Le 1er décembre 2017, le Conseil constitutionnel a rendu une décision
Ligue des droits de l'homme, qui déclare inconstitutionnelles les dispositions législatives autorisant le contrôle d'identité, la fouille des bagages et des véhicules sur le fondement de l'état d'urgence.
Il s'agit certes d'une décision d'inconstitutionnalité, mais sa principale caractéristique est d'être dépourvue de toute conséquence juridique D'une part, la décision intervient un mois après la sortie de l'état d'urgence, et aucune mesure de contrôle d'identité ou de fouille des bagages et des véhicules ne peut plus intervenir sur ce fondement. D'autre part, le Conseil repousse l'abrogation de la disposition inconstitutionnelle au 30 juin 2018, ce qui signifie que les éventuelles poursuites pénales engagées à la suite de telles opérations ne sont pas dépourvues de base légale. En clair, la décision du Conseil fait plaisir à tout le monde. La
Ligue des droits de l'homme requérante peut diffuser un communiqué triomphant, car il s'agit d'une victoire incontestable. Les autorités publiques, quant à elles, ne sont sans doute pas affectées par une annulation qui n'a pas d'impact juridique immédiat.
La disposition contestée est l'article 8-1 de la loi du 3 avril 1955, dans sa rédaction issue de la
loi du 21 juillet 2016 : "
Le préfet peut autoriser, par
décision motivée, les officiers de police
judiciaire et, sous leur responsabilité, les agents de police judiciaire
et certains agents de police judiciaire adjoints à
procéder à des contrôles d'identité, à
l'inspection visuelle et à la fouille des bagages ainsi qu'à la visite
des véhicules circulant, arrêtés
ou stationnant sur la voie publique ou dans des
lieux accessibles au public." Cette disposition a été très largement utilisée par l'Exécutif. De juillet à décembre 2016, le
rapport Raimbourg-Poisson dénombre ainsi 1650 arrêtés décidant de tels contrôles.
Recours tardif, décision tardive
Il peut sembler surprenant qu'une disposition aussi largement employée n'ait fait l'objet d'un recours qu'au moment précis où ce dernier ne présentait plus d'intérêt concret. D'autres dispositions de cette même loi du 21 juillet 2016 avaient pourtant déjà été déclarées inconstitutionnelle, en particulier celles organisant la saisie de données informatiques lors des visites domiciliaires sanctionnée par une
décision QPC du 2 décembre 2016. D'une manière générale, et même en dehors de tout état d'urgence, les décisions de recourir à un contrôle d'identité ont une durée de vie limitée. Le préfet autorise les forces de police à procéder à des contrôles durant quelques heures et dans un espace précisément délimité. L'article 8 al. 2 de la loi de 1955 précise que la durée de tels contrôles ne saurait excéder 24 heures, durée
d'ailleurs exactement identique à celle qui est imposée aux contrôles intervenant en matière judiciaire.
Le problème est que le recours contre les contrôles d'identité ne peut ainsi intervenir qu'
a posteriori. Il est matériellement impossible de contester immédiatement l'acte qui en décide. N'étant pas publié, mais seulement notifié aux autorités chargées de procéder aux contrôles d'identité, il n'est pas opposable aux tiers et demeure insusceptible de recours. Ce n'est pas illogique, d'abord parce qu'il suffirait aux délinquants de lire le journal officiel pour connaître l'emplacement et l'heure des contrôles de police, ensuite parce que, au moment où il intervient, l'acte qui décide un contrôle ne fait encore grief à personne.
Quoi qu'il en soit, le contrôle juridictionnel ne peut intervenir que lorsqu'une personne fait l'objet de poursuites après un contrôle d'identité. Elle peut alors obtenir la nullité de la procédure, si le contrôle était irrégulier,
par exemple discriminatoire. Dans le cas de l'article 8 al. 1 de la loi de 1955, force est de constater qu'il n'y a pas de traces de tels recours. C'est donc la
Ligue des droits de l'homme qui s'est chargée de défendre les intérêts des personnes potentiellement visées par un contrôle d'identité sur le fondement de l'état d'urgence. Elle estime que le texte contesté viole la liberté de circulation, le droit au respect de la vie privée, l'égalité devant la loi et le droit à un recours juridictionnel effectif.
