Les poursuites disciplinaires
Hergé. Le secret de La Licorne. 1943 |
Depuis l'arrêt Malone c. Royaume-Uni du 2 août 1984 jusqu'à l'arrêt Pruteanu c. Roumanie du 3 février 2015, la Cour européenne considère que les communications téléphoniques relèvent de la vie privée et que le secret de la correspondance en fait partie. Il importe peu que ces écoutes aient effectuées sur la ligne d'un tiers (CEDH, 24 août 1998, Lambert c. France ; CEDH, 19 novembre 2013, Ulariu c. Roumanie). Toute interception, transcription et utilisation d'une communication téléphonique dans une procédure pénale constitue donc, en soi, une ingérence dans la vie privée, au sens de l'article 8 de la Convention européenne.
Une ingérence prévue par la loi
Le but légitime
La seconde condition de licéité de l'ingérence dans la vie privée réside dans le "but légitime" poursuivi par la procédure. Sur ce point, l'arrêt ne fait que reprendre une première décision d'irrecevabilité rendue sur saisine de M. Picart qui avait déjà contesté les interceptions dont il avait fait l'objet devant la Cour européenne. Dans un arrêt du 18 mars 2008, la Cour avait alors estimé que cette procédure poursuivait l'un des buts énumérés par l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme : "la défense de l'ordre et la prévention des infractions pénales". Il en est de même dans le cas de l'interception contestée par l'avocat de M. Picart.
Le contrôle de proportionnalité
Enfin, la troisième et dernière condition posée par l'article 8 est la nécessité de l'ingérence dans une société démocratique, notion qui conduit la Cour européenne à exercer un contrôle de proportionnalité entre l'interception et le but légitime poursuivi. En l'espèce, les avocats requérants invoquent la jurisprudence Matheron c. France du 29 mars 2005 qui affirme que l'intéressé doit pouvoir contester devant un juge la régularité des écoutes téléphoniques utilisées à son encontre. Or, on se souvient que les deux avocats ont été l'objet de poursuites disciplinaires et n'ont donc pas pu saisir la chambre de l'instruction, compétente dans ce domaine.
La Cour fait cependant observer que les juges français, puis la Cour européenne, se sont déjà prononcés sur saisine de M. Picart, et ont considéré que les écoutes dont il avait fait l'objet, y compris la conversation avec Maître Crasnianski du 17 décembre 2002 , étaient parfaitement "nécessaires dans une société démocratique". Certes, ce n'est plus M. Picart qui saisit la Cour mais ses avocats. La conversation contestée est néanmoins la même, et l'écoute comme la transcription ont donc déjà été considérées comme licites.
La Cour ne peut cependant interrompre à ce stade son analyse dès lors que les requérants n'étaient pas parties à sa précédente décision. Elle rappelle donc que ces derniers ont pu obtenir un examen de la légalité des écoutes durant la procédure disciplinaire dont ils ont fait l'objet. Ils ont donc bénéficié d'un contrôle "efficace" même s'il ne s'inscrivait pas dans une procédure pénale.
Au-delà de l'affaire qu'elle examine, la Cour européenne prend une décision de principe en refusant de considérer comme confidentielle toute conversation entre un avocat et son client. Elle oppose donc une fin de non-recevoir aux revendications d'un secret absolu.
L'échec d'une revendication
La Cour se réfère à son arrêt Michaud c. France du 6 décembre 2012 et affirme "qu'un avocat ne peut mener à bien sa mission fondamentale s’il n’est pas à même de garantir à ceux dont il assure la défense que leurs échanges demeureront confidentiels". Mais si le secret professionnel est garanti et protégé par la Cour, il n'est pas pour autant absolu. Dans ce même arrêt Michaud, la Cour avait déjà estimé que n'était pas incompatible avec le secret professionnel l'obligation faite aux avocats de déclarer les soupçons de blanchiment qu'ils peuvent avoir à l'encontre de certains de leurs clients, ceux qui viennent les voir pour une mission de conseil et non pas une mission de défense.
Aujourd'hui, la Cour tient exactement le même raisonnement à propos des conversations téléphoniques qui sont couvertes par le secret, sauf si leur contenu fait présumer la participation de l'avocat lui-même à des faits constitutifs d'une infraction. Dans les deux cas, les droits de la défense du client ne sont pas affectés et c'est la raison pour laquelle la Cour écarte le principe de confidentialité. En tout état de cause, elle avertit que les conversations ainsi captées ne peuvent être utilisées contre le client mais seulement contre l'avocat.
Les lobbying des avocats en faveur d'un secret absolu essuie donc une défaite. Ils ont, en réalité, obtenu l'inverse de ce qu'ils recherchaient. La Cour européenne a en effet confirmé de manière éclatante que les avocats sont avant tout des citoyens et qu'ils sont également soumis à la loi. Pouvait-elle statuer autrement, si l'on considère que l'octroi d'un secret professionnel absolu conduisait à accorder aux avocats une véritable impunité pénale ?
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