La
loi du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes est désormais en vigueur. Comme la plupart des textes législatifs, elle a été adoptée par la procédure accélérée et n'a donc donné lieu qu'à une seule lecture dans chaque assemblée. Le vote final, après commission mixte paritaire, a été acquis à l'Assemblée nationale par 92 voix pour et 8 abstentions, ce qui signifie que 477 députés étaient absents. Les présents n'en ont sans doute que plus de mérite.
L'article 34 de la Constitution comme instrument de communication
Il est vrai que ce texte avait d'abord une vertu "communicante", dès lors que certaines de ses dispositions auraient pu, et même dû, être adoptées par la voie réglementaire. C'est ainsi que l'article 15 qui crée l'infraction d'outrage sexiste figure désormais, loi oblige, dans la partie législative du code pénal. Un nouvel article 621-1 est ajouté à un titre VI qui traite "
des contraventions". Le titre VI qui traite "
des contraventions" est désormais composé de deux articles,
l'article 611-1 qui punit d'une contravention de 5è classe les clients les clients d'une personne qui se livre à la prostitution, et l'article 621-1 qui réprime d'une contravention de 4è classe le fait "
d'imposer à une personne tout propos ou comportement à connotation
sexuelle ou sexiste qui soit porte atteinte à sa dignité en raison de
son caractère dégradant ou humiliant, soit crée à son encontre une
situation intimidante, hostile ou offensante ".
Les autres contraventions prévues par le code pénal figurent toutes dans sa partie réglementaire, conformément à l'article 34 de la Constitution qui réserve au pouvoir législatif "la détermination des crimes et délits ainsi que les peines qui leur sont applicables". Dans son avis sur la loi du 3 août 2018, le Conseil d'Etat pourtant préconisé le respect du partage des compétences prévu par l'article 34 de la Constitution. Il avait ainsi "suggéré" "au Gouvernement de lui présenter pour avis un projet de décret créant cette nouvelle contravention". Il n'a évidemment pas été entendu.
Les dispositions figurant dans le nouveau titre VI du code pénal ne sont pas pour autant inconstitutionnelles. Le Conseil constitutionnel, depuis sa
décision du 20 juillet 1983 déclare en effet conforme à la Constitution les dispositions législatives intervenues dans le domaine réglementaire, lorsque le gouvernement n'a pas utilisé les différentes procédures que la Constitution met à sa disposition pour le protéger contre d'éventuels empiètements du pouvoir législatif (articles 37 al. 2 et 41 de la Constitution). Ainsi, le Conseil, institué en 1958 pour faire respecter la distinction entre l'article 37 et l'article 34 semble s'en désintéresser, ce qui est un étrange conception de sa mission. Pourquoi ne pas appliquer ce raisonnement à toutes les lois inconstitutionnelles, puisque, par définition, gouvernement et parlement ont été d'accord ?
Si le choix de recourir à la loi n'est pas inconstitutionnel, il témoigne toutefois d'une utilisation nouvelle de la distinction entre la loi et le règlement mise en place par la Constitution. Alors que sont en principe réservées à la loi les matières énumérées dans l'article 34, un tout autre critère répartiteur de compétence est désormais utilisé : relève du domaine de la loi les matières sur lesquelles l'Exécutif entend communiquer, et tant pis pour le partage prévu par la Constitution.
Les violences sexistes
Précisément, les violences sexistes sont un domaine dans lequel il fait bon communiquer. Qui oserait en effet défendre les auteurs de ces harcèlements ? Qui oserait même saisir le Conseil constitutionnel de ce texte ? En tout état de cause, il faudra attendre les futures QPC pour, éventuellement, s'assurer de la constitutionnalité du texte.
S'il est vrai que le harcèlement de rue est une pratique totalement inacceptable, il n'en demeure pas moins que la définition donnée par la loi n'est pas extrêmement claire. Elle est en effet de nature essentiellement psychologique. L'outrage sexiste est celui que la victime considère comme "dégradant ou humiliant", ou la mettant en situation "intimidante, hostile ou offensante". Le problème est que tout le monde n'est pas humilié ou offensé par les mêmes propos ou par les mêmes attitudes. Dans son avis, le Conseil d'Etat ne s'est pas penché sur cette question, tout simplement parce qu'il a renvoyé ses dispositions au pouvoir réglementaire... Il appartiendra aux juges du fond de donner une définition claire des comportements incriminés et, éventuellement, de transmettre une QPC reposant sur l'atteinte éventuelle aux principes de clarté et de lisibilité de la loi.
