Un service public
Une privatisation qui avance masquée
Le CNAPS
La Cour des comptes ne peut évidemment pas répondre à cette question, mais elle note l'absence d'investissement de l'Etat dans l'institution. Le préfet représentant l'Etat n'est jamais venu siéger au collège dont il est membre. En même temps, les professionnels exercent sans vergogne leur domination, et l'on apprend qu'ils ont refusé de voter le budget en 2014. D'une manière générale, la Cour des comptes observe que le CNAPS fonctionne davantage comme un ordre professionnel que comme un établissement public.
L'impression est confortée par l'analyse des résultats, tant sur le plan du pouvoir disciplinaire que sur celui des activités de police administrative.
Le pouvoir disciplinaire
Le CNAPS a été doté d'un pouvoir disciplinaire, dans le but de moraliser une profession non encadrée et mal contrôlée.
Il fait état d'une croissance de 344 % des poursuites entre 2013 et 2016. Les contrôles sur les entreprises ont été développés, mais l'approche quantitative masque la réalité des choses. Si le CNAPS prononce parfois des interdictions temporaires d'exercer, elles sont peu respectées, d'autant que l'incrimination pénale permettant de poursuivre les contrevenants n'a été créée qu'en 2017 et qu'il ne s'est préoccupé qu'à ce même date du contrôle de l'exécution de ces interdictions. Quant aux sanctions financières, leur taux de recouvrement est inférieur à 30 %, ce qui porte évidemment atteinte à leur caractère dissuasif. Enfin, on dénombre 200 retraits d'autorisation par an, alors que plus de 350 000 titres sont actuellement en circulation.
Doit-on en déduire que cette croissance des sanctions disciplinaires constitue un écran de fumée destiné à masquer une absence de contrôle sérieux ? Il est difficile de répondre à cette question. En revanche, la procédure d'octroi des autorisations d'exercer révèle une volonté délibérée de soustraire cette profession au contrôle de l'Etat.
L'octroi des titres
Il appartient au CNAPS de délivrer les autorisations d'exercer une activité de sécurité privée. L'institution apprécie sa performance au regard de la rapidité de réponse, et se félicite que l'on puisse désormais obtenir une autorisation en moins d'une semaine. En revanche, la question du filtrage n'est pas posée par le CNAPS, car 92, 7 % des demandes sont satisfaites.
Or c'est précisément sur ce point que porte la critique la plus grave de la Cour des comptes. Pour exercer une activité privée de sécurité, il faut, selon les textes, remplir des conditions de moralité publique, d'aptitude professionnelle, et de séjour régulier en France.
La condition de qualification professionnelle ne donne lieu à aucun contrôle réel, tout simplement parce que les formations dispensées dans ce domaine demeurent embryonnaires. Quant à la condition liée au titre de séjour, la Cour observe que, lors d'un contrôle de la sécurité d'une grande gare parisienne, elle s'est aperçue que les gardes étaient réalisées par des étrangers en situation irrégulière.
Mais la condition la moins respectée est celle de moralité publique. Toujours dans l'Understatement, la Cour observe que "les services du CNAPS ont une interprétation aussi hétérogène que souple au niveau de la moralité attendue". Ils ont ainsi dressé une liste d'infractions qui, lorsqu'elles sont inscrites sur le casier judiciaire, n'empêchent pas d'obtenir l'autorisation. On y trouve, pêle-mêle, les violences conjugales, les outrages à personne dépositaire de l'autorité publique, l'usage et la détention de stupéfiants, l'abus de confiance, le faux et usage de faux... De fait, la Cour note qu'une personne ayant 31 condamnations à son actif a obtenu, sans difficulté, une autorisation d'exercer des activités dans la sécurité privée.
On pourrait considérer que la sécurité privée participe à la réinsertion des anciens délinquants, et que ceux qui ont mal tourné, les mauvais sujets repentis, peuvent se tourner vers ce secteur. S'agit-il d'n avatar de la jurisprudence Vidocq ? Sans doute, mais ce n'est pas ce que dit la loi quand elle impose une condition de moralité. La plupart des services publics comme la RATP ou la SNCF exigent d'ailleurs un casier judiciaire vierge comme condition de recrutement des personnels chargés de la sécurité. Le CNAPS, quant à lui, détourne la loi en écartant de facto la condition de moralité. Il ne se l'applique pas davantage à lui-même, et la Cour des comptes fait état d'un cas de corruption, un agent du CNAPS ayant accepté, contre rémunération, de "blanchir" un dossier du traitement des antécédents judiciaires (TAJ).
Un avertissement
Le rapport de la Cour de comptes s'analyse comme un véritable avertissement adressé aux pouvoirs publics. L'avertissement est salutaire même si l'intervention de la Cour des comptes est un peu tardive, au moment précis où Alain Bauer a quitté ses fonctions. Le rapport remet en effet brutalement en question l'élargissement constant des prérogatives accordées aux entreprises de sécurité privée depuis 2011. Un décret du 29 décembre 2017 autorise ainsi le port d'armes non létales par les agents privés chargés de la surveillance de lieux accueillant du public. Le 5 février 2018, le ministre de l'intérieur a chargé deux parlementaire, dont l'ancien patron du Raid Jean-Michel Fauvergue, de réfléchir sur un approfondissement de la coopération entre les différents acteurs de la sécurité. Depuis, on bat un peu en retraite, et on annonce qu'ils aussi pour mission de définir une doctrine d'emploi... Il serait temps. Quoi qu'il en soit, il appartient désormais à l'Etat de reprendre le contrôle du secteur et de supprimer une institution qui s'est mise au service du secteur privé de la sécurité.
Reste à savoir, mais il s'agit là de simple curiosité, si Alain Bauer devra rendre compte de cette action catastrophique. Si l'on considère l'indéfectible protection dont il a bénéficié de la part des différents gouvernements qui se sont succédé, il est plus probable qu'il sera proposé pour une nouvelle promotion dans l'Ordre de la Légion d'honneur.
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