Dans un arrêt Versini-Campinchi et Crasnianski c. France du 16 juin 2016, la Cour européenne des droits de l'homme met fin aux espoirs des avocats qui revendiquaient un secret professionnel absolu s'étendant à l'ensemble de leurs communications téléphoniques.
Les poursuites disciplinaires
L'affaire dont elle était saisie remonte à 2002, lorsque la chaîne de restaurants Buffalo Grill se trouve au coeur du scandale de la vache folle. Sa filiale Districoupe est accusée d'avoir importé du Royaume-Uni de la viande de boeuf, à une époque où les autorités sanitaires avaient décidé un embargo, la maladie de Creuzfeld-Jacob ayant contaminé des élevages britanniques. Dans le cadre d'une commission rogatoire du juge d'instruction, le PDG de Distrigroupe et président du conseil de surveillance de Buffalo Grill est placé sur écoute.
Le 17 décembre 2002, alors que deux cadres de Distrigroupe sont en garde à vue, Maître Crasnianski, collaboratrice de Maître Versini-Campinchi, appelle le PDG qui doit lui-même être très prochainement auditionné. Elle lui raconte tranquillement l'interrogatoire des deux cadres et l'informe que les enquêteurs les soupçonnent d'avoir "touché des enveloppes des fournisseurs" britanniques pour poursuivre l'importation de boeuf. Grâce à ce coup de téléphone, le PDG se trouve parfaitement informé des éléments de l'enquête et des charges susceptibles d'être retenues. A peine un mois plus tard, c'est Maître Versini-Campinchi qui appelle le même interlocuteur et tient des propos injurieux à l'égard du juge d'instruction chargé de l'affaire.
Le problème est que ces conversations ont été enregistrées. Le procureur va donc saisir le bâtonnier de l'Ordre des avocats l'invitant à engager des poursuites disciplinaires à l'encontre des requérants. Le bâtonnier décide de poursuivre pour violation du secret professionnel les deux avocats, d'autant que Maître Versini-Campinchi a lui-même demandé à être poursuivi sur ce fondement, dès lors que sa collaboratrice a agi sous son autorité et avec son accord. En revanche, le bâtonnier refuse de donner suite aux poursuites visant les injures à l'encontre du magistrat instructeur. A l'issue de la procédure disciplinaire, Maître Versini-Campinchi est condamné à une interdiction temporaire d'exercer la profession d'avocat pendant deux ans et sa collaboratrice pendant un an avec sursis.
Hergé. Le secret de La Licorne. 1943 |
Après avoir vainement déféré ces sanctions aux juges internes, les requérants saisissent la Cour européenne des droits de l'homme pour violation de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme qui énonce que "toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance". A leurs yeux, les communications avec leur client sont couvertes par un secret professionnel absolu et toute interception porte atteinte au secret des correspondance à celui de la vie privée garantis par l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme.
Depuis l'arrêt Malone c. Royaume-Uni du 2 août 1984 jusqu'à l'arrêt Pruteanu c. Roumanie du 3 février 2015, la Cour européenne considère que les communications téléphoniques relèvent de la vie privée et que le secret de la correspondance en fait partie. Il importe peu que ces écoutes aient effectuées sur la ligne d'un tiers (CEDH, 24 août 1998, Lambert c. France ; CEDH, 19 novembre 2013, Ulariu c. Roumanie). Toute interception, transcription et utilisation d'une communication téléphonique dans une procédure pénale constitue donc, en soi, une ingérence dans la vie privée, au sens de l'article 8 de la Convention européenne.
De ces dispositions, la jurisprudence française a toujours déduit qu'il était possible de placer un avocat sur écoute, à la condition d'informer le bâtonnier. Les transcriptions des conversations peuvent ainsi être versées au dossier si leur contenu est de nature à faire présumer la participation de l'avocat à une infraction (Crim. 8 novembre 2000). Dans un arrêt du 1er octobre 2003, la Cour de cassation précise que c'est également vrai lorsque l'infraction commise par l'avocat est étrangère à celle qui a justifié la saisine du juge d'instruction. Tel est bien le cas en l'espèce, dès lors que les avocats sont poursuivis pour violation du secret professionnel, alors même que leurs clients ont finalement bénéficié d'un non-lieu.
La seconde condition de licéité de l'ingérence dans la vie privée réside dans le "but légitime" poursuivi par la procédure. Sur ce point, l'arrêt ne fait que reprendre une première décision d'irrecevabilité rendue sur saisine de M. Picart qui avait déjà contesté les interceptions dont il avait fait l'objet devant la Cour européenne. Dans un arrêt du 18 mars 2008, la Cour avait alors estimé que cette procédure poursuivait l'un des buts énumérés par l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme : "la défense de l'ordre et la prévention des infractions pénales". Il en est de même dans le cas de l'interception contestée par l'avocat de M. Picart.