Observons que le législateur n'a pas davantage tenu compte de l'avis du Conseil d'Etat sur le "stage de lutte contre le sexisme", peine complémentaire prévue par la loi. Il déclarait "douter de sa nécessité", la liste de ces peines complémentaires étant déjà fort longue. Peu importe, le législateur passe outre, et le contrevenant peut désormais être condamné au "stage de lutte contre le sexisme" ainsi qu'à un "stage de citoyenneté", un "stage de
sensibilisation à la lutte contre l'achat d'actes sexuels" et un "stage "de responsabilisation pour la prévention et la lutte contre les violences
au sein du couple et les violences sexiste".
Sous les jupes des filles. Alain Souchon. 1993
Le régime de prescription
Réintégrant cette fois le domaine de la loi, l'article 1er de la loi prescrit l'action publique des crimes de nature
sexuelle ou violente commis sur les mineurs par trente années révolues à
compter de la majorité de la victime. Il s'agit donc d'établir une
dérogation à l'
article 7 du code de procédure pénale, qui prévoit un délai de prescription de vingt années en matière criminelle, "
à compter du jour où l'infraction a été commise". Cette formulation reprend la proposition du
rapport rédigé par Flavie Flament en
avril 2017. La victime d'un crime commis sur mineur pourra ainsi porter
plainte, jusqu'à ce qu'elle ait atteint l'âge de quarante-huit ans.
L'idée est de donner aux victimes le temps nécessaire à la dénonciation
des faits, en particulier de tenir compte du phénomène d'amnésie
traumatique propre aux agressions perpétrées contre des enfants.
Le Conseil constitutionnel, depuis sa
décision du 22 janvier 1999,
estime qu'aucun principe de valeur constitutionnelle n'interdit au
législateur de fixer des délais de prescription dérogatoires ou de
rendre un crime imprescriptible. Encore faut-il cependant que cette
dérogation n'entraine pas une différence de traitement injustifiée. Le
Conseil constitutionnel contrôle ainsi, comme il l'a fait dans sa
décision QPC du 12 avril 2013,
la justification et la proportionnalité des délais de prescription, en
particulier au regard du principe d'égalité devant la loi. Dans son avis sur la loi du 3 août 2018, le Conseil d'Etat mettait en garde les auteurs du projet de loi contre une "
disposition
qui viendrait à créer une différence de traitement injustifiée pourrait
en revanche encourir une censure du Conseil constitutionnel".
Certes, le Conseil d'Etat ajoute ensuite que le projet apporte des
justifications à l'appui de ce régime dérogatoire, mais le risque
d'inconstitutionnalité n'est tout de même pas totalement écarté, si l'on considère que le délai de prescription pour un viol sur mineur sera largement plus long que celui appliqué aux personnes coupables
d'un assassinat. Là encore, il faudra attendre une QPC pour être assuré de la constitutionnalité de cette disposition.
Les abus sexuels sur mineurs de quinze ans
L'article 2 de la loi vise à empêcher que les poursuites contres personnes ayant commis des abus sexuels sur des mineurs de quinze ans soient entravées par l'existence d'un consentement de l'enfant. A l'origine, la ministre de la justice avait annoncé son intention d'établir dans ce cas une "présomption de non-consentement". Heureusement, la loi ne reprend pas cette idée un peu étrange qui conduisait à établir une présomption de
culpabilité de la personne majeure, principe totalement incompatible avec l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen qui proclame le caractère général et absolu de la présomption d'innocence, et avec la
jurisprudence du Conseil constitutionnel qui en garantit le respect.
La loi préfère donc affirmer que « la contrainte morale ou la surprise sont caractérisées par l’abus de
vulnérabilité de la victime ne disposant pas du discernement nécessaire
pour ces actes ». Cette contrainte morale peut résulter « de la différence d’âge existant
entre la victime et l’auteur des faits et de l’autorité de droit ou de
fait que celui-ci exerce sur la victime, cette autorité de fait pouvant
être caractérisée par une différence d’âge significative entre la
victime mineure et l’auteur majeur ». Il s'agit donc d'offrir aux juges d'atténuer l'effet du consentement du mineur. La jurisprudence devra évidemment préciser selon quels critères cette différence d'âge est appréciée, âge des protagonistes, maturité ou immaturité de la victime, vulnérabilité particulière etc.
La loi du 3 août 2018 est entrée en vigueur, mais de grandes incertitudes subsistent sur sa mise en oeuvre, voire, pour certaines dispositions, sur sa constitutionnalité. La tendance du législateur serait-elle de voter des textes imprécis en laissant ensuite les juges se débrouiller au mieux ? Les réponses aux questions posées interviendront au fil de la jurisprudence. Il reste cependant à espérer que le harcèlement de rue ne donnera lieu à aucun recours, la peur du gendarme ayant conduit les harceleurs à renoncer à leur coupable activité.
À quand la première contravention à une femme avec une tenue/démarche excessivement aguichante devant un homme ayant une morale suffisamment stricte pour trouver offensant qu'elle croit qu'il puisse être intéressé/client d'une telle femme?
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