Dans un discours prononcé le 13
juillet à la Direction générale de la Sécurité intérieure (DGSI), le Premier
ministre a dévoilé les grandes lignes du « Plan d’action contre le terrorisme » (PACT) qui succède au « Plan d’action contre la radicalisation
et le terrorisme » (PART) mis en place il y a deux ans. Les acronymes
évoluent avec l’analyse de la menace. Edouard Philippe constate que la perte de
ses territoires par Daesch renforce le risque d’un terrorisme endogène, accru
par le retour de certains combattants de la zone syro-irakienne. Cette menace
diffuse est d’autant plus présente sur le territoire que la radicalisation
violente se développe et que les moyens utilisés sont le plus souvent
rudimentaires.
Le plan affiche « 32 actions destinées à renforcer nos
dispositifs de lutte contre le terrorisme », mesures permanentes
témoignant d’une politique publique à long terme. Ce processus était déjà
engagé avec la loi du 30 octobre 2017 qui prononçait la sortie de l’état
d’urgence mais intégrait dans le droit positif la plupart des mesures qui
avaient marqué sa mise en oeuvre. Le terrorisme est donc désormais perçu comme
un élément contextuel de notre société et de son système juridique. Si ces
« 32 actions » n’ont pas toutes une portée juridique, certaines
imposent cependant une adaptation du droit positif. Elles sont autant de têtes
de chapitres qui devront ensuite être précisées de manière à former un ensemble
cohérent. Il reste à espérer qu’un projet de loi permettra au parlement de se
prononcer sur cette politique et d’en préciser l’articulation. Les mesures
annoncées se situent sur trois plans, judiciaire, administratif, et sur celui
des libertés publiques.
La création d’un Parquet national antiterroriste
L’annonce de la création du
nouveau Parquet national anti-terroriste (PNAT) constitue l’innovation la plus
médiatisée. Cette institution nouvelle est à l’évidence inspirée par le succès
incontestable du Parquet national financier qui, depuis 2013, a su développer
considérablement la lutte contre la corruption. Il n’empêche que la création du
PNAT est une surprise, car beaucoup de magistrats doutaient de son efficacité,
estimant que l’organisation actuelle qui rattache l’activité anti-terroriste
aux compétences du procureur de Paris avait fait ses preuves. Retiré du projet
de loi présenté le 20 avril par Nicole Belloubet, le PNAT reparaît aujourd’hui,
après que le procureur Molins ait été nommé procureur général près la Cour de
cassation. Pour apaiser les tensions, le premier ministre annonce que sa
centralisation sera contrebalancée par la désignation de procureurs délégués
anti-terroristes « au sein des
parquets territoriaux les plus exposés ». La formulation peut
surprendre, si l’on considère que des attentats sont susceptibles de se
produire n’importe où et qu’il n’existe plus de zones non exposées à cette
menace. Quoi qu’il en soit, un projet de loi devra préciser les compétences du
PNAT et des moyens juridiques et humains dont il sera doté.
La gouvernance de l’action contre le terrorisme
Le point qui suscite le plus
d’interrogations est sans doute la question de la gouvernance de la lutte
contre le terrorisme. Le premier ministre attribue en effet à la DGSI un rôle
inédit « de chef de file
opérationnel de la lutte anti-terroriste sur le territoire national ».
Celle-ci ne manque pourtant pas de responsables. Le Coordonnateur du
renseignement et de la lutte contre le terrorisme, directement rattaché au
Président de la République, a une mission générale d’orientation stratégique et
de développement de la coopération internationale. Le Secrétariat général de la
défense et de la sécurité nationale (SGDSN), rattaché au Premier ministre,
exerce, quant à lui, une fonction interministérielle d’adaptation de la posture
de protection à la menace. De toute évidence, l’actuel Exécutif préfère
renforcer le ministère de l’intérieur, et le SGDSN n’est plus mentionné qu’à
propos de son rôle d’élaboration des plans Pirate et Sentinelle. Quelle sera
l’étendue de ce rôle de chef de file de la DGSI ? Ira-t-il jusqu’à lui
permettre de revendiquer le contrôle de certains services, comme le pôle
national de cryptanalyse et de décryptage, actuellement placé sous l’autorité
du renseignement extérieur (DGSE) ? Pour le moment, on l’ignore, et
nous l’ignorerons probablement toujours car ce type d’organisation relève de
textes classifiés.
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Plan d'action contre le
terrorisme
PowerPoint présenté par des membres des forces armées
américaines
au Général Mac Chrystal, à Kaboul, en 2010
Secret et libertés publiques
S’il y a un tissu conjonctif dans
l’ensemble de ce dispositif, c’est le secret. Il n’est pas surprenant qu’une partie des actions du PACT soient
couvertes par le secret défense, mais il est plus surprenant que le Premier
ministre le reconnaisse publiquement. En effet, le secret s’étend juridiquement
à sa propre existence, et il n’est pas fréquent que l’on communique sur des
mesures confidentielles, dont, par hypothèse, on ne peut rien révéler.
Le PACT déroge quelque peu au
droit commun, non pas en renforçant les recours des individus, mais en ouvrant
la possibilité d’un secret partagé, permettant d’associer les élus locaux à la
prévention du terrorisme. Des conventions conclues entre le préfet, le
procureur et les maires devraient permettre l’échange d’informations à
caractère confidentiel. Cette mesure répond évidemment à la demande des maires
qui se plaignaient de ne pas être informés du nom des « fichés S »
résidant sur le territoire de leur commune. On peut comprendre cette
préoccupation, mais, en l’état actuel du droit, il est difficile de déroger aux
règles du secret défense par une simple convention. Il sera donc nécessaire,
soit de voter une loi permettant d’écarter au profit des élus les dispositions
du code pénal qui font de la compromission du secret défense une infraction
punie de cinq ans d’emprisonnement et 75 000 € d’amende, soit d’habiliter
secret défense tout ou partie des 36 000 maires de France.
Conformément au droit commun, le
secret demeure opposable au juge et la protection des libertés dans ce domaine
risque d’être limitée à ce qui existe déjà, c’est-à-dire les vérifications
faites par les autorités indépendantes comme la Commission nationale de
l’informatique et des libertés (CNIL) ou la Commission nationale de contrôle
des techniques de renseignement (CNCTR). Lorsqu’une personne pense que ses
données personnelles figurent dans un fichier de sécurité ou que ses
communications sont interceptées dans un but de renseignement, elle peut saisir
l’autorité compétente qui exigera d’éventuelles rectifications, mais , à
l’issue de la procédure, lui dira seulement, et sans davantage de précision,
…
que les vérifications utiles ont été
faites.
Sur la lutte contre le terrorisme : Chapitres 2, 5 sect. 1 § 2, 8 sect. 4 § 2 du manuel de Libertés publiques sur internet , version e-book, ou version papier.
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