Enfin, la troisième et dernière condition posée par l'article 8 est la nécessité de l'ingérence dans une société démocratique, notion qui conduit la Cour européenne à exercer un contrôle de proportionnalité entre l'interception et le but légitime poursuivi. En l'espèce, les avocats requérants invoquent la jurisprudence Matheron c. France du 29 mars 2005 qui affirme que l'intéressé doit pouvoir contester devant un juge la régularité des écoutes téléphoniques utilisées à son encontre. Or, on se souvient que les deux avocats ont été l'objet de poursuites disciplinaires et n'ont donc pas pu saisir la chambre de l'instruction, compétente dans ce domaine.
La Cour fait cependant observer que les juges français, puis la Cour européenne, se sont déjà prononcés sur saisine de M. Picart, et ont considéré que les écoutes dont il avait fait l'objet, y compris la conversation avec Maître Crasnianski du 17 décembre 2002 , étaient parfaitement "nécessaires dans une société démocratique". Certes, ce n'est plus M. Picart qui saisit la Cour mais ses avocats. La conversation contestée est néanmoins la même, et l'écoute comme la transcription ont donc déjà été considérées comme licites.
La Cour ne peut cependant interrompre à ce stade son analyse dès lors que les requérants n'étaient pas parties à sa précédente décision. Elle rappelle donc que ces derniers ont pu obtenir un examen de la légalité des écoutes durant la procédure disciplinaire dont ils ont fait l'objet. Ils ont donc bénéficié d'un contrôle "efficace" même s'il ne s'inscrivait pas dans une procédure pénale.
Au-delà de l'affaire qu'elle examine, la Cour européenne prend une décision de principe en refusant de considérer comme confidentielle toute conversation entre un avocat et son client. Elle oppose donc une fin de non-recevoir aux revendications d'un secret absolu.
La Cour se réfère à son arrêt Michaud c. France du 6 décembre 2012 et affirme "qu'un avocat ne peut mener à bien sa mission fondamentale s’il n’est pas à même de garantir à ceux dont il assure la défense que leurs échanges demeureront confidentiels". Mais si le secret professionnel est garanti et protégé par la Cour, il n'est pas pour autant absolu. Dans ce même arrêt Michaud, la Cour avait déjà estimé que n'était pas incompatible avec le secret professionnel l'obligation faite aux avocats de déclarer les soupçons de blanchiment qu'ils peuvent avoir à l'encontre de certains de leurs clients, ceux qui viennent les voir pour une mission de conseil et non pas une mission de défense.
Aujourd'hui, la Cour tient exactement le même raisonnement à propos des conversations téléphoniques qui sont couvertes par le secret, sauf si leur contenu fait présumer la participation de l'avocat lui-même à des faits constitutifs d'une infraction. Dans les deux cas, les droits de la défense du client ne sont pas affectés et c'est la raison pour laquelle la Cour écarte le principe de confidentialité. En tout état de cause, elle avertit que les conversations ainsi captées ne peuvent être utilisées contre le client mais seulement contre l'avocat.
Les lobbying des avocats en faveur d'un secret absolu essuie donc une défaite. Ils ont, en réalité, obtenu l'inverse de ce qu'ils recherchaient. La Cour européenne a en effet confirmé de manière éclatante que les avocats sont avant tout des citoyens et qu'ils sont également soumis à la loi. Pouvait-elle statuer autrement, si l'on considère que l'octroi d'un secret professionnel absolu conduisait à accorder aux avocats une véritable impunité pénale ?
Depuis l'arrêt Malone c. Royaume-Uni du 2 août 1984 jusqu'à l'arrêt Pruteanu c. Roumanie du 3 février 2015, la Cour européenne considère que les communications téléphoniques relèvent de la vie privée et que le secret de la correspondance en fait partie. Il importe peu que ces écoutes aient effectuées sur la ligne d'un tiers (CEDH, 24 août 1998, Lambert c. France ; CEDH, 19 novembre 2013, Ulariu c. Roumanie). Toute interception, transcription et utilisation d'une communication téléphonique dans une procédure pénale constitue donc, en soi, une ingérence dans la vie privée, au sens de l'article 8 de la Convention européenne.