De tous ces moyens, le Conseil en a retenu deux, les atteintes à la liberté de circulation et à la vie privée, également garanties par l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Dès lors qu'ils justifient une déclaration d'inconstitutionnalité, les autres sont écartés, "
sans qu'il soit besoin d'examiner les autres griefs".
Le principe d'égalité ne pouvait certes fonder une déclaration d'inconstitutionnalité. Depuis sa
décision du 5 août 1993, le Conseil estime en effet que le contrôle d'identité décidé dans une zone clairement définie ne saurait porter atteinte au principe d'égalité, dès lors qu'il existe des risques particuliers d'infraction ou d'atteintes à l'ordre public.
Poète vos papiers. Léo Ferré. 1970
Le rapprochement avec le droit commun
Cette jurisprudence inspire pourtant le Conseil constitutionnel dans sa décision du 1er décembre 2017, même s'il s'agit, rappelons-le, de contrôles d'identité administratifs et non plus judiciaires. Il effectue en effet un test de proportionnalité, évaluant la conciliation opérée par la loi entre d'une part l'objectif constitutionnel de sauvegarde de l'ordre public, et d'autre part la liberté de circulation et le droit au respect de la vie privée. Aux yeux du Conseil, le contrôle d'identité sous état d'urgence n'est pas, en soi, inconstitutionnel. Mais il le devient si "
la pratique de ces opérations est généralisée et discrétionnaire". Or la loi de 2016 l'autorise, de manière indifférenciée, en tout lieu et dans toutes les zones où s'applique l'état d'urgence, c'est à dire concrètement sur tout le territoire national. Aucune circonstance particulière de nature à établir le risque d'atteinte à l'ordre public dans les lieux ainsi visés n'est exigée. C'est précisément ce que sanctionne le Conseil.
Sur ce point, le Conseil constitutionnel rejoint clairement la décision rendue par la
Cour de cassation le 13 septembre 2017, qui sanctionne une mesure de rétention administrative touchant un étranger en situation irrégulière, mesure intervenue à la suite d'un contrôle effectué sur le fondement de l'état d'urgence. Pour la Cour, la simple motivation du contrôle par une référence stéréotypée à
Vigipirate et à l'état d'urgence ne suffit pas à justifier le contrôle.
Un substitut au détournement de procédure
La décision du Conseil replace ainsi les contrôles d'identité fondés sur l'état d'urgence dans le droit commun des contrôles de police administrative. Depuis le 1er novembre 2017, ils ont, en tout état de cause, disparu, et le droit commun s'appliquait donc déjà avant l'intervention du Conseil. On observe d'ailleurs que
la loi du 31 octobre 2017, pourtant accusée de "pérenniser l'état d'urgence", n'a pas cru bon de reprendre les dispositions relatives au contrôle d'identité. En se bornant à élargir la zone des contrôles frontaliers, elle répond aux conditions posées par le Conseil.
Si elle n'a aucun intérêt pratique, la décision témoigne cependant d'une certaine forme d'avertissement. En effet, dans les pièces utilisées par le Conseil pour effectuer son contrôle, on trouve des extraits du rapport Raimbourg-Poisson particulièrement accablant pour l'administration. Celle-ci a fait usage de cette procédure en dehors de toute circonstance d'urgence et d'exception. Elle a utilisé le contrôle d'identité d'état d'urgence à la place du contrôle de police administrative ordinaire, tout simplement pour éviter d'avoir à motiver sa décision, pour échapper à l'obligation de faire état de circonstances particulières constituant une menace pour l'ordre public. Considérée sous cet angle, la décision du Conseil constitutionnel ressemble à une sanction pour détournement de procédure.
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