'une période de quarante jours. Durant ce délai, il était possible à au moins 1/10e des assemblées primaires, dans la moitié des départements, de faire opposition pour qu'un référendum national soit organisé. Le peuple pouvait donc opposer un véritable veto à la loi votée.
Comme on le sait, la constitution de 1793, "suspendue jusqu'à la paix", ne fut jamais appliquée. Elle a disparu avec ses promoteurs, lors de la chute de la Montagne, le 9 Thermidor an II. Mais elle est demeurée une icône de la gauche et lors du débat constitutionnel de juillet 2018, les députés de France Insoumise suggéraient même d'inscrire la Déclaration des droits de l'homme de 1793 dans l'actuel bloc de constitutionnalité aux côtés de la Déclaration de 1789.
L'idée d'un référendum d'initiative citoyenne va évidemment bien au-delà du dispositif de 1793. Il s'agit cette fois de leur offrir à la fois l'initiative et le vote de la loi. Cette revendication s'inscrit aussi dans une histoire beaucoup plus récente,
Le référendum d'initiative partagée
La révision constitutionnelle initiée par Nicolas Sarkozy a conduit en effet à une modification de la rédaction de l'article 11, la disposition qui précisément a trait au référendum. A l'époque, le Président de la République avait annoncé vouloir "redonner la parole au peuple français", mais la procédure adoptée ne correspondait guère à la présentation qui en avait été faite.
L'article 11 était modifié par l'ajoute des dispositions suivantes : "Un référendum portant sur un objet mentionné au premier alinéa peut être organisé à l'initiative d'un cinquième des membres du Parlement, soutenue par un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales. Cette initiative prend la forme d'une proposition de loi et ne peut avoir pour objet l'abrogation d'une disposition législative promulguée depuis moins d'un an". Cette procédure ne peut intervenir que dans le champ de l'article 11, ce qui signifie que la consultation populaire ne peut concerner que l'organisation des pouvoirs publics, ou les réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale.
Adoptées par la révision de 2008, ces dispositions sont demeurées lettre morte durant tout le quinquennat de Nicolas Sarkozy. Une loi organique et une loi ordinaire destinées à assurer leur mise en oeuvre ont bien été votées en première lecture, en janvier 2012, soit quatre ans après la révision. Mais la procédure n'a été achevée qu'après l'alternance, durant le quinquennat de François Hollande. Les parlementaires ont alors adopté la loi organique et la loi ordinaire du 7 décembre 2013 sans aucun enthousiasme.
L'examen de la procédure ne peut que décevoir les partisans du RIC. L'initiative n'appartient pas aux électeurs mais au parlement dont 1/5è des membres doivent déposer une proposition de loi, dans les conditions du droit commun. Le peuple n'intervient qu'ensuite, pour appuyer l'initiative parlementaire par une sorte de droit de pétition modernisé. Pour qu'un référendum ait lieu, il faut en effet le soutien d'1/10e de l'électorat, soit environ 4 500 000 électeurs.
Mais cela n'est pas encore suffisant, car le parlement conserve le contrôle de la procédure. Si le nombre de 4 500 000 signatures est atteint, le Conseil constitutionnel publie au Journal officiel une décision mentionnant que l'initiative parlementaire a obtenu le soutien du 1/10e des électeurs. A l'issue d'un délai de six mois après cette publication, le Président de la République la soumet à référendum... sauf si le parlement en décide autrement. Cela peut sembler compliqué, mais c'est très simple. Le texte exige seulement que le parlement "examine" le texte une fois (art. 9 de la loi organique). Il n'a pas besoin de susciter un vote, mais doit seulement inscrire le texte à l'ordre du jour et susciter un unique débat dans chaque assemblée. Une fois cette procédure respectée, la proposition de référendum peut tranquillement être enterrée par le parlement, comme sont enterrés les espoirs de ceux qui auraient eu la naïveté de croire que cette réforme avait pour but de "redonner la parole au peuple".
Dans de telles conditions, la procédure n'a guère séduit. Elle est d'autant moins attractive que l'initiative ne peut intervenir hors du champ d'application du référendum de l'article 11, ce qui interdit toute intervention dans le domaine des libertés publiques. Il est en outre pratiquement impossible de réunir la signature d'1/10e des électeurs. On se souvient que les groupes hostiles au mariage des couples de même sexe, pourtant extrêmement mobilisés, ne sont parvenus qu'à 690 000 signatures, nombre bien éloigné des 4 500 000 exigées par le texte.
Le référendum d'initiative partagée est donc un leurre et les Français sont certainement conscients d'avoir été dupés. La revendication d'aujourd'hui témoigne de cette frustration et rend nécessaire une nouvelle réflexion sur le sujet. Il existe des pays comme la Suisse, où le référendum d'initiative populaire existe, dans une organisation pacifiée et consensuelle. Ce nouveau débat est d'autant plus urgent que ces thèmes ne doivent pas demeurer le monopole de mouvements politiques qui confondent la démocratie avec le pouvoir de la rue. Le Président Macron a, quant à lui, souhaité une révision constitutionnelle. Le débat sur ce projet a commencé à l'Assemblée, mais il a été interrompu il y a plusieurs mois après une première discussion désultoire et peu convaincante. Pourquoi ne pas reprendre la discussion en mettant à l'ordre du jour le référendum d'initiative citoyenne ? La réforme présenterait bien des avantages, muscler la révision existante, renforcer la démocratie et accessoirement donner satisfaction aux Gilets Jaunes sans aucune ponction budgétaire.
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