Une ingérence prévue par la loi
Elle peut cependant être licite si elle répond à
trois conditions. La première d'entre elles réside dans le fait qu'elle
doit être "prévue par la loi". Dans ses décisions Lambert c. France du 24 août 1998 et Matheron c. France du 29 mars 2005, la Cour avait déjà noté que le droit français autorise les écoutes téléphoniques, "lorsque les nécessités de l'information l'exigent". Ces dispositions figurent dans les articles 100 et suivants du code de procédure pénale. A l'époque des faits, leur rédaction était issue de la loi du 10 juillet 1991, et aujourd'hui elle trouve son origine dans la loi du 3 juin 2016. Même si la loi évolue, le fondement législatif demeure inchangé et l'article 100-7 mentionne toujours qu'"aucune interception ne peut avoir lieu sur une ligne dépendant du cabinet d'un avocat ou de son domicile sans que le bâtonnier en soit informé par le juge d'instruction".
Le but légitime
La seconde condition de licéité de l'ingérence dans la vie privée réside dans le "but légitime" poursuivi par la procédure. Sur ce point, l'arrêt ne fait que reprendre une première décision d'irrecevabilité rendue sur saisine de M. Picart qui avait déjà contesté les interceptions dont il avait fait l'objet devant la Cour européenne. Dans un arrêt du 18 mars 2008, la Cour avait alors estimé que cette procédure poursuivait l'un des buts énumérés par l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme : "la défense de l'ordre et la prévention des infractions pénales". Il en est de même dans le cas de l'interception contestée par l'avocat de M. Picart.
Le contrôle de proportionnalité
Enfin, la troisième et dernière condition posée par l'article 8 est la nécessité de l'ingérence dans une société démocratique, notion qui conduit la Cour européenne à exercer un contrôle de proportionnalité entre l'interception et le but légitime poursuivi. En l'espèce, les avocats requérants invoquent la jurisprudence Matheron c. France du 29 mars 2005 qui affirme que l'intéressé doit pouvoir contester devant un juge la régularité des écoutes téléphoniques utilisées à son encontre. Or, on se souvient que les deux avocats ont été l'objet de poursuites disciplinaires et n'ont donc pas pu saisir la chambre de l'instruction, compétente dans ce domaine.
La Cour fait cependant observer que les juges français, puis la Cour européenne, se sont déjà prononcés sur saisine de M. Picart, et ont considéré que les écoutes dont il avait fait l'objet, y compris la conversation avec Maître Crasnianski du 17 décembre 2002 , étaient parfaitement "nécessaires dans une société démocratique". Certes, ce n'est plus M. Picart qui saisit la Cour mais ses avocats. La conversation contestée est néanmoins la même, et l'écoute comme la transcription ont donc déjà été considérées comme licites.
La Cour ne peut cependant interrompre à ce stade son analyse dès lors que les requérants n'étaient pas parties à sa précédente décision. Elle rappelle donc que ces derniers ont pu obtenir un examen de la légalité des écoutes durant la procédure disciplinaire dont ils ont fait l'objet. Ils ont donc bénéficié d'un contrôle "efficace" même s'il ne s'inscrivait pas dans une procédure pénale.
Au-delà de l'affaire qu'elle examine, la Cour européenne prend une décision de principe en refusant de considérer comme confidentielle toute conversation entre un avocat et son client. Elle oppose donc une fin de non-recevoir aux revendications d'un secret absolu.
L'échec d'une revendication
La Cour se réfère à son arrêt Michaud c. France du 6 décembre 2012 et affirme "qu'un avocat ne peut mener à bien sa mission fondamentale s’il n’est pas à même de garantir à ceux dont il assure la défense que leurs échanges demeureront confidentiels". Mais si le secret professionnel est garanti et protégé par la Cour, il n'est pas pour autant absolu. Dans ce même arrêt Michaud, la Cour avait déjà estimé que n'était pas incompatible avec le secret professionnel l'obligation faite aux avocats de déclarer les soupçons de blanchiment qu'ils peuvent avoir à l'encontre de certains de leurs clients, ceux qui viennent les voir pour une mission de conseil et non pas une mission de défense.
Aujourd'hui, la Cour tient exactement le même raisonnement à propos des conversations téléphoniques qui sont couvertes par le secret, sauf si leur contenu fait présumer la participation de l'avocat lui-même à des faits constitutifs d'une infraction. Dans les deux cas, les droits de la défense du client ne sont pas affectés et c'est la raison pour laquelle la Cour écarte le principe de confidentialité. En tout état de cause, elle avertit que les conversations ainsi captées ne peuvent être utilisées contre le client mais seulement contre l'avocat.
Les lobbying des avocats en faveur d'un secret absolu essuie donc une défaite. Ils ont, en réalité, obtenu l'inverse de ce qu'ils recherchaient. La Cour européenne a en effet confirmé de manière éclatante que les avocats sont avant tout des citoyens et qu'ils sont également soumis à la loi. Pouvait-elle statuer autrement, si l'on considère que l'octroi d'un secret professionnel absolu conduisait à accorder aux avocats une véritable impunité pénale ?
